Exemple de mémoire de Droit

Introduction

Le principe de la laïcité a pour socle principal la loi de séparation des Églises et l’État du 9 décembre 1905. Cette loi a été créée pour faire en sorte que l’Etat cesse de favoriser telle ou telle religion, au détriment de telle ou telle autre.  Avec cette loi, l’Etat était désormais tenu de cesser de  « ne reconnaître, salarier et subventionner aucune religion »[1].

La loi de séparation pose également des garanties, la garantie de la liberté de conscience et son corolaire, la garantie du « libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public »[2]. Et c’est enfin un texte qui garantit la neutralité de l’Etat envers le religieux. Cette dernière affirmation est une constante dans la littérature juridique[3].

La loi de 1905 forme donc un ensemble composite, composite et souvent interprété comme contradictoire du fait de ses deux premiers articles, présentant un versant positif (article 1er) et un versant négatif (article 2).

Dans son versant positif, la loi de 1905 proclame donc la liberté de conscience, liberté matricielle, qui présente une parenté avec l’article 10 de la Déclaration de 1789 (« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public »), où le « même » signale que les opinions religieuses sont un produit dérivé et non un produit premier….

Dans ce versant positif, la loi de séparation impose donc à l’Etat de ne faire aucune discrimination en faveur ou défaveur du religieux en général ou de telle religion en particulier ; liberté totale de conscience ; liberté d’expression des croyances sous réserve de l’ordre public.

Dans son versant négatif, sur la base de l’article 2, le principe de la laïcité offre un aspect prohibitif, il assorti ainsi la liberté d’un tempérament, vis-à-vis de la République qui n’a alors pas le droit de reconnaître, salarier ou subventionner un culte en particulier.

Cette grammaire de la laïcité a toujours occasionné des tensions : « La République garantit le libre exercice des cultes » et « La République ne reconnaît aucun culte ». En effet, elle a contribué à entretenir un flou considérable autour d’une notion qu’on voudrait nette, mais qui ne le devient qu’à condition d’y regarder de près. On l’invoque d’ailleurs souvent dans des sens opposés. Pour les uns, le principe juridique de laïcité cantonne la religion dans l’espace privé. Pour d’autres, il oblige l’État à une égale bienveillance active à l’égard de toutes les croyances et de toutes leurs manifestations. Les deux pèchent par exagération, les premiers en surestimant sa portée, les seconds en la sous-estimant.

Cette tension a contribué ainsi à rendre la thématique de la laïcité très présente et très sensible dans le débat public français[4]. Or la formulation de la loi de 1905, dans son article 1er souligne bien que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Une formulation qui a été traduit faisant de la laicité un principe qui « impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes »[5].

Il ne faut, en effet, pas oublier qu’il y a une différence entre « culte » (que la République ne doit pas reconnaître) et « exercice du culte » (que la République doit garantir, au nom de la liberté de conscience, sous réserve des restrictions édictées par l’ordre public et énumérées par la loi de 1905 elle-même).

Il faut aussi souligner que la loi de séparation parle de culte et non de religion. La tradition républicaine, corroborée par la jurisprudence, comprend le terme « culte » plutôt largement (religion, croyance) et l’expression « exercice du culte » plutôt strictement (cérémonie religieuse dans un lieu consacré aux rites et pratiques de cette religion[6].

Le régime de la laicité ne peut donc pas être considéré comme simple régime d’ignorance, il n’est pas caractérisé par l’absence de contact entre la République et le Religieux, puisque les autorités publiques ne peuvent pas de désintéresser de la question religieuse. Et cela dans la mesure où il leur incombe le devoir d’assurer le libre exercice des cultes.

Une garantie qui ne peut être réellement effective, dans une République dont l’un des fondements est la séparation de des Eglises et de l’Etat, que si les cultes sont considérés de manière égalitaire : l’Etat se doit de considérer tous les cultes sur le même pied d’égalité, il se doit de garantir la liberté religieuse de manière égale et pour tous.

Mais au-delà de cette idée de garantie du libre exercice du culte, la laïcité a aussi une signification sociale qui ne peut pas être écartée et qui alimente et explique toutes les dissensions qui entourent la question de la laicité aujourd’hui.

En effet, la question de la garantie soulève un certain nombre de questions, les plus d’actualité étant le nombre d’édifice du culte, l’accès aux ministres de tous les cultes dans les établissements tels que les prisons ou les hôpitaux. Il y a également la question des prescriptions alimentaires qui participent, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, à la liberté religieuse.

Toutes ces questions cristallisent toutes les tensions qui prédominent dès qu’il est question de laicité. En effet, dans la mise pratique de la laicité, l’engagement de l’Etat à garantir de manière égalitaire l’exercice de tous les cultes, si elle est effectuée sans aménagements aura pour résultat d’appliquer la même règle pour tous. Ce qui au final aboutira à maintenir, et même à aggraver les inégalités de départ qui caractérisaient déjà les différents cultes[7].

Pour illustrer ce constat, nous pourrons prendre l’exemple des édifices du culte et de leur financement. Ces édifices constituent un véritable foyer de tension, en effet, elles questionnent le sens même de la notion de garantie. Se pose alors la question de savoir si cette garantie est un principe général ou une prérogative individuelle, cette question est au cœur de nombreux contentieux.

Selon un rapport sénatorial[8], « tandis qu’il y aurait 45 000 églises catholiques en France, on ne dénombrerait que 4 000 lieux de culte protestant, 420 synagogues, 150 églises orthodoxes, 2 450 mosquées et 380 lieux de culte bouddhiste. »[9]. Ce rapport fait donc état d’un certain déséquilibre dans la mise en pratique de la garantie d’exerce des cultes et cela dans la mesure où, « si les religions historiquement présentes en France ne rencontrent pas de difficulté d’implantation sur leurs lieux de culte[10], il en va différemment pour d’autres cultes »[11].

On peut facilement constater que « les religions émergentes ou en voie d’enracinement sont davantage confrontées à des difficultés d’implantation de leurs lieux de culte »[12]. C’est le cas notamment du culte bouddhiste, orthodoxe et même le culte musulman alors que l’Islam est aujourd’hui considéré comme la deuxième religion française[13]. Dans ce dernier cas, la situation est particulièrement préoccupante, dans le sens où le nombre d’édifices étant très insuffisants, il est de plus en plus courant d’assister à un débordement de la prière sur l’espace public, ce qui engendre des tensions, fortement alimentées par l’instrumentalisation politique qui en découle.

Dans ce rapport, des recommandations ont été émises afin de surmonter les problèmes de financement de la construction de nouveaux édifices pour ces cultes émergents. En effet, même si la loi de 1905 a été très claire dans son article 2 quant à l’interdiction de reconnaître, de salarier ou de financier aucun culte, le rapport affirme que « les collectivités territoriales peuvent contribuer à aider les religions en matière de construction et d’entretien d’édifices cultuels »[14].

Le rapport rappelle ainsi que « Si la République est laïque, elle ne se désintéresse pas pour autant des cultes, composantes de la vie sociale et enjeu de la consolidation du vivre-ensemble. Un vivre-ensemble aujourd’hui mis à l’épreuve par les tentations communautaristes et les intégrismes religieux. »[15]. Et de réclamer ainsi la consécration législative des exceptions et assouplissements[16] à l’interdiction de l’article 2 de la loi de 1905. Ainsi qu’une « meilleure information des collectivités publiques quant aux modalités du soutien qu’elles peuvent légalement apporter aux cultes. »[17]. Cette recommandation avait déjà été précédé par d’autres formes de reconnaissance de cet assouplissement et de ce besoin d’information, et notamment du côté de la jurisprudence administrative qui, ces dernières années, a été un terrain de l’assouplissement notable du régime juridique du financement public des cultes justifiée par des considérations d’égalité et de justice [18].

Ainsi, le Conseil d’Etat avait déjà contribué à dessiner une forme d’aides pouvant être octroyées par les collectivités aux différents cultes, sans pour autant les subventionner ou les salarier. Il y a par exemple la technique du bail emphytéotique, la mise à disposition non pérenne de locaux, il y a aussi la prise en charge de travaux dès lors qu’ils peuvent être rattachés à un intérêt public local, il y a encore la garantie des emprunts bancaires[19].

En 2013, le Conseil d’Etat a renouvelé cette contribution en rendant une série d’arrêts qui permettait aux collectivités locales de prendre en charge les dépenses d’équipement engagées par les communautés religieuses, à la condition cependant que cette prise en charge corresponde effectivement à un intérêt général, régional ou national, de promotion des énergies renouvelables – détachable dès lors de la part cultuelle de l’activité des bénéficiaires[20].

La question concernant le financement des édifices du culte est une autre question qui nécessite des clarifications également. Et spécialement concernant leur implantation qui soulève beaucoup de tension. Ainsi par exemple de la mosquée de Fréjus qui a soulevé beaucoup de controverses. Le projet avait en effet suscité des tensions assez vives depuis son origine, et a été le théâtre de nombreux recours en justice. L’exemple le plus édifiant concerne la suspension d’une décision municipale qui, malgré le permis de construire délivré en 2011 et modifié en 2013, mettait en demeure l’association musulmane El Fath d’interrompre les travaux de construction. Décision suspendue par le juge des référés du tribunal administratif[21].

Une fois les travaux terminés, le maire de Fréjus avait refusé de délivrer l’attestation d’achèvement et de conformité ce qui avait pour conséquence de dénier à l’association l’autorisation d’ouverture requise pour les établissements accueillant du public. Une fois encore l’association avait esté en justice et le Conseil d’Etat avait rendu une première ordonnance de référé le 9 novembre 2015 commandant au maire de délivrer ladite attestation, commandement assorti d’une astreinte de 500 euros par jours[22].

Le Conseil d’Etat a ensuite rendu une deuxième ordonnance[23], cette fois-ci afin de commander au préfet du Var de faire usage à l’égard de la commune du pouvoir hiérarchique qu’il tient de l’article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales pour enjoindre la délivrance de ladite autorisation[24].

La contestation de l’implantation de cette mosquée a donc fait couler beaucoup d’encre, et le fait qu’il y ait un volet pénal[25] ne fait que confirmer que les difficultés de financement peuvent se doubler de difficultés plus grandes encore, sur l’acceptation même des projets d’implantation.

Difficultés qui sont aussi exacerbée par le fait que la différenciation de traitement des différents cultes à ce niveau peut être flagrante. Ainsi, l’inauguration d’édifices pour d’autres cultes n’est pas toujours aussi problématique. C’est par exemple le cas de l’inauguration d’un temple bouddhiste à Bussy St-Georges en 2012. L’absence de tensions et de recours en justice semble montrer que le projet a été consensuel, depuis son origine jusqu’à son aboutissement.

La question est à ce point sensible que le Conseil constitutionnel a, dans une décision du 21 février 2013[26], fait du principe de laïcité un des principes faisant partie des « droits et libertés que la Constitution garantit », tel que posé par l’article 61§1 de la Constitution. Le Conseil en profite alors pour ériger les composantes de la laicité. Il y en a trois : le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens sans distinction de religion et la garantie des cultes. Et ces composantes deviennent alors autant de droits susceptibles d’être actionnés par les justiciables par le biais de la QPC.

Le Conseil constitutionnel a ainsi contribué à apporter un éclaircissement de taille concernant le principe de la laicité : il ne s’agit pas seulement d’un principe commandant une certaine organisation des pouvoirs publics dans leur rapport aux cultes ; la laicité est aussi (et surtout) la source ou le fondement de droits individuels.

Cette « nouvelle » définition du Conseil constitutionnel vient consacrer un point de vue défendue par la jurisprudence dans toutes les branches du droit. En effet, il y a déjà eu divers contentieux développés au fil des années qui ont véhiculé de manière similaire cette dimension d’actionnement individuel de la garantie du libre exercice du culte.

On peut ainsi constater que le Conseil d’État a récemment précisé les contours de l’obligation pesant sur l’administration pénitentiaire en matière d’agrément des ministres du culte au visa de la liberté constitutionnelle du culte que le Conseil d’État a récemment précisé les contours de l’obligation pesant sur l’administration. Cette précision vaut surtout pour les cultes que le Conseil d’Etat considère comme étant des cultes minoritaires. En l’espèce, c’est le cas des Témoins de Jéhovah[27].

Le même visa a ensuite permis de confirmer « la légalité et la conventionnalité des dispositions du code de procédure pénale relatives au placement en cellule disciplinaire, dès lors qu’étaient garantis en toute hypothèse le droit de s’entretenir avec un aumônier et de détenir des objets libres religieux nécessaires au culte »[28].

En effet, la coopération active ou l’aval de l’administration est souvent nécessaire pour permettre à certaines catégories de personne, comme l’écolier[29], le détenu ou le malade, d’exercer la liberté de culte qui est pourtant un de leurs droits fondamentaux. Cette coopération nécessaire avait déjà été prise en compte par les rédacteurs de la loi sur la séparation de 1905 qui avaient aménagé la possibilité de financer sur fonds publics « des services d’aumônerie [des dépenses] destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

L’idée selon laquelle le régime de laicité impose à certains services publics des obligations positives ) la charge de l’Etat n’est plus une nouveauté[30], ce qui est une nouveauté c’est qu’elle reçoive affirmation dans des contextes différents, et qu’elle soit étendue à d’autres services publics non fermés.

Cas par exemple en matière d’abattage d’animaux, où le Conseil d’Etat a admis qu’il n’était pas illégale de déroger aux  prescriptions du code rural imposant l’étourdissement préalable de l’animal, et cela au nom de la garantie du libre exercice du culte[31].

Cette souplesse s’inscrit dans la logique que la doctrine administrative de tolérance (voire d’encouragement) en faveur de la mise en place des carrés confessionnels dans les cimetières, alors même que cela contrevient à la loi[32].

On assiste donc aujourd’hui à un changement progressif mais majeur qui est de faire du principe de la laicité un fondement majeur des droits individuels, un fondement à demander à l’administration et la puissance publique à agir positivement pour leur permettre de jouir de manière effective de la liberté d’exercice religieuse. On assiste donc aujourd’hui à une subjectivation de la garantie des cultes. 

Dans la pratique cependant, cette subjectivisation du principe ne fait pas l’unanimité, et cette résistance se constate, non seulement au niveau de l’administration mais également au niveau des juges. En effet, e ne sont pas toutes les requêtes présentées devant le juge qui aboutissent à la confirmation de l’obligation positive de l’administration envers les administrés. Il est déjà ainsi arrivé que le juge refuse de considérer que les établissements scolaires[33] ou pénitentiaires[34] soient dans d’obligation d’accommoder les aliments proposés aux demandes fondées sur des prescriptions religieuses.

Il y a encore un point important concernant le rôle de l’Etat dans le régime de séparation de 1905, la neutralité. Cette neutralité oblige l’Etat à ne favoriser aucun culte et à les maintenir tous à égale distance. Cette neutralité est également sujette à de vives tensions[35]. La raison de ces tension est que le principe de la laicité a évolué de telle sorte que beaucoup perçoivent aujourd’hui qu’elle génère désormais des obligation de neutralité, non seulement aux personnes publiques, mais bien au-delà, également sur les personnes privées. Le risque avec cette nouvelle évolution c’est que le principe de laicité s’affranchisse de l’idée de neutralité, pour véhiculer une exigence de respect, voire d’allégeance, à des valeurs, ce qui interroge sur la pérennité de l’héritage libéral de 1905.

Dans le droit français, cette exigence de neutralité de la part des personnes publiques n’a jamais été remise en question. Cette exigence a ainsi toujours été affirmée et réaffirmée, et de l’arrêt Jamet[36] à l’avis Marteaux, il a toujours été constamment admis que les fonctionnaires et agents publics sont, du fait de leur statut qui en fait des incarnations de la puissance publique (et ce, quelles que soient leurs fonctions[37]), soumis à une stricte obligation de neutralité religieuse.

La Cour européenne des droits de l’homme a même entérinée cette obligation de neutralité en s’appuyant sur le fait que les usagers de service public sont dans un état de vulnérabilité particulier.

Ainsi, dans le cas d’un établissement de soin, la cour a pris en compte l’état de vulnérabilité particulier des malades tout en prenant en compte la particularité de la laicité française pour déclarer légal le licenciement d’une aide-soignante refusant de retirer son voile dans la mesure où il ne méconnaissait pas les exigences de la CEDH[38].

On parle bien de la particularité de la laicité française dans la mesure où dans d’autres pays de l’Union européenne, la neutralité s’exprime, non pas par la soumission des représentants de l’Etat à une règle de neutralité, mais au contraire s’exprime par leur diversité religieuse. Diversité qui peut se manifester de plusieurs manières et notamment par la possibilité d’arborer des signes religieux. Ainsi dans le droit américain, tout comme dans le droit canadien et anglais, il est possible pour les forces de l’ordre d’arborer des signes distinctifs comme la barbe et le turban sikh. Ils peuvent également bénéficier de l’aménagement de leur uniforme et peuvent être dispensés des éléments de celle-ci qui peuvent ne pas être compatible avec le signe religieux ont ils affirment ne pouvoir se départir[39].

Cet exemple est particulièrement intéressant dans la mesure où les pays que nous venons de citer revendiquent également la neutralité religieuse dans l’exercice de l’action publique. Ce qui signifie qu’il peut y avoir une autre lecture de la laicité, une lecture plus consensuelle qui n’impose pas une obligation généralisée de neutralité pour les fonctionnaires et agents publics.

Quoi qu’il en soit, l’obligation de neutralité pèse de manière générale et absolue sur les fonctionnaires et agents publics, et depuis quelque temps, on assiste à une nouvelle tendance qui semble étendre cette obligation aux personnes privées, c’est-à-dire que, nous assistons aujourd’hui non plus à une neutralité-séparation, mais à une neutralité-laïcisation de la société[40].

Cette nouvelle tendance est alors consacrée dans la loi du 15 mars 2004. Elle consacre une obligation de neutralité religieuse pesant sur des personnes privées (les élèves des écoles, collèges et lycées publics) au nom du principe de laïcité[41].

« Cette rupture aura par ailleurs enclenché un mouvement qu’une dizaine d’années de recul permet désormais de bien mesurer : c’est dans de nombreuses configurations aujourd’hui que pèse sur les personnes privées une obligation de neutralité religieuse. C’est vrai autour de l’école (cf. la question des parents accompagnateurs de sorties scolaires[42] ou des stagiaires GRETA[43]), mais aussi au-delà de l’école, dans l’espace public en général (cf. l’interdiction de la dissimulation du visage[44]) ainsi que dans le monde du travail (cf. les initiatives législatives[45] et évolutions judiciaires[46] tendant à entériner le passage d’un état du droit où seules celles des restrictions à la liberté religieuse dûment justifiées par les spécificités d’un poste de travail et proportionnées étaient tolérées, à une nouvelle ère consentant des mesures générales et absolues prescrivant la neutralité religieuse des personnels) »[47].

On pourrait certainement encore égrener la liste mais l’idée se dessine : les exigences de neutralité religieuse que l’on déduit du principe de laïcité ne sont plus aujourd’hui, loin de là, cantonnées aux seules personnes publiques ; bien plutôt, nombreuses sont les situations dans lesquelles ce sont les personnes privées qui s’y voient assujetties.

Mais au-delà de l’intérêt au niveau de la pratique du droit, il faut aussi tenir compte du contexte. La France est un pays de quelque 66 millions de personnes avec trois caractéristiques, une population de racines anciennes possédant un grand nombre de traditions, coutumes et un mode de vie particulier, et une population fortement urbanisée en raison de diverses transformations industrielles. En même temps, la population moderne est le fruit d’une immigration intense et constante depuis le XIXe siècle.

La France compte aujourd’hui quatre millions d’étrangers, la plupart avec des racines familiales européennes anciennes (Italie, Belgique, Pologne, Espagne, Portugal) ou plus récentes (Pologne, Lituanie, Roumanie), mais aussi beaucoup du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), Afrique (Mali, Tchad, Sénégal, Niger, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, Zaïre, Rwanda, Comores), ou Asie (Vietnam, Chine, Sri Lanka).

Cette variété extrême est le résultat de plusieurs facteurs: L’attraction d’une économie forte tirée par les révolutions industrielles européennes, le déficit démographique dramatique causé par deux guerres mondiales, la croissance économique considérable après la Seconde Guerre mondiale et l’afflux migratoire qui a suivi la fin de l’empire colonial français. L’existence d’un grand patrimoine francophone de cet empire favorise toujours la France en tant que destination dans le processus de migration économique.

Si l’immigration touche désormais tous les pays européens, la France et le Royaume-Uni ont longtemps été les plus touchés par ce phénomène. Depuis les années 1970, la politique de naturalisation et d’acquisition de la nationalité française par la naissance ou le mariage en France a favorisé une rapide expansion de la citoyenneté française aux migrants économiques et à leurs familles. L’esprit de cette politique était l’«assimilation», ce qui signifie qu’une fois devenu français, l’étranger acquiert avec la citoyenneté une attitude comportementale spécifique et coutumière, dont la manifestation la plus spécifique serait la discrétion dans le comportement religieux public et dans les relations avec autrui.

Ce modèle, également hérité de l’histoire complexe de la France dans sa difficile marche vers la modernité politique, fut complètement bouleversé dans les années 1980. Deux phénomènes se sont développés qui, en quelque sorte, perturbant les certitudes en matière de relations entre l’Etat et les religions, ont changé les habitudes acquises. Le premier phénomène est la forte dénonciation de la discrimination à l’égard des personnes d’origine immigrée – discrimination dans l’emploi, le logement, l’éducation, la rémunération, et surtout les considérations sociales. Le deuxième phénomène est un défi à la «laïcité» française en tant que praxis sociale de la discrétion dans l’espace public. Cette pratique a commencé à être dénoncée comme une forme de discrimination bien plus insidieuse qui, forçant tout le monde à réserver sa religion à son espace privé, encourage en fait le mépris de la religion.

Il est vrai que dans le contexte français, l’avènement de l’Etat laïc n’était pas une affaire facile et correspond à une véritable guerre d’influence entre deux conceptions de l’Etat et sa relation avec la religion. L’une est une conception selon laquelle l’Etat, lui-même confessionnel, favorise une religion dont il est aussi le protecteur (France de l’Ancien Régime); l’autre est une conception dans laquelle l’État n’est pas religieux, ne favorise aucune religion, et utilise même son pouvoir souverain pour confier l’expression religieuse à la sphère privée (France républicaine).

Le modèle dans les deux cas est la préexistence de l’État, une préexistence historique et non idéologique, malgré les affirmations d’Edmund Burke concernant l’extrême autonomie de la société française de l’Ancien Régime (qui était aussi profondément égalitaire). L’état en France existait avant l’organisation de l’ordre légal et civique. Alors que les droits et libertés des citoyens, la liberté de la société civile, sont avant tout soumis à un ordre qui, tout en refusant de se considérer comme transcendant l’ordre républicain, reste néanmoins souverain et soumet les droits et libertés aux limites des lois, dont la création est également strictement réglementée.

Se mouvoir alors de l’état moniste – qui excluait l’influence étatique du catholicisme et réduisait méthodiquement la marge d’influence de cette religion sur la société au nom de l’émancipation de la conscience – à un état de droit qui n’intervient pas dans la religion de ses citoyens, et intègre le pluralisme religieux comme une nouvelle valeur constitutionnelle, est un défi difficile. Des discussions récentes ont porté sur la discrimination religieuse contre les musulmans et d’autres religions minoritaires ou largement prosélytes2, de sorte que, sans vraiment toucher à la forme et à la philosophie officielle de l’État laïc en France, on prend davantage en compte la diversité. fait pour traduire en loi la vitalité spirituelle des citoyens français.

Cette politique de l’ « assimilation » ont conduit aujourd’hui à des résultats qui font penser qu’il est demandé aux personnes privées une même obligation de neutralité que celle qui pèse sur l’Etat. Mais alors peut se poser la question de savoir si réellement la laicité s’articule toujours autour de la neutralité.

La question se pose dans la mesure où on parfois l’impression d’assister non pas à un commandement de neutralité dans le cas des personnes privées mais plutôt à  un véritable commandement de respect, voire d’adhésion, à des valeurs[48]. Cette évolution est très importante, qui signe en effet une prise de distance vis-à-vis d’une orientation générale libérale de régime de laïcité : la laïcité n’est plus une coquille vide permettant la coexistence de divers régimes de croyance, mais acquiert un contenu substantiel et véhicule une conception du bien.

Certaines itérations récentes du contentieux scolaire relatif au port du foulard islamique illustrent ces évolutions structurelles du régime de laïcité contemporain. Indépendamment du fait que la jurisprudence a entériné le fait que des bandanas, des jupes (trop) longues ou des bonnets de laine[49] puissent être interprétés comme autant de « signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse », elle a également accepté que ce soit le comportement des élèves plus que le port du signe lui-même qui fonde les mesures disciplinaires pouvant être prises sur le fondement de la loi du 15 mars 2004.

Ainsi, l’intransigeance d’une élève[50] dans le refus de retirer un signe, voire dans le fait de ne le retirer qu’au dernier moment (et de le revêtir aussitôt quitté le périmètre scolaire) constitue, typiquement, un comportement appelant l’application de la loi de 2004.

Ce glissement, dans l’application de la loi, depuis la signification « objective » de signes religieux, à celle de l’interprétation des comportements adoptés par des élèves, est un glissement majeur. Le régime juridique change du tout au tout qui, de police du vêtement, en vient à sonder les consciences : quel comportement est intransigeant ? Est-il ostentatoire ? Etc.

On ne cherche plus ici tant un espace scolaire expurgé de signes religieux que, dans les termes mêmes de la directrice des affaires juridiques du ministère de l’Éducation nationale, une « adhésion aux valeurs de la République »[51]. On retrouve cette construction ou imposition d’un pacte républicain[52] dans de nombreux autres débats au sein desquels le principe de laïcité est massivement convoqué.

Elle a porté tout l’effort législatif ayant mené à l’adoption de la loi du 11 octobre 2010 relative à l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public : voté pour contrer le port, par 1 900 femmes sur le territoire, du voile intégral (le niqab), ce texte est l’emblème du basculement[53] d’un régime de laïcité-neutralité à un régime où la laïcité recouvre et véhicule, au contraire, des valeurs impératives (La République se vit à visage découvert[54]). C’est le cas aussi dans le droit de la nationalité[55] ou les conditions d’accueil des étrangers[56].

Tous ces exemples sont autant de cas dans lesquels le principe de laïcité permet d’exiger des personnes auxquelles il est opposé non pas la neutralité mais, au contraire, le respect de voire l’adhésion à certaines valeurs. Ces valeurs sont plurielles ; c’est tantôt l’égalité entre les sexes, tantôt les valeurs essentielles de la République, voire la liberté d’entreprendre et de façonner une image de marque de l’entreprise[57] qui constituent les composants normatifs de la laïcité ainsi (ré)investie de contenu substantiel.

Associée à un authentique programme axiologique, la laïcité ne peut plus prétendre à la neutralité ; elle s’en détache nettement. Il importe de bien identifier cette évolution du régime français de laïcité, afin d’en prendre la mesure et aussi de rendre possible le débat public et politique sur ce qui apparaît aujourd’hui comme le programme normatif de la laïcité[58].

Ce qui nous amène donc à nous poser question suivante : en quoi la laïcité est-elle inséparable de l’esprit républicain ?

Tout au long de ce travail, nous allons essayer de répondre à cette question en parlant, dans une première partie, de la laïcité comme vecteur de l’intégration du religieux dans la République (Partie I). Car la forme laïque de l’État français prône un Etat neutre, un Etat qui est dans une condition de séparation de la religion, et il laisse une pleine liberté de conscience à ses citoyens, qui ont le droit de ne croire en rien, de ne pas pratiquer la religion, comme ils ont le droit de croire personnellement et collectivement. C’est dans cet esprit que le concept a été construit, afin de soutenir un nouveau principe d’organisation qui avait vocation à être autonome (Chapitre I). Après l’entrée en vigueur de la loi de 1905, le principe de la laïcité n’a plus fait l’objet d’une remise en question, elle est aujourd’hui devenue un véritable modèle d’organisation pour un pouvoir réellement autonome vis-à-vis du religieux (chapitre II).

Mais la laicité est aussi un vecteur de la socialisation juridique (Partie II), dans le sens où elle est considérée comme un moyen de sécuriser juridiquement la liberté de conscience des citoyens français (Chapitre I). Mais la laicité, et donc également la socialisation juridique (par son biais) sont aujourd’hui menacées par l’évolution du contexte socio-culturel français (Chapitre II).

Partie I : La laïcité, vecteur d’intégration du religieux dans la République française

Nous allons commencer par apporter quelques éléments de définitions en ce qui concerne la religion et la politique de manière à pouvoir cerner les régimes de séparation élaborés par les sociétés modernes.

Pour la religion : elle est considérée par les Sciences humaines comme une  « relation sociale continue excédant les frontières de la seule inter- ou intra-humanité et qui concerne tout ce qui se situe au-delà (ou en deçà) de la sphère des relations de réciprocité entre les humains »[59].

Pour certains auteur, la religion doit être considérée autrement que comme une simple relation moi-autrui, « mais aussi bien, pourrait-on montrer dans un schéma superposable, au-delà de la mort et de la vie[60] »[61]. La religion doit être considérée comme un ordre « intégralement reçu, déterminé d’avant et du dehors de notre volonté », c’est « une organisation de l’obéissance par la dépossession [62]».

Ainsi donc, la religion peut être considérée comme cette «  relation de l’humanité avec elle-même placée sous le signe de la dépossession au profit d’un autre qu’elle. La religion, c’est le refus par l’homme de sa propre puissance de créateur, le déni radical d’être pour quelque chose et à l’origine du monde humain. La religion reporte et déporte ailleurs, dans l’invisible, antérieur et d’un ordre supérieur, les raisons présidant à l’organisation de la communauté des vivants-visibles »[63].

Mais bien que la religion soit au centre de la vie publique, et fasse l’objet de nombreuses protection, comme de nombreuses interdictions également, nous allons le voir, la définition juridique du concept n’est pas aisé, il n’existe pas : « Le cas français montre qu’il n’existe pas de définition juridique de la religion et qu’une définition du culte n’est intervenue que très tardivement »[64].  

Nous avons essayé de nous tourner vers le droit international pour trouver cette définition, mais bien que de nombreux instruments internationaux et régionaux garantissent les droits liés à la liberté de religion ou de conviction[65], aucun ne tente de définir le terme «religion».

Un effort international important a été fait pour expliquer les droits sous-jacents protégés par la religion ou la conviction. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a publié une importante Observation générale sur la portée de la liberté de religion ou de conviction dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[66].

Néanmoins, le terme «religion» reste indéfini en droit international. L’absence de définition de «religion» n’est pas propre aux conventions internationales des droits de l’homme; La plupart des constitutions nationales incluent également des clauses sur la liberté de religion sans définir la «religion»[67]. Ainsi, nous sommes présentés, d’une part, avec des dispositions importantes garantissant les droits fondamentaux relatifs à la religion, mais d’autre part, le terme lui-même est indéfini. Bien sûr, l’absence de définition d’un terme critique ne différencie pas la religion de la plupart des autres droits identifiés dans les instruments et les constitutions des droits de l’homme. Cependant, comme la religion est beaucoup plus complexe que les autres droits garantis, la difficulté de comprendre ce qui est protégé ou non est considérablement plus grande[68].

Il est assez fréquent que les analyses juridiques de la liberté de religion ou de conviction évitent une discussion sérieuse du problème de définition, même parmi les travaux les plus importants[69]. Parmi les universitaires en philosophie et en religion, il y a un débat très animé sur la question de savoir si le mot «religion» peut ou devrait être défini[70].

On a observé que «l’effort pour définir la religion est aussi vieux que l’étude académique de la religion elle-même.»[71]. En fait, «des douzaines, sinon des centaines de propositions ont été faites»  chacun prétendant résoudre le problème définitionnel d’une manière nouvelle et unique. Inutile de dire qu’aucune définition de la religion n’a recueilli de consensus, et l’entreprise définitionnelle, ainsi que le débat sur le besoin même de définitions, continuent en pleine vigueur[72].

Alors que les universitaires ont le luxe de débattre si le terme «religion» est désespérément ambigu, les juges et les avocats ne le font souvent pas. Les arbitres d’asile, par exemple, peuvent être appelés à décider s’il existe une «crainte fondée d’être persécuté pour des raisons de … religion » indépendamment du fait que la Convention de 1951 sur les réfugiés offre une définition[73]. De même, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme peuvent être amenés à donner un sens au terme «religion» aux fins de l’interprétation de l’article 9 de la Convention européenne. Les décisions judiciaires sur ce qui constitue la religion font une réelle différence dans la vie des personnes qui peuvent ou non obtenir le statut de réfugié, ou dans la viabilité économique d’un groupe reconnu ou non comme une association religieuse exonérée d’impôt[74].

Mais malgré ces difficultés, nous avons quand même pu recensé deux types d’essais de définitions : “l’essentialiste” et le “polythétique”. Une définition essentialiste identifie les éléments qui sont nécessaires pour que quelque chose soit désigné comme une «religion». Dans les épigraphes au début de cet article, M. Thwackum et les Charity Commissioners ont tous deux offert des définitions essentialistes de la religion. L’essentialisme de Thwackum a réduit le sens de «religion» à «l’Église anglicane». Les Commissaires de Charité supposent apparemment que la religion doit être théiste (et peut-être même monothéiste). Chaque fois qu’une définition légale est essentialiste, elle suppose que la religion a un ou plusieurs éléments en commun avec toutes les autres religions.

Le deuxième type de définition, le polythétique, n’exige pas que toutes les religions aient des éléments spécifiques en commun. L’illustration la plus connue d’une approche polyéthique des définitions est généralement l’explication de Ludwig Wittgenstein de la signification du «jeu». Wittgenstein décrit la grande variété d’activités pour lesquelles nous utilisons le terme «jeu», mais note qu’il n’y a pas de caractéristique unique Cependant, croit-il, nous pouvons voir des ressemblances entre les différents types d’activités qui sont toutes appelées jeux, même si elles ne partagent aucune caractéristique en commun. “Je ne vois pas de meilleure expression pour caractériser ces similitudes que des” ressemblances familiales “; »La déclaration de la Cour suprême des États-Unis dans l’épigraphe ci-dessus se rapproche de l’approche polythétique lorsqu’elle accepte quelque chose chez le croyant». parallèle “à la croyance orthodoxe en Dieu.

Les définitions contenues dans les épigraphes, ainsi que d’autres définitions de la «religion» (y compris les définitions juridiques) peuvent typiquement être analysées en termes des composantes ci-dessus: les hypothèses sous-jacentes sur la religion et la forme de définition qui est offerte. La définition de M. Thwackum suppose la vérité métaphysique sous-jacente de l’Église d’Angleterre (c’est-à-dire, ce n’est pas une définition psychologique ou sociologique) et elle est sous la forme essentialiste. La définition du Commissaire aux Charités, qui est essentialiste comme celle de Thwackum, se tourne néanmoins vers la psychologie pour la nature sous-jacente de la religion. La définition de la Cour suprême des États-Unis, comme celle de la Charity Commission, est psychologique, mais elle est aussi polythétique.

Ainsi donc, à défaut de pouvoir donner une définition de la Religion, nous allons en chercher les composantes. Pour comprendre la religion dans le contexte devenu très difficile de la recherche de l’égalité, il y a trois facettes différentes qui revêtent une importance particulière: la religion en tant que croyance, la religion en tant qu’identité et la religion en tant que mode de vie. Dans une affaire de discrimination religieuse ou dans une revendication de persécution religieuse en vertu du droit des réfugiés, on peut s’attendre à ce que l’une ou l’autre de ces trois facettes soit pertinente. Il est bien sûr également possible que n’importe quelle combinaison des trois puisse se produire, ou qu’une autre facette de la religion non identifiée ici puisse être présente, bien que ces trois soient les plus susceptibles d’être impliqués.

  • La religion comme une croyance

La religion en tant que croyance se rapporte aux convictions que les gens portent sur des sujets tels que Dieu, la vérité ou les doctrines de la foi. La croyance religieuse peut souligner, par exemple, l’adhésion aux doctrines telles que le Credo de Nicée, la transmigration des âmes, le karma la sagesse du Sûtra du Lotus, les cinq piliers de l’Islam, ou le message syncrétiste que de nombreuses doctrines religieuses révèlent une réalité sous-jacente. La religion de croyance insiste généralement sur l’importance pour les individus de bien comprendre les doctrines. Conjuguée parfois avec la soi-disant «religion privée», la religion croyante peut en effet souligner l’importance critique d’une communauté religieuse de croyants semblables, le rôle essentiel d’un sacerdoce dans le salut des âmes, ou même la nécessité de manifester la religion dans le place publique. Mais si la croyance religieuse est exposée par un individu ou dans une communauté de croyants, elle mettra l’accent sur les revendications de vérité de la religion.

Du point de vue de la personne qui persécute ou discrimine, les croyances religieuses des autres sont susceptibles d’être caractérisées en termes tels que «hérésie», «blasphème», «apostasie» ou «superstition». De ce point de vue, les chefs religieux seront décrits comme des truands, des faux prophètes, des blasphémateurs, ou des chefs de culte engagés dans la manipulation mentale ou le contrôle de l’esprit. Certains des exemples les plus clairs de persécution pour «fausses» croyances sont englobés dans l’accusation d’apostasie contre ceux qui se convertissent d’une religion à une autre. Il peut également y avoir des cas où des groupes dans leur ensemble peuvent être considérés comme des hérétiques et subir des persécutions, même s’ils appartiennent à la même ethnie générale que leurs persécuteurs. Certains des cas les plus évidents sont les baha’is en Iran et en Égypte et les ahmadis au Pakistan et ailleurs. Alors que la conversion et les cas connexes peuvent être parmi les plus saillants, des problèmes de persécution religieuse se posent également pour ceux qui ont des croyances religieuses et qui vivent dans des communautés hostiles à ces croyances. Dans un Etat démocratique et laïc, cette discrimination peut également se manifester d’une manière assez similaire, même s’il n’y a pas de persécutions du fait de l’Etat, le sentiment de non acceptation de la religion de l’autre peut conduire à l’écarter.

  • La religion comme une identité

Alors que la religion en tant que croyance met l’accent sur les doctrines, la religion en tant qu’identité met l’accent sur l’appartenance à un groupe. En ce sens, la religion d’identité est vécue comme quelque chose de proche de la famille, de l’ethnie, de la race ou de la nationalité. La religion d’identité est donc quelque chose dans lequel les gens croient qu’ils sont nés plutôt que quelque chose à laquelle ils se convertissent après un processus d’étude, de prière ou de réélection.

La religion d’identité, sous cette forme de base, comprend que les coreligionnaires font partie du même groupe (peut-être même indépendamment de leurs croyances personnelles). La religion d’identité est moins susceptible de mettre en avant des croyances théologiques partagées et plus susceptibles de mettre en avant des histoires, cultures, ethnies et traditions partagées. Les gens peuvent se considérer comme musulmans sur la base de leur appartenance ethnique, même s’ils ne sont pas dans une mosquée depuis 20 ans ils connaissent peu le Coran. «Les Arabes, qu’ils observent ou non les manifestations extérieures de la religion, insistent sur le fait qu’ils sont nés et restent musulmans.»[75].

Cette affiliation s’étend même à ceux qui peuvent être consciemment non religieux. “Les laïcs arabes qui s’opposent à l’intégrisme vont à la défense de l’Islam quand les fondamentalistes sont critiqués ou attaqués par des non-Arabes. Le retour à l’islam peut être perçu comme une quête d’identité face à ce qui est perçu comme un empiétement étranger ou une hégémonie. »[76]

D’autres peuvent également les identifier en tant que musulmans simplement à cause de leurs parents ou dans quel pays ils sont nés. Il est, par exemple, commun pour beaucoup de gens de penser qu’être Polonais, c’est être catholique, être russe, être orthodoxe, ou être ouzbek, c’est être musulman. Lorsque le Patriarche de l’Église orthodoxe russe a décerné un prix au président athée autoproclamé Alyaksandr Loukachenko pour promouvoir l’unité slave, on peut raisonnablement croire que le patriarche accordait plus d’importance au lien entre l’orthodoxie et l’ethnie slave qu’à la théologie chrétienne. Le mot «chrétien» en Arménie est compris comme faisant partie d’un trait ethnique[77].

Alors que la religion en tant que croyance est peut-être la facette la plus compréhensible de la religion pour l’arbitre typique, la religion en tant qu’identité est plus susceptible d’être la cause sous-jacente de discrimination religieuse et de persécution telle qu’elle existe dans le monde.

  • La religion comme mode de vie

Une troisième facette de la religion, qui est analytiquement distincte des deux précédentes mais qui est susceptible d’être liée à l’une d’entre elles dans l’esprit de la personne religieuse, est la religion en tant que mode de vie. Dans cette facette, la religion est associée à des actions, des rituels, des coutumes et des traditions qui peuvent distinguer le croyant des adhérents d’autres religions. Par exemple, la religion en tant que mode de vie peut motiver les gens à vivre dans des monastères ou des communautés religieuses, ou à observer de nombreux rituels, notamment prier chaque jour, éviter de manger du porc ou circoncire les mâles. Talal Asad a reproché à un anthropologue de renom de ne pas avoir suffisamment pris en compte la religion comme mode de vie en faveur de l’accent mis sur la religion en tant que croyance. Asad affirme que le «traitement de la croyance religieuse de Clifford Geertz, qui est au cœur de sa conception de la religion, est un système chrétien moderne privatisé parce que. . . il met l’accent sur la priorité de la croyance comme état d’esprit plutôt que comme activité constitutive dans le monde[78]. ».

Lorsque la religion est traitée principalement comme une croyance et principalement privée, on pense aux croyants comme, par exemple, se rendre chaque semaine à une église ou à une synagogue et ne se livrer à des actes que d’une manière limitée. Dans cet aspect, les croyances sont souvent discrètement tenues et se manifestent, le cas échéant, à des occasions soigneusement circonscrites telles que les baptêmes, les mariages, les grands jours saints et les funérailles. Dans les pays à majorité chrétienne, par exemple, la semaine de travail prévoit généralement le culte du dimanche et les grandes fêtes religieuses sont des fêtes nationales légalement reconnues. Mais pour les autres, la religion est l’aspect saillant de leur vie. Il peut exiger des prières s fois par jour, des efforts constants pour propager la religion, le refus de manger de la viande, le port de certains types de vêtements, l’exigence que les barbes soient cultivées ou que les têtes soient rasées. Contrairement à la participation à des cérémonies religieuses une fois par semaine, la religion pour ces autres personnes affecte de nombreux aspects de leur vie qui ne sont probablement pas pris en compte par les lois d’un État.

De nombreux pays, par exemple, ont besoin d’un service militaire, ce qui va à l’encontre des fortes croyances religieuses des pacistes. D’autres pays exigent des serments de loyauté, que certaines religions considèrent comme plaçant les institutions de l’humanité avant celles de Dieu. Certains pays interdisent aux femmes, dans certaines situations, de se couvrir la tête, ce que beaucoup de femmes considèrent non seulement comme une modestie personnelle, mais aussi comme une dévotion à Dieu. Certaines personnes croyantes croient que c’est leur obligation de proclamer leurs croyances aux autres – une croyance qui peut aller à l’encontre des lois d’un état qui interdit le prosélytisme.

A côté de la religion, il y a aussi le politique. Le terme indique « ce par quoi une société se rapporte à elle-même et S’institue dans sa singularité historique et spatio-temporelle[79]». Le politique est ce qui permet à la société de se tenir pour elle-même, « Car la société n’est pas un fait brut, le social n’est pas, il se fait être. En ce sens, il nous semble que le politique est ontologiquement une prise et un choix volontaire de maîtrise humaine et collective sur le monde visible »[80].

Les deux termes de politique et de religion peuvent donc être considérés comme opposés : « déprise vs prise, for intérieur vs collectif, invisible vs visible, temps long vs circonstances ; l’un opère une contrainte psychique, l’autre une contrainte physique, pour reprendre Weber[81] ». ce qui rend difficile d’instaurer une « politique religieuse » en toute rigueur de termes. Les deux ne peuvent alors coexister que sous trois formes : la fusion des deux, la coopération et la prise de distance réciproque.

Dans le cas de la France c’est la voie de la séparation qui a été adoptée et qui a donné naissance à la laïcité. « L’autonomisation réciproque des deux empires est en effet la caractéristique majeure de la société moderne, avec une différenciation institutionnelle des sphères et instances. Cette prise de distance, qui aboutit à la séparation entre la religion et le politique et entre la sphère privée et la sphère publique, exprime en ce sens le noyau dur de la modernité : la séparation entre les institutions et les sentiments »[82].

Pendant un temps, certains  ont pensé que cette séparation devait aboutir en toute fin à une indifférence totale, puis à la disparition de la religion. Mais il ne peut en être ainsi, car si la religion s’est désinstitutionnalisée, elle n’en reste pas moins présente mais s’est transformée selon de nouvelles formes d’expressions. Expressions moins ostentatoires.

C’est cette transformation sous la « pression » de la laïcité qui a permis de mettre en place les prémices d’un nouveau principe d’organisation politique autonome (chapitre I), jusqu’à ce que les prémices soient devenues définitives, créant ainsi un modèle d’organisation politique pour un pouvoir autonome (chapitre II).

Chapitre I : les prémices d’un nouveau principe d’organisation politique autonome

Section I : Les racines historiques de la laïcité (depuis 1789)

La laïcité est un principe idéologique inscrit dans la société française et reste partie intégrante des discussions politiques et sociales relatives à la religion. Le but de la laïcité est de fournir aux citoyens la liberté d’égalité consciente et civile par la neutralité politique et religieuse. Ces valeurs sont maintenues à la suite de la distinction de l’État français entre ce qui relève du domaine public et du domaine privé, ainsi que de l’accent mis sur la notion abstraite d’identité collective française. Cette hiérarchisation des idéaux républicains sur une identification individuelle fondée sur la culture, la religion, la race, etc., diminue l’identité du citoyen, indépendante de l’Etat, en faveur d’une société fondée sur la cohésion sociale. Ainsi, à maints égards, l’État est responsable de la construction de la version unique de la citoyenneté de la France, la laïcité prévalant comme caractéristique déterminante.

La laïcité devient ainsi un mode d’organisation politique et juridique des institutions, qui a été consacré par la loi de 1905, la loi qui a érigé en principe la liberté pour tous en matière cultuelle : « la laïcité, c’est la liberté publique de conscience pour tous et pour toutes, pour chacun et pour chacune[83]».

Le concept de gallicanisme est généralement considéré comme ayant son origine dans les initiatives antimonarchiques et anticléricales qui définissaient les impératifs de la Révolution française de 1789. Initialement représentatif de la dénonciation de l’Église catholique romaine en tant qu’institution oppressive enracinée dans l’ignorance, la corruption et la superstition, la notion de laïcité s’est transformée en sa définition moderne basée sur une série très spécifique d’événements historiques.

Influencés par le discours des Lumières et se méfiants des liens historiquement étroits de la religion avec l’État, les participants à la Révolution française ont été alimentés par un désir résolu de se libérer de la religion dans le domaine public. Une grande partie de cette désillusion croissante de l’Église catholique résultait de sa participation à un large éventail d’abus financiers et d’une tradition d’inégalité fondée sur le privilège.

Pour combattre ce qui était perçu comme une vaste injustice, les révolutionnaires ont cherché à réguler les activités de l’Église en la plaçant entre les mains de l’État. En 1794, le sentiment anti-ecclésiastique avait été cultivé et répandu à travers la France alors que les révolutionnaires continuaient à «déchristianiser» la France en «fermant les églises, forçant les prêtres à démissionner ou à émigrer et inventant de nouveaux cultes républicains pour remplacer le christianisme». La campagne était responsable de l’éveil d’un mouvement culturel vers la laïcité qui non seulement a abouti à la disparition du culte catholique dans le domaine public, mais aussi à l’adoption simultanée d’une nouvelle idéologie républicaine française. En fin de compte, cette progression progressive vers un État laïc situait la France dans une période de grande incertitude alors que le défi ardu de redéfinir les relations de la religion avec l’État se matérialisait comme une priorité nécessaire.

Entre 1795 et 1815, la France a connu un large éventail d’oscillations politiques alors que la Révolution a incité à la construction d’empires, à l’effondrement de l’armée et, plus tard, à la restauration monarchique. Lorsque Napoléon est arrivé au pouvoir en 1799, il a rétabli la domination historique du catholicisme français en le déclarant religion de la majorité des Français. En dépit de son nouveau statut, l’Église catholique continuait à maintenir sa position de subordonnée à l’État et, par conséquent, ce qui émergeait n’était que la continuation de la tradition gallicane[84]. Ce qui encourageait le décret de Napoléon n’avait aucun rapport avec les éléments spirituels de la religion  mais était motivé par l’intention politique.

Avec l’impression que les guerres religieuses destructrices de la France existaient encore, Napoléon a perçu la religion comme le moyen par lequel il pouvait établir la cohésion sociale et la stabilité sous son règne. Le résultat fut le Concordat de 1802, qui donna aux catholiques la liberté d’adorer et de mieux organiser l’Église sur la base des principes de l’État.

Le Concordat de 1802 était exemplaire de la relation compliquée qui a émergé entre le nouvel État français laïque et l’Église catholique. Influencée par la politique religieuse des époques révolutionnaire et napoléonienne, la France avait connu une croissance de la laïcité associée à une présence soutenue de la dévotion religieuse.

Le passage éventuel à un État sécularisé a été initialement défini comme une loi avec le système scolaire de l’État dans les années 1880, et plus tard avec la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. En tant qu’initiative laïque, les législations Jules Ferry de 1882-1886 s’inspirent du principe de l’enseignement «liberte d’enseignement» et mettent fin à la pratique consistant à octroyer des subventions financières aux écoles catholiques, établies dans le cadre de la loi Falleux de 1850[85].

Fondée sur des principes qui reflètent fidèlement ceux de la laïcité, la liberté d’enseigne a supprimé les enseignements religieux de toutes les écoles publiques en France. La loi visait à transformer le programme d’études dans les écoles publiques pour refléter un modèle d’éducation fondé sur «l’impartialité, la tolérance et la compréhension mutuelle»[86]. En 1905, la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État fut promulguée  et s’est immédiatement avéré être un point charnière dans la réalisation de l’agenda laïque de l’Etat.

En conséquence, le culte religieux est devenu sévèrement limité car la loi a favorisé l’avancement des principes sécularisés en déclarant tous les ordres d’enseignement religieux non autorisés, une décision qui a conduit à la fermeture immédiate d’environ 13 500 écoles[87].

Par sa déclaration de liberté de conscience et d’égalité, la loi de 1905 s’est révélée être un décret critique qui a radicalement modifié l’environnement culturel de la France du début du XXe siècle.

Paragraphe 1 : la soif d’émancipation de la politique vis-à-vis de l’église

L’émancipation de la politique française vis-à-vis de l’église est née dans le sillage du libéralisme européen qui a dans une large mesure coïncidé avec l’histoire de la liberté de conscience et de la liberté religieuse. La liberté de conscience dans le domaine des croyances religieuses a en fait été le modèle de l’extension de la liberté individuelle dans d’autres domaines de la vie publique dans les sociétés ouvertes.

En dépit des différences entre les cadres juridiques et les différents vocabulaires politiques, une position libérale commune dans ce domaine est reconnaissable dans toutes les démocraties européennes. Cela est dû à la fois au développement d’un ensemble commun de principes et de valeurs qui sont largement dus au patrimoine libéral et au succès obtenu par la tradition libérale de neutralité religieuse et de séparation – aussi grande que possible – entre religion et pouvoir politique. comme un moyen nécessaire pour atteindre la liberté individuelle, en même temps réaliser la cohésion sociale.

La diversité accrue est une conséquence de la vie dans des sociétés libres et ouvertes. Cela s’applique également aux croyances individuelles. Nous ne vivons plus dans des sociétés religieusement homogènes. La sécularisation a fait de la croyance religieuse un choix personnel, et non une identité attribuée par la naissance une fois pour toutes. Et l’immigration en provenance de pays ayant des traditions religieuses différentes a renforcé le pluralisme religieux. Différentes croyances et croyances non religieuses doivent être considérées comme des options tout aussi respectables par les institutions publiques.

La diversité culturelle, philosophique et religieuse croissante et croissante des sociétés européennes, loin de rendre la séparation obsolète, a renforcé les raisons et la solidité de l’idée libérale traditionnelle selon laquelle la neutralité religieuse des institutions publiques est nécessaire à la liberté religieuse, c’est-à-dire pratiquer ou ne pas pratiquer, rejoindre ou rejeter toute forme de croyance religieuse ou non-religieuse. La neutralité religieuse politique est le seul outil possible pour assurer le même respect et la même dignité sociale à tous les citoyens, croyants et non-croyants.

C’est aussi l’outil le plus efficace pour protéger les droits des personnes dont la liberté religieuse pourrait être menacée par leur famille ou leur communauté, ou qui pourraient être discriminées pour des raisons religieuses parce que leur identité, leur nature personnelle ou leur style de vie ne sont pas discriminatoires. se conformer aux exigences, aux attentes ou aux exigences des chefs religieux, des voisins ou des proches.

En tant que telle, la neutralité religieuse représente également la meilleure stratégie pour faire face à l’une des tâches les plus importantes de notre temps: intégrer nos concitoyens de plus en plus divers dans les valeurs et les principes de la démocratie libérale, des droits de l’homme et de la primauté du droit. Ceux qui proviennent de différentes traditions culturelles ou qui sont issus de l’immigration doivent également bénéficier de leur liberté de croyance, quelles que soient leurs origines ancestrales.

  1. Le processus de l’individualisation

Les êtres humains individuels ont bien sûr toujours été différents. Mais l’idée que la diversité est une valeur en soi est plus récente. Dans l’Antiquité et au début du Moyen Age, des individus particuliers (héros, athlètes, dirigeants militaires et politiques, rhéteurs, philosophes, probi viri) étaient considérés comme éminents et méritaient une attention particulière lorsque leurs réalisations personnelles répondaient à l’attente d’un degré d’intégration élevé. , de normativité ces hommes exemplaires étaient la personnification de la sagesse commune et des modèles communautaires. Avec la fin du Moyen Age, l’imitation dans le monde occidental n’est devenue qu’une étape dans la formation de l’individualité, une étape qui conduirait à l’immaturité sinon à la vaincre.

Cette lente transformation anthropologique a également été provoquée par des conflits et des divisions politiques et religieuses qui ont obligé de nombreux dirigeants politiques et ecclésiastiques, et leurs partisans individuels, à prendre parti dans la lutte séculaire entre le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique.

L’explosion même de la créativité culturelle qui a conduit à ce qu’on a appelé le «miracle européen» de la fin du Moyen Age[88] qui a conduit à un nouveau boom économique et a transformé les arts et les littératures occidentaux avait beaucoup à voir avec la naissance de l’idée européenne moderne de l’individu[89].

La dissidence religieuse, la rébellion à l’uniformité, le pluralisme des opinions religieuses et philosophiques étaient une conséquence inévitable de cette révolution anthropologique.

« Les transformations sociales et idéologiques qui se sont mises en place entre 1650 et 1800 ont sans doute contribué à détacher les hommes des communautés et des traditions qui avaient jusqu’alors défini leur identité à l’aide d’ancrages collectifs qui se sont progressivement érodés, au point de paraître s’être aujourd’hui totalement liquéfiés »[90].

Sur les traces de Renaissance, le Siècle des Lumières (de 1650 à 1770 environ), a célébré la raison humaine et a réveillé un sentiment de confiance en soi et d’autodiscipline. Ayant observé comment la raison humaine avait réussi à découvrir les lois naturelles de la nature entre les mains de Nicolas Copernic (1473-1543), Galilée Galilée (1564-1642), Johannes Kepler (1571-1630) et Sir Isaac Newton (1642-1727) ), les figures des Lumières ont appliqué la raison à la nature humaine et à la société pour inférer des droits naturels de liberté, d’égalité et de propriété pour toute l’humanité. Les philosophes français, tels que Voltaire (1694-1778), ont accusé l’Église et l’establishment politique d’avoir conspiré ensemble pour entraver la raison humaine et de garder les masses ignorantes et appauvries. Jean Jacque Rousseau (1712-1778), un autre philosophe des Lumières, a déclaré: «L’homme est né libre, et partout il est enchaîné.» (Le contrat social) Finalement, de telles idées des Lumières ont contribué à la Révolution française (1789-1799), qui a mis fin à la domination de l’Église et de la monarchie en France. Par la suite, l’évangile des Lumières de l’indépendance et de la liberté s’est répandu dans toute l’Europe, ouvrant la voie à l’individualisme moderne, parallèlement à la sécularisation et à la bureaucratisation des structures sociales et politiques des sociétés européennes, ajoutant à la complexité de la vie moderne.

Le siècle des Lumières, revigoré par les vérités de la science et de la nature humaine, et par son esprit audacieux pour défier les autorités et les traditions de longue date, a provoqué un changement de paradigme dans la pensée et les relations humaines. Ce changement de paradigme, qui fait partie de notre psyché aujourd’hui, peut être caractérisé par ce qu’ils appellent la «loi naturelle du progrès»: la raison humaine peut découvrir des vérités scientifiques sur le monde et la nature humaine, et ce corpus de connaissances peut être mis en pratique pour améliorer les sociétés humaines et les conditions de vie à travers l’histoire. Environ un siècle plus tard, Karl Marx reflétait la même idée de progrès dans sa dialectique de l’histoire.

  1. La désinstitutionalisation de l’église : vers la fin du « un roi, une foi, une loi »

L’établissement d’un État français sécularisé était le produit d’une résolution graduelle entre l’Église catholique et la domination croissante d’une idéologie républicaine retrouvée. Établi dans la foulée de la Révolution, le républicanisme était une philosophie politique fondée sur la sujétion d’intérêts individuels à l’appui de valeurs sociétales communes.

Cette relation complexe impliquant l’individu, l’Etat et la société a transformé la conception de la citoyenneté française pour qu’elle soit directement liée aux notions de liberté. Dans ce contexte, «il n’y a pas de dualité entre État et citoyen; le citoyen n’a pas d’identité indépendante de l’État. L’État … a également le droit et le devoir de créer et de renforcer la cohésion sociale et, partant, de contribuer à l’édification de la citoyenneté. »[91].

Par conséquent, cette stipulation unique de la sécularisation définit non seulement les caractéristiques d’une identité nettement française, mais adopte aussi l’idée que l’État devrait être responsable de fournir des valeurs communes basées sur les principes de la République comme moyen de préserver cette construction républicaine de la citoyenneté.

Ce qui suivit la promulgation de la loi de séparation de 1905 fut une période d’ambiguïté accentuée par le défi de l’État de désigner les frontières de la laïcité et de la neutralité politique. C’est à partir de cette position que les préoccupations contemporaines centrées sur la fonction moderne de la laïcité dans la société ont évolué. En raison des conditions particulières entourant le développement de la laïcité française, il n’est pas surprenant que le statut de la laïcité dans la société moderne soit souvent contesté.

Le problème réside dans la manière dont la laïcité est interprétée à l’époque contemporaine. Devrait-il être laissé comme un principe constant et immuable?

Ou devrait-il plutôt être considéré comme un accord historique flexible qui nécessite des changements fréquents et des modifications fondées sur un contexte culturel spécifique?

La réponse reste incertaine et par la suite, les préoccupations sur la façon d’interpréter la laïcité dans la société moderne sont la source fréquente de débats. Parmi les historiens, il est généralement reconnu que la promulgation de la loi de 1905 devait servir de principe non négociable reflétant les idéaux républicains nouvellement rétablis. Cherchant à célébrer ces valeurs françaises essentielles, la loi de 1905 indiquait non seulement le rejet d’une religion d’État, mais aussi le non-financement total des institutions religieuses. Pourtant, même avec cet objectif clair à l’esprit, des exceptions substantielles ont été notées, compliquant le sujet et son interprétation moderne à un degré encore plus élevé.

Contrairement à la définition dominante de la laïcité absolue, la laïcité française a été mise en œuvre avec des concessions particulières découlant de la volonté de l’État d’accorder la priorité à la protection de la liberté religieuse[92]. La première de ces exceptions est énoncée dans la loi de séparation de 1905. République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui a suivi la promulgation de la loi, les rédempteurs des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses parentales à l’exercice des cultes.

“Article 2 continue à déclarer, Pourront être inscrit auxdits budgets budgets les dépenses parentales à des services d’aumônerie et destinés à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics sont supprimés, sous réserve de dispositions inclues à l’article 3 »[93].

Cependant, ce n’est pas la seule allocation notable, et encore une autre exception est vue avec l’opération continue de la région Alsace-Moselle sous le Concordat de Napoléon permettant l’éducation religieuse financée par l’Etat.

L’exemption de la région Alsace-Moselle est unique en raison de sa dépendance à des événements historiques spécifiques. Après la défaite française de 1871, la région est restée un territoire allemand jusqu’à peu de temps après la Première Guerre mondiale, lorsque le système du Concordat a été appliqué à nouveau. À partir de 1918, malgré le retour au contrôle français, le clergé des trois principales religions de la région reçut des salaires de l’Etat. En outre, le président de la République a maintenu le pouvoir de nommer des évêques. C’est à cause de ces détails particuliers que l’effet juridique de la loi de 1905 n’est pas pleinement reconnu dans ce domaine.

Mettre l’accent sur ces exceptions est essentiel pour l’analyse car ces politiques sont intrinsèquement liées à la situation historique qui a nourri le mouvement vers un État laïcisé français. Conçues avec les souvenirs du passé préjudiciable de la France plein de conflits religieux, ces exemptions initiales soulignent le changement sociétal qui a donné la priorité à la diminution de tout potentiel de conflit entre l’Église et l’État. C’est donc cette loi de 1905 qui est considérée comme la base légale principale des principes de la laïcité, même si le mot n’a pas été explicitement énoncé, et n’a pas eu le même sens de la séparation entre la sphère religieuse et publique.

Paragraphe 2 : les différents seuils de la laïcité

Afin de bien comprendre l’évolution qui a conduit à l’empreinte ferme de la laïcité sur la société française, il est impératif de considérer comment la religion, et surtout le catholicisme, a historiquement remis en question la laïcité française. En tant qu’institution, l’Église catholique est restée un élément intégral inextricablement lié à l’évolution des éléments déterminants de la culture française. Même avec la promotion de l’impartialité de l’État en ce qui concerne les pratiques religieuses de ses citoyens, de nombreuses caractéristiques de l’Église catholique demeurent gravées dans la société et touchent toute la population. Par exemple, l’adhésion nationale au calendrier catholique contredit directement l’idée d’une séparation entre l’État et la religion. En outre, les préoccupations suscitées par le parrainage public d’écoles privées, dont beaucoup étaient catholiques, confirment la position complexe que le catholicisme occupe au sein de la nation laïque.

  1. De la tentative avortée

À l’origine, la séparation résultant de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 a créé un climat d’hostilité de la part de l’Église catholique, qui se considérait comme la principale cible de ces règlements. Dans une certaine mesure, ce ressentiment était un sentiment mutuel car l’État était déterminé à compléter le programme laïc issu de la Troisième République18. Cependant, à mesure que le XXe siècle progressait, la relation entre l’Église catholique et l’État de France progressait également. Dans une certaine mesure, “la séparation et la laïcité sont, historiquement parlant, une réussite laïque contre la résistance catholique. Ce n’est certainement pas un accomplissement catholique, même si l’Église catholique s’est réconciliée avec eux. ».[94]

Après que le ressentiment initial ait cessé, l’Église a pu identifier certains avantages qui ont accompagné sa nouvelle indépendance, notamment sa capacité à exprimer ses préoccupations dans divers domaines d’intérêt, notamment l’éducation, les droits humains et l’immigration en France. En réalisant à quel point cette nouvelle plate-forme de liberté pouvait être significative, l’Église a finalement pu rétablir des relations avec l’État, mais en raison d’une longue période d’interactions hésitantes.

Il est essentiel de noter que les implications historiques de la loi de 1905 séparant l’Église et l’État étaient très spécifiques et différaient grandement des préoccupations soulevées à l’époque moderne. Au lieu d’une réaction contre la domination religieuse, les questions contemporaines concernent davantage la façon dont l’État devrait reconnaître la religion et la nécessité de redéfinir et de moderniser la relation entre l’État, la société et la religion.

L’esprit de laïcité qui découle de l’application de la loi de 1905 est beaucoup plus extrême que les interprétations ultérieures élaborées au cours du XXe siècle. Malgré les exceptions relevées dans le décret de 1905, la scission qui en résulte est à la fois efficace et claire. Par conséquent, ce qui définissait la laïcité à l’époque de la loi de 1905 était entièrement basé sur l’histoire combative de la France entre les factions anticléricales, antimonarchiques et laïques de la société. Le résultat fut une division traumatique qui diminua l’influence répandue du catholicisme en France. À mesure que le XXe siècle progressait, une série d’interactions à la fois positives et négatives entre l’Église et l’État a suivi, ce qui a rendu la définition de la laïcité une fois de plus en plus ambiguë.

Bien que la loi de 1905 ait abouti à une séparation brutale entre l’Église et l’État, dans les années 1920, la France a commencé à se rapprocher de la réconciliation avec l’Église catholique. Ce qui a motivé ce mouvement a été la prise de conscience de l’État que la religion était une composante nécessaire de la société et devait être reconnue comme telle.

Ce sentiment, associé à une appréciation générale de la religion dans la culture française, a considérablement augmenté en raison du déclenchement de la guerre et de la participation substantielle de la population française. De cette façon, la Première Guerre mondiale s’est révélée être une période critique en établissant un environnement qui a permis à un rapport positif entre l’Église et l’État de croître de sorte qu’en 1920, l’Église catholique a vu sa présence augmenter considérablement.

Au cours de la guerre, 32.699 prêtres furent mobilisés et combattirent au combat parmi les soldats laïcs[95]. La camaraderie qui prospérait dans les tranchées défia les stigmates anti-catholiques et anticléricales persistants et offrit une reconnaissance revitalisée pour le catholicisme. Plutôt que d’associer la religion à l’institution dominante et oppressive du passé, les soldats français ont commencé à considérer le catholicisme comme une organisation admirable qui inspirait l’espoir et fournissait un soutien émotionnel.

Profitant de cette opportunité, l’Église a commencé à s’éloigner des questions politiques et à concentrer son attention sur les questions religieuses et à «permettre l’émergence d’un christianisme plus« authentique ». En 1921, les relations diplomatiques avec le Vatican furent renouvelées après que Pie X les eut refusées en réponse à la loi de 1905 séparant l’Eglise et l’Etat.

Cette poussée de soutien catholique se poursuivit en 1924 lorsque le Premier ministre Herriot tenta de «rompre les relations avec le Vatican, d’expulser les ordres religieux et de réviser la statue de l’éducation spéciale de l’Alsace et de la Lorraine»[96] . Confrontée à une résistance catholique unie, la Fédération Nationale Catholique (FNC), la législation proposée a échoué. Le FNC était la première organisation nationale formée avec l’intention de défendre les écoles catholiques contre le gouvernement français, de plus en plus laïc. Bien que sa présence ait finalement été déclinée, son existence reste remarquable car elle souligne la montée effrénée du catholicisme survenue pendant l’entre-deux-guerres en France.

Ce changement se reflète également dans la présence de mouvements catholiques supplémentaires au sein de l’Action Catholique, nom qui englobe tous les différents groupes qui émergent et gagnent en popularité au cours de cette période en raison de l’intention d’accroître l’influence catholique sur la société française.

L’acceptation croissante du catholicisme par les populations françaises a non seulement persisté, mais elle s’est aussi développée au cours de l’épidémie et à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, le catholicisme connut un véritable renouveau au sein de l’Etat français, qui fut incarné par l’émergence du premier parti démocrate-chrétien, le Mouvement Républicain Populaire (MRP). Étape cruciale de la relation historiquement ténue entre État et religion, le MRP a été fondé en 1944 dans le but d’établir un terrain d’entente entre le catholicisme et l’insistance de la République française sur la démocratie, la liberté et le progrès social. Cet alignement des catholiques sur les principes démocratiques a été un tournant décisif, démontrant le passage à une relation de plus en plus progressiste entre l’Église et l’État au cours du XXe siècle.

Avec l’esprit de résistance profondément présent, un sentiment est apparu peu après la Seconde Guerre mondiale qui a conduit à l’élaboration d’une nouvelle constitution, la Constitution de 1946. La nouvelle constitution a été proposée par le MRP, une première majorité, illustrant le changement en cours. La Déclaration de 1946 déclarait que la laïcité était un attribut de l’État républicain. La Constitution de 1946 stipulait que «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale»[97] d’une laïcité très différente de celle exprimée en 1905, comme en témoigne la majorité chrétienne-démocrate au sein de l’Assemblée française. Cette nouvelle conception de la laïcité n’était plus définie par la séparation, mais plutôt comprise comme la fusion du religieux et du non-religieux, illustrée par le fait que les catholiques étaient manifestement en accord avec la notion de laïcité de la République française.

La période de floraison de l’Eglise catholique s’est pleinement exprimée dans sa vocalisation d’une nouvelle perspective concernant la manière dont l’Etat a mis en œuvre ses objectifs laïcs. Ce changement a poussé l’Église catholique à adopter un dialogue de compréhension où, … La laïcité n’est ni un ennemi à combattre … ni un principe qui doit être toléré au nom de la survie. Cela crée un environnement propice et ouvert pour que la foi religieuse s’épanouisse, et l’Église doit donc s’engager sérieusement et positivement tant avec la laïcité qu’avec la société complexe et pluraliste dans laquelle les chrétiens vivent et travaillent, car elle a beaucoup à apprendre des deux.

En se rétablissant en tant qu’institution moderne prête à transiger avec les idéologies de la laïcité française, l’Église catholique a pu entrer dans l’ère moderne et changer la manière dont la religion se rapportait à l’État laïc. Le statut relatif à la redéfinition de la laïcité de la Constitution de 1946 a été officiellement validé dans la Constitution de 1958 qui écrit: «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle recommande toutes les croyances.

Dans son insistance sur l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de religion, d’origine ou de race, le principe de la laïcité ont subi un changement qui peut être pleinement compris dans le contexte de diversité et de pluralisme croissant de l’état français.

  1. … à une tentative consommée : la séparation contemporaine …

La monarchie française a impressionné par sa continuité et sa remarquable durée. Elle n’a, pourtant, pas correspondu à un système politique unique. On est passé d’une monarchie féodale à une monarchie absolue qui aurait pu devenir constitutionnelle si elle n’avait pas été emportée par la tourmente révolutionnaire.

La loi, « expression de la volonté générale », émergea du siècle des Lumières, avec Jean-Jacques Rousseau pour père désigné. Elle n’eut qu’exceptionnellement le peuple pour auteur et fut l’œuvre quasi-exclusive de représentants plus ou moins représentatifs. Elle n’en conserva pas moins une aura extraordinaire qu’elle est loin d’avoir totalement perdue. N’en va-t-il pas de même de la laïcité ?

Issue de l’idéologie d’une époque marquée par le positivisme, le scientisme et la contestation des dogmes religieux, elle a marqué la législation de la IIIe République. Le combat laïc, jalonné des lois de sécularisation et des lois relatives à l’enseignement, a culminé avec la loi de séparation des églises et de l’État du 9 décembre 1905, « clé de voûte » de la laïcité, qui a, par la suite, été modifiée, corrigée, interprétée dans le sens de l’apaisement, d’une façon continue, transcendant les aléas et les drames politiques.

Au terme de quarante ans d’évolution, la République française a été, consensuellement et sans opposition, qualifiée de laïque par le Constituant de 1946 puis par celui de 1958[98]. On pourrait raisonnablement avoir le sentiment que le débat était clos et que la constitutionnalisation du caractère laïc de la République correspondait à la définition qui avait été avancée, dès 1946, à l’appui de sa reconnaissance. Il en résulterait la seule neutralité ou impartialité de l’État[99].

Le professeur Jean Rivero avait synthétisé, avec sa clarté habituelle, l’opinion de la majorité des juristes dans sa très fameuse chronique de 1949 consacrée à « la notion juridique de laïcité ». Après en avoir rappelé la vie houleuse et les conceptions fort différentes qui en ont été développées par des hommes politiques, il ajoutait « qu’une seule a trouvé place dans les documents officiels ; les textes législatifs, les rapports parlementaires qui les commentent, les circulaires qui ont accompagné leur mise en application ont toujours entendu la laïcité en un seul et même sens, celui de la neutralité religieuse de l’État »[100]. Cette affirmation a, pendant près de quarante ans, semblé en adéquation, tant avec l’état du droit positif qu’avec celui de l’opinion publique. Cette vision d’une « laïcité apaisée » laissait, cependant, subsister une interrogation, souvent formulée par des juristes étrangers : pourquoi qualifier la République française de laïque, si cela signifie seulement qu’elle est neutre et impartiale puisque tel est également le cas des États libéraux qui ne se proclament pas, pour autant, laïcs ? Existait-il une explication plus secrète ou d’une autre nature ?

La question était et, d’une certaine façon, reste posée. Elle le reste d’autant plus que le débat public a vigoureusement repris, en France, depuis 1989, à propos du port des insignes religieux. On a pu faire valoir qu’il était lié à la présence, sur le territoire français, d’un nombre important de musulmans, dont certains exigent une visibilité marquée dans l’espace public jointe à d’autres revendications identitaires. D’autres États européens voisins y ont aussi été confrontés et n’ont trouvé, conformément à leurs traditions historiques, que des solutions provisoires et limitées. Il n’empêche que les discussions ont été, en France, beaucoup plus passionnées qu’ailleurs.

Il est même possible de se demander si l’on n’assiste pas à une résurgence du débat sur la laïcité qui, à nouveau, met en cause les anciens cultes « reconnus ». Ceci est lié à l’ouverture de nouveaux moyens de recours, comme la question prioritaire de constitutionnalité, mais aussi à l’usage plus systématique de moyens classiques comme le recours pour excès de pouvoir par des militants laïcs ou, encore, à l’intérêt économique que peut présenter la gestion du patrimoine culturel.

On peut y ajouter des tensions sociales qui débordent le secteur public et touchent le monde associatif ou celui de l’entreprise. Est révélateur d’un nouvel état d’esprit que, après plus d’« un siècle de laïcité », un candidat à l’élection présidentielle, devenu président de la République, ait proposé de soutenir une constitutionnalisation, au moins partielle, de la loi de 1905 et que des parlementaires de bords opposés aient envisagé de déposer des propositions de loi en réaction à un arrêt de la Cour de cassation. Sans épiloguer sur le passé, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce que peut signifier la réouverture d’un débat presque inconnu et incompréhensible dans les pays européens, y compris très proches. Il est peut-être plus inquiétant de constater que les plus récentes des décisions jurisprudentielles ou des propositions politiques ne contribuent pas vraiment à clarifier la notion juridique de laïcité. Cette dernière continue à être l’objet de définitions variables et d’adaptations discrétionnaires.

  1. … avec quelques vestiges de l’Union

L’État français ne s’est jamais clairement et strictement déclaré incompétent en matière religieuse, préférant souligner sa neutralité, assimilée à «l’intérêt général», concept qui ne requiert aucune justification comme soi-disant auto-suffisant. Comme tout dogme, «l’intérêt général» est incontestable et inattaquable par nature et confère le droit à une ingérence illimitée. Au XIXe siècle, la République s’est ainsi investie, y compris dans les discours et déclarations de ses prédicateurs les plus modérés, d ‘«autorité spirituelle»[101] ; une noble vocation à transmettre des valeurs universelles, d’où l’importance stratégique essentielle de la scolarisation publique pour l’application de ce programme ambitieux. Successivement, les groupes anti-cléricalistes ou les congrégationalistes prendraient le dessus, gagnant le pouvoir institutionnel et symbolique, dans les deux cas ils imposent leur représentation particulière de l’intérêt général et un contenu spécifique de «neutralité».

La loi de 1905 a été le résultat de longs débats et d’une série de livres blancs législatifs[102] qui ont abouti au vote d’un texte. L’accord n’a jamais été définitivement atteint, et la question ne devait en effet être reprise en partie que deux ans plus tard: l’Église catholique refusait de se conformer au régime des «associations cultuelles» dont «l’objet exclusif était la pratique de une religion »[103], telle que prévue par la loi SCS, et a plutôt opté pour le maintien dans le strict cadre associatif prévu par la loi de 1901 sur l’association[104]. D’une part, le cadre associatif de la loi de 1905 prévoit des privilèges, par exemple sur les impôts, mais d’autre part, il implique une restriction aux activités religieuses, ce qui n’est pas le cas de la loi de 1901. Le législateur devait être contraint de régler cette situation par la loi de 1907 sur la pratique publique des cultes (loi de 1907)[105], accordant le pouvoir d ‘«assurer la continuité de l’exercice public du culte» dans le cadre associatif de la loi de 1901[106].

Cela signifie, clairement, que ce pouvoir a été accordé spécifiquement et uniquement à l’Église catholique. Ce n’était pas étonnamment un nouveau régime juridique mis à la disposition de tous, de sorte que l’on pouvait choisir de fonctionner selon le régime de 1905 ou le régime de 1901 modifié par la loi de 1907. Le cadre «laïque» devait ensuite évoluer continuellement, par exemple en corrélation avec la capacité des groupes médiateurs catholiques à produire des représentations pertinentes et à pénétrer les cercles décisionnels, par opposition à la capacité des pouvoirs publics à résister à une telle pression.

Ceci explique pourquoi, à partir de 1924, il existe des associations diocésaines[107] créées conformément aux lois de 1901 et 1905, qui bénéficient depuis 1987 d’un régime d’exonérations fiscales; que le gouvernement français conserve à ce jour le droit de surveiller le processus de nomination des évêques; que les lieux de culte catholiques antérieurs à 1905 sont encore entretenus par le trésor public, puisqu’ils restent propriété publique; ou que la grande majorité des écoles privées financées par l’État sont catholiques[108].

Il faut aussi rappeler que dans certaines parties du territoire de la République française théoriquement parfaitement indivisible, la loi de 1905 n’est tout simplement pas appliquée: le Concordat[109] de 1801 n’a jamais été abrogé dans son principe en Alsace-Mozelle, même si quelques modifications ont été apportées, et une mission catholique est encore confiée à l’école publique à Wallis et Futuna.

On peut donc noter qu’il y a encore certains vestiges du passé qui n’ont pas disparu et qui ont été entériné par le nouveau droit positif de la séparation. Vestiges qui se concrétisent par des exceptions pratiques à la règle et sur la base de la loi de 1905. D’aucun pourrait porter la critique selon laquelle le contenu de la loi de 1905 ne parle finalement de « «séparation des Eglises et de l’Etat» qu’une fois et une fois seulement, et dans le titre même de la loi. Il s’agit là d’un détail qui a son importance quand on se souvient qu’à l’époque les titres ne faisaient pas partie du contenu prescriptif, applicable et exécutoire de la loi. Les observateurs Outre-Atlantique parlent ainsi d’un « battage médiatique » du législateur de l’époque qui a donc attiré l’attention grâce à « un titre idéologiquement résonnant, qui ne se traduit cependant pas par une réalité juridique claire dans le texte même de la loi. Dans l’histoire de la France, on peut donc dire que la laïcité représente un système de référence qui échappe constamment au contrôle critique »[110].

Ce qui semble  se confirmer dans la mesure où les groupes dominants du champ religieux n’ont jamais été exclus du processus décisionnel. Cette réalité multisectorielle concernant l’Église catholique peut également se vérifier dans le cas d’autres confessions qui ont été en mesure de se faire entendre par l’intermédiaire d’organes officiels désignés par les pouvoirs publics comme représentatifs: la Fédération Protestante de la France, le Conseil représentatif des organisations juives françaises, le Comité interépiscopal orthodoxe de France, et enfin, parmi les plus récents, L’Union des bouddhistes de France. Il est notable que l’Islam a été la dernière religion à obtenir une organisation représentative (Conseil français des cultes musulmans): l’antagonisme «trop radical» entre les intérêts des pouvoirs publics et ceux des groupes musulmans a longtemps entravé la création de tout ce qui ressemble à institution légitime.

Section II : l’affirmation de l’esprit laïc

Tel qu’il a été introduit dans l’ordre constitutionnel, tant en 1946 qu’en 1958, le principe de laïcité se présente comme l’un des qualificatifs de la République. Cette dernière est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L’usage du présent en fait à la fois un constat et un impératif. Mais, la détermination de la portée de cette exigence, comme celle des autres qualités de la République, est laissée au pouvoir constituant ainsi qu’aux autres organes de l’État, législatif, exécutif et juridictionnels, chacun agissant dans le champ de sa compétence. Tous sont incités à orienter leur action conformément à ce qu’est et doit être la République.

La Constitution leur donne peu d’autres éléments pour les guider dans cette voie. Il en va de même pour le principe d’indivisibilité dont la signification doit beaucoup aux interprétations du Conseil constitutionnel qui l’a relié à l’unité ou à l’unicité du peuple français. Le caractère social de la République va de pair avec la reconnaissance, dans le Préambule de la Constitution de 1946, des droits de la deuxième génération, économiques et sociaux. Il incombe au législateur de les concrétiser. Le principe démocratique a fait l’objet d’une plus grande attention du Constituant qu’il s’agisse des modalités d’exercice de la souveraineté nationale par le peuple, du droit de suffrage, de la qualité d’électeur ou du rôle des partis politiques. Mais, pour l’essentiel, la mise en œuvre de ces dispositions relève du législateur.

Le principe de laïcité a, peut-être plus que les autres, donné lieu à des discours et comportements spécifiques du personnel politique notamment au plus haut niveau de l’État. Ceci n’a, en soi, rien de surprenant, car, même si la Constitution matérielle a pris, progressivement, sous la Ve République, une place de plus en plus importante, elle n’a pas fait disparaître la Constitution politique.

Cette dernière n’a pas pour unique rôle de prévoir la structure et les rapports des pouvoirs publics. Elle peut constituer aussi une norme de référence susceptible de les guider. Le fait qu’elle soit souple et qu’elle ne soit pas assortie de sanctions autres que politiques n’en altère pas la nature constitutionnelle. C’est à ce titre que la laïcité a pu être invoquée dans un rapport officiel comme une « pierre angulaire  du pacte républicain », « constitutive de notre histoire » : « la laïcité ne saurait se réduire à la neutralité de l’État. Respect, garantie, exigence, vivre ensemble en sont les principes cardinaux ; ils constituent un ensemble de droits et de devoirs pour l’État, les cultes et les personnes »[111]. Propos repris par M. Jacques Chirac, président de la République, dans un discours prononcé à l’Elysée le 17 décembre 2003.

Après avoir insisté sur le fait que la laïcité est un « pilier de notre Constitution » exprimant « notre volonté de vivre ensemble dans le respect, le dialogue et la tolérance », il ajoutait : « la laïcité garantit la liberté de conscience. Elle protège la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle assure à chacun la possibilité d’exprimer et de pratiquer sa foi, paisiblement, librement, sans la menace de se voir imposer d’autres convictions ou d’autres croyances…

C’est la neutralité de l’espace public qui permet la coexistence harmonieuse des différentes religions… C’est cet équilibre, subtil, précieux et fragile, construit patiemment depuis des décennies, qui assure le respect du principe de laïcité.

Et ce principe est une chance pour la France. C’est pourquoi il est inscrit à l’article premier de notre Constitution. C’est pourquoi il n’est pas négociable ! »[112].

Cependant, au-delà de la vigueur du discours, de la force des expressions mais aussi de leur caractère incantatoire, on peut noter leur fragilité juridique. Le thème général reprend la finalité assignée par les laïcs les plus convaincus à la laïcité : garantir le droit à la liberté de conscience et le respect des libertés de l’esprit. Mais, il ne suffit pas de procéder à des affirmations pour atteindre l’objectif recherché. Il est indispensable d’élaborer des relais législatifs, eux-mêmes respectueux des autres principes constitutionnels. Les conceptions politiques de la laïcité peuvent, également, il est vrai, déterminer le comportement des personnalités politiques.

À la différence des fonctionnaires et des agents publics, ces dernières ne sont tenues, en France, à aucune obligation de réserve. Au contraire, elles doivent assurer une représentation pluraliste de la société dans toute sa diversité. Et pourtant le président de la République, le premier Ministre et les membres du gouvernement, mais aussi nombre d’élus nationaux ou locaux, s’imposent le respect d’une neutralité religieuse à laquelle ils ne sont nullement contraints.

Au plus haut niveau de l’État, le discours politique se réfère à la laïcité et aux traditions républicaines là où, aux États-Unis, pourtant la première grande démocratie à pratiquer une stricte séparation du temporel et du spirituel, on tient souvent un discours monothéiste et fédérateur qui ne dissimule pas pour autant les appartenances religieuses de chacun. Il en résulte une originalité marquée de la France, y compris en Europe.

Celle-ci a engendré un état d’esprit, un climat intellectuel, sans consistance juridique, mais que la Cour européenne des droits de l’homme a pourtant pris en compte de façon positive. Elle note, en effet, « qu’en France, comme en Turquie ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, en particulier à l’école.

La Cour réitère qu’une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion, et ne bénéficiera pas de la protection qu’assure l’article 9 de la Convention… Eu égard à la marge d’appréciation qui doit être laissée aux États membres dans l’établissement des délicats rapports entre l’État et les églises, la liberté religieuse ainsi reconnue et telle que limitée par les impératifs de la laïcité parait légitime au regard des valeurs sous-jacentes à la Convention »[113].

C’est peut être parce qu’ils sont conscients de la fragilité des limites juridiques inhérentes à un tel principe que certains ont proposé, sous des formes diverses, une constitutionnalisation de la loi de 1905.

     I.         La laïcité un principe structurant la culture française

Les termes “laïcité” et “sécularisation” ont une gamme de significations. Les mots dérivent du latin, saeculum, qui signifie à la fois cet âge et ce monde, et combine un sens spatial et un sens temporel. Au Moyen Âge, les laïcs se référaient aux prêtres qui travaillaient dans le monde des paroisses locales, par opposition aux prêtres qui faisaient vœu de pauvreté et se retiraient dans les communautés monastiques. Ces derniers prêtres étaient appelés «religieux».

Pendant la Réforme, la sécularisation désignait la saisie des propriétés ecclésiastiques catholiques par l’État et leur conversion à un usage non religieux. Dans tous ces cas, le séculier indique une distanciation du sacré, de l’éternel et de l’autre monde. Dans les siècles qui suivirent, la laïcité commença à se séparer de l’autorité religieuse. Mais le monde est-il allé plus loin en créant une existence autonome pour le profane?

La Révolution Française du XVIIIe siècle a produit une tradition intellectuelle et constitutionnelle de la laïcité. Associée à la tradition jacobine française, cette tradition est totalement opposé à la religion et encourage l’athéisme. Cette situation découlait de la réalité historique de l’expérience révolutionnaire, qui impliquait une lutte commune contre le despotisme et la religion, la monarchie et l’Église catholique romaine. Cette construction essentiellement politique se poursuit sous le régime de laïcité lié à la Loi de 1905.

Dans la théorie sociologique moderne, la sécularisation est associée à la différenciation. La différenciation décrit la division croissante du travail dans la société moderne alors que la vie passe par un processus de fragmentation en de nombreuses sphères, chacune opérant selon ses propres lois et principes.

En conséquence, il n’y a pas de maître, de principe intégrateur ou de récit qui tienne la vie sociale, les institutions, les idées et les idéaux ensemble. Depuis la fin du XIXe siècle, les étudiants en religion reconnaissent de plus en plus que les théologies et les institutions incarnant la religion ont été transformées par le processus de sécularisation. Max Weber a décrit la laïcisation comme le «désenchantement du monde»[114] – une caractérisation du processus de rationalisation qu’il a adopté du poète Friedrich Schiller.

Par ce processus, Weber a cherché à saisir la transformation psychique et culturelle dans laquelle les éléments magiques de la pensée et du symbolisme sont progressivement déplacés par l’empirisme et la rationalité. Harvey Cox décrivait la sécularisation comme «la délivrance de l’homme d’abord par le religieux et ensuite par le contrôle métaphysique de ses raisons et de son langage» … la dissipation de toutes les visions du monde fermées, la rupture de tous les mythes surnaturels et symboles sacrés »[115].

Sur le plan de la société, Peter Berger définit la laïcisation comme «le processus par lequel les secteurs de la société sont exclus de la domination des institutions et symboles religieux.»[116]. Il est maintenant largement reconnu que le processus de sécularisation est dialectique: plus les cœurs et les esprits sont «désenchantés» », plus les institutions qui se sont spécialisées dans la promotion du processus« enchantement »perdent leur plausibilité et leur autorité.

Plus ces institutions perdent leur plausibilité et leur autorité, moins les processus psycho-affectifs de «l’enchantement» sont inculqués dans les cœurs et les esprits des individus. Jusqu’où le processus de sécularisation a-t-il progressé dans différentes sociétés depuis la fin du XIXe siècle, que le processus soit unidirectionnel ou non et quelles sont ses conséquences pour l’organisation sociale et politique et le bien-être humain? Est-ce que cette discussion concerne les  théologiens, ainsi que des politiciens et des planificateurs sociaux. En fait, l’état actuel du débat pour les nations du monde anglophone est bien représenté dans ce volume.

La modernité a été le déclencheur de la différenciation, avec son processus de sécularisation. Elle a libéré les sphères de la vie culturelle, telles que l’art, le droit, la politique, l’apprentissage, la science et le commerce, de leur ancrage dans une culture chrétienne globale et leur a permis de poursuivre leur propre voie de développement.

Ainsi, le droit positif français interdit depuis longtemps que soit prise en considération le religieux dans l’accession à une charge publique.  Ceci est un exemple d’initiative politique visant à établir un laïcisme au niveau sociétal des institutions qui laisse les questions de conscience aux choix individuels.

La politique, dans la compréhension séculaire moderne, avait maintenant ses propres principes et valeurs immanents. Les principes religieux et les valeurs devaient être plus ou moins différenciés des principes politiques. Cela n’implique pas que les principes et les valeurs religieux ne puissent avoir aucun rôle dans la vie politique et publique de la démocratie américaine. Cela implique seulement que, en termes de perspective de la constitution et de la loi, les institutions religieuses et les institutions gouvernementales sont différenciées. Le terme philosophique de cette condition de différenciation est le pluralisme. Son opposé est le monisme (c’est-à-dire la théocratie et le totalitarisme).

Il ne fait plus aucun doute que ce principe est aujourd’hui parfaitement intégré dans l’imaginaire collectif en France. Le Peuple accepte à un niveau fondamental que le droit, la politique, l’art et l’apprentissage ne doivent pas être contrôlés par des institutions religieuses ou le clergé, mais ont leurs propres traditions, sphères et dynamiques.

Cette optique n’est pas propre à la France, ainsi, à titre d’exemple,  aux Etats-Unis, dans le sens de la structure sociale, bien qu’il y ait des tensions évidentes, les USA ont été et restent une république laïque et douce. Mais là où le modèle américain diffère du modèle français, c’est sur le degré de la laïcité.  Reinhold Neibuhr, l’un des principaux théologiens protestants des États-Unis au XXe siècle, a observé il y a près d’un demi-siècle que les Américains sont «à la fois les nations les plus religieuses et les plus laïques». Comment expliquer ce paradoxe? Se pourrait-il que les [Américains] soient en grande partie religieux en raison de leur culture laïque[117]? ».

Dans son livre Protestant, Catholique, Juif, Will Herberg a écrit sur le paradoxe de« la laïcité omniprésente et de la religiosité croissante »[118], un état d’esprit impliquant la pensée et la vie dans un large cadre de réalité qui est loin de ses croyances religieuses professés. Ce paradoxe apparent existe encore aujourd’hui parce qu’il fait partie de la tradition culturelle américaine.

En tant que laïcs modérés, la plupart des Américains veulent que le gouvernement accepte le comportement religieux, même dans le domaine du gouvernement lui-même. Par exemple, ils acceptent que les personnes institutionnalisées ou le personnel militaire aient accès à des services religieux, à des conseils ou à un leadership, et que ceux-ci puissent être payés, comme dans le cas des aumôniers militaires et pénitentiaires, avec l’argent des contribuables. Ils n’ont pas hésité quand la loi a permis aux pacifistes religieux, tels que les Quakers ou les Mennonites, d’être des objecteurs de conscience.

Le consensus général, et cela la conception française n’est pas vraiment différente, est qu’il est crucial pour une société libre de respecter les convictions religieuses de ses citoyens; il est crucial pour un ordre politique pluraliste, différencié et séculaire de créer une sphère pour la liberté de religion et de laisser cette sphère autonome, dans la mesure du possible, des pressions émanant du gouvernement. L’existence de la religion dans sa propre sphère, à côté des autres sphères différenciées d’une société pluraliste moderne, est une exemplification de la différenciation, et non un rejet de celle-ci.

Ainsi donc, on peut dire que l’Amérique souscrit à une laïcité molle. Fait intéressant, cette autre grande démocratie, l’Inde, a également une idéologie officielle de la laïcité politique qui est interprétée de la même manière que le pluralisme et la tolérance des différences religieuses. La laïcité dure est un terme qui peut être associé à la transformation de la conscience de Weber. Il est généralement plus purement intellectuel et personnel que social ou politique. Un précurseur peut être trouvé dans les écrits de Hobbes, qui a prétendu que ceux qui ont suivi la lumière de la raison sont tenus de rejeter la foi comme intellectuellement peu fiable et donc moralement dangereuse.

Suivant Hobbes et d’autres philosophes aux vues similaires, Marx a suggéré que la foi était une idéologie en contradiction avec la connaissance, qui était utilisée par les régimes dans un but de contrôle politique. Weber a vu le processus de sécularisation comme le point culminant du processus de rationalisation et comme le désenchantement ultime du monde par la science moderne.

En ce sens, le terme laïque fait référence à une vision du monde, à un système de croyances, ou à une modalité de création de sens déterminée de manière non-religieuse. Un univers désenchanté est un univers purement physique et matériel. Il ne soutient aucun des idéaux moraux qui sont le résultat de processus évolutionnaires – ou de croyances religieuses – qui sont les produits pervers persistants d’âges plus naïfs, qui finiront par être balayés par le triomphe d’une perspective proprement scientifique.

Le désenchantement se réfère à une vidange de la magie, du mystère, des indices de transcendance, ou une foi dans les réalités, en des forces invisibles mais intuitives et considérées comme essentielles au bien-être et à l’épanouissement de l’humanité. Les porte-parole d’aujourd’hui comprennent Richard Dawkins et Paul Kurtz, ou le médecin-avocat militant de la Californie, Michael Newdow. Ils prennent tous la laïcité dure à sa conclusion logique, l’athéisme – la croyance en l’absurdité et l’irrationalité du théisme. Ces laïcs qui pronnent une laicité dure sont rares en Amérique, bien qu’ils soient plus communs en Europe occidentale et orientale.

Le défenseur de la laicité douce n’est ni un athée convaincu ni un matérialiste de principe, et peut ne pas être hostile aux croyances et aux institutions religieuses. En fait, la majorité sont des religieux libéraux. Le laïc modéré est prêt à adopter une attitude de vie et de laisser-vivre vis-à-vis de la religion tant qu’elle n’empiète pas sur sa liberté de choix ou ne cherche pas le contrôle des institutions publiques américaines. Pour la laïcité douce, la religion est à proprement parler une option de vie privée, qui ne doit pas menacer la liberté et l’harmonie sociale dans une société différenciée et pluraliste.

La majorité des américains se considèrent comme des non religieux, les soi-disant «areligieux», correspondent également à ce profil de laïcs modéré. Leur niveau de laïcité montre qu’ils ne sont en aucun cas des athées extrémistes ou même des agnostiques, qui constituent ensemble moins de 1% de la population. Même ceux qui n’appartiennent pas à des institutions religieuses ou s’identifient à des communautés religieuses ont des croyances et des préoccupations théistes. Ainsi, bien que la population sécularisée autoproclamée des États-Unis ait doublé depuis 1990, on ne peut pas dire que la société américaine soit devenue plus irréligieuse ou antireligieuse, mais seulement que l’identification avec les groupes religieux soit moins marquée.

Quoi qu’il en soit, la laïcité française donne aujourd’hui l’impression d’être une tradition solide et séculaire, très stable dans sa pratique et bien enracinée dans ses fondements idéologiques. C’est le cadre «officiel» de la constitution française, qui va au-delà de l’interdiction des relations entre l’État et les religions. Il est en effet censé protéger et promouvoir le contexte philosophique des droits de l’homme et la philosophie des Lumières dans la Loi. De plus, la laïcité juridique française a évolué parallèlement au changement social et à l’émergence de nouvelles valeurs communes telles que le pluralisme et la tolérance.

Aujourd’hui donc, le principe de la laicité repose sur quatre héritages bien fondés hérités du passé: pas d’Etat confessionnel, de liberté de pensée, de lois d’Etat sans religion et de liberté de culte. Depuis la Révolution française, l’Etat ne s’est plus confessionnel, à l’exception de l’époque de la Restauration (1815-1830). Et même pendant cette période de pouvoir monarchique, la liberté de pensée et d’opinion, y compris la religion, incorporée à l’article 10 de la Déclaration de 1789, n’a jamais été contestée. Le culte public aurait pu être limité entre 1801 et 1905 à quatre religions dans le système basé sur le concordat: le culte n’était plus obligatoire, et il n’y avait aucune restriction sur n’importe quel type de culte pour d’autres dénominations dans la sphère privée.

Depuis la Révolution, et surtout depuis l’instauration du Code civil au début du XIXe siècle, les seules lois reconnues par l’État ont été celles qu’il a lui-même adoptées. Les seules relations juridiques entre les personnes sont régies par ce cadre juridique. L’Etat ne restreint pas a priori ses lois pour des raisons religieuses auxquelles ses citoyens s’opposent. Aucun cadre religieux, aucune loi religieuse n’est maintenant juridiquement contraignant, exerçant son lourd poids social et moral sur la population et la pensée.

Cependant, jusqu’à la fin des années soixante, les relations familiales et matrimoniales au sens juridique restèrent étroitement liées à la tradition catholique. En outre, l’État a organisé un système d’éducation non confessionnel géré par l’État, et même s’il avait ressenti la forte tentation, selon la majorité politique au Parlement, de confondre l’obligation légale de fournir un enseignement minimum à tout enfant grâce à un système éducatif public unique, cette tentation était toujours modérée par le respect des libertés fondamentales. Ce système de reconnaissance des religions a été clôturé par la loi de 1905 du 9 décembre.

Après 1905, la liberté de culte public pour toutes les dénominations est pratiquement assurée par deux autres lois, en 1906 et en 1907. Désormais, les confessions religieuses organisent leur vie en simples associations privées (loi 1901 sur les associations) ou en associations spécifiques de culte (loi de 1905). ).

La Constitution française actuelle résume cet héritage dans son premier article: « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle estime toutes les croyances. ».

La République française indivisible, laïque, démocratique et sociale assure l’égalité devant la loi pour tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Il respecte toutes les croyances. Cette reconnaissance littérale de la laïcité, soutenue par l’égalité et l’interdiction de la discrimination, n’a pas de définition plus précise de l’impact et du contenu du principe laïc dans le texte de la Constitution.

Cependant, la loi de 1905, concernant la séparation de l’État et de l’Église, est considérée (mais pas entièrement, comme le révèlent certaines décisions du Conseil d’État) comme une source subsidiaire de cadre constitutionnel puisqu’elle inclut plusieurs principes fondamentaux, classés par l’État Conseil ou Conseil constitutionnel au niveau de la valeur constitutionnelle. C’est le cas du principe de «séparation» (pas d’établissement, pas de financement direct) et des principes de liberté de conscience et de culte[119]. La loi de 1905 est le complément approprié pour comprendre la laïcité juridique ou laïcité. Le Conseil constitutionnel a franchi une nouvelle étape dans son interprétation en déclarant, dans une décision du 19 novembre 2004, que «l’article premier de la Constitution française interdit à quiconque de tirer parti de ses croyances religieuses pour surmonter les règles communes entre groupes de membres du public et des particuliers. »[120]. Plus récemment, dans une décision du 22 octobre 2009, le Conseil constitutionnel a réaffirmé la valeur du classement constitutionnel du principe de la laïcité[121].

Dans tout ce cadre, la liberté religieuse est présentée comme un tout premier principe, à travers la consécration que lui donne l’article 10 de la Déclaration française, elle-même incluse dans ce que les juristes français appellent le «bloc constitutionnel» accompagnant la Constitution. La liberté religieuse, en tant que liberté d’opinion et de croyance, est complétée par le respect légal de toutes les croyances citées à l’article premier de la Constitution et par la liberté de conscience, comme nous l’avons vu, un principe de valeur constitutionnelle depuis 1977[122].

Par conséquent, même si des distinctions très subtiles pouvaient être faites entre la liberté d’opinion, de conscience, de culte et de religion, la dernière ne pouvait être exercée sans les autres. D’autres libertés, constitutionnellement reconnues, donnent également à la liberté religieuse son efficacité.

Il y a la liberté d’expression[123], sans laquelle il serait impossible d’exprimer des croyances religieuses; la liberté de réunion[124], qui permet de se réunir en privé ou en public; et la liberté d’union et d’association[125] – très nécessaire

   II.         La laïcité : de la défense de l’autonomie de la raison contre la tradition

Ce que l’on appelle aujourd’hui la laïcité, c’est-à-dire le mécanisme de gestion de la structure religieuse après la chute de l’Ancien Régime, est structurellement «gallican» 12. La monarchie absolue – ayant affaibli la classe aristocratique dans sa fonction en tant que contre-pouvoir et par conséquent contraint de chercher un soutien parmi les classes populaires citadines – fut en fait le grand facilitateur de la Révolution française, une révolution plus radicale et plus monopolistique en France qu’ailleurs. Le gallicanisme, à la fois comme justification morale et comme méthode de gestion centralisée, semble être resté depuis lors la «religion invisible» de la laïcité républicaine. Mais la laïcité n’est pas une simple méthodologie de gestion; à un niveau plus profond, c’est aussi la culture socialement construite par un segment de la population afin de légitimer un tel mode de gestion.

Le principe de cujus regio, ejus religio fut formellement aboli par la Révolution française de 1789 au nom de la liberté de conscience et de parole: la religion du monarque ne devait plus être celle de la totalité de ses citoyens, désormais libres d’adopter croyances qu’ils ont choisies. Le principe de la liberté de conscience et de parole religieuse est consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (art. 10) et développé par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (art. également par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (art. 9-1 et 9-2). Cependant, dans la Déclaration française, la religion n’est mentionnée qu’incidemment, 13 négativement, pour ainsi dire, tandis que dans les deux autres textes, la liberté de culte fait partie intégrante de la liberté de conscience et d’association.

L’État français devait adopter cette approche négative: refus officiel de reconnaître publiquement toute forme de culte, tout en instaurant progressivement des régimes juridiques de reconnaissance et en élaborant des politiques favorisant certaines confessions au détriment des autres.

Au contraire, la plupart des autres pays européens appliquaient une approche positive qui oscillait autour de lignes plus ou moins strictes pour la reconnaissance officielle du (des) culte (s) religieux[126].

Laïcité apparaît ainsi ici comme une approche très spécifique, qui n’implique certainement pas l’expulsion réelle des religieux de la sphère d’action de l’autorité publique, mais l’introduction d’un mode spécifique de celle-ci, fondement des interventions religieuses étatiques.

La notion de laïcité a été validée constitutionnellement depuis que la Constitution de la IVe République et cette consécration constitutionnelle est le résultat d’un conflit récurrent qui a éclaté tout au long du XIXe siècle. La laïcité a été pendant plus d’un siècle l’épicentre d’un antagonisme sociétal direct qui a successivement basculé entre des luttes radicales contre des congrégations religieuses, plus particulièrement les catholiques, soutenues par une vague d’activisme antireligieux combatif, et une validation tacite / la collaboration de l’Etat envers sa tradition religieuse la plus profondément enracinée, celle du catholicisme lui-même.

L’anticléricalisme républicain et l’anti-républicanisme catholique s’exprimaient alternativement directement et ouvertement ou inversement sous couvert d’interprétations contradictoires et croisées de la liberté de conscience et de la pratique religieuse. Cet antagonisme récurrent a parfois donné lieu à une incohérence juridique flagrante[127], par exemple, en 1814-1815, à travers deux dispositions contradictoires de la Charte[128]: L’article 5 stipule que «chacun est libre de professer sa religion avec une égale liberté et d’obtenir même protection pour sa forme de culte »; En revanche, l’article 6 ajoute que «la religion apostolique catholique demeure néanmoins la religion de l’État».

Paragraphe 2 : la dimension moderne de la laïcité

Ainsi donc, depuis la Révolution française, l’État français n’est plus un état confessionnel, sauf pour la période de la Restauration (1815-1830). Par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la liberté de pensée et d’opinion, y compris la pensée et l’opinion religieuses, n’a jamais été remise en question.

De même, depuis l’époque de la Révolution et plus particulièrement avec l’instauration du Code civil au début du XXe siècle, les seules lois reconnues par l’État français sont celles que promulgue l’État et les relations entre les citoyens du pays sont régies par le cadre statutaire. Un cadre religieux, la loi religieuse, n’a pas de force légale et n’a pas de poids social et moral fort.

Avec l’Empire napoléonien, la France a entamé une relation «concordat» qui reconnaissait quatre groupes religieux (catholique, réformé, luthérien, juif) auxquels elle assurait protection, financement et influence sur la population. Les autres religions présentes dans le pays avaient un droit «privé» d’exister. Ils ne pouvaient pas être pratiqués publiquement. Ce système serait en place jusqu’en 1905, date à laquelle il a été supplanté par la loi française du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l’État.

Pendant ce temps, le gouvernement avait organisé un système scolaire non confessionnel (1880) sans aucun contrôle possible de l’Eglise catholique, avait établi un système sanitaire et hospitalier non sectaire et avait timidement commencé sa dimension strictement sociale en légiférant le travail salarié. Les religions pourraient s’organiser en simples associations privées (1901). Après 1905, la liberté publique de culte sera garantie et les religions pourront s’organiser en associations cultuelles (1905), exonérées de certaines taxes.

Cette revue des principaux textes constitutionnels français en vigueur met en évidence une république dite «laïque», protégeant les droits et libertés des citoyens, en particulier la liberté d’opinion religieuse. Ainsi, depuis la Révolution, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789, texte de valeur constitutionnelle[129],  garantit la liberté de conscience et opinion: «Nul ne sera inquiété à cause de ses opinions, même religieuses, à condition que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.».  

L’article 1 de ce même texte, en expliquant que «les hommes naissent et rester libre et égal en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur le bien commun », interdit implicitement la discrimination pour des raisons religieuses. Ainsi, les croyances religieuses doivent être protégées de la même manière que les autres opinions[130]. En outre, le Préambule de la Constitution de la Quatrième République, 27 octobre 1946, repris dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958[131], dispose que « (. ..) Le peuple français (…) réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés dans le Bill of Rights de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. (…) Nul ne peut être blessé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. ».

En outre, le treizième paragraphe du Préambule de la Constitution de 1946, confirmé par la Constitution de 1958, prévoit « l’organisation de l’éducation publique libre et laïque à tous les niveaux » comme « le devoir de l’Etat ». Quant à la version actuelle de la Constitution de la Vème République, du 4 octobre 1958[132], dont le préambule inclut tous les repères mentionnés ci-dessus, il affirme que « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale »[133], qui “assure l’égalité devant la loi pour tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.

Il respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »[134] Cette reconnaissance explicite de la laïcité ne fournit toutefois aucune précision quant à la portée et au contenu de ce principe dans le texte constitutionnel. Néanmoins, la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat[135] considère parfois[136] comme une source subsidiaire de droit constitutionnel concernant les religions car elle contient plusieurs principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[137], la liberté de conscience, la liberté de culte et l’interdiction des subventions) fournit heureusement une interprétation du concept de laïcité.

Le Conseil Constitutionnel s’est prononcé, pour la première fois, sur le principe de la laïcité, dans une décision du 19 novembre 2004 sur la constitutionnalité du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE), affirmant que les dispositions de l’article 1 de la Constitution de 1958 “Interdire à quiconque de s’appuyer sur des croyances religieuses pour surmonter les règles communes régissant les relations entre les pouvoirs publics et les individus. »[138] Plus récemment, par une décision du 22 octobre 2009, le Conseil a réaffirmé le principe constitutionnel de laïcité[139].

     I.         La laïcité républicaine….

L’esprit laïc est donc un idéal qui est issus de la pensée des Lumières, la laïcité quant à elle  « était un produit de la Révolution française et du combat républicain. L’échelle de laïcité histoire est formée d’un ensemble de questions qui évoquent l’héritage révolutionnaire et la République. Les mots République et citoyen sont estimés très positifs, ce qui constitue le degré le plus élevé d’adhésion à la laïcité histoire »[140].

La Révolution a laissé un héritage important et encore d’actualité aujourd’hui pour la République française : « un État laïque indépendant de la religion, la Constitution, l’instruction publique, l’idéal de « liberté, égalité, fraternité », les droits de l’homme et du citoyen, l’égalité des citoyens devant la loi, qui représente le niveau élémentaire d’adhésion »[141].

1.      De la République

La laïcité est intrinsèquement liée à la conception même de la République. Après le coup de force du 10 août 1792 et les troubles qui s’ensuivent, le 21 sept. 1792, la Convention, sur la proposition de Collot d’Herbois et de l’abbé Grégoire, décrète l’abolition de la Royauté. Le lendemain elle décide, à l’initiative de Billaud-Varenne, que les textes seront désormais datés de l’an I de la République. Mais ce n’est que le 25 septembre que, au terme d’un long débat, la Convention proclame la République une et indivisible. Dès sa naissance dans des conditions dramatiques et quelque peu tumultueuses, la République va être, en France, source de divisions, opposant, de manière parfois irréductible et définitive, ceux qui lui sont favorables et ceux qui lui sont hostiles. Il faudra presque atteindre notre époque pour que la querelle s’apaise et que la République soit acceptée par une grande majorité de la population.

Lorsque l’on s’interroge, en portant un regard en arrière sur l’histoire, on ne peut que constater la double polarité qui caractérise ou définit la République : celle-ci est d’abord, fondamentalement, la « chose publique ». La République est, ensuite, le gouvernement de plusieurs et, aujourd’hui en France, est considérée comme devant être le gouvernement de tous.

La République peut être qualifiée, en France, de bien public, parce qu’elle est, simultanément, et de manière indissociable, une histoire et une idée.

a.     La substance de la République

La République est avant tout une histoire. Elle n’a évidemment pas le privilège et l’exclusivité d’avoir une histoire : entendue en ce sens immédiat l’histoire s’applique avec encore plus de force à la monarchie, comme d’ailleurs à tout autre régime. Dire que la République a une histoire veut donc dire que cette histoire de la naissance et du développement de l’idée républicaine est chargée de sens, qu’il ne s’agit pas seulement d’événements du passé que nous pourrions observer et contempler sereinement, comme d’une autre galaxie : parler de la République c’est examiner une histoire qui a un sens pour nous aujourd’hui, qui nous parle de l’être de notre société, de son devenir.

La République est un passé assumé[142]. On peut, certes, le dire d’abord pour la Nation française. Mais l’affirmation vaut tout autant pour la République pour les raisons suivantes. La République ne s’est pas installée en France dans l’unanimité et la paix. Il ne suffit même pas de noter que le législateur révolutionnaire hésita à proclamer d’emblée la République, comme effrayé par le saut dans l’inconnu que cela représentait, et commença par dater le nouveau calendrier de l’an I de la République, avant de proclamer solennellement celle-ci le lendemain.

Il faut aussi se souvenir qu’il y eut des repentirs, que l’on revint sur la République et que la troisième du nom, qui n’est pas si ancienne que cela, ne fut adoptée que par une voix de majorité, sans que l’on soit certain, même, qu’il n’y eut pas d’erreur.



Cela signifie que la République, aujourd’hui si banalement acceptée qu’elle semble ne plus soulever de discussion, a dû, pour se faire accepter, se définir peut-être, dans un premier temps, par opposition aux autres régimes, mais surtout, dans un deuxième temps, intégrer l’ensemble de l’histoire, l’assimiler.

Il ne peut y avoir de République comme il ne peut y avoir de Nation française sans cette acceptation d’un héritage que l’on ne peut admettre sous bénéfice d’inventaire. La République française est ainsi désormais, de manière nécessaire, l’exécuteur testamentaire d’autres régimes, y compris, sur certains points, la monarchie. Cela veut dire, aussi, que l’harmonie sociale implique, notamment pour les dirigeants, le respect des opinions autres que celles qu’ils professent, et des comportements en accord avec ce pluralisme de fait.

Cela veut dire encore que les acquis ne sont jamais définitifs, que la République a toujours à se justifier. La République peut être remise en cause par les fanatismes, par les promesses, même irréalistes, qui sont faites aux citoyens, par l’aventure désespérée dans laquelle un pays peut être entraîné. Les exemples dans le passé sont suffisamment parlants pour que la vigilance demeure de mise. La République, plus encore, peut se perdre pour ne plus être suffisamment désirable, c’est-à-dire pour ne plus susciter assez d’adhésion et de foi de la part des citoyens.

Ensuite, la République est une idée. La République telle que nous l’entendons ne s’est pas forgée d’un seul coup un beau jour, mais est issue d’une histoire agitée au cours de laquelle les contestations n’ont pas manqué. La République n’est devenue un idéal politique que parce qu’elle paraissait menacée et qu’effectivement elle disparut momentanément au profit d’autres régimes.

La République est un mot mais, ainsi que le déclare Lorenzaccio, « Quand ce ne serait qu’un mot, c’est quelque chose, puisque les peuples se lèvent quand il traverse l’air ». La République est donc plus qu’un mot, elle est une idée en ce sens que face à ses adversaires les tenants de la République ont dû se justifier et que, par ailleurs, sous les régimes autoritaires la République a été rêvée, ce qui explique le soupir de l’historien Aulard : « Que la République était belle sous l’Empire ».

La République est une idée parce que, du fait des interruptions du régime républicain, plusieurs républiques émaillent notre histoire. La République est faite de l’ensemble des régimes républicains que notre pays a connus et qui, tout naturellement, présentent chacun des originalités, c’est-à-dire ont mis l’accent sur un aspect ou un autre de ce qui fait la République.

Existe-t-il même un point commun entre les constitutions républicaines qui ont traduit dans la règle de droit l’idée que les hommes politiques se faisaient de la République ? On peut en douter en comparant ces divers textes.

Néanmoins, si l’on prend la dernière des constitutions républicaines, celle de la cinquième République qui nous régit actuellement, on se rend compte qu’elle récapitule effectivement tout un acquis de l’expérience des républiques précédentes, qu’il s’agisse des leçons des défauts du système institutionnel de la troisième et de la quatrième Républiques[143], d’un certain esprit de la seconde République.

Seule, peut-être, la première République ne trouve-t-elle pas d’échos dans la République actuelle, alors que cette dernière a repris, en revanche, et de manière qui a été solennisée par le Conseil constitutionnel, l’héritage de 1789[144].

L’idée de la République, c’est peut-être de reprendre ce qu’il y a de meilleur dans chaque république, comme si chacune des applications était une approximation d’un régime idéal que l’on cherche à atteindre et que l’on corrige en fonction des exigences du temps. Il y aurait ainsi, d’un côté l’essence de la République, faite d’un ensemble de convictions, de principes, et de l’autre des expressions contingentes et nécessairement imparfaites de l’idéal républicain. Ce sont de telles considérations qui, peut-être, expliquent le « télescopage » des dates et des principes lors de la commémoration du bicentenaire. Caractéristique est, par exemple, l’accent mis, en 1989, sur la fraternité.

La République ne peut jamais être une idée purement abstraite. Au contraire elle s’exprime à travers des images, des notions concrètes, parce que la République, au sens moderne du terme, ne peut perdurer que si elle rencontre l’adhésion des citoyens.

C’est pour cela que le principe de la laïcité tient une place aussi prépondérante dans la sphère juridique et politique aujourd’hui, dans une République une et indivisible.

b.    La République dans ses qualités

La République française, dans la Constitution de 1958, est définie par quatre qualificatifs que l’on peut, sans forcer, regrouper deux par deux, en fonction de leur nature. La République est, d’abord, une et indivisible, ensuite, laïque et sociale.

      i.         La République une et indivisible

Le refus de la division est d’abord d’ordre politique ou idéologique : le thème du rassemblement apparaît avec force dès le début de la Révolution[145] et persiste jusqu’à aujourd’hui[146]. Il prend également une forme juridique avec l’affirmation de la souveraineté. « République est un droit, gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine », écrivait Bodin[147].

Mais l’on sait que, pour cet auteur, le terme de « République » ne désigne pas une forme de gouvernement déterminé mais la communauté politique, quel que soit, dirions-nous, le régime politique. L’apport essentiel de Jehan Bodin est l’analyse de la souveraineté. Celle-ci est « cette force de cohésion, d’union de la communauté politique, sans laquelle celle-ci se disloquerait », écrit J. -J. Chevallier dans son commentaire.

Dans ces conditions en quoi consiste la particularité de la République ? Que l’Etat soit monarchique ou républicain, l’analyse demeure la même. C’est parce que la cohésion de la communauté était ébranlée par le grand mouvement révolutionnaire que les dirigeants ont ressenti la nécessité de qualifier la République d’une et indivisible.

Le passage de la monarchie à la République en tant que forme de régime ne pouvait signifier l’abandon des traits qui étaient considérés comme la marque indélébile de la communauté réunie sur le territoire appelé France. D’où la proclamation de l’unité et de l’indivisibilité de la République. « L’unité, c’est le constat de l’état actuel de la France. L’affirmation parallèle de l’indivisibilité donne un contenu plus normatif au principe »[148].

Mais ce principe n’est pas la propriété des seuls révolutionnaires. Non seulement il s’agit d’un héritage mais, de plus, sur le plan juridique, ce principe transcende, en quelque sorte, l’idéologie révolutionnaire. Ainsi que l’a fort bien démontré R. Debbasch, il est « contraire à la vérité historique de parler, comme on le fait traditionnellement, du principe jacobin de l’unité et de l’indivisibilité de la République ». Ce principe « appartient donc à tous les Français »[149].

Le principe d’indivisibilité produit des conséquences. Ainsi que l’écrit A. Roux, « On peut considérer que le principe de l’indivisibilité de la République (…) commande l’unité du peuple français et interdit par là même toute différenciation entre citoyens constituant un même peuple »[150]. Dans sa décision « statut de la Corse », du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel a rappelé que la Constitution ne « connaît que le peuple français composé de tous les citoyens français sans restriction d’origine, de race ou de religion ». Ainsi que le fait observer L. Favoreu, c’est au respect du principe d’indivisibilité du peuple que l’on peut rattacher l’annulation, par le Conseil constitutionnel, de l’institution des « quotas par sexe » en 1982[151].

Dans la même décision du 9 mai 1991 le Conseil constitutionnel a pris par ailleurs « nettement position en faveur d’une représentation égale et indifférenciée des citoyens composant le peuple, conforme au principe de souveraineté nationale »[152].

La formule constitutionnelle n’est d’ailleurs pas exempte de toute critique en ce qui concerne l’utilisation de certains termes[153].

    ii.         La république laïque


La laïcité de l’Etat républicain est une caractéristique qui est loin d’être généralisée dans le monde et, en Europe même, la situation française, loin d’être la norme, est au contraire particulière. La laïcité apparaît donc comme une spécificité française consistant, sur le plan juridique, d’une part en la non-reconnaissance par l’Etat du fait religieux, d’autre part en une atténuation indispensable de ce principe[154].

En France les Eglises et l’Etat sont séparés. Cette séparation résulte de la loi du 9 déc. 1905 qui met fin au régime concordataire institué par le Concordat de 1801 et les articles organiques. Cette loi dispose, en son art. 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ».

La laïcité implique donc, d’abord, la liberté de culte, qui est une liberté fondamentale, l’Etat ne privilégiant aucun culte car étant, philosophiquement, indifférent à tous. Mais à l’époque contemporaine des difficultés ont surgi quant à la portée du mot « culte » avec la multiplication de groupes religieux assez éloignés des grandes religions pratiquées en France.

Le juge, aussi bien judiciaire qu’administratif, a dû prendre position sur l’applicabilité des dispositions de la loi à ces groupements et, pour cela, définir ce qu’il entendait par religion[155]. Le Conseil d’Etat a ainsi admis que les « dévots de Krishna » pratiquaient un culte[156], mais a refusé cette qualité à l’association « Fraternité des serviteurs du monde nouveau » parce que le culte n’est pas la fonction exclusive de ladite association[157], à l’« Eglise de la scientologie »[158].

Le Conseil d’Etat a également jugé que « l’association Union des athées, qui, aux termes de ses statuts, « a pour but le regroupement de ceux qui considèrent Dieu comme un mythe », ne se propose pas de subvenir aux frais, à l’entretien ou à l’exercice public d’un culte ; qu’elle ne peut, dès lors, être regardée comme une association cultuelle » au sens des dispositions de la loi de 1905[159].

Si « la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte », encore faut-il que le culte, dont la liberté est de valeur constitutionnelle en même temps qu’elle correspond à une exigence fondamentale de la démocratie, puisse s’exercer dans un cadre juridique. Car la suppression du caractère de service public du culte impliquait que fût défini un tel cadre, indispensable tout autant à l’Etat qu’aux fidèles.

Le législateur de 1905 a cru trouver la solution avec les associations cultuelles. Mais le fonctionnement de celles-ci, tel qu’il était prévu par le législateur, était inacceptable pour l’Eglise catholique en raison des principes d’organisation de cette dernière. Un accord entre la France et le Saint-Siège s’est traduit, juridiquement, par la reconnaissance d’une catégorie particulière d’associations cultuelles, les associations diocésaines dont l’évêque est président de droit.

La République ne peut appliquer entièrement l’idée de non-reconnaissance. L’Etat a d’abord créé ou accepté des situations impliquant une intervention de la puissance publique. En effet, la plupart des édifices du culte appartiennent, en vertu de la loi, à une collectivité publique[160], ces édifices étant cependant nécessairement grevés d’une servitude perpétuelle pour respecter la liberté de culte : ils sont affectés « aux fidèles et aux ministres du culte » (loi du 2 janv. 1907).

L’Etat a également accepté, pour des raisons qui tiennent à l’histoire, que les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ne soient pas soumis au régime de séparation, la Guyane y échappant également[161]. Le domaine de l’enseignement, point de cristallisation historique des oppositions, spécialement entre l’Eglise catholique et l’Etat, ne peut être un domaine caractérisé par la séparation, mais appelle la collaboration.

Le principe de laïcité ne peut avoir pour effet de mettre en cause l’enseignement privé, la liberté de l’enseignement étant une liberté constitutionnelle, l’Etat ayant même le devoir d’apporter une aide indispensable à l’exercice effectif de cette liberté[162]. De nombreux autres domaines témoignent des atténuations, plus ou moins importantes, au principe de laïcité[163].

D’une manière plus générale, il apparaît aujourd’hui de moins en moins possible, voire parfaitement inacceptable pour les fidèles, de vouloir établir une cloison étanche entre la vie publique et la sphère privée, dont relèverait le culte.

En bref donc, selon la conception républicaine de l’Etat, ce dernier est le  « dépositaire d’un pouvoir exercé à des fins rationnelles pour libérer les hommes de l’oppression »[164] et pour « assurer l’égalité des citoyens devant la loi. La dimension de reconnaissance de l’État le définit comme garant de la démocratie, non comme interventionniste »[165].

En conséquence, l’Etat est considéré comme étant le plus à même (et a l’obligation) de «  favoriser l’intégration de tous dans la communauté nationale représente le degré le plus élevé de reconnaissance de l’État, défendre les droits de l’homme, le degré le plus faible. Entre ces deux pôles s’échelonnent les autres fonctions : protéger la libre expression des minorités, assurer la formation des individus par l’instruction publique, assurer l’égalité entre les citoyens, défendre les valeurs républicaines »[166].

   II.         … une valeur fondamentale toujours actuelle

La laïcité est une valeur fondamentale qui n’a rien perdu de son actualité depuis la Révolution. Avec les récents et tragiques attentats[167] qui ont ébranlé la France, on peut même dire que la question de la laïcité a eu un regain d’actualité. Un regain d’actualité qui s’explique par le fait que la reconnaissance du principe n’a jamais fait disparaître la question du fait religieux.

1.     Le fait religieux dans le droit positif français

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Tel est le libellé de l’article 1er de la Constitution française. Cette formulation fait très clairement la distinction entre la République et la sphère du religieux consacrée par la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat mettant fin au régime concordataire. « La laïcisation de l’Etat, qui a suivi chronologiquement la sécularisation du droit avec la Révolution française et la déconfessionnalisation de l’Etat, n’a jamais fait disparaître la question religieuse »[168].

Celle-ci est au cœur de toute société quelle que soit l’époque. Faut-il être surpris que, dans une société démocratique laïque comme la France, les débats sur le fait religieux bénéficient d’une place centrale ? Jean Carbonnier a écrit que si l’Etat et la religion ne peuvent pas s’ignorer, c’est sans doute parce que les droits positifs « empruntent néanmoins, ne fût-ce que par la médiation de la morale ou des mœurs, à la religion qui les entoure »[169].

« La laïcité est une valeur reconnue. La laïcité est pourtant une valeur toujours discutée »[170]. En effet, la « laïcité, ce mot qui sent la poudre »[171] semble incarner les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Elle a aussi participé à la division de la France entre les laïcs et les cléricaux, chacun ayant sa propre conception du monde dont dépendent des choix philosophiques, sociaux et politiques.

Bien que la querelle laïque se soit aujourd’hui atténuée, seul un retour sur les conditions historiques de sa naissance peut conduire à la compréhension du concept de laïcité. En effet, l’utilisation et même la médiatisation de ce dernier sont aujourd’hui telles qu’une clarification de la notion s’impose. Les débats sur la laïcité paraissent retrouver l’importance qu’ils ont eu hier tant les passions sont vives. Parallèlement, la notion elle-même semble être en quête de sens, tant les approches en sont diversifiées.

Alors que la laïcité fut un vecteur privilégié de l’affirmation de l’unité nationale, l’affaire dite du foulard a révélé les divergences et constitue aujourd’hui le reflet d’une revendication du droit de chacun d’affirmer ses croyances au nom du droit à la différence mais aussi et surtout au nom de la laïcité de la République. Pourtant, cette dernière s’oppose à l’affirmation d’appartenance à des communautés séparées au nom d’une conception unitaire de la Nation et de son indivisibilité.

En fait, il est important de souligner que la question laïque ne se pose plus dans les mêmes termes que lors de l’élaboration de la loi sur la séparation des Églises et de l’État en 1905. En effet, la société française a subi une mutation et le problème n’est plus de savoir comment organiser les relations entre la sphère étatique et la sphère religieuse notamment catholique, mais bien plus de connaître quelle place faire aux religions apparues, en France, depuis 1945 et qui ne sont pas dotées d’un encadrement juridique réel.

L’interrogation majeure au centre du débat est donc dialectique : comment concilier l’affirmation nécessaire de la laïcité, en tant que principe d’unité nationale et « norme directrice » des règles de vie en commun dans l’État, et la transformation de la société française qui commande la prise en considération de la diversité croissante des religions pratiquées en France ? Ceci d’autant plus que leur respect résulte de l’application même du principe de laïcité à travers la garantie, quelles que soient les options religieuses envisagées, de la liberté de conscience.

La laïcité est donc replacée au centre des problèmes politiques, sociaux et juridiques contemporains. Le débat met notamment en cause une religion, l’islam, largement liée à la présence en France des enfants des travailleurs immigrés arrivés en masse depuis la Seconde Guerre mondiale.

Cette religion a donc une expression, sur le territoire français, postérieure aux textes fondateurs de la laïcité. Ici réside un des aspects du problème polymorphe de cette dernière : la longue absence de représentation juridique propre à la communauté musulmane française, palliée aujourd’hui par la création d’un Conseil du culte musulman, représentation qui s’avérait indispensable à l’instauration d’un dialogue équitable entre l’État et l’Islam[172].

En outre, la présence musulmane est aujourd’hui une réalité française et, bien qu’il soit nécessaire et même indispensable de lui accorder une place pour l’exercice de sa religion, il est aussi important d’éviter que le droit à la différence ne devienne, en fait, une possibilité d’institution légale de communautarismes cultuel et culturel.

Le constat des conditions de renaissance du problème laïque est troublant : si les passions se sont exacerbées dans les affaires du foulard, sans doute est-ce parce que l’affrontement s’est déroulé dans le lieu symbolique de la République : l’école laïque, gratuite et obligatoire pour tous[173].

En outre, le contexte national actuel est imprégné de l’« ambiance » internationale de méfiance vis-à-vis de l’islam, résultat des différents actes de terrorisme qualifiés d’islamiques. Aussi, nous assistons aujourd’hui à un débat national dans lequel s’affrontent les partisans d’une laïcité dite « souple » favorables au respect des différences culturelles et cultuelles, opposés aux défenseurs d’une laïcité dite « stricte » proposant de lutter contre le développement des intégrismes ou encore celui, relativement récent, du phénomène des sectes.

À notre sens, les deux pans de ce qui apparaît comme une opposition ne sont pas irréductibles ou même inconciliables. En effet, la lutte contre les intégrismes, pas seulement islamiques mais de toutes sortes, passe nécessairement par le respect et surtout la compréhension des différences.

La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non accepter ces dernières mais comment les différences peuvent s’exprimer dans un cadre laïque en redéfinition. Le problème n’est donc pas tant de savoir si l’expression de la diversité culturelle et cultuelle constitue une remise en cause de la laïcité française mais de connaître quelle peut être la dialectique de fonctionnement de cette expression dans le cadre d’une laïcité réaffirmée parce que constituant une des valeurs de base de la République française.

À cet égard, l’État s’est récemment proposé d’adopter éventuellement des règles fortes et claires dans le cadre d’une loi sur la laïcité[174]. Il semble toutefois que cette tâche fut largement remplie par la jurisprudence administrative.

Elle affirme la laïcité comme le principe de l’État neutre qui a le devoir de garantir à chacun le droit à l’égalité juridique et à la liberté de conscience. Or, des signes visibles d’appartenance religieuse sont apparus dans le cadre de l’école laïque tels, par exemple, le voile ou la kippa.

C’est l’apparition même de ces signes qui permet de conclure, semble-t-il, à une remise en cause du principe républicain d’indivisibilité nationale ce, alors même que l’école pourrait être un lieu d’accueil des appartenances différentes dans une République une et indivisible (ce qui fut le cas pour les catholiques, les protestants, les juifs).

Ces postulats démontrent à quel point la question de la laïcité est délicate : douloureuse en ce qu’elle touche chacun d’entre nous dans ses croyances les plus profondes, et complexe en ce qu’elle fait appel à des ressorts divers.

Ces différentes données montrent toute l’actualité de la question de la laïcité, en ce qu’elles démontrent toutes la difficulté du principe républicain de laïcité à s’adapter à l’évolution de la société française caractérisée par la diversité socio-culturelle.

2.     Une valeur toujours en quête de définition et de reconnaissance

La consécration juridique de la laïcité s’est esquissée avec le projet constitutionnel adopté par la Constituante le 19 avril 1946, rejeté par référendum[175]. La Constitution du 27 octobre 1946, quant à elle, contient deux dispositions relatives à la laïcité. La première se situe dans le Préambule. Elle est circonscrite au domaine de l’enseignement : « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». La seconde est constituée par l’article 1er dans lequel est accolé le qualificatif « laïque » à la République, ce qui ne figurait d’ailleurs pas dans le projet constitutionnel d’avril : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Avec le Préambule de 1946, une réponse était apportée « aux régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine », en proclamant que « tout être humain, sans distinction de race, de religion, ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». De plus, est consacrée la texture laïque de l’enseignement public qui se trouvait ainsi séparé de la construction d’un État laïque. En outre, de l’affirmation de la qualité laïque de la République découle « les modes et méthodes de production du droit par les institutions de l’État »[176].

Selon C.-A. Durand-Prinborgne, « depuis 1946, il ne s’agit plus d’une laïcité limitée à l’enseignement public ou pénétrant peu à peu l’État tout entier, c’est la France qui est une République laïque… La consécration constitutionnelle exprime d’une certaine manière une volonté politique et elle est en même temps un constat d’apaisement des querelles passées. En 1958, l’affirmation est solennelle d’une conception française des relations de l’État et des Églises et, partant, de la place du premier et des secondes dans l’ordre politique national. Elle signe sans aucun doute une évolution achevée et admise »[177].

Aujourd’hui, la demande de constitutionnalisation de la loi de 1905 se pose toujours. Et elle est tout à fait logique de la part des défenseurs les plus fervents de la laïcité. En effet, la laïcité constitutionnelle ne saurait, selon eux, être confondue avec la seule exigence de la neutralité ou de l’impartialité de l’État. Pour eux la laïcité ne peut être comprise qu’en référence aux réalisations juridiques et politiques de la IIIe République.

Mais, c’est alors que surgissent questions et objections, compte tenu des multiples ambigüités de cette œuvre historique. La qualification de laïque donnée à la République incorpore-t-elle des principes législatifs et, si oui, lesquels ? On ne peut décemment évoquer les dispositions anticléricales et discriminatoires posées par des lois de la IIIe République et abandonnées, de droit ou de fait, avant 1939, notamment celles qui concernaient les congrégations.

Il ne serait pas très logique non plus, d’y rattacher toutes les lois de sécularisation inspirées, certes, par l’idéologie laïque mais qui ont progressivement été adoptées dans la plupart des États libéraux. Les lois laïques relatives à l’enseignement primaire voire secondaire ont la même origine et sont beaucoup plus spécifiques mais elles ont fait l’objet d’une référence particulière du Constituant dans le Préambule de 1946 : « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l’État ». Le seul texte susceptible de donner une consistance à la laïcité de la République serait donc la loi de 1905 considérée comme la « grande loi » laïque[178].

Tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant pour plusieurs raisons d’ordres différents. D’abord, parce que cette loi n’emploie nulle part le mot laïcité sous quelque forme que ce soit. Ensuite, parce que la plupart de ses dispositions avaient un caractère transitoire. Elles étaient destinées à assurer la mise en œuvre effective du principe de séparation et à permettre de transférer la propriété des biens cultuels vers les nouvelles associations cultuelles. Le refus de l’Église catholique de constituer de telles associations a eu pour conséquence une modification importante de la portée de la loi.

Parmi les dispositions toujours en vigueur certaines ne sont guère constitutionnalisables… à l’exception, selon une opinion largement dominante, des deux premiers articles regroupés dans le Titre premier : « Principes »[179].

Mais, c’est bien là, enfin, que réside la principale difficulté. Non seulement cette consécration constitutionnelle n’apporterait pas grand-chose à l’ordre juridique puisque les deux grands principes mentionnés à l’article 1er, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, ont d’ores et déjà acquis valeur constitutionnelle, mais elle risquerait, en outre, d’être inutile et dangereuse.

En effet, on ne voit pas quel intérêt il y aurait à constitutionnaliser la plus grande partie de l’article 2. Seule la première phrase pourrait faire l’objet d’une telle opération : « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Mais, il apparait hors de question que qui que ce soit veuille rétablir le régime des cultes « reconnus » ou « salariés ».

Quant au principe de non-subventionnement, il est globalement admis, à condition d’être interprété de façon souple et d’être assorti de quelques exceptions notamment celles relatives aux aumôneries ou aux « sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques »[180].

Une constitutionnalisation partielle de la loi de 1905 serait, selon la délimitation opérée, de nature à remettre plus ou moins en cause l’équilibre complexe qui découle tant des dispositions de la loi que de celles qui sont intervenues depuis. Dans cette même optique, il conviendrait aussi de ne pas oublier les très nombreuses interprétations juridictionnelles ou administratives apportées à la loi et qui ont toutes été de caractère libéral, conformément d’ailleurs à la volonté clairement exprimée par son rapporteur, Aristide Briand.

Ce dernier, commentant l’article 1er de la loi, avait expliqué : « Grace à l’article placé en vedette de la réforme, le juge saura dans quel esprit tous les autres ont été conçus et adoptés. Toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué dans le silence des textes ou dans le doute sur leur exacte application, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée législative[181].

On peut donc légitimement penser qu’en qualifiant la République de laïque, la Constitution de 1946 avait pris en considération non les seules dispositions textuelles et leurs modifications mais aussi les interprétations qui en avaient été progressivement données et qui sont quasiment incorporées à ce texte.

C’est ce droit complexe de la laïcité qui a constitué le fondement de ce nouveau « compromis laïc », et permis de réaliser un consensus renouvelé en 1958. On pouvait alors espérer que le débat était clos et tel parut être le cas au début de la Ve République, si l’on excepte celui qui accompagna le vote de la loi Debré du 31 décembre 1959[182].

C’est à partir de 1989, avec le port des insignes religieux à l’école publique, que l’on vit réapparaître des positions fortement divergentes sur la laïcité. Depuis cette époque les résurgences du débat sont récurrentes. Mais, à la différence de ce que l’on avait connu sous la IIIe République, le principe de laïcité ne suscite plus aucune opposition frontale. Il reste l’objet d’un consensus, voire de revendications allant de l’extrême gauche à l’extrême droite.

En revanche, il est de plus en plus l’objet d’interprétations et d’arrière-pensées, parfois très opposées, que le flou des définitions ne peut qu’alimenter. C’est dans ce contexte que M. François Hollande, candidat à la présidence de la République, avait présenté une proposition dont l’objectif était de « défendre et promouvoir la laïcité »[183].

Il convient de la rappeler telle qu’elle a été formulée : « Je proposerai d’inscrire les principes fondamentaux de la loi de 1905 sur la laïcité dans la Constitution en insérant à l’article 1er un deuxième alinéa ainsi rédigé : « La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle ».

D’un point de vue strictement juridique, les deux premières affirmations n’apportent rien de nouveau puisque la liberté de conscience et le libre exercice des cultes correspondent à des droits de valeur constitutionnelle existants. Quant au reste de la proposition, il serait beaucoup plus incongru dans l’article 1er de la Constitution.

D’abord parce que la notion de séparation des Églises et de l’État est au moins aussi imprécise que celle de laïcité. En fait, toutes les démocraties libérales pratiquent une certaine forme de séparation. Toute la difficulté provient de ce qu’il en existe presque autant de variantes que d’États : séparations souples ou rigides en passant par les intermédiaires au besoin assorties d’exceptions[184].

Il est vrai qu’il est ajouté par la suite que la République remplira ses obligations « conformément au titre premier de la loi de 1905 ». Il serait inhabituel que le Constituant opère ainsi un renvoi au titre d’une loi que le législateur ne se verrait pas interdire de modifier.

En l’occurrence les principes positifs et consensuels de l’article 1er seraient explicitement mentionnés dans le texte constitutionnel, tandis que ceux dont la portée est moins évidente seraient visés sans être explicités.

La formulation utilisée serait, cependant, dangereuse, car elle conférerait une valeur constitutionnelle implicite et une rigidité effective aux principes de l’article 2, alors que leur portée est assouplie par d’autres dispositions de la loi de 1905 et, plus encore, par les interprétations qui en ont été données.

Quant à la réserve prévue pour les règles particulières applicables en Alsace et Moselle, elle serait, dans la rédaction proposée, susceptible de s’appliquer à l’ensemble des principes précédemment énoncés, ce qui inclurait de façon étonnante la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Il est plus vraisemblable qu’elle était seulement destinée, selon son auteur, à limiter la signification de la séparation.

Mais, là encore, il serait original de constitutionnaliser indirectement le droit local dans un seul domaine, tout en introduisant un doute quant à la pérennité des règles spécifiques applicables dans plusieurs départements d’Outre-Mer. Seraient-elles implicitement abrogées faute d’avoir été mentionnées alors même que la Constitution reconnait dans son Titre XII que les lois et règlements « peuvent (y) faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » ?[185].

 La constitutionnalisation d’un tel texte serait source de multiples complications. C’est peut être pour cette raison que le Président de la République s’est, pour l’instant, abstenu de reprendre cette proposition du candidat[186].

 Indépendamment des aléas de la vie politique, la vie judicaire a conduit le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la portée du Titre premier de la loi de 1905. Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité, posée par des requérants faisant valoir que les dispositions de la loi du 18 germinal an X prévoyant qu’il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales méconnaissent le principe constitutionnel de laïcité, le Conseil les a déclarées conformes à la Constitution[187].

Le juge constitutionnel a, dans un premier temps, rappelé que la loi du 1 juin 1924 a « expressément maintenu en vigueur dans ces départements à titre provisoire l’ensemble de la législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses », puis, qu’aux termes de l’ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine dans les départements concernés, « la législation en vigueur… à la date du 16 juin 1940 est restée seule applicable et est provisoirement maintenue en vigueur ».

Il en résulte que la loi du 9 décembre 1905 n’y est toujours pas applicable et que les lois antérieures y demeurent en vigueur. Dans un deuxième temps, le Conseil a précisé la portée du principe de laïcité qui implique, entre autres, qu’aucun culte ne soit salarié par l’État.

Pourtant, affirme le Conseil, « … il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre 1946 relatifs à son article 1er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même disposition, qu’en proclamant que la France est une « République… laïque », la Constitution n’a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l’entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l’organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte ».

Il convient de distinguer les deux étapes du raisonnement. L’inapplicabilité de la loi de 1905 apparait incontestable puisqu’elle résulte de dispositions législatives ultérieures, certes provisoires, mais jamais contredites. L’inapplicabilité du principe de laïcité repose quant à elle sur un fondement apparemment plus fragile, celui fourni par les travaux préparatoires des Constitutions de 1946 puis de 1958, l’une et l’autre ayant été ratifiées par le peuple français dont il est impossible de savoir dans quelle mesure il acquiesçait aux travaux préparatoires.

Il subsistait d’ailleurs un doute quant à l’applicabilité du principe de laïcité en Alsace-Moselle. Des auteurs mais aussi le Conseil d’État s’en étaient fait l’écho[188]. Politiquement il était pourtant difficile d’imaginer une autre solution. Le juge constitutionnel pouvait-il déclarer non conformes à la Constitution des dispositions législatives explicitement maintenues en vigueur en 1944 et jamais remises en cause par les Parlements de la IVe, puis de la Ve République ? Le simple fait d’avoir qualifié la République de laïque pouvait difficilement être interprété comme ayant automatiquement pour effet d’entrainer l’application d’une loi qui n’emploie nulle part ce substantif…

En revanche, le Conseil constitutionnel a sans doute été imprudent lorsqu’il s’est aventuré à déterminer la portée du principe de laïcité. Après avoir cité l’article 10 de la Déclaration de 1789 puis l’article 1er de la Constitution, il ajoute en effet « que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnait aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ».

Cette formulation mérite de retenir l’attention car c’est la première fois que le Conseil constitutionnel procède à une définition du principe de laïcité et en détermine la portée. Or, la définition donnée est surprenante et contestable. En effet, la Constitution n’a pas véritablement énoncé un « principe de laïcité ». Elle a seulement qualifiée la République de laïque.

Il est difficile d’en déduire que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, puisque tel n’est pas le cas. Le Constituant a entendu garantir des droits et des libertés, notamment ceux que vise le Préambule et qui sont énoncés dans la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946 et, désormais, la Charte de l’environnement de 2004. Il n’y a pas inclus le principe de laïcité.

D’ailleurs, ce dernier est généralement considéré comme une garantie des droits et libertés et non comme un droit et une liberté. En revanche, la neutralité ou l’impartialité sont considérées comme synonymes et non comme des résultantes de la laïcité.

De même, lorsqu’il détermine la portée du principe, non seulement le Conseil mentionne la neutralité de l’État, mais il y ajoute que la République ne reconnait aucun culte et qu’elle n’en salarie aucun, en séparant ces deux exigences qui se trouvent à l’article 2 de la loi de 1905. Il ajoute encore que la République garantit le libre exercice des cultes ce que mentionne l’article 1er de la loi de 1905 tout en s’abstenant de rappeler qu’elle assure aussi, aux termes de ce même article, la liberté de conscience.

Enfin, il fait découler du principe de laïcité le respect de toutes les croyances et l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, toutes exigences énoncées dans l’article 1 de la Constitution qu’il venait de citer. Les divers principes mentionnés voient très logiquement reconnaître leur valeur constitutionnelle. On ne peut, au fond, qu’approuver la décision raisonnable et solidement fondée en droit.

On peut, en revanche, regretter que le Conseil constitutionnel, se prononçant pour la première fois sur un sujet aussi sensible et complexe que celui de la laïcité de la République, n’ait pas procédé à une formulation plus précise et rigoureuse, en énonçant plus distinctement le principe de laïcité et les principes complémentaires plutôt qu’en faisant découler ces derniers du premier voire en les y englobant. Il en résulte, en effet, que le principe de laïcité est un principe constitutionnel fondamental, mais… est inapplicable en Alsace-Moselle dans la mesure où le Constituant ne l’a pas voulu. Vérité en deçà de la ligne bleue des Vosges, erreur au-delà ? Cette affirmation est gênante dans une République une et indivisible…. Il aurait été préférable d’atteindre le même résultat, garantir le maintien d’un régime spécifique à l’Alsace-Moselle, en raisonnant autrement…

La définition et la portée du principe de laïcité auraient gagné à être énoncées le plus simplement possible à partir de la seule neutralité de l’État. Il ne revient pas au juge constitutionnel de préciser une notion lorsque, à deux reprises, le Constituant ne l’a pas fait lui-même. Ceci n’empêchait nullement de rappeler en tant que tels les autres principes mentionnés dans l’article 1er de la Constitution en tant que principes, peut-être voisins, mais distincts.

Quant à ceux, issus de la loi de 1905, il relevait de la compétence du Conseil de les ériger en principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en y ajoutant la liberté de conscience et en en retranchant le principe de non subventionnement tant il est vrai que la IIIe République lui a apporté beaucoup d’exceptions le contredisant.

Il aurait, au terme de ce raisonnement, été beaucoup plus satisfaisant d’admettre que la République française était laïque sur l’ensemble de son territoire mais que certains principes fondamentaux reconnus par les lois de la République avaient une portée variable de par la volonté même du législateur de la IIIe République. Dans ce cas, la variabilité du principe de laïcité ne serait plus apparue que comme l’une des manifestations des adaptations discrétionnaires qui caractérisent son interprétation.

 Chapitre II : La laïcité un modèle d’organisation politique pour un pouvoir autonome

La liberté religieuse ou la liberté de religion figure dans le texte constitutionnel. C’est un principe fondamental du droit des religions en France, à côté de l’égalité entre les croyances religieuses et la neutralité des autorités publiques vis-à-vis de ces croyances. La Constitution française reconnaît la liberté religieuse par le dévouement à la liberté d’opinion et de croyance dans le «bloc constitutionnel»[189]. Elle protège avec la même force les opinions et les croyances. En outre, le Conseil constitutionnel a qualifié la liberté de conscience de «principe fondamental reconnu par les lois de la République» dans sa décision de 1977, Liberté d’éducation et de conscience[190], qui inclut implicitement la liberté de religion. Croyance dans son 5e considérant, rappelant les exigences de l’article 10 de la DDHC en ce qui concerne le respect des croyances religieuses, en conformité avec l’ordre public, et le principe de non-discrimination dans l’emploi sur la base des croyances.

Ainsi, s’il est vrai que des distinctions doctrinales très pertinentes[191] sont faites entre la liberté d’opinion, la liberté de conscience, la liberté de culte et la liberté de religion, celle-ci ne peut s’exercer sans la première. Par conséquent, il est possible de conclure que la garantie constitutionnelle de la liberté religieuse est caractérisée par trois caractéristiques[192]: une dimension collective, l’inclusivité[193] et l’extériorisation de la conviction dans l’exercice religieux.

Cette codification constitutionnelle reconnaît en effet la dimension individuelle, correspondant à la liberté de conscience et d’opinion religieuse, et la dimension collective, intégrant le droit à la liberté de culte, la liberté de religion, qui comprend l’organisation des églises ou communautés religieuses et toutes formes du discours religieux organisé.

Tenant compte, d’une part, de la liberté du forum internum, c’est-à-dire de la liberté de rejoindre une religion ou de ne pas adopter une religion, ou de la liberté de changer de religion par conversion, et d’autre part de la liberté extérieure (forum externum) pour exprimer ses croyances religieuses, y compris les manifestations collectives de la religion dans la sphère publique. Une telle expression ne peut évidemment pas interférer avec les droits d’autrui, comme l’exige l’article 4 de la DDHC, qui a une valeur constitutionnelle, selon lequel “la liberté est de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: l’exercice des droits chaque homme n’a de limites que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces limites ne peuvent être déterminées que par la loi. » Par exemple, la liberté de porter des symboles religieux doit être conciliée avec la neutralité de l’espace éducatif. En outre, le prosélytisme agressif est interdit car il est susceptible de porter atteinte à la liberté de chacun de croire ou de ne pas croire.

Enfin, d’autres libertés reconnues par la Constitution donnent effet à la liberté religieuse. Il y a la liberté de parole[194], sans laquelle il serait impossible d’exprimer des opinions religieuses; la liberté de réunion[195] permet de se réunir en public ou en privé sur des questions religieuses; la liberté d’association[196] est indispensable à la constitution de groupes religieux; la liberté d’expression rend possible, par exemple, les processions religieuses. Ces libertés fondamentales connexes permettent à tous d’exprimer leurs opinions, y compris religieuses, sur tout ce qui intéresse le débat public.

Section I : La laïcité, comme légitimation du pouvoir politique

Depuis la Révolution française, les références à Dieu ou à la Divine Providence sont plus que rares. Il reste, dans le préambule de la DDHC 1789, l’évocation de «l’Être suprême» sous les auspices duquel l’Assemblée nationale, en tant qu’auteur du texte, se réunit. Cette référence est incluse dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de la Constitution non appliquée du 24 juin 1793. La Déclaration fait partie du bloc constitutionnel de la Cinquième République aujourd’hui, mais cette référence à l’Être Suprême n’a jamais été utilisée ou mentionné dans tout débat constitutionnel sur les implications possibles de sa présence dans le texte.

Paragraphe 1 : la laïcité source du pouvoir politique

Si la Constitution de 1958 n’établit pas un système constitutionnel pour les églises, elle proclame l’égalité[197] de tous les citoyens, indépendamment de leur religion, et le respect de toutes les croyances, comme en témoignent les deux premiers articles. L’article 2 énonce les principes fondamentaux de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, indépendamment de leur religion et du respect par l’État de toutes les religions, assurant ainsi le pluralisme religieux au moins en assumant une pluralité de religions. Cette conception peut établir une doctrine de laïcité-neutralité ouverte ou positive[198], soutenue par le président Nicolas Sarkozy lors de sa visite au Latran en 2007[199]. Cela offre une opportunité favorable à l’État et aux confessions religieuses de travailler ensemble pour promouvoir le bien commun de société, puisque cette collaboration respecte l’autonomie et les sphères d’action des religions[200], sans le principe de coopération, étant expressément incluse dans les textes constitutionnels. Un tel «régime concordataire» qui subsiste en Alsace-Moselle illustre, dans la pratique et à l’extrême, ce type de collaboration.

Le principe d’égalité implique qu’aucune religion n’a de statut public particulier. Les religions sont en principe des entreprises privées, soumises en tant que telles au droit privé. Si l’égalité exige, selon le Conseil constitutionnel, «qu’à des situations similaires, des solutions similaires soient appliquées, il ne s’ensuit pas que des situations différentes ne peuvent pas appeler des solutions différentes.»[201]

Le pluralisme ne peut être conçu comme un groupe religieux et religieux soumis à un régime juridique non discriminatoire. Le principe d’égalité ne signifie donc pas que le même traitement devrait être appliqué à toutes les religions. En effet, certaines qualifications à l’égalité peuvent être justifiées par des nécessités d’intérêt général, ou à rétablir la pleine égalité lorsque l’application uniforme de la même règle aboutirait à une discrimination de facto, ou à tenir compte de certains contextes particuliers.

Ce dernier cas est illustré par l’inégalité juridique qui existe entre le régime concordat d’Alsace-Moselle, la situation dans le reste de la métropole et la loi locale des DOM-TOM (Départements et Territoires d’Outre-Mer)[202].

Le principe de neutralité des pouvoirs publics à l’égard des croyances religieuses signifie qu’il n’existe en France ni religion d’État, ni religion dominante officiellement reconnue ou qualifiée. Ce principe découle de l’article 1 de la Constitution et implique un Etat non confessionnel qui n’a pas compétence pour définir le contenu des croyances ou intervenir dans l’organisation interne des organisations religieuses mais qui a parfaitement le droit, dans l’intérêt de l’organisation sociale, de réglementer l’activité religieuse dans la mesure où la politique publique l’exige, par exemple à travers la police religieuse. Cette neutralité s’applique aux services publics, à leurs agents, ainsi qu’à l’éducation publique. En effet, le Conseil constitutionnel a identifié le principe de neutralité du service public[203] qui interdit de fournir ce service d’une manière qui différencie, sur la base de convictions politiques ou religieuses, tant pour le personnel administratif que pour les utilisateurs du service.

     I.         La liberté de conscience fonde en légitimité l’autorité du pouvoir politique

Depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la liberté de conscience et de religion est un droit fondamental. Ainsi, l’art. 10 de la Déclaration énonce : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». De même, la loi du 9 déc. 1905, relative à la séparation des Eglises et de l’Etat, affirme, en son art. 1er : « La République assure la liberté de conscience ».

Le Préambule de la Constitution de 1946 proclame que : « Tout être humain, sans discrimination de race, de religion, ou de croyance, possède des droits inaliénables ». Enfin, la Constitution de la Ve République, dans son art. 2, dispose : « La France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Les questions religieuses concernent surtout le droit civil. En effet, le droit civil a toujours vu, dans la liberté de conscience et de religion, un attribut essentiel des droits de la personnalité, un de ces droits qu’il range parmi les « droits primordiaux » ; un auteur avait même vu dans la religion un élément de l’état des personnes[204].

La conscience est une réalité existentielle déterminante de l’homme, dont le sens ne peut être vu qu’à travers un effort interdisciplinaire incessant de pensée et de connaissance. Dans cette étude, nous visons à faire une telle analyse de la conscience comme fondement ontologique et caractéristique de l’homme, dans sa dimension individuelle et sociale, dont la base est composée d’idées philosophiques, théologiques et juridiques, de concepts et de théories. La liberté de conscience est la caractéristique principale des manifestations de l’homme en tant que personne dans l’environnement spécifique de son existence. Du point de vue juridique, la liberté de conscience est un droit fondamental complexe qui demande un vaste système législatif pour l’établir et le garantir.

La conscience est l’essence et la particularité de l’homme par rapport à la nature, à la société, mais aussi à son être propre et, en particulier, à l’Être suprême. Père Arsenie Boca a parlé de la conscience comme « une voix calme et un appel en douceur » de l’homme peut reconstruire comme des êtres spirituels pour trouver leur structure authentique au-delà de l’incertitude et des passions existentielles, en un mot pour récupérer la liberté authentique , spirituelle pour l’amour infini et indéfini de Dieu et des hommes.

Le Bienheureux Augustin a aussi dit que « en nous est quelque chose de plus profond que nous », se référant aussi à la conscience de l’homme, en particulier à la conscience de soi. Il est important de souligner qu’avant d’être transposée en normes juridiques, la conscience est une dimension naturelle par laquelle l’homme devient ce qui est et est catégoriquement différencié de toute autre forme existentielle.

Ainsi, la réalité naturelle dans ses manifestations existentielles est transformée selon la loi de causalité, comme le dit Kant. En revanche, l’homme à travers sa conscience et dans sa forme suprême, la conscience de soi ne change pas, mais devient selon les lois de la liberté, selon le même grand philosophe. C’est ainsi que nous pouvons comprendre les pensées du Père Teofil Parayan: l’homme devient ce qu’il est, c’est-à-dire, la découverte et la réalisation de la conscience de soi.

L’homme est le seul être que les facultés de la raison peuvent permettre de réfléchir sur l’existence et sur ses propres pensées, en d’autres termes ont la capacité de réfléchir et de remettre en question, lui-même et le monde extérieur, cherchant des réponses et, si possible, des certitudes. Les réflexions sur la pensée donnent des significations existentielles à travers lesquelles l’homme conçoit et parfois se définit lui-même, reconnaît et affirme sa place dans le monde et dans l’univers. Essayez de dire que la réflexion sur la pensée, tourner la pensée sur elle-même, ou comme ils disent philosophes rationalistes « pensée qui se pense » est plus que la philosophie de la méditation ou une construction simple logique, parce que la réflexion est pas de pure forme, mais un existentiel.

La pensée de soi ne concerne pas seulement la raison mais aussi l’existence ou l’être en tant que tel. C’est la conscience, en tant que particularité ontologique de l’être, fondée sur la capacité réflexive de la raison. La conscience peut dire que ma propre existence en tant qu’être rationnel, à travers le « Je suis », non pas tant par l’incertitude existentielle que dire Descartes ou certitudes raison formelle, mais par le sentiment de compassion, rationnel, que je révélerai soi et un sens consultai la réflexion sur le soi, le monde et l’univers.

La conscience est l’être humain, la différenciant de toute autre forme existentielle par laquelle l’homme est compris dans son individualité, mais aussi par appartenance à l’ensemble de l’humanité. La conscience est le résultat de la relation de l’homme, à travers les facultés rationnelles, et de la compréhension avec lui-même, avec la nature, avec la société, mais aussi avec l’Être suprême.

Les significations existentielles ne se trouvent pas dans la connaissance simple, mais dans les faits de conscience qui en représentent le contenu. La conscience n’est pas un but existentiel, mais c’est toujours la conscience de «quelque chose» ou de «quelque chose». Les déterminations de contenu génèrent deux formes ou dimensions: la conscience de soi et la conscience de soi.

En général, la pensée philosophique et psychologique a souligné que l’UE-auto est plus grand que lui, intègre et est plus que moi, « Et qui a brisé le cercle de soi-même, est encore capable de se dilater comme étant l’horizon mouvant dans lequel vous adorez dans l’abîme »[205]. Carl Gustav Jung, « soi » fait référence à une entité qui remplace le jusque-là désigné par le concept de « I », mais plutôt l’inclure dans sa sphère comme supra-concept.

Selon le grand psychologue, «je» signifie le facteur complexe auquel se rapportent tous les contenus de la conscience. C’est le centre du champ de conscience, et dans la mesure où il inclut la personnalité empirique dans sa sphère, il est le sujet de tous les actes personnels du conscient. « Rapporter le contenu psychique à l’UE est le critère de la conscience car aucun contenu n’est conscient à moins d’être représenté sur un sujet »[206]. Nous notons que la pensée philosophique et psychologique commune, compréhension de la conscience l’idée du sujet et, disons-nous, de par l’idée d’une personne donnée à l’homme. Pour Jung, bien que je m’appuie sur tout le «champ de conscience», ce n’est pas ce champ, mais seulement le point de référence délimité par le facteur somatique et psychologique. “Je” n’obtient qu’une image de la personnalité, mais la personnalité totale est beaucoup plus complexe. “Soi” est pour moi “un objectif” que la liberté de volonté du “moi” dans le champ de la conscience ne peut pas le changer.

Et l’auteur d’ajouter : « C’est pourquoi nous avons proposé de nous appeler, la personnalité totale qui, bien que pas tout à fait perceptible, est toujours présente. Il est, par définition, subordonné au soi et s’y rapporte comme faisant partie de l’ensemble »[207].

Pour Constantin Noica, la compréhension de la relation entre lui-même et « je » doit être effectué sur trois niveaux: 1) la compréhension de soi dans la passivité de soi, « une conscience plus profonde de celui-ci », on peut comprendre le soi à soi est un archétype; 2) le soi peut être l’expression active du soi: idéalement, conscience éthique, liberté. Ici le moi est un modèle de l’ego; 3)

Le soi, en tant qu’expression de la lucidité du soi, est déterminé par “la liberté qui a appris sa nécessité”. Sous le terme lucidité se trouve la conscience, à savoir le champ de la conscience, comme l’appelle Jung[208]. Pour Constantin Noica, le “je” est dans un processus dialectique d’auto-levage.

Dans cette évolution, l’homme et sa création sont l’expression de la liberté du soi supérieur qui représente l’être. C’est pourquoi le devenir est compris par Noica comme orienté vers l’être, par une transition progressive de moi vers un moi profond.

Dans ces brèves réflexions philosophiques, il peut tenir que la philosophie et la psychologie met en évidence la complexité de la conscience comme dimension ontologique fondamentale humaine. Cette complexité et profondeur de contenu n’excluent pas, mais au contraire, supposent une unité de conscience fondée sur l’unité de l’être. La conscience, qui ne l’homme comme un être rationnel possédé est cohérente, mais se manifeste sous deux formes: l’ego de conscience dont le contenu est le phénomène de l’homme existentiel comme finie dans la nature et de la société, sous réserve de matériel déterminisme et temporairement et la précarité de l’existence, et d’autre part, propre homme auto-conscience de se connaître et le vrai sens de l’existence au-delà de la finitude et le déterminisme naturel et transfigure par cette connaissance et de la conscience, être et devenir ce que est par nature, personne et personnalité spirituelle et en tant que telle librement.

Très peu d’hommes restent un homme simple enveloppé par les lois de la nature et de la société, que ce soit par la volonté, la foi et la culture ne dépasse pas les limites de l’ego et ne révèle pas sa véritable signification dans l’Etre suprême et la vie éternelle, pour atteindre la conscience de soi inépuisable dans ses profondeurs. La transition de la conscience de l’ego à la conscience de soi devient essentiellement personne humaine à une personne spirituelle est libre, ce qui est la relation infinie et indéfinie d’amour avec Dieu, les gens et cultivés. Et les concepts philosophiques telle différence se situe entre l’homme comme des êtres finis, d’autre part, la personnalité humaine définie par la liberté.

Il est remarquable que le droit a plus ou moins développées les valeurs fondamentales théologiques et philosophiques de la compréhension de l’homme comme personne dans son existence sociale en ce qu’il a déclaré que l’argument constamment le titulaire des droits fondamentaux ne peut être l’individualité de l’homme, nous dirions en tant que personne et non en tant qu’individu, mais pas en tant que groupe, communauté ou société en tant que telle.

Bien sûr, parce que le statut juridique de l’homme est l’existence en dehors de l’environnement social et naturel, le titulaire d’un droit fondamental peut être exercé, si l’on considère le statut juridique de son environnement social dans lequel ils se trouvent. Ainsi, toute liberté individuelle est aussi sociale à travers l’existence juridique de l’homme dans son extériorité sociale. Il convient également d’ajouter que la liberté de conscience fait partie des « droits naturels » de l’homme, existants, selon certains auteurs, consécrations en matière constitutionnelle ou autrement.

Ce droit fondamental est mentionné et reconnu dans la plupart des déclarations et traités internationaux relatifs aux droits et aux libertés fondamentales, à commencer par la Déclaration universelle de 1948 sous-tend les autres droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté de la presse. Au cœur de c’est une loi naturelle qui prévoit l’individu d’être en mesure d’exprimer en privé ou en public une certaine conception du monde, d’avoir ou non une religion, d’appartenir ou non un religieux ou une organisation tout type, reconnu par l’ordre constitutionnel existant à un moment donné. Exprimant en même temps et la liberté de penser, d’avoir des opinions, des concepts théoriques, des sentiments, des opinions exprimées publique, ou non privée, personne ne peut interférer ni la censure, ou savoir, sans la volonté de la personne, ces pensées. C’est un droit naturel, parce que l’homme se distingue des autres formes de vie précisément par l’existence de la conscience et la liberté de penser, d’avoir des sentiments.

La conscience de l’homme ne doit pas être dirigée par des moyens administratifs, mais doit être le résultat de sa liberté de penser et d’exposer son esprit. La liberté de conscience implique à la fois la responsabilité morale et consciente des pensées exprimées. La responsabilité, y compris l’acte juridique que lorsque la pensée ou opinion exprimée, qui peut porter atteinte à la dignité, l’honneur ou à la liberté de pensée d’un autre sujet de droit ou de l’ordre social ou règle de droit, de sorte que la liberté de conscience est en rapport étroit avec la liberté d’expression, cette dernière représentant la possibilité même pour l’homme d’exposer ses pensées. Par conséquent, la liberté de conscience a un contenu complexe, dont le contenu juridique est exprimé en trois dimensions: la liberté de pensée, la liberté de conscience et la liberté de religion.

La liberté de religion comme une teneur en matière de liberté de conscience signifie extériorisation de la foi, la religion et, d’autre part, la liberté d’adhérer à une organisation religieuse et le rituel. L’organisation religieuse ou religieuse doit être connue par la loi de l’État et l’activité d’un culte religieux particulier ne doit pas être considérée comme contraire à la primauté du droit ou aux bonnes mœurs. L’organisation des cultes religieux, reconnue par l’Etat, est libre et incarne ses propres statuts.

   II.          La liberté de conscience comme base fondamentale des instruments protecteurs des droits

Au fil du temps, les relations entre l’État et l’autorité religieuse peuvent être classées de trois façons: 1. l’État est confondu avec l’autorité religieuse; 2. l’État soutient l’autorité religieuse, mais s’en distingue; l’état adopte une position d’indifférence à l’autorité religieuse. La Constitution de la Roumanie consacre la séparation de l’Etat de l’autorité, mais oblige l’autorité de l’Etat à soutenir les cultes reconnus par la loi, y compris par des moyens financiers. Elle proclame également l’autonomie religieuse dans le sens où chaque religion est libre d’organiser comme rituel, l’éducation, les relations avec les adeptes de sectes, les relations avec l’Etat. L’autonomie religieuse ne doit s’exercer que dans les conditions du respect des droits de l’homme, de la morale publique et de la primauté du droit de la Constitution se réfère également aux relations entre les religions, selon les principes suivants: l’égalité entre les croyants et les non-croyants; exige la culture d’un climat de tolérance et de respect mutuel; toute forme, tout moyen ou acte de négation religieuse est interdit. Doctrine de spécialité[209] révèle des aspects intéressants sur le contenu juridique de la liberté de conscience, parfois appelée liberté de pensée.

Ainsi, une dimension importante du contenu juridique est le «droit d’avoir une conviction». Ceci est un droit général protège le forum intérieur, à savoir la conviction personnelle et les croyances religieuses. Il est important de noter que, légalement, le droit d’avoir une condamnation ne peut être soumis à des restrictions, des limitations ou exceptions de conditionnement. Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg a révélé que la liberté religieuse est « l’un des éléments essentiels qui contribuent à l’identité des croyants et de leur conception de la vie » – arrêt du 20 Septembre 1994, A.295 – Signification dans un sens large par la Cour européenne, cette loi au profit des croyants et des athées « agnostiques, les sceptiques et les neutres ».

Selon la Cour de Strasbourg, la «conviction» – un terme utilisé par les instruments juridiques internationaux – se distingue des simples «opinions et idées» et désigne «des opinions qui atteignent un certain degré d’intensité, de sérieux, de cohérence et d’importance». Février 1982, A.48.

Mettre l’accent sur une indication intéressante de la Cour à cet égard: une foi qui est essentiellement ou exclusivement dans la culture et la distribution d’un médicament ne peut pas entrer dans le champ de la protection juridique donne à la Convention européenne des droits de l’homme.

Le droit d’avoir des convictions concernent donc le fait de pratiquer des convictions spirituelles ou philosophiques qui ont une valeur, identifiable et donc être soumis à la protection juridique. Avoir une croyance implique la neutralité de l’État vers croyances morales et politiques. Cette obligation de neutralité exclut toute appréciation par les autorités de l’État de la légitimité des croyances ainsi que des façons de les exprimer. Ainsi, le droit d’avoir une condamnation a un triple aspect juridique. Il est, d’abord, la liberté de toute personne à avoir ou d’adopter une croyance ou la religion à sa seule discrétion, sans impliquer la liberté de refuser la validité des dispositions légales obligatoires, en se fondant sur les objections découlant de certains croyances religieuses.

Un deuxième aspect concerne la liberté de n’avoir aucune conviction ou croyance religieuse. Ainsi, d’un point de vue juridique, l’individu est protégé contre «une éventuelle obligation de participer directement à des activités religieuses contre son gré»[210].

Enfin, le droit d’avoir une condamnation exprime la garantie légale de la liberté des individus de changer de conviction ou de religion sans subir aucune contrainte ou préjudice. Dans cet esprit, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 25 Novembre 1981, la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la croyance religieuse ou de conviction, document international qui interdit « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur croyance religieuse ou conviction. “

Un aspect est “le droit de l’homme à manifester ses convictions”. Ce droit implique la liberté de toute personne de manifester ses propres croyances, individuellement ou collectivement, publiquement ou en privé. La loi a un lien avec la liberté de parole et se réfère en particulier à la manifestation des croyances religieuses. Il est intéressant de noter que, selon la Cour européenne, la liberté de manifester sa religion comprend également le «droit d’essayer de persuader son prochain».

Expression sociale de la liberté de pensée, de conscience et de religion, avec des conséquences très différentes, la liberté de manifester ses croyances peuvent être soumis à des restrictions en vertu de la loi. La jurisprudence européenne fournit de nombreux exemples de restrictions sur le droit des individus d’exprimer leurs croyances justifiées par la protection de l’ordre public, la primauté du droit ou de l’ordre moral, ou la santé.

Comme il est indiqué dans un arrêt rendu le 25 mai 1993, la Cour européenne a jugé que: « Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein de la même population, ce qui limite le droit des individus d’exprimer leurs croyances peuvent être nécessaires pour concilier les intérêts des différents groupes et assurer le respect des convictions de chacun. “.

 « Politique publique » clause dans ces situations permettent la liberté de pensée, de conscience et de religion et condamne les autres prosélytisme « de mauvaise qualité », caractérisé par une pression excessive qui prennent la forme de harcèlement ou d’abus de pouvoir. Dans la même veine, la protection du droit de l’enfant à l’éducation, où le conflit avec le droit des parents à respecter leurs convictions religieuses, prévaloir sur celui-ci.

La liberté individuelle de manifester sa religion inclut la participation à la vie communautaire et religieuse signifie que ce dernier « peut travailler en paix, sans l’intervention de l’arbitrage de l’Etat »[211]. Il est du devoir de l’Etat de garantir non seulement le pluralisme religieux mais aussi le pluralisme interne d’une certaine confession religieuse; A cette fin, il ne doit pas arbitrer les conflits dogmatiques au sein d’une communauté religieuse et ne pas intervenir en faveur d’une communauté ou d’une religion.

Paragraphe 2 : le respect des libertés fondamentales aspect principal de la démocratie comme de la laïcité

Comme on le sait, la Convention européenne des droits de l’homme a été rédigée et adoptée le 4 novembre 1950, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et est entrée en vigueur en septembre 1953. Elle vient de célébrer son soixantième anniversaire[212]. Aujourd’hui, elle a ratifiée par quarante-sept États parties, elle est devenue la charte fondamentale (magna carta) de la «maison commune Europe». En ce qui concerne les éléments clés de la Convention, son préambule est hautement significatif. Il trace les contours d’un ordre public européen. Les droits et libertés garantis par la Convention «sont la base de la justice et de la paix dans le monde» et sont le mieux maintenus «par une démocratie politique efficace»[213] . La société démocratique est le point central des droits de l’homme. Droits de l’homme dans lesquels la Convention agit en tant que loi fondamentale. La démocratie est la valeur centrale de l’ordre public européen. Ce serait une erreur de voir le préambule comme purement rhétorique. En interprétant et en appliquant la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme s’appuie fortement sur ces principes non seulement comme source d’inspiration, mais aussi comme base de son action.

Il existe trois dispositions clés de la Convention européenne des droits de l’homme qui traitent de la religion. L’article 9 fournit le cadre de base de la liberté de religion. L’article 14 garantit que les droits reconnus par la Convention doivent être exempts de toute discrimination. L’article 2 du premier Protocole additionnel à la Convention donne aux parents le droit de réglementer l’éducation religieuse de leurs enfants. Si le premier et le plus central est l’article 9, les deux autres gagnent en importance, en particulier l’article 14[214].

En effet, la «nouvelle» Cour européenne des droits de l’homme créée en 1998 a reçu un nombre croissant de requêtes concernant la liberté de religion. Comme observé par Clare Ovey et Robin C.A. White, «[l] ‘augmentation des demandes est apparemment attribuable à des facteurs tels que l’expansion du Conseil de l’Europe vers l’Est, l’importance contemporaine de la religion sur la scène politique mondiale et la démographie religieuse changeante de l’Europe.

La liberté de religion est une partie des droits fondamentaux. En effet, cette liberté entraîne plusieurs autres libertés sans lesquelles elle ne pourrait s’exercer (voir supra).

Comme dans de nombreux traités internationaux, la section 1 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit à tous (chacun) le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion5. Comme l’a souligné Malcolm Evans, la liberté de religion En résumé, ce droit comprend la liberté de changer de religion et de conviction, seul ou en communauté, en public ou en privé, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction par le culte, l’enseignement, la pratique et l’observance. Mais seul le dernier peut être soumis à l’article 9 section 2 aux limitations (interférences) prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité publique et pour la protection de l’ordre public, de la santé, de la morale et des droits et libertés d’autres[215]. Comme nous le voyons, il existe une ligne de démarcation substantielle entre la liberté de religion (conviction interne, sphère interne) et la liberté de manifester sa religion dans la sphère publique (l’expression de cette conviction).

Enfin, comme Renáta Uitz l’observe à juste titre, contrairement à d’autres droits civils et politiques, la liberté de religion a un caractère individuel et collectif[216]. Les libertés garanties sont étroitement liées à la liberté d’expression (article 10 de la Convention) et à la liberté d’association (article 11) puisque de nombreux systèmes religieux et de croyance s’attendent à une certaine forme de culte ou d’association communautaire.

Dans ce contexte, la Cour a été appelée à examiner la portée et le contenu de l’article 9 dans des affaires très diverses, portant sur des sujets aussi divers que le prosélytisme, l’octroi de l’enregistrement des organismes religieux, le refus des autorisations pour les lieux de culte, interdiction de porter des vêtements ou symboles religieux dans les lieux publics et objection de conscience. Dans sa jurisprudence, la Cour a réaffirmé l’importance centrale des croyances religieuses et philosophiques dans la société européenne.

Avant d’examiner certains de ces éléments, revenons aux «fondamentaux» (fondamentaux). En 1993, dans son premier arrêt sur l’article 9, la Cour a établi le principe: “la liberté de pensée, de conscience et de religion est l’un des fondements d’une” société démocratique “au sens de la Convention. C’est, dans sa dimension religieuse, l’un des éléments les plus vitaux qui composent l’identité des croyants et leur conception de la vie, mais c’est aussi un atout précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques et les insouciants. Le pluralisme indissociable d’une société démocratique, qui a été chèrement acquise au cours des siècles, en dépend. »[217]

L’article 9 protège à la fois les croyances religieuses et non religieuses. Cette liberté implique, entre autres, la liberté de détenir ou de ne pas détenir des croyances religieuses et de pratiquer ou non la religion.

Le pluralisme transcende évidemment, ou implicitement, toute la jurisprudence de l’article 9[218]. Ainsi, le pluralisme, et surtout son application pratique, est perçu à la fois par rapport à la dimension collective de la liberté de religion et à son aspect individuel. En fait, l’idée de pluralisme se retrouve dans toute la Convention et constitue l’un de ses principes d’interprétation. Comme souligné dans l’arrêt Gorzelik et autres c. Pologne du 17 février 2004, «le pluralisme repose également sur la reconnaissance et le respect véritables de la diversité et de la dynamique des traditions culturelles, identités ethniques et culturelles, croyances religieuses, artistiques, idées et concepts littéraires et socio-économiques. L’interaction harmonieuse des personnes et des groupes aux identités variées est essentielle à la réalisation de la cohésion sociale. »[219].

Que veut dire la Cour par religion et par conviction? La protection de l’article 9 s’étend à un large éventail de convictions et de philosophies, et ne se limite pas aux croyances religieuses. Cependant, la Cour n’a pas proposé de définition de la religion ou des convictions; elle a simplement dit que toutes les opinions ou convictions ne constituent pas des croyances au sens de l’article 9, section 1. En réalité, pour que l’article s’applique, une conviction doit «atteindre un certain niveau de force, de sérieux, de cohésion et d’importance[220]» et être aussi compatible avec la dignité humaine et la démocratie. La même position est adoptée par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques13. Cela signifie que de simples idées ou opinions ne constitueront pas une croyance. La ligne est difficile à tracer puisque la croyance est, bien sûr, intrinsèquement subjective.

Certains peuvent reprocher à la Cour de ne pas avoir interprété l’article 9 de manière à réaliser son plein potentiel en ne s’engageant pas dans ce que l’on entend par «religion». Mais, comme l’a observé Nicolas Bratza, il est difficile de définir qui est assez souple pour embrasser l’immense éventail des religions du monde mais, en même temps, suffisamment précis pour être applicable dans la pratique. Cette large protection a permis à la Cour de faire en sorte que la disposition ne s’applique pas seulement aux traditions et aux religions traditionnelles établies s (hindouisme, christianisme, islam, judaïsme, budhisme, sikkhisme), mais aussi à d’autres formes de mouvements religieux, y compris le druidisme et la scientologie, ainsi qu’à un large éventail de croyances philosophiques (pacifisme, athéisme, etc.).

Il y a eu controverse quant à savoir si un ensemble particulier de croyances se qualifiait comme une religion, la Cour a plus récemment pris la vision prudente qu’il n’est pas de sa tâche de statuer dans l’abstrait sur ces questions; en l’absence d’un consensus européen, il a déclaré qu’il se tournerait vers le système national pour la nature de la classification. En tout état de cause, il ne peut pas être crucial, car même s’il ne s’agit pas d’une religion, un système de conscience consciencieuse croyances ou pensées pourraient encore tomber sous l’article 9.

La dimension interne, le forum internum, a été décrite par l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme comme «largement exercée dans le cœur et l’esprit d’un individu»[221]. Ce qui est important, c’est que cet aspect interne du droit est absolu – pas de limitation, pas de restriction, pas d’interférence ou de contrôle par l’Etat. Cette disposition interdit donc la persécution d’une personne en raison de sa religion. À cet égard, un arrêt très important de la Cour est l’affaire ME c. France du 6 juin 2013[222]. La Cour était appelée à décider si l’expulsion d’un copte chrétien en Égypte l’exposerait à un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Et la réponse de la Cour, pour la première fois, était oui.

Ce jugement envoie aujourd’hui un message fort à tous les Etats européens confrontés à l’expulsion d’un membre d’une communauté religieuse en danger et confrontés, dans les affaires de demandeurs d’asile, à l’évaluation du risque de persécutions religieuses. Néanmoins, le fait même que quelqu’un appartient à une telle communauté ne suffit pas; le risque de persécution dans le cas individuel, en l’espèce, doit être établi à titre personnel. Maintenant, ce qui reste à décider par la Cour est le sens exact ou précis des «persécutions religieuses».

Mais l’article 9 interdit également l’utilisation de menaces ou de sanctions physiques pour contraindre une personne à nier, adhérer ou changer de religion ou de religion croyance. Il interdit également toute forme de coercition suffisamment forte pour constituer un endoctrinement par l’État. Cette dimension interne a été appelée à aller plus loin et à inclure une garantie contre l’exigence de manifester ou de divulguer la nature de sa religion.

Dans l’affaire Sinan Isik c. Turquie du 2 février 2010, le requérant se plaignait de la référence à la religion dans sa carte d’identité, un document public fréquemment utilisé dans la vie quotidienne. De l’avis de la Cour, ne répondait pas à la plainte selon laquelle la place réservée à la religion dans les cartes d’identité pouvait être laissée en blanc, car les personnes avec des cartes d’identité ne contenant pas d’informations sur la religion seraient distinguées de leurs souhaits et sur la base de l’ingérence des autorités publiques contenait une telle entrée. La Cour a jugé qu’une demande visant à ne pas inclure de telles informations était étroitement liée aux convictions les plus profondes et les plus intimes d’un individu[223].

Récemment, la Cour a dû trancher une affaire très sensible concernant la relation entre la liberté de religion et la discrimination , même si la plainte pour discrimination du requérant fondée sur la religion a été examinée au regard des articles 14 et 8 de la Convention. Comme l’a souligné à juste titre Lourdes Peroni, «après avoir écarté la doctrine de la« liberté de démission » dans l’arrêt Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013, la Cour vient de faire un autre pas vers une plus grande reconnaissance de la liberté de religion.

Dans l’arrêt Vojnity c. Hongrie du 12 février 2013, la Cour reconnaît clairement la religion comme motif de différenciation «suspect». En conséquence – et comme les distinctions fondées sur la race, le sexe et l’orientation sexuelle – les États doivent donner des «raisons très importantes» s’ils veulent justifier des différences fondées sur la religion. »[224].

En l’espèce, les convictions religieuses du requérant ont été décisives dans la suppression de ses droits d’accès à ses enfants. Ensuite – et après avoir affirmé que seules des «raisons très importantes» pouvaient justifier une différence de traitement fondée sur la religion – la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de raison en l’espèce et a conclu que le requérant avait été victime de discrimination fondée sur sa croyance religieuse Dans le droit au respect de la vie familiale[225]. À notre avis, la démarche est certainement positive. Il est difficile de nier que la religion a historiquement fonctionné comme une catégorie de discrimination et de persécution, et il est donc logique d’appliquer un examen plus approfondi aux différences fondées sur ce motif.25 Passons maintenant à la dimension externe de la liberté de religion, la distinction entre la tenue d’une religion et sa manifestation est difficile. En fait, la Cour établit une distinction entre un acte ou une pratique qui manifestait une religion et celui qui est simplement motivé par une religion.

Néanmoins, l’approche pourrait rapprocher dangereusement la Cour de la question de savoir si une pratique particulière est formellement requise par une religion – une tâche que les juges ne peuvent pas décider compte tenu des questions théologiques pertinentes. La Cour a été confrontée à différents aspects de la manifestation liberté religieuse: fêtes religieuses, 26 massacres rituels, 27 refus d’accomplir des tâches, 28 symboles religieux au travail, 29 à l’école[226], et en public[227].

L’arrêt Ahmet Arslan et autres c. Turquie du 23 février 2010 concernait la condamnation pénale ( et une peine d’emprisonnement de deux à trois mois, commuée en amende) de membres d’un groupe religieux pour leur tenue vestimentaire (turban, tunique noire et bâton) dans les lieux publics (d’abord devant une mosquée d’Ankara, puis dans les rues de ville), en vertu d’une loi de 1935 interdisant le port de vêtements religieux, sauf dans les lieux de culte et les cérémonies religieuses[228].

La Cour a conclu à la violation de l’article 9 de la Convention. C’est le premier jugement concernant le port de vêtements religieux dans l’espace public. Ce jugement est pour moi très important car l’intolérance religieuse est une réalité quotidienne en Europe. Comment les religions minoritaires peuvent-elles être protégées dans l’espace public dans ce contexte? Aujourd’hui, ciblant principalement les musulmans, les attaques contre le pluralisme religieux se concentrent sur le refus de partager l’espace public avec les pratiques non majoritaires ou tolérantes seulement considérées comme laïques[229].

Section II : la mise en œuvre de la laïcité dans un Etat démocratique 

Paragraphe 1 : le principe d’égalité entre les cultes (devant l’Etat)

Aussi étrange que cela paraisse, il n’y a pas de définition du mot «culte» en droit français. Il ressort cependant de certains articles des lois de 1901 et de 1905 que le culte doit se distinguer de l’activité politique comme de l’activité caritative.

La jurisprudence du Conseil d’État apporte quelques autres indications, également en creux. Ainsi un culte s’oppose à une activité commerciale, comme à une activité éducative, sociale ou culturelle. Enfin un culte ne peut comprendre une activité contraire à l’ordre public ou à l’intérêt national.

De leur côté, les Cours d’appel de Paris, le 29 février 1980 et de Lyon, le 28 juillet 1997 ont tenté de donner une définition de la «religion» ou «culte», avec une grande prudence. Selon elles une «religion» se distingue par deux éléments, l’un subjectif qui est une foi commune, l’autre objectif qui est l’existence d’une communauté partageant cette foi. Mais une telle définition, minimale, reste bien floue et relève davantage de la sociologie que du droit.

En réalité, une définition juridique du culte est impossible, sauf à prendre le risque d’entrer dans l’objet même des cultes, à savoir une foi et par conséquent de conduire à un jugement sur ceux-ci, puis à une discrimination. La laïcité et la liberté religieuse s’y opposent. C’est tout le problème d’une législation sur les sectes.

 Contrairement à ce que croient en général les Français, il n’y a pas qu’un régime des cultes en France, celui de la loi de 1905, mais sept régimes différents.

Nous les classerons en régimes de droit commun et régimes d’exception, pour examiner ensuite le régime sui generis de l’Église catholique romaine.

     I.         Le régime de droit commun

Ils sont au nombre de deux. Dans les trois départements d’Alsace et de Moselle subsiste le régime des cultes reconnus, alors que dans le reste du territoire français est en vigueur le régime des associations cultuelles.

– Les cultes reconnus

Le régime des cultes reconnus est issu du concordat de 1801 et des articles organiques de 1802. C’était le régime juridique de droit commun dans l’Empire français. Il a régi les cultes catholique, luthérien, réformé et juif en France de 1802 à 1905. Il subsiste, avec des variantes, en Belgique, au Luxembourg et en Alsace-Moselle[230].

Dans ce régime, l’État reconnaît certains cultes comme partenaires privilégiés de la vie publique, sur la base de critères objectifs (ancienneté, nombre de fidèles, organisation et discipline stabilisées, doctrine connue et fixée). Il prend en charge les traitements et retraites des ministres de ces cultes, donne à certains de leurs organes le statut d’établissements publiques, impose aux communes l’obligation de combler, sous certaines conditions, les déficits de certains de ces établissements publics et permet le subventionnement volontaire de ces cultes. Les litiges relatifs à leur fonctionnement sont de la compétence des juridictions administratives. Le culte reconnu relève ainsi de la sphère du droit public, tout en jouissant aujourd’hui d’une très large autonomie par rapport au pouvoir exécutif[231].

– Les associations cultuelles.

La loi du 9 décembre 1905 voulait en faire le nouveau régime de droit commun des cultes, après la séparation des Églises et de l’État. Pour l’organisation et le fonctionnement de l’association cultuelle, elle se réfère à la loi de 1901, sur les associations, avec cependant quelques règles particulières.

Ainsi une association cultuelle ne doit concerner qu’un seul culte en principe, elle doit avoir une circonscription territoriale limitée, enfin suivant la population de la commune où est fixé le siège de l’association, il lui faut un minimum de 7 à 25 membres.

Mais ce régime juridique comporte quatre contraintes importantes.

En premier lieu, la loi de 1905 impose aux cultes une organisation de type congrégationaliste. Elle est conçue sur le modèle de la communauté territoriale ou paroisse et l’association cultuelle se confond avec celle-ci. Tout au plus une structure fédérative peut-elle coiffer ces paroisses sous forme d’Union d’associations.

En second lieu, cette loi limite étroitement l’objet social de ces associations. Il doit être strictement cultuel (rémunération, retraite et logement des ministres du culte, construction et entretien des édifices cultuels, frais des cérémonies du culte) et toute autre activité leur est interdite, notamment l’enseignement et la bienfaisance. Il a été ainsi jugé par le Conseil d’État qu’une association qui se consacre à l’édition et à la diffusion de publications doctrinales n’est pas une association cultuelle, même si d’autre part elle se livre à l’exercice d’un culte[232].

En troisième lieu, la loi de 1905 interdit à l’État et aux collectivités territoriales, comme à tout organisme public, de subventionner d’une manière quelconque les associations cultuelles. Seules quelques exceptions limitées sont admises par la jurisprudence, telle la participation à des travaux de réparations sur un édifice cultuel public.

En quatrième lieu enfin, la loi de 1905 limite étroitement les possibilités de gestion financière de ces associations cultuelles. Elles ne peuvent librement placer leurs réserves. Seuls deux fonds de réserve leur sont permis : un fonds de réserve général, destiné à l’entretien du culte et limité à six fois la moyenne des sommes dépensées au cours des cinq dernières années et un fonds de réserve spécial, affecté à l’achat, la construction ou la réparation de biens meubles ou immeubles. Celui-ci est illimité, mais doit être déposé à la Caisse des Dépôts et Consignations. Les associations cultuelles sont d’ailleurs soumises à un contrôle financier de l’État, par l’administration de l’enregistrement et par l’inspection des finances.

Le statut des associations cultuelles présente cependant certains avantages en contrepartie.

Le premier était la possibilité pour les associations cultuelles de se voir affecter à titre gracieux les édifices cultuels des anciens établissements publics du culte (les églises et cathédrales en particulier).

Le second est la capacité pour ces associations de recevoir librement des dons manuels (en chèques ou en espèces) ainsi que des donations et legs, le tout sans limitation et en franchise de droits.

Les cultes, dans ce cadre juridique, relèvent donc du droit privé et ont un statut d’association spécifique.

   II.         Les régimes d’exception

Il en existe quatre.

– Les associations de la loi de 1901.

La loi du 2 janvier 1907, complétant celle de 1905, a également autorisé l’exercice public d’un culte sous la forme d’une association ordinaire, régie par la loi du 1er juillet 1901.

La capacité juridique de telles associations est moins étendue que celle des associations cultuelles et elles ne jouissent pas des mêmes privilèges fiscaux, mais leur espace de liberté est bien plus grand.

Elles peuvent se constituer avec deux membres au minimum.

L’avantage principal de ce type d’association est de pouvoir en déterminer librement et largement l’objet. Les seules contraintes sont que cet objet social ne soit pas lucratif ou illicite ou contraire aux bonnes mœurs.

Autre avantage, l’association déclarée peut employer librement ses ressources, à la seule condition de respecter les buts fixés dans les statuts et peut se constituer des réserves financières sans limitation légale. Elle ne peut cependant être propriétaire que des immeubles nécessaires à la réalisation de ses buts sociaux. Elle n’est soumise enfin à aucun contrôle financier de la part de l’État, sauf lorsqu’elle bénéficie de subventions publiques.

Depuis 1987, les associations déclarées peuvent recevoir elles aussi des dons manuels sans limitation.

Enfin, ce type d’association peut recevoir librement des dons des établissements d’utilité publique, ainsi que des subventions de l’État, des départements ou des communes et des établissements publics. Ce qui n’est pas permis, nous l’avons vu aux associations cultuelles.

Par contre, les simples associations déclarées ne peuvent recevoir des donations ou legs (il faudrait pour cela qu’elles soient reconnues d’utilité publique par décret en Conseil d’État) et elles ne bénéficient pas de dispenses de droits ou taxes.

– Les associations de droit local.

Le régime juridique des associations de droit local est défini par les articles 21 à 79 du Code civil local, ainsi que par la loi d’Empire du 19 avril 1908 et son ordonnance d’application du 22 avril 1908. Il est seul applicable aux associations ayant leur siège social dans l’un des trois départements du Rhin et de la Moselle.

La liberté d’association est soumise par ces textes à un double contrôle initial, par le juge d’instance (contrôle de légalité) et par le préfet (contrôle d’opportunité). Des recours sont possibles devant le Tribunal de grande instance dans le premier cas et devant le Tribunal administratif dans le second cas.

Une fois ces contrôles opérés, l’association est inscrite au registre des associations tenu au greffe du Tribunal d’Instance. C’est cette inscription qui lui confère la pleine capacité juridique.

 L’association de droit local doit comporter au moins sept membres, personnes physiques ou personnes morales de toutes catégories. Elle doit avoir une «direction» librement organisée par les statuts (appellation, nombre de membres, durée de leur mandat, conditions d’éligibilité etc…) et une assemblée dont la périodicité et les modalités de convocation sont également fixées par les statuts (à défaut d’une telle fixation, l’article 37 du Code civil local accorde un droit de convocation au dixième des membres de l’assemblée).

Les statuts sont souverains pour déterminer les règles d’adhésion (membres de droit, parrainage, délibération de la «direction» etc…) et les catégories de membres (actifs, passifs, d’honneur, bienfaiteurs, correspondants, associés, etc…). Par contre, les modalités de retrait ou d’exclusion sont encadrées par la loi.

Toute modification dans les statuts ou la composition de la «direction» doit faire l’objet d’une inscription modificative au registre des associations.

Ce cadre juridique offre aux cultes non reconnus, qui peuvent l’adopter depuis un arrêt du Conseil d’État du 25 juillet 1980, une grande liberté d’organisation et de nombreuses possibilités d’action. Il paraît parfaitement adapté à leurs besoins. Contrairement aux associations cultuelles de la loi de 1905 en Vieille France, leur objet social n’est pas impérativement limité au seul exercice du culte. Il peut également comprendre des objectifs d’ordre diaconal ou même économique, associés à son but cultuel. L’association de droit local à but cultuel, par exemple, peut aussi gérer un dispensaire ou un foyer ou louer des appartements pour en tirer des ressources. Sa capacité juridique est analogue à celle des associations reconnues d’utilité publique dans les départements de «l’intérieur».

Les collectivités publiques, communes, départements ou régions, ont le droit de verser des subventions ponctuelles et volontaires, aux cultes non reconnus.

Ces cultes bénéficient d’autre part d’une partie des avantages fiscaux reconnus par les lois en faveur des associations cultuelles, dans la mesure où ils sont constitués en association de droit local, à objet principalement cultuel. L’administration admet ainsi qu’ils puissent bénéficier de l’exonération des droits de mutation pour les dons et legs et des droits d’enregistrement sur les achats d’immeubles, comme les associations cultuelles de «l’Intérieur». Dans une affaire mettant en cause l’association «Église Évangélique La Bonne Nouvelle», le Tribunal administratif de Strasbourg, par un jugement du 20 juin 1989, a également assimilé les associations de droit local à but essentiellement cultuel, aux associations cultuelles de la loi de 1905, pour les faire bénéficier de la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécènat. Les dons qui leur sont faits sont donc déductibles du revenu des donateurs à concurrence de 5 % de ce dernier. Enfin, la loi de finance pour 1994 a étendu l’exonération de la taxe foncière aux associations de droit local ayant pour but l’exercice exclusif d’un culte non reconnu.

Une parfaite égalité est ici réalisée entre cultes reconnus, cultes non reconnus et associations cultuelles de Vieille France.

– Le régime de la déclaration.

Les articles 4 et 5 de la loi du 2 janvier 1907 autorisent également l’exercice d’un culte «par voie de réunions tenues par initiatives individuelles». Dans ce cas les édifices cultuels qui n’ont pas été revendiqués par une association cultuelle peuvent être laissés gratuitement à la disposition du ministre de ce culte, dès lors qu’il a fait la déclaration prévue par l’article 25 de la loi de 1905. Actuellement l’administration n’exige même plus cette déclaration.

– Le régime de la Guyane.

Une ordonnance royale du 27 août 1828, toujours en vigueur, donne à la seule Église catholique, dans le département de la Guyane, le statut de culte reconnu. Le traitement des prêtres est à la charge du département et des subventions publiques permettent son fonctionnement.

Le décret Mendel du 16 janvier 1939 crée en outre un Conseil d’administration pour la mission catholique, dont le choix du président et des membres est soumis à l’agrément du préfet. Ce Conseil a la personnalité juridique. C’est une personne morale de droit privé.

 III.         Le régime sui generis de l’Église catholique romaine

L’Église catholique romaine jouit depuis des siècles de la personnalité juridique internationale. Elle est le seul culte au monde dans ce cas et elle traite donc avec les États sur un pied d’égalité. Les concordats passés par le Saint-Siège avec des gouvernements sont des traités internationaux.

C’est pourquoi, cette Église n’a pas admis l’abrogation unilatérale du concordat de 1801 par le gouvernement de la République. De surcroît, la loi de 1905 apparaissait contraire à la constitution canonique de l’Église catholique romaine, en ignorant l’autorité exclusive des évêques. Aussi le Pape Pie X, par l’encyclique vehementer nos du 11 février 1906, condamnait-il la loi de séparation et interdisait la constitution d’associations cultuelles.

Pour sortir de la crise sociale et de l’impasse politique ainsi créée, le parlement a voté la loi du 2 janvier 1907, qui autorise l’exercice des cultes sous le régime de la loi de 1901 et sous celui de la simple déclaration, comme nous l’avons vu. C’est encore sous ce dernier régime que vivent les paroisses catholiques.

Après la première guerre mondiale et la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège en 1920, de nouvelles négociations aboutissent à une transaction. Il fut admis par le gouvernement, après avis du Conseil d’État, que l’Église catholique pourrait constituer des associations diocésaines, sur le modèle des associations cultuelles, mais avec des statuts types leur interdisant «toute immixtion dans l’organisation du service divin, dans l’administration spirituelle du diocèse, en particulier dans les nominations et déplacements de membres du clergé, ainsi que dans la direction, l’enseignement et l’administration spirituelle des séminaires». Ces associations doivent comprendre au moins 30 membres et sont présidées de droit par l’évêque. Leurs décisions ne sont valables qu’après approbation de celui-ci. Elles servent de support juridique au patrimoine de l’Église catholique et ont pour unique objet de subvenir à l’entretien et aux frais du culte. Le pape Pie XI a approuvé ce type d’associations le 18 janvier 1924, par l’encyclique Magnum Gravissimam. L’État républicain et laïc s’incline donc devant le Saint-Siège et reconnaît, conformément d’ailleurs à l’article 4 de la loi de 1905, la constitution non démocratique de l’Église catholique romaine.

Ainsi, le régime de la loi de 1905, qui devait devenir le régime de droit commun applicable en France, est en réalité une exception. Seules les Églises protestantes et le culte israélite s’y sont conformés. L’Église catholique conserve son système propre. L’islam adopte en général le statut d’association de la loi de 1901 ou de droit local, comme souvent les cultes orientaux ou les nouveaux cultes.

Ce constat montre que la laïcité de l’État en France est compatible avec une grande diversité des régimes des cultes et n’impose pas nécessairement un régime de séparation, qu’il soit conciliant ou radical[233].

Paragraphe 2 : la liberté dans l’égalité (dans l’exercice de sa liberté de conscience et de religion)[AR1] 

     I.         La laïcité comme forme française de la liberté religieuse

A.   De la liberté religieuse

La liberté religieuse est un principe qui imprègne la société française à un niveau avancé. Il s’agit d’un principe qui est protégé tant au niveau national qu’international d’ailleurs. Dans le droit interne, les sources de la protection de la liberté religieuse présentent les caractéristiques générales d’être éparses, incomplètes et d’une interprétation délicate. Il en résulte une œuvre importante d’interprétation constructive réalisée par la jurisprudence.

Les sources de valeur constitutionnelle sont constituées essentiellement par :

  – l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ;

  – l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 (reconnaissance du principe de laïcité).

Les principaux textes législatifs sont la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État et la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes. On signalera à titre secondaire la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (principalement le titre 3 relatif aux congrégations).

Des modifications ultérieures au régime initial des cultes fondé sur la loi de 1905 ont été apportées principalement par :

  – la loi du 13 avril 1908 (régime de la domanialité publique appliqué à certains édifices cultuels) ;

  – l’acte dit loi du 25 décembre 1942 (participation des collectivités publiques aux réparations des édifices cultuels privés) ;

  – la loi no 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat (extension du régime de déduction fiscale aux dons faits à des organismes religieux).

Au-delà du cadre d’application de la loi de 1905, on mentionnera :

  – la loi Jules Ferry du 28 mars 1882 (laïcité dans l’instruction primaire publique) ;

  – les lois du 14 novembre 1881 et du 5 avril 1884 (neutralité confessionnelle des cimetières).

Quant aux principaux textes réglementaires, il y a :

– le décret du 16 mars 1906 concernant les biens et édifices cultuels ainsi que la police des cultes, pris en application de la loi de 1905 ;

  – le décret du 6 février 1911 (extension du régime de séparation à la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion) ;

  – le décret-loi du 16 janvier 1939 et le décret modificatif du 6 décembre 1939, dits décrets Mandel (régime applicable aux espaces d’outre-mer non régis par la loi de 1905) ;

  – le décret no 70-220 du 17 mars 1970 (déconcentration en matière de désaffectation des édifices cultuels).

Ces textes ont été complétés par de nombreuses circulaires interprétatives dont on ne saurait négliger l’impact sur l’exercice réel des compétences tenues par les collectivités publiques. On citera entre autres :

  – les circulaires Intérieur du 28 novembre 1975 et du 14 février 1991 (« carrés confessionnels » dans les cimetières) ;

  – la circulaire Fonction publique no 2054 du 24 novembre 2003 (encourageant l’octroi des autorisations d’absence aux agents pour motif tenant à la participation à des fêtes religieuses).

Pour ce qui est des sources internationales, la liberté de religion est posée dans différentes conventions internationales ratifiées par la France. C’est le cas de :

  – l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

  – l’article 14 § 1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 16 octobre 1989 ;

  – l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

Sous l’Ancien Régime, la doctrine « cujus regio ejus religio » et la fonction sacrée du roi impliquent que les sujets du roi aient sa religion[234]. Le culte catholique est la religion d’État. Seul un régime de tolérance a permis au protestantisme d’être reconnu durant l’application de l’Édit de Nantes de 1598 à 1685.

Des deux principales aspirations émergeant sous la Révolution, l’une ne connaîtra qu’une application éphémère (un régime de séparation des cultes et de l’État est instauré en 1794 et aboli en 1801), tandis que l’autre va trouver un encrage durable (la reconnaissance de la liberté religieuse) à travers l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dont l’article 10 proclame : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

Le XIXe siècle est marqué par l’adoption par la loi du 18 germinal An X (L. du 2 avr. 1802) du Concordat conclu par Napoléon Ier et le pape Pie VII (applicable au culte catholique), complétée par les « articles organiques » de la convention du 26 messidor An XII (applicable aux deux cultes protestants reconnus) et par les décrets du 17 mars 1808 (reconnaissant le culte israélite). Prévaut donc un régime conventionnel de cultes reconnus.

Un tournant s’opère dans les années 1880 alors que se consolide une majorité républicaine à la Chambre des députés. Une série de réformes législatives va opérer un processus de laïcisation progressive (instruction publique, cimetières et funérailles, etc.), sans toutefois que le régime concordataire ne soit d’abord affecté.

La loi du 9 décembre 1905 est adoptée dans un contexte de radicalisation de l’opposition entre l’État et nombre d’autorités publiques locales d’un côté, l’Église catholique de l’autre, ayant entraîné la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. Mettant fin au régime concordataire, elle protège à la fois le libre exercice du culte et la séparation des Églises et de l’État, prolongée notamment par la règle d’interdiction de subventions publiques allouées aux cultes.

Même si elle constitue un moment charnière de l’histoire des rapports entre les pouvoirs publics, collectivités locales comprises, et les cultes, il apparaît que la loi de 1905 ne rompt pas totalement avec le passé. Le régime de séparation qu’elle institue prévoit certaines règles spéciales qui s’expliquent pour partie par des legs historiques.

Ceci se vérifie particulièrement pour le régime des aumôneries. Ainsi est-il observé que « l’origine de l’aumônerie des services publics » se situe « sous l’Ancien Régime, par la présence des cultes dans les lieux clos où se joue le salut des âmes, tels qu’armées, prisons, hôpitaux ou écoles »[235].

On ne peut toutefois s’en tenir à la simple analyse des dispositions de la loi de 1905 sans prendre en compte les difficultés auxquelles son application a donné lieu, qui ont pour partie retenties sur les rapports entre les collectivités territoriales et les cultes.

Les historiens reconnaissent largement que le problème le plus grave fut évidemment celui du transfert du patrimoine immobilier et mobilier, réglé de manière très détaillé par la loi de 1905 (L. du 9 déc. 1905, art. 3 à 10 et 12 à 17) ; de là naquit dès la promulgation de cette loi, la querelle des inventaires qui provoqua nombre d’incidents dans plusieurs régions.

La loi de 1905 avait prévu le déroulement d’inventaires organisés par des agents de l’administration des domaines dans les lieux de cultes afin de différencier les biens appartenant aux anciens établissements publics du culte de ceux appartenant à l’État et dont l’établissement a la jouissance et ce pour les transmettre aux nouvelles associations cultuelles créées (L. du 9 déc. 1905, art. 3). Dans les régions à forte tradition catholique, toutes sortes d’oppositions se sont fait jour contre la procédure d’inventaire, allant de la résistance passive à certains actes de violence. Ainsi on signale en Vendée « aux Sables d’Olonne, le sort d’un agent de l’enregistrement qui est roué à coup de sabots, tandis qu’à St-Cyr-des-Gâts le curé jette une bûche sur le commissaire spécial qui est blessé à la tête ».

En Loire Inférieure, département dont la majorité des députés s’était prononcé contre la loi de séparation, « face à des actes de rébellion, le préfet fait annuler les séances d’une trentaine de conseils municipaux récalcitrants »[236].

Au-delà de la « crise des inventaires », un historien du droit a pu proposer une classification des « causes les plus fréquentes de conflits [survenus dans les années consécutives à l’adoption de la loi de séparation], distinguant :

  – la question de la rémunération des curés considérés comme gardiens des églises dont les communes ont la responsabilité et qui sont mises à la disposition du culte ;

  – les tentatives de subventions à des membres de confessions minoritaires organisées dans des associations cultuelles non reconnues par les évêques ;

  – le déroulement des processions ou obsèques au travers des rues de la commune ;

  – les sonneries de cloches qui doivent être réglées, selon l’article 27, par arrêté municipal ;

  – le non-respect de l’interdiction « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions » (L. du 9 déc. 1905, art. 28) ;

  – les incidents entre tenants de cultes différents à l’occasion de cérémonies cultuelles ;

  – la suspicion de traitements discriminatoires selon l’appartenance religieuse des administrés »[237].

Si le régime des cultes en France donne l’impression d’un empilement de régimes superposés suivant un mouvement de sédimentation progressive, et d’un manque d’unité conceptuelle du fait des incertitudes de la définition du principe de laïcité, une philosophie générale se dégage néanmoins. Le ciment réside dans l’exclusion du communautarisme religieux.

Le communautarisme s’entend habituellement comme un état selon lequel les identités culturelles et/ou religieuses concurrencent la citoyenneté nationale et font prévaloir des règles construites en vue de satisfaire leurs intérêts collectifs, se séparant des normes fondées sur l’intérêt général. Affirmer que le communautarisme ne trouve pas place en France signifie, non pas l’ignorance totale du fait religieux par les pouvoirs publics, mais que les activités religieuses sont normalement assujetties au droit commun.

Si le refus du communautarisme fait aujourd’hui consensus, il n’en va pas de même de la question du maintien ou de la révision de la loi du 9 décembre 1905. Des choix opposés sont discutés, renvoyant à des philosophies distinctes de l’action publique. On peut ainsi dissocier :

  – un courant de pensée favorable à une « révision » profonde du régime issu de la loi de 1905 qui, en s’inspirant du droit alsacien-mosellan, irait vers une généralisation du régime de droit commun des associations loi de 1901 aux associations cultuelles en supprimant la règle d’interdiction de financement public aux cultes.

Plusieurs articles essentiels de la loi de 1905 seraient modifiés. Cette position est soutenue par une partie du Conseil français du culte musulman, par la Fédération protestante de France et partagée par une partie des élus locaux. L’argument essentiel, repris dans le rapport de la commission Machelon, fait valoir une inadaptation du droit français des cultes à la réalité d’une société pluriconfessionnelle, alors que ce droit « a déjà fait montre de flexibilité à plusieurs reprises, ces instruments s’étant bien souvent développés en dehors de la loi de 1905 »[238].

  – un courant de pensée favorable au maintien de la loi de 1905 dans sa version complétée par différents textes ultérieurs, qui attache à l’interdiction du financement public des cultes une valeur fondamentale malgré le rang simplement législatif de cette règle (qui n’a pas valeur constitutionnelle), en l’associant à l’idée « d’égalité des droits des citoyens » posée dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, laquelle empêche que « l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance soit pour lui source de privilège ou de discrimination »[239].

On observe aussi une argumentation subsidiaire d’ordre économique en faveur de cette position, pointant le risque de surcoût financier qui résulterait pour les collectivités territoriales de la charge supplémentaire que ferait peser sur elles le financement d’activités cultuelles.

Alors que les questions religieuses intéressant l’action publique locale, sont couramment présentées sous l’angle de l’étude de la police des cultes, nous embrasserons un domaine d’action bien plus large qui renvoie à l’idée émergente d’un droit des religions. Elle a un caractère en partie idéologique, traduisant une option en faveur d’une transversalité du champ juridique appréhendant le fait religieux. Le présupposé idéologique se vérifie en ce que la réception de ce concept suppose que soient acquis :

  – la « reconnaissance de l’importance et de la particularité du fait religieux »[240]. Cela revient à chasser l’idée que le religieux ressortit exclusivement de la sphère intime de la personnalité. Aussi malaisée que soit cette entreprise, une définition juridique de la religion s’impose. On s’entend généralement à considérer que cette notion réunit deux traits distinctifs : « le caractère contraignant de la conviction religieuse », manifesté par le respect de pratiques rituelles et d’interdits alimentaires ; une croyance empreinte de « transcendance et immanence »[241].

  – « l’acceptation du pluralisme religieux »[242]. Il doit être admis dans le respect des principes généraux inspirant le droit des religions, autour des « idées de neutralité, de liberté et d’égalité »[243].

L’idée d’un droit des religions nous apparaît intéressante en ce qu’elle permet de couvrir plus largement « la dimension matérielle de la liberté de religion »[244], dans ses répercussions sur l’action des collectivités territoriales. Il s’agira d’appréhender la diversité des situations où l’action des collectivités territoriales vient à être confrontée aux phénomènes religieux.

La présentation habituelle retenue articule principalement l’étude de ces questions autour de l’analyse de la police spéciale des cultes que nous élargirons à l’ensemble des polices locales appréhendant les phénomènes religieux et de celle des compétences des autorités locales dans l’entretien des édifices cultuels.

Ce découpage renvoie aux sources de droit écrit tirées du titre III de la loi de 1905, relatif aux « édifices des cultes », et au titre V relatif à la « police des cultes », qui touchent directement aux compétences des autorités locales. L’appréhension de ces deux champs trouve une justification supplémentaire dans la jurisprudence récente.

En effet, le Conseil d’État ayant admis celle-ci parmi les libertés fondamentales protégées par la procédure de référé-liberté, a entendu la liberté de culte comme ne se limitant pas au droit de tout individu d’exprimer ses propres convictions religieuses dans les limites du respect de l’ordre public, mais aussi comme incluant la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice d’un culte[245].

Un trait saillant se dégage de l’étude de ces régimes juridiques. Il résulte en partie de la force du droit international (en particulier des dispositions de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950) que « la liberté de religion ne se résume pas en une simple abstention passive, qui prendrait la forme d’une ignorance de l’État à l’égard de toutes les manifestations de la vie religieuse.

La liberté de religion doit être réelle et effective, c’est-à-dire que l’État est tenu, à l’instar de toute liberté publique, d’aménager les règles qui garantissent son exercice concret »[246]. Cette exigence peut être déduite directement de l’article 1er de la loi de 1905 qui dispose notamment que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ».

Classiquement, il convient également de tirer les conséquences, s’agissant des collectivités territoriales, de l’interdiction de financement public des cultes posé à l’article 2 de la loi du 9 décembre 2005, qui vaut pour l’ensemble des pouvoirs publics. Une tendance se dégage en faveur d’une atténuation de la rigueur de l’application de cette interdiction, et donc du principe de séparation posé dans la loi de 1905.

« Des besoins nouveaux apparaissent chaque jour en ce qui concerne la construction d’édifices cultuels. S’il n’existe aucun recensement exhaustif des lieux de culte dans l’hexagone, différentes estimations permettent toutefois de fixer un ordre de grandeur concernant le nombre de lieux de culte musulmans. Celui-ci oscillerait aujourd’hui autour de 1500, la plupart étant de simples salles de prière sans aucune distinction extérieure »[247].

C’est pourquoi de plus en plus d’auteurs estiment que la situation est « largement anachronique et porteuse d’inégalités en fonction de la plus ou moins grande ancienneté de l’implantation des cultes en France » au point qu’il peut apparaître nécessaire d’ouvrir à nouveau le « débat compliqué des relations entre le politique et le religieux »[248].

On ne saurait ignorer que la religiosité se manifeste d’abord dans des signes et des emblèmes, ce dont les collectivités territoriales ont aussi à connaître. Un respect strict de la laïcité a été imposé aux communes dès les lois Jules Ferry s’agissant des bâtiments des écoles publiques. Les limites à cette extériorisation religieuse concernant le domaine public local, nous avons fait le choix de les aborder en même temps que les autres questions patrimoniales.

Mais au-delà du cadre d’application de la loi de séparation de 1905, les collectivités territoriales sont confrontées dans plusieurs domaines à une problématique de conciliation entre libertés fondamentales présentant des aspects antagonistes. Pour les agents publics territoriaux comme pour l’ensemble des agents publics, un équilibre doit être trouvé entre le respect de la liberté de conscience et de la liberté d’expression détenues par ces agents d’une part, et le principe de neutralité valant pour l’État, mais aussi pour l’ensemble des services publics. Ce questionnement traverse les développements relatifs à la situation des agents publics territoriaux. Il se retrouve à propos des services publics locaux.

Il convient aussi de prendre en compte la non-application du régime de séparation fondé sur la loi du 9 décembre 1905 sur certaines parties du territoire français, lesquelles sont soumises à des statuts spéciaux.

B.    La liberté religieuse et la laïcité

1.     La laïcité un principe apparu après la reconnaissance de la liberté religieuse

Partons de ce constat que la laïcité n’apparaît dans notre droit et n’est érigée au niveau constitutionnel que bien après la liberté religieuse et d’une certaine façon dans la dépendance de celle-ci. La liberté religieuse apparaît la première dans le droit constitutionnel français lorsqu’elle est reconnue, mais presqu’incidemment reconnue, par la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Le principe de laïcité ne sera inscrit dans le texte constitutionnel qu’en 1946.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, placée, comme on le sait, « en présence et sous les auspices de l’Être suprême »[249], reconnaît en son article 10 la liberté religieuse comme une forme particulière de la liberté d’opinion : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».

C’est apparemment une bien modeste proclamation, presqu’en termes de concession et qui laisse entendre – pour en écarter la conclusion – qu’il y aurait davantage à se méfier de la liberté religieuse que des autres formes de la liberté d’opinion. Et de fait la reconnaissance explicite de la liberté religieuse et son expression dans la Déclaration furent longuement discutées[250].

De débats assez confus, parfois menés à front renversé, il ressort que la reconnaissance de la liberté religieuse a été nettement perçue comme une conséquence et une suite nécessaire du principe d’égalité. Le premier pas que constituait l’édit de tolérance de 1787 pour les juifs et les interventions passionnées du pasteur protestant Rabaud de Saint-Étienne à l’Assemblée ont convaincu d’accorder une liberté et égalité complète aux non catholiques et de laisser la question de l’organisation des cultes en dehors de la Déclaration (l’Assemblée y reviendra par la suite, notamment avec la Constitution civile du Clergé).

Du même coup toute « autonomie » est refusée à la liberté religieuse et la proposition de Mirabeau est écartée qui voulait un article spécifique affirmant que « nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses » ; la liberté de religion est « noyée » dans la liberté d’opinion dont elle constitue seulement un aspect particulier ; et c’est cette formule qui figure toujours à l’article 10 de la Déclaration de 1789 à laquelle renvoie expressément le court préambule de la Constitution de 1958.

 Contrairement à ce que l’on croit parfois, cette rédaction, voulue par la hiérarchie catholique, fut considérée par elle comme un grand succès : la liberté religieuse ainsi reconnue sur un mode mineur est en effet celle des non catholiques – et de ceux-là seulement – dont est parallèlement écartée toute reconnaissance de l’organisation de leur culte, leur liberté à cet égard n’étant consacrée qu’au titre de la liberté d’opinion et au nom du principe d’égalité. La liberté religieuse qui apparaît dans la Déclaration des droits est donc avant tout celle des non catholiques ; et elle y apparaît dans l’orbite sinon la dépendance de la liberté d’opinion.

C’est en réalité la  loi du 9 décembre 1905 de séparation des églises et de l’État qui – et le paradoxe n’existe que pour les ignorants de l’histoire – proclame pour la première fois en droit français la liberté religieuse comme une liberté autonome et « de plein exercice » et non comme une concession faite à certaines religions au titre de l’égalité et de la liberté d’opinion. L’article premier de la loi de 1905 dispose : « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules réserves édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Cet article premier de la loi – qui n’a jamais été modifié – s’identifie jusqu’aux mots utilisés à la liberté de religion telle qu’elle sera consacrée par la suite par les textes internationaux et particulièrement la Convention européenne des droits de l’homme.

Certes, lire la liberté religieuse dans l’article premier de la loi de 1905, qui est d’ailleurs le seul article de la loi qui ait été intégralement élevé au niveau constitutionnel, peut sembler surprenant si l’on se rapporte aux conditions dans lesquelles cette loi a été adoptée. La loi de 1905 était une dénonciation unilatérale d’une convention internationale, le concordat de 1801. Les relations avec le Saint-Siège étaient rompues.

L’application de la loi a pu se faire dans des conditions particulièrement éprouvantes pour les catholiques, surtout parmi les religieux et les prêtres. Elle heurtait, dans certaines de ses dispositions, l’organisation des cultes selon le schéma hiérarchique que voulait le droit de l’Église catholique. Tout ceci est la réalité de l’histoire, il n’est pas question de le nier ; la marque de cette laïcité militante se retrouve, en marge du texte et quelquefois contre lui, jusque dans la période actuelle.

Mais cette même histoire a fait son choix et les problèmes liés à l’organisation des cultes ont progressivement trouvé leurs solutions, au bénéfice d’ailleurs de modifications de plusieurs dispositions de la loi de 1905 dès son adoption jusqu’aujourd’hui, et encore récemment.

Ainsi, au-delà des querelles du moment, c’est bien la première fois que, par l’article premier de la loi de 1905, la liberté religieuse est élevée au rang de principe autonome en droit français (et non dans la dépendance de la liberté d’opinion) et c’est ce principe qui sera repris par la jurisprudence constitutionnelle pour en faire un principe constitutionnel, d’une tout autre « densité » que la liberté religieuse de la Déclaration des droits de 1789.

Qu’en est-il alors de la laïcité ? Si le mot est ancien et parcourt les débats de la  loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, la laïcité n’est pas affirmée en termes exprès par cette loi et n’apparaît comme un principe constitutionnel écrit qu’avec la Constitution de 1946.

Jean Rivero l’avait fait remarquer, dès 1960, dans son article fondateur sur la laïcité : le terme de laïcité est « entré dans le droit français par la petite porte », celle de la laïcité de l’enseignement primaire public voulue par Jules Ferry et consacrée par la loi du 28 mars 1882[251]. L’enseignement primaire sera obligatoire, gratuit et laïc, et, dans l’esprit de Jules Ferry, il est gratuit et laïc parce que rendu obligatoire, une obligation qui ne doit ni peser sur les finances des parents, ni heurter les consciences[252].

Par la suite, de nombreuses lois vont progressivement étendre la laïcité aux différents domaines de la vie administrative puis de la vie sociale et c’est d’une certaine façon en faisant masse de celles-ci que la Constitution de 1946, pour la première fois, fera de la France une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », à quoi l’article premier de la Constitution de 1958 ajoute : « elle respecte toutes les croyances ».

La loi de 1905, dans laquelle on voit volontiers la « charte de la laïcité », n’emploie pas le mot. Et si elle donne, en son article 2, les principes de la laïcité – on va y revenir –, c’est après l’affirmation, à l’article premier, de la liberté religieuse et comme une sorte de modalité de mise en œuvre de celle-ci ou au moins de conciliation avec elle.

La laïcité apparaît ainsi comme la forme française de la liberté religieuse[253]. Pour être un principe constitutionnel, elle est un principe de caractère davantage institutionnel ou organique et que touchant au fond du droit. La règle de fond est celle de la liberté religieuse, sous ses deux aspects, parfaitement explicités et distingués tant par le droit positif national que par la jurisprudence conventionnelle, de la liberté de pensée et de conscience, d’une part, qui est absolue, et de la liberté d’expression et de manifestation publique du culte, d’autre part, qui doit composer avec les autres libertés publiques et avec l’ordre public.

Et cette conception de la laïcité a été reconnue « euro-compatible », c’est-à-dire conforme aux exigences de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre la liberté de religion[254]. Dans sa décision du 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel, consulté sur la conformité à la Constitution du traité établissant une Constitution pour l’Europe, a examiné le principe constitutionnel de laïcité, tel qu’exprimé à l’article 1er de la Constitution, en le rapprochant de la liberté religieuse de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans des termes qui montrent bien que celui-là assure la mise en œuvre de celle-ci en droit français.

Il rappelle que la Cour de Strasbourg « a pris acte de la valeur du principe de laïcité reconnu par plusieurs traditions constitutionnelles nationales et qu’elle laisse aux États une marge d’appréciation pour définir les mesures les plus appropriées, compte tenu de leurs traditions nationales, afin de concilier la liberté de culte avec le principe de laïcité », ajoutant que, « dans ces conditions, sont respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution…, qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers ». La jurisprudence du Conseil constitutionnel l’indique ici clairement : le principe constitutionnel de laïcité veut la soumission à la loi commune sans prise en compte possible de l’appartenance religieuse.

2.     Ce que veut la laicité

La question que l’on doit se poser maintenant est la suivante : quel est le contenu exact et les exigences de ce principe constitutionnel de laïcité de la République ? Il est habituel de le lire dans les dispositions de l’article 2 de la loi de 1905 qui dispose, on le rappelle, « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »[255] ; la réalité est plus nuancée.

Donnant sa sanction à un débat qui se poursuivait depuis plusieurs années sur la portée constitutionnelle ou non de ces dispositions de la loi de 1905, débat déjà éclairé par différentes prises de positions doctrinales et du Conseil d’État dans des avis ou des décisions contentieuses, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le régime des cultes en Alsace Moselle, en a précisé le contenu.

Il juge que : « le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; il en résulte la neutralité de l’État ; il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte » (Const. const., 21 février 2013).

On trouve déjà cette analyse du principe constitutionnel de laïcité dans l’étude que le Conseil d’État lui a consacrée dans son rapport public pour 2004 ; on y lit que « la laïcité doit à tout le moins se décliner en trois principes : ceux de neutralité de l’État, de liberté religieuse et de respect du pluralisme », principes qui sont détaillés et précisés dans leurs implications et conséquences dans la suite du rapport en s’appuyant sur un siècle de jurisprudence administrative[256].

Jean Carbonnier ne disait pas autre chose : « notre droit public des cultes, dans la  loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ne distingue pas entre les religions suivant leur importance, leur ancienneté, le contenu de dogmes ou d’observances. Pas davantage notre droit privé du fait religieux n’a à distinguer entre elles : il doit enregistrer la présence d’une religion dès qu’il constate qu’à l’élément subjectif qu’est la foi se réunit l’élément objectif d’une communauté, si petite soit-elle. Formuler des distinguos reviendrait à instaurer parmi nous – quoique avec d’autres conséquences – la hiérarchie du XIXe siècle entre cultes reconnus et non reconnus… Cette égalité d’honneurs, toutefois, doit avoir sa contrepartie dans une égale soumission au droit commun »[257].

L’État est ainsi tenu à un devoir de neutralité, qui signifie non-reconnaissance d’un culte comme étant celui de l’État mais non pas ignorance du fait religieux puisqu’au contraire l’État « respecte toutes les croyances ». D’autre part la loi ne doit permettre ni tolérer aucune distinction entre les citoyens à raison de leur religion. Il ne faut pas confondre ainsi la neutralité de l’État qui s’adresse aux cultes et l’interdiction de toute discrimination à raison de la religion qui s’adresse aux personnes.

Dire que la République ne reconnaît aucun culte signifie qu’il n’y a pas de religion d’État en France, contrairement à ce qu’il en est dans d’autres pays qui pratiquent pareillement la liberté religieuse parce qu’ils y sont également soumis en raison de leur Constitution ou de conventions internationales. Paul Coste-Floret, lors des débats d’adoption de la Constitution de 1946, déclarait que « la laïcité, entendue dans le sens de la neutralité de l’État, est conforme à la tradition républicaine »[258].

Reste que cette absence de reconnaissance officielle d’un culte n’interdit pas l’identification des religions à travers leurs manifestations cultuelles. Ce qui est interdit à l’État, c’est la reconnaissance non pas du fait religieux en général – qui est au contraire pour lui une obligation –, mais celle d’une religion ou d’un culte en particulier – qui heurterait le principe constitutionnel de neutralité, autour duquel s’organise toute la laïcité. L’exigence constitutionnelle de neutralité de l’État à l’égard des cultes ne se confond pas avec le principe d’égalité qui s’adresse lui à tous les citoyens, soumis également à la loi commune sans distinction possible à raison de leur religion.

Dire que la République ne salarie aucun culte signifie là encore qu’il n’y a pas de culte officiel dont l’organisation et le financement incomberaient à l’État (faut-il rappeler le titre initial de la loi de 1905 : « loi supprimant le budget des cultes »). Cependant, dans sa décision précitée du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel admet le maintien du régime concordataire d’Alsace Moselle et donc le salariat des ministres du culte, en considération de la consécration constitutionnelle de la spécificité de la législation maintenue et applicable dans ces départements. On en déduira encore que la laïcité n’est qu’une modalité particulière d’organisation de la liberté religieuse, laquelle s’impose dans les départements d’Alsace Moselle comme sur l’ensemble du territoire français.

Quant à l’interdiction de subventionner, c’est-à-dire d’assister financièrement les cultes sous une forme ou sous une autre, elle n’est pas un principe constitutionnel mais toute aide ou subvention, quelle qu’en soit la forme, doit respecter le principe de neutralité. C’est ainsi que la loi de 1905 elle-même et des textes ultérieurs ont mis en place, sous des formes variées, des mécanismes d’assistance à l’exercice des différents cultes.

La loi de 1905 prévoyait le financement des aumôneries, de même que différentes exonérations fiscales qui se sont développées tout au long du XXe siècle. La loi du 13 avril 1908 met à la charge des collectivités publiques la conservation et l’entretien des bâtiments cultuels leur appartenant en vertu de la loi de 1905 ; cette possibilité avait été étendue aux édifices appartenant à des associations cultuelles par la loi du 25 décembre 1942. La loi de 19 août 1920 avait accordé une subvention pour la création de l’Institut musulman de Paris. La loi du 23 juillet 1987 sur le mécénat permet la déductibilité des dons faits à des organismes religieux.

D’autres textes encore pourraient être cités ; on se bornera à mentionner l’ordonnance du 21 avril 2006 qui a introduit dans le Code général des collectivités territoriales un article L. 1311-2 qui permet la conclusion de baux emphytéotiques administratifs cultuels avec les collectivités territoriales.

   II.         Une forme de liberté « euro-compatible »

La doctrine s’accorde pour admettre que « le premier aspect de la neutralité du service public consiste à ne faire aucune discrimination entre les usagers des services publics en fonction de leurs opinions politiques, religieuses, philosophiques,… », ce qui est habituellement entendu comme une « neutralité indifférence »[259]. Elle recouvre donc la laïcité qui s’entend comme la neutralité vis-à-vis des religions.

Le Conseil d’État a déjà ainsi énoncé que le principe constitutionnel de laïcité « implique la neutralité de l’État et des collectivités territoriales de la République et un traitement égal des différents cultes »[260]. On a donc un principe de laïcité qui est d’application générale, alors que la règle d’abstention financière ne vaut que suivant le champ d’application de la loi de 1905, en laissant de côté certains statuts spéciaux.

Le juge judiciaire a estimé que la portée du principe de laïcité ne pouvait conduire à restreindre le respect de la liberté de manifester sa religion d’un élu local en le privant de parole au sein d’une assemblée délibérante.

Pour la Haute juridiction, justifie sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer un maire coupable du délit de discrimination, en raison de l’appartenance religieuse, retient qu’il résulte des propos tenus par celui-ci, lors d’une réunion du conseil municipal, qu’il a privé une élue de l’exercice de son droit de parole en raison du port par cette dernière d’un insigne symbolisant son appartenance à la religion chrétienne, qu’il n’est nullement établi qu’en l’espèce le port d’une croix ait été un facteur de trouble susceptible de justifier que le maire, usant de son pouvoir de police, la prive de son droit à s’exprimer, et qu’aucune disposition législative, nécessaire en vertu de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, pour que des restrictions soient apportées à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, ne permet au maire d’une commune, dans le cadre des réunions du conseil municipal, lieu de débats et de confrontations d’idées, d’interdire aux élus de manifester publiquement, notamment par le port d’un insigne, leur appartenance religieuse[261].

Mais la neutralité peut aussi être active. Suivant cette seconde acceptation, il sera concevable que l’organisation d’un service public devienne une garantie d’exercice de la liberté de culte, envisagée comme une liberté-prestation. Phénomène déjà vérifié dans la police des cultes, il arrive que « la neutralité devienne active pour garantir par des mesures positives l’effectivité de la liberté de religion »[262], au travers de telle ou telle offre de prestations de service public.

Partie II : la laïcité, vecteur de la socialisation juridique

Depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la liberté de conscience et de religion est un droit fondamental. Ainsi, l’art. 10 de la Déclaration énonce : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». De même, la loi du 9 déc. 1905, relative à la séparation des Eglises et de l’Etat, affirme, en son art. 1er : « La République assure la liberté de conscience ». Le Préambule de la Constitution de 1946 proclame que : « Tout être humain, sans discrimination de race, de religion, ou de croyance, possède des droits inaliénables ». Enfin, la Constitution de la Ve République, dans son art. 2, dispose : « La France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Le retour du religieux donne à ces textes un souffle nouveau. Des affaires récentes témoignent de l’actualité des questions religieuses dans notre société.

Ces questions intéressent surtout le droit civil. En effet, le droit civil a toujours vu, dans la liberté de conscience et de religion, un attribut essentiel des droits de la personnalité, un de ces droits qu’il range parmi les « droits primordiaux » ; un auteur avait même vu dans la religion un élément de l’état des personnes[263]. Mais la protection des droits de la personnalité est aussi assurée par le droit pénal. Le lien entre le droit pénal et la religion est moins connu[264] ; il est cependant réel. Le droit pénal garantit la liberté de conscience. Il va même plus loin en protégeant, d’une manière positive, le sentiment religieux.

 

Chapitre I : la sécurisation juridique de la liberté de conscience fondement de la laïcité

La liberté de conscience est cette liberté interne, d’ordre psychologique et qui se situe au for secret de la conscience. Elle est la liberté d’avoir une religion ou de ne pas en avoir et le droit de garder secret son choix.

Pour protéger cette liberté interne, le droit pénal a créé des délits spécifiques. Il protège la liberté de conscience d’abord contre toutes atteintes, violences, pressions qui en menacent l’existence; puis contre les discriminations tirées de l’appartenance religieuse.

Section I : la liberté de conscience au cœur de la démocratie française : la liberté de conscience un principe devenu constitutionnel

Paragraphe 1 : La liberté de conscience à la base du contrat social français

L’art. 31 de la loi du 9 déc. 1905 punit l’atteinte à la liberté de conscience. Ce texte réprime les menaces ou voies de fait exercées contre un individu afin de le déterminer à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte. L’infraction est aussi réalisée si l’auteur a fait craindre à la victime de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune. Ainsi, l’insistance appuyée à l’encontre d’un individu d’exercer un culte n’est pas constitutive de l’infraction. Le délit n’existe que si les agissements ont obtenu le résultat recherché[265].

Après la loi de 1905, les passions ont été vives et les consciences exacerbées sur cette question. Ainsi, au début de ce siècle, un prêtre a été poursuivi pour avoir enlevé le chapeau d’un homme resté couvert au passage d’une procession religieuse ; la Cour de cassation a cependant décidé que la victime avait été contrainte non à un acte religieux, mais à une marque de déférence admise par l’usage, et le prêtre a été relaxé[266].

Cette disposition prend aujourd’hui une nouvelle actualité avec la montée du fait religieux. Les rites religieux s’introduisent dans les conflits civils. Par exemple, pour l’Islam, le serment des musulmans sur le Coran est un moyen de preuve pour résoudre les litiges entre les croyants. Ainsi, un salarié musulman a invoqué l’art. 31, en soutenant qu’il avait été contraint par son employeur de jurer selon les formes de la religion islamique qu’il n’avait pas été à l’origine d’une bagarre avec son collègue de travail. Il estimait qu’il avait été contraint par son employeur à un acte religieux, car le refus de prêter le serment aurait été interprété comme un aveu de sa mauvaise foi entraînant son licenciement.

La Cour de cassation a écarté l’application de l’art. 31 pour des raisons de preuve. Il n’était pas démontré que la volonté du salarié ait été forcée par l’employeur à l’accomplissement du serment religieux[267]. L’art. 31 s’applique aussi lorsqu’une secte tente d’imposer par l’embrigadement ou la force l’adhésion à sa communauté. Mais, paradoxalement, le texte a été utilisé en sens contraire. Les sectes l’ont invoqué lorsque les parents d’un adepte veulent le forcer à quitter sa communauté, au besoin par la force et l’enlèvement[268].

La liberté de conscience justifie, dans certains cas déterminés par la loi, le refus d’obéir à la loi. Ainsi, la loi du 21 déc. 1963[269] prévoit le refus de porter les armes pour des motifs tirés des convictions religieuses et philosophiques. En outre, l’art. 162-8, al. 1er et 2, c. santé publ. autorise les médecins, sages-femmes, infirmiers à refuser de pratiquer un avortement en invoquant une clause de conscience et donc leurs convictions philosophiques ou religieuses.

Mais ces dispositions demeurent exceptionnelles. Selon le droit pénal, les convictions philosophiques ou religieuses ne peuvent dispenser l’individu de l’observation de la loi. La clause de conscience ne peut jamais être invoquée pour refuser d’administrer des soins aux malades par convictions religieuses. Les tribunaux condamnent alors pour homicide involontaire, omission de porter secours[270].

Enfin, le droit pénal protège la liberté de conscience contre l’informatique. Ici, la conscience est atteinte en ce que l’informatique saisit l’homme dans sa personne la plus intime. Déjà, avant l’informatique, la jurisprudence luttait contre les indiscrétions concernant la liberté de conscience et qui se manifestaient sous la forme de questionnaires administratifs[271]. La loi du 6 janv. 1978[272] interdit de mettre ou conserver en mémoire informatisée des données nominatives qui feraient apparaître les origines raciales ou les opinions philosophiques, politiques ou religieuses des personnes. La violation de cette interdiction est sanctionnée pénalement[273].

La liberté de conscience est aussi blessée par les discriminations. En effet, cette liberté ne peut se déployer si l’individu se trouve pénalisé à raison de ses convictions. La loi doit être égale pour tous, quelles que soient les convictions religieuses ou philosophiques. La lutte contre la discrimination est une garantie de la liberté de conscience. La proclamation de la liberté de conscience implique la lutte contre la discrimination. Tel est le sens de l’art. 2 de la Constitution de la Ve République : « La France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Le code pénal garantit, à l’aide de délits spécifiques, le principe d’égalité.

L’art. 416 c. pén. érige en infraction pénale le refus de contracter lorsque ce refus est fondé sur un motif religieux. Le refus de contracter peut prendre différentes formes : refus d’embaucher, de maintenir des relations de travail, de fournir un bien ou un service. L’offre conditionnelle est incriminée. Les clauses confessionnelles figurant dans les offres de contracter sont déclarées illicites. Selon le Doyen Carbonnier[274], cette disposition ne doit pas être comprise de manière excessive. Il est des cas où la nature religieuse de l’emploi impose une sélection religieuse du cocontractant ; et M. Carbonnier de citer l’exemple suivant : « Un prêtre peut très bien exiger que son sacristain ne soit pas athée ».

Ce texte a reçu une application jurisprudentielle tirée plus de la discrimination raciale que religieuse[275]. Mais la question est largement débattue en droit social[276].

Le code pénal réprime en outre la provocation à la discrimination tirée de l’appartenance à une religion déterminée (art. 24, al. 6, de la loi du 29 juill. 1881). Là aussi, cette disposition a été appliquée essentiellement en matière de racisme[277].

La protection de la liberté de conscience serait illusoire si elle se limitait à celle de la liberté intérieure, purement intime. L’une des dimensions fondamentales de la croyance est d’être entendue, proclamée, exprimée à travers la vie publique et sociale. La liberté d’expression religieuse est le corollaire nécessaire et vital de la liberté de conscience. Le droit pénal protège tout d’abord le sentiment religieux dans son expression sociale. Mais d’une manière plus originale, le droit pénal défend le sentiment religieux dans son honneur, contre les atteintes et les blessures qui pourraient lui être portées.

L’art. 1er de la loi du 9 déc. 1905 garantit aussi le libre exercice des cultes. La loi garantit ainsi aux individus la faculté d’exprimer leurs convictions religieuses à travers leur vie sociale et publique.

Cette liberté est assortie de garanties pénales. L’art. 32 de la loi du 9 déc. 1905 punit quiconque aura, par des troubles ou désordres, empêché, retardé ou interrompu l’exercice du culte, c’est-à-dire tout acte religieux accompli par le clergé dans l’intérêt des fidèles[278]. Le Tribunal correctionnel de Bar-Le-Duc a appliqué récemment cette disposition[279]. Une messe de minuit avait été perturbée par des jeunes gens en état d’ivresse, le visage barbouillé de cendre et vêtus de tenues grotesques. Ils sont expulsés par la police et poursuivis sur le fondement de l’art. 32. Les prévenus ont alors soutenu qu’il n’y avait eu qu’un « léger flottement dans l’assistance » et que le prêtre avait pu poursuivre l’office sans être gêné. Mais le Tribunal correctionnel de Bar-Le-Duc les a condamnés.

Il a considéré que l’art. 32 devait s’appliquer dans la mesure où les fidèles, qui « concourent par leur présence à l’exercice du culte », avaient été dérangés dans leur recueillement[280].

Selon M. P. Malaurie[281], l’atteinte au sentiment religieux est une question beaucoup plus grave et beaucoup plus délicate que de raconter la vie privée d’une artiste ou de mettre en cause un homme politique. D’abord, en raison de la profondeur et de la vivacité des sentiments religieux qui sont la base même de toute civilisation. Ensuite, en raison de la difficile conciliation entre la liberté de pensée et le respect des croyances. Enfin, parce que ce n’est pas seulement un individu qui est en cause, mais toute une communauté de croyants, souvent immense et universelle.

Avant la loi du 1er juill. 1972, l’atteinte au sentiment religieux était peu protégée. La loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse n’avait prévu aucune disposition particulière concernant la diffamation religieuse.

Le décret-loi du 21 avr. 1939, dit « décret-loi Marchandeau » avait certes complété la loi sur la liberté de la presse, en ajoutant un article réprimant la diffamation et l’injure commises envers un groupe de personnes appartenant par leur origine à une race ou à une religion déterminée. Mais la diffamation n’était punissable que si elle avait pour but d’exciter à la haine entre les citoyens ou habitants. La répression du délit avait plus pour but d’établir la concorde entre les citoyens plutôt que de protéger l’honneur du sentiment religieux.

C’est la loi du 1er juill. 1972 qui a véritablement créé le délit de diffamation religieuse, en supprimant toutes références « au but d’excitation à la haine entre les citoyens et les habitants ». La diffamation religieuse présente aujourd’hui un véritable particularisme qui suscite un contentieux important. En outre, la loi du 13 juill. 1990 renforce la protection du sentiment religieux en accordant aux associations, qui combattent le racisme, la faculté d’exercer le droit de réponse.

L’art. 32, al. 2, de la loi du 29 juill. 1881 vise la diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. L’art. 33, al. 3, érige en délit l’injure raciale dans les mêmes termes.

La loi du 1er juill. 1972 avait essentiellement pour objet la lutte contre le racisme. Mais, en visant la diffamation et l’injure à raison d’une « religion déterminée », les dispositions de la loi ont pris une dimension particulière. En effet, depuis quelques années, un contentieux se développe en dehors de toute considération de lutte contre le racisme. Et le critère, tiré d’une religion déterminée dont l’objet était de saisir la diffamation raciale à l’égard des minorités qui s’identifient à travers leur dimension religieuse, devient un délit autonome détaché de toute considération raciale. Plusieurs affaires récentes démontrent ce glissement.

Ainsi, Jacques Lanzmann, écrivain, est poursuivi par une association pour avoir mis en cause le Carmel d’Auschwitz lors d’une interview dans un hebdomadaire d’audience nationale, Marek Halter, écrivain, pour avoir donné son sentiment sur les Eglises de l’Est dans une interview donnée à un grand quotidien français. Enfin, l’hebdomadaire Fluide glacial est attaqué pour avoir dénigré la vie du Christ[282].

Le particularisme de la diffamation religieuse se révèle, d’une part, en ce qui concerne la victime de la diffamation, et la mise en mouvement de l’action publique, d’autre part.

Paragraphe 2 : la liberté de conscience constitutionnelle une définition mal aisée

     I.         La présence discrète de la liberté de conscience et d’opinion

Pour constitutionnaliser la liberté d’opinion et de conscience, le Conseil avait le choix entre la référence à l’article 10 de la Déclaration de 1789, à l’alinéa 5 du Préambule de 1946, ou plus simplement à l’article 2 de la Constitution de 1958 affirmant que la République « respecte toutes les croyances ».

Dans un premier temps, il a préféré faire de cette liberté, un principe fondamental reconnu par les lois de la République, peut-être pour la dégager d’une conception souvent trop centrée sur la liberté religieuse et lui donner une portée générale, englobant toutes les opinions, religieuses, philosophiques, politiques, sociales… Quel que soit au demeurant le lieu de rattachement, la valeur constitutionnelle reconnue à la liberté d’opinion et de conscience a permis au Conseil de juger qu’aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques ou religieuses ne devait figurer aux dossiers des fonctionnaires susceptibles d’être consultés par les jurys de concours[283], ou qu’un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption de grossesse s’il estime cet acte contraire à ses convictions morales ou religieuses mais que, en retour, l’interdiction faite à un chef de service hostile à l’IVG, de s’opposer à sa réalisation dans son service préserve la liberté de conscience « des autres médecins et membres du personnel hospitalier qui y travaillent et concourent par ailleurs au respect du principe constitutionnel d’égalité des usagers devant la loi et devant le service public »[284]. Surtout, dans sa décision du 23 novembre 1977, il a affirmé nettement que les établissements d’enseignement privé devaient respecter et laisser s’accomplir les opinions des maîtres, et que, si le « caractère propre » de ces établissements leur imposait un devoir de réserve, il « ne saurait être interprété comme permettant une atteinte à la liberté de conscience » des enseignants.

Dans un second temps, la décision du 18 octobre 2013[285] rattache la liberté de conscience à l’article 10 de la Déclaration de 1789 et l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946. L’affaire sensible jugée dans cette décision QPC concernait l’une des dispositions de la loi du 17 mai 2013 instaurant le mariage entre personnes du même sexe. Plusieurs maires contestaient l’absence de « clause de conscience » dans la loi qui aurait permis aux officiers de l’état civil de s’abstenir de célébrer un mariage entre personnes de même sexe. Le Conseil ne s’étant pas exprimé à ce sujet lors de l’examen a priori de la loi, la QPC était recevable. Après avoir cité le texte des articles 10 de la Déclaration de 1789 et l’alinéa 5 du Préambule de 1946, le Conseil affirme que « la liberté de conscience, qui résulte de ces dispositions, est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ». Bien que la référence aux PFRLR disparaisse, la substitution de fondement n’affecte pas le sens de la liberté de conscience mais rend meilleure sa visibilité contentieuse auprès des justiciables. En réponse aux requérants, le Conseil évite d’en dire trop et se contente de rappeler les textes législatifs applicables, les exigences du « bon fonctionnement et la neutralité du service public de l’état civil » et les « fonctions de l’officier de l’état civil dans la célébration du mariage » pour conclure que la liberté de conscience n’est pas violée.

En définitive, la liberté de conscience et la liberté d’opinion sont en l’état peu utilisées par les saisines, les justiciables et le Conseil constitutionnel. L’objet des textes soumis à l’appréciation du Conseil en est certainement la cause. L’ancrage de la liberté de conscience dans une disposition constitutionnelle écrite pourrait convaincre les justiciables de l’invoquer davantage en QPC. Quant à la liberté d’opinion, il semble qu’elle soit absorbée par la conception englobante de la liberté d’expression et de communication que le Conseil privilégie, à l’image de la motivation de la déclaration de conformité de la loi Gayssot dans la décision du 8 janvier 2016[286].

   II.         L’émergence tardive du principe de laïcité

Avant l’entrée en vigueur de la QPC, certaines questions comme la laïcité échappaient, ou presque, au Conseil constitutionnel du fait de l’absence de loi nouvelle votée et déférée à son contrôle. Lors de l’examen du traité constitutionnel européen le 19 novembre 2004[287] , le Conseil n’avait pas déclaré contraire une disposition de la Charte des droits fondamentaux au regard des « dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles “la France est une République laïque”, qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Pour la première fois, la question de la laïcité apparaissait nettement dans une décision du Conseil constitutionnel. De plus, son rattachement à l’article 1er de la Constitution répondait à un arrêt du Conseil d’État du 6 avril 2001 qui avait consacré le principe de laïcité en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Le principe de laïcité intervient également, sans surprise, en interaction avec la liberté d’enseignement à propos d’une loi de financement des établissements d’enseignement. Dans la décision du 22 octobre 2009[288], le Conseil saisit l’occasion pour préciser la portée constitutionnelle du principe de laïcité qui n’interdit pas au « législateur de prévoir, sous réserve de fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, la participation des collectivités publiques au financement du fonctionnement des établissements d’enseignement privés sous contrat d’association selon la nature et l’importance de leur contribution à l’accomplissement de missions d’enseignement ».

Mais la décision de principe est sans conteste celle du 21 février 2013, lors de l’examen d’une disposition de la loi du 18 germinal an X relative à l’organisation des cultes dont le contenu et la rédaction résonnent d’un autre temps : dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, « il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales ; bien entendu qu’on imputera sur ce traitement les biens que ces églises possèdent, et le produit des oblations établies par l’usage ou par des règlements ».

Après avoir indiqué que le principe de laïcité figurait parmi les droits et libertés invocables en QPC et évoqué l’article 10 de la Déclaration de 1789, le Conseil livre un véritable vade-mecum : « qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ». Librement inspiré des termes de la loi de 1905 dont la constitutionnalisation avait été envisagée lors de la présidentielle de 2012, ce considérant n’établit pas une liste limitative des implications du principe de laïcité au regard l’emploi de l’adverbe « notamment ».

En l’espèce, cette ferme affirmation constitutionnelle ne conduit cependant pas le Conseil à censurer les dispositions législatives critiquées. Reprenant son argumentation de 2011 à propos du droit d’Alsace-Moselle mais sans citer le PFRLR dégagé à cette occasion[289], il considère qu’il ressort des travaux préparatoires des Constitutions de 1946 et de 1958 que le constituant n’a pas « entendu remettre en cause la législation relative à l’organisation des cultes et à la rémunération des ministres du culte applicable dans plusieurs parties du territoire de la République ». La possibilité pour les départements d’Alsace-Moselle de rémunérer les ministres du culte protestant constitue donc une dérogation au principe de laïcité.

 

Section II : le processus d’intégration de la laïcité dans l’esprit du citoyen

Paragraphe 1 : la laïcité et l’école

Comme on le sait la séparation de 1905 a été précédée par une autre séparation, tout autant sinon même plus importante encore, celle de l’Église et de l’École publique, à partir de 1879. Dès 1871, Léon Gambetta avait formulé ses vœux pour la République nouvelle, alors bien incertaine et fragile : « Je désire de toute la puissance de mon âme non seulement qu’on sépare les Églises de l’État, mais qu’on sépare les écoles de l’Église »[290].

Les Républicains du 4 septembre avaient parfaitement compris que pour faire évoluer les mentalités, et détacher les Français d’une Église qui se désespérait d’un roi, l’École devait enseigner résolument à l’enfant les valeurs communes de la Patrie, de la République et de la Démocratie.

Ainsi que le disait au même moment Jean Macé, fondateur de la Ligue de l’enseignement, « qui tient les écoles de France, tient la France »[291]. Les grandes lois scolaires établissant l’obligation de l’instruction, la gratuité et la laïcité de l’École publique ont donc précédé d’une vingtaine d’années la séparation des Églises et de l’État, séparation à laquelle la République des opportunistes ne se sentait pas encore tout à fait prête dans les années 1880-1900, et dont le ralliement de Léon XIII avait permis aux catholiques de repousser momentanément le spectre.

On connaît aujourd’hui plutôt bien cette histoire de l’émancipation religieuse de l’École publique, et son rôle central dans la construction de la culture et de l’identité laïques en France. « La laïque », c’est le nom qui a été donné longtemps à l’École publique. En revanche, lorsqu’on interroge cette histoire, on est volontiers surpris aujourd’hui de ne pas y retrouver une composante majeure de la tradition laïque française, à savoir la revendication en faveur du service public national de l’enseignement, et contre l’enseignement privé confessionnel.

Autrement dit la nationalisation de l’enseignement, le « monopole »[292], qui a fait partie des revendications de la gauche française depuis qu’elle a commencé à exister politiquement, ne figure pas au programme des Républicains qui ont fait l’école publique. Ou plus exactement le parti radical ne parviendra jamais, tout au long de ces années qui précèdent la Séparation, à se rallier complètement à la thèse du monopole de l’enseignement, « oscillant » comme a pu l’expliquer Ferdinand Buisson[293], entre le monopole et la liberté de l’enseignement que finalement ils ne se résigneront jamais à supprimer.

Durant toutes ces années de laïcisation scolaire, et particulièrement entre 1879 et 1886, l’existence d’un enseignement privé catholique n’a pas été remise en cause, au contraire celui-ci est même ressorti de l’affrontement consolidé dans ses fondements[294], ce qui ne veut pas dire que la période a été pour lui facile. L’Église catholique a su de son côté tirer parti de l’obligation scolaire, en étendant son maillage par l’ouverture d’écoles privées nouvelles. La laïcisation de l’école publique, au sein de laquelle la loi Falloux lui avait jusqu’ici permis d’être massivement présente, ne faisait d’ailleurs qu’en renforcer à ses yeux l’urgence et l’absolue nécessité[295].

Au tournant du siècle, l’enseignement catholique continue à scolariser le quart des enfants du primaire et plus de la moitié des enfants du secondaire[296], chiffres qui à eux seuls attestent que si les lois scolaires ne sont pas restées sans effet sur l’enseignement privé, elles sont loin en tout cas de l’avoir anéanti.

     I.         L’école sanctuaire de la laïcité

L’école, instrument toujours privilégié « d’un gouvernement des esprits »[297] , doit, dans une situation multiconfessionnelle de plus en plus conflictuelle, demeurer plus que jamais laïque, c’est-à-dire libre de toute emprise d’opinions[298]. C’est à l’école que va naître et se développer le principe de laïcité. C’est elle qui assure la cohérence de la société et qui doit en réduire les inégalités, et c’est précisément par l’école que l’on pourra surmonter l’épreuve la plus exigeante de notre temps : celle de l’intégration.

A.   Le modèle  hérité (de la révolution)

1.     Le modèle républicain

Pour certains démocrates[299], le principe de laïcité, pourtant consacré de la manière la plus solennelle dans l’article premier de notre Constitution et dans le Préambule, ne peut se concevoir que dans le sens de la neutralité religieuse de l’Etat et ne saurait ainsi être utilisé, et encore de manière secondaire, que pour soutenir des libertés dites de premier rang, comme la liberté de conscience, d’opinion et d’expression religieuses.

Cette approche très évolutive et libérale du concept de laïcité, soutenue par le Conseil d’Etat et semble-t-il par le Conseil constitutionnel[300], nous paraît très discutable et en tout cas totalement décalée de la réalité historique et des enjeux qu’elle a laissés.

Il est d’abord trop commode, à propos de la laïcité qui n’a reçu aucune définition juridique précise, de procéder par renvoi à d’autres notions, en gommant ses sources et donc tout ce qui fait sa spécificité. C’est déjà sous l’Ancien Régime que s’est dessiné ce lent processus de sécularisation et d’autonomie de l’Etat qui trouvera son apogée lors de la Révolution de 1789. L’affirmation révolutionnaire du principe d’égalité, et donc de citoyenneté, ne peut conduire qu’à une dislocation de la société chrétienne de l’Ancien Régime, profondément inégalitaire. Comme le souligne Dominique Gros, on substitue « à l’ordre chrétien l’ordre républicain »[301].

Si l’article 10 de la Déclaration des droits de 1789 pose que nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, c’est à condition que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. L’Assemblée constituante institue le 12 juillet 1970 la Constitution civile du clergé pour mieux le contrôler, la tenue des registres de l’état civil échappe aux prêtres pour appartenir aux employés municipaux, le mariage civil est instauré et le divorce reconnu en 1792. Enfin, de manière prématurée, le décret du 3 ventôse an III (27 octobre 1795) fixe que la République ne salarie aucun culte ni ne fournit aucun local au culte.

Dans son projet d’instruction publique, Condorcet, en 1791, suggère de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux en considérant « qu’un enseignement qui repousserait les enfants d’une partie des citoyens donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions »[302].

La laïcité implique donc une séparation évidente entre la société civile et la société religieuse. De la célébration du culte suprême, aux célèbres apostrophes de Victor Hugo à l’Assemblée Nationale le 15 janvier 1850 : « L’église chez elle ; l’Etat chez lui »[303], et de Gambetta au Sénat, le 4 mai 1877 : « Le cléricalisme voilà l’ennemi », tout concourt à l’éradication du fait religieux, qui devient, surtout à l’école, l’objectif privilégié de la République et des Républicains. Emile Poulat soutient, avec raison, que « l’anticléricalisme a été avant 1914 le plus sûr critérium de l’esprit républicain… et à l’origine d’une solennelle proclamation de la liberté de conscience et de l’affirmation de sa plus sûre garantie, la laïcité de l’Etat et de ses services publics »[304] .

Si la laïcité est bien tournée contre le cléricalisme, elle n’est pas antireligieuse mais elle le devient lorsque la religion veut imposer ses propres valeurs. C’est en réalité l’intégrisme religieux qui conduit au « laïcisme ». Les catholiques soutenant la monarchie, les assemblées républicaines vont adopter toute une série de lois anticléricales :

_ la loi du 18 mars 1880 énonce le principe de l’unité des programmes dans l’enseignement supérieur et interdit aux facultés libres de se prévaloir des titres d’université et des grades universitaires ;

_ la loi du 16 juin 1880 institue la gratuité de l’enseignement primaire dans les écoles publiques (ce qui ne pouvait convenir aux catholiques qui voyaient leur échapper ce « gouvernement des esprits ») ;

_ la loi du 28 mars 1882 pose le principe de la laïcité des programmes en excluant de l’enseignement public du premier degré l’instruction religieuse ;

_ la loi du 30 octobre 1886 (dite Goblet) établit le principe de l’affectation des fonds publics à l’école publique et que l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïc. Ce qui devait être limité à l’enseignement primaire sera étendu par le Conseil d’Etat à tous les établissements publics dans l’arrêt célèbre Bouteyre du 10 mai 1912[305].

_ enfin, la loi du 9 décembre 1905 vient parachever ce lent processus de sécularisation engagé depuis le 18e siècle en établissant à l’article 2 « que la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte » et l’article 28 interdit d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou dans les emplacements publics.

Le législateur républicain met donc un terme à l’implantation de l’église catholique dans la société politique et rompt avec la tradition de l’Ancien Régime où l’Etat contrôlait la religion.

Si l’Etat n’est pas indifférent, et ne peut l’être, à la chose religieuse, l’école publique devient bien une barrière infranchissable « entre le temporel et le spirituel »[306].

Mais l’église ne peut pas abandonner ses revendications sans trahir en même temps sa mission. Les religions ne supportent pas la neutralisation de l’école et cette laïcité – « abstention »[307], qui suppose l’absence de Dieu dans la formation de l’enfant : qu’il s’agisse de l’église catholique[308] ou de l’Islam dont le code religieux s’assimile au code politique et pour qui la communauté ne peut être que celle des croyants avec ses règles propres. La loi divine s’impose alors à la loi civile, ce qui nous parait inacceptable. Car un régime républicain ne peut s’accomoder d’un droit particulier subjectif de la famille, de la femme, du mariage…

Comme l’analyse parfaitement Catherine Kintzler[309], l’école est « un espace d’émancipation à préserver et doit être soustraite à la société civile ». Ce que confirment bien d’autres auteurs pour qui tout ce qui touche à l’enfance reste « un des derniers domaines du sacré, de l’intouchable »[310].

Ainsi, permettre à l’école le port de signes religieux significatifs, c’est « y introduire la religion qu’on en avait justement bannie »[311], c’est transformer l’école publique obligatoire, lieu d’intégration et d’égalité par excellence, en lieux de communautés. Il faut donc interdire le port de signes d’appartenances politiques et religieux à l’école publique «pour que personne ne puisse se plaindre d’avoir été contraint de subir une manifestation qu’il désapprouve et pour qu’il n’y ait aucune ségrégation »[312].

Catherine Kintzler signale de plus, notamment aux laïcs « libéraux » et aux démocrates, que «faire défiler les groupes de pression devant les élèves… c’est se tromper sur la liberté de l’enfant », qui, rappelons-le, est une personne mineure dont le jugement n’est pas encore formé. L’école a pour « impératif de rester laïque et d’exiger la réserve de tous ceux qui s’y trouvent en vertu de la nature même de ce qui s’y transmet et de ce qui s’y construit »[313].

Comment, de surcroît, demander à un enseignant qui professe (ou doit professer !) des valeurs universelles, notamment d’égalité, développées depuis 1789, d’admettre que des élèves s’enferment dans un repli communautaire, propice aux attitudes discriminatoires ? A qui veut-on faire croire que le port du voile a valeur d’émancipation ?…

C’est pain bénit pour l’extrême droite qui refuse fondamentalement toute idée d’intégration en soutenant les thèses les plus fumeuses et scandaleuses des inégalités raciales[314]; alors que l’on sait que la laïcité, c’est cette capacité à accueillir les différences et que les lois laïques ont permis l’intégration du judaïsme et du protestantisme. La loi de 1905 mettant fin au monopole catholique, ne reconnaissant aucun culte, les reconnaissait tous.

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat seraient bien inspirés de rejeter ces perspectives « communautaristes ou multiculturelles », chères aux pays anglo-saxons et de reproduire le considérant principal de cette décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991 sur le nouveau statut de la Corse, qui conduit à refuser de distinguer les citoyens français, selon leur origine, leur race ou leur religion. Retrouvant ainsi le principe, perdu, de l’unité et de l’indivisibilité du peuple français[315].

La montée en puissance de l’individu dans une société libérale implique une totale liberté de conscience et surtout une laïcisation de la pensée, qui doit se soustraire de la tutelle de tout dogme, politique ou religieux. Contrairement aux idées reçues ou entretenues[316], la laïcité n’a pas pour effet de fondre l’individu dans la masse ni de l’obliger à une pensée exclusivement rationnelle, mais de lui permettre de penser par lui-même, et ce faisant, de penser aux autres, en excluant toute forme de discrimination raciale, politique ou religieuse.

Ainsi que le remarque Catherine Kintzler « l’école n’a donc pas pour tâche première d’ouvrir l’enfant à un monde qui ne l’entoure que trop : elle doit lui découvrir ce que le monde lui cache »[317]. Ce qui va dans le même sens que Régis Debray : « En République, la société doit ressembler à l’école… en démocratie, c’est l’école qui doit ressembler à la société[318] ».

C’est la présence de l’Islam, deuxième religion en France, qui va mettre la laïcité à l’épreuve et le Conseil d’Etat à contribution, en le conduisant à développer une analyse plus démocratique que républicaine.

2.     La laïcité en action

« L’école laïque serait née avant la République laïque »[319]. Autrement dit, l’école laïque aurait été créée pour servir d’assise institutionnelle pour consolider la République. « Que l’école laïque, écrit Gustave Peiser, constitue un outil, un instrument de consolidation du régime républicain, cela est indiscutable. Mais historiquement … l’école laïque, ou de façon plus générale le caractère laïque du système scolaire est antérieur à la République laïque »[320].

En réalité, la laïcisation de l’école (publique) a précédé la République laïque. Alors que cette dernière s’affirme en 1905, les grandes lois, imposant la laïcité à l’école, s’étaleront de 1880 à1886. C’est bien donc l’école publique qui servira de socle à la République et à ses valeurs. Sans entrer dans les détails, la laïcité à l’école en France a toujours été influencée par les variations politiques qui traversent la société sur cette question. Cette laïcité a souvent oscillé entre deux conceptions opposées : une laïcité idéologique, laïcité-laïcisme et   une forme souple de laïcité, la laïcité-neutralité.

 La première forme est celle d’une conception de la laïcité qui en s’opposant aux religions chrétiennes se comporte elle-même en religion. Qualifiée souvent « d’agressive », cette laïcité qui s’affirme à partir de 1880, ne tolère aucune expression confessionnelle dans l’enceinte scolaire. Construite comme un dogme politique, elle a été conçue comme une arme de guerre pour asseoir les idées républicaines.

 C’est pourquoi, elle rejette toute forme de neutralité vis-à-vis des religions. « Le neutralité de l’école fut toujours un mensonge », disait Clémenceau. La construction de l’école doit se faire donc au cri de « à bas la neutralité ». L’institutionnalisation de la laïcité de l’espace éducatif ne doit supporter aucune neutralité, elle passe en effet par la suppression (violente s’il le faut) de tout lien entre l’école et la religion, d’une part, et par la mise en place d’une philosophie qui lui est supérieure : la philosophie laïque, d’autre part. Bref, la neutralité est synonyme ici d’une quasi-trahison à une laïcité purifiée du fait religieux. Il est bien évident que cette conception qui a eu un impact théorique et politique non négligeable n’a jamais pu trouver un succès comparable dans sa mise en application.

 En fait, c’est plutôt la laïcité-neutralité qui a servi de fondement pratique à l’aménagement institutionnel de l’école publique. La République l’emporte en 1878. Il s’agissait alors de permettre à l’école laïque d’être accessible à tous en la rendant gratuite et ouverte à tous les enfants sans distinction religieuse. Deux principes fondamentaux serviront de référent à cette mise en place : d’abord mettre la religion ainsi que tous les dogmes idéologiques en dehors du programme obligatoire. Et faire en sorte également que l’enseignement dans son ensemble soit neutre. Cette impartialité signifie que l’école laïque ne s’oppose pas à la religion, mais elle n’y participe pas. « C’est le choix de laisser le choix »[321]. C’est cette conception de la laïcité qui a emporté le suffrage du législateur. Tout le dispositif législatif relatif à l’école est en effet marqué par la laïcité-neutralité.

 Certes, elle varie selon les niveaux d’enseignement (elle est plus forte dans le primaire que le secondaire, dans le secondaire que dans le supérieur), mais l’effectivité de son application est contrôlée par les juges (TC, 2 juin 1908, Morisot). Cette vision on la retrouve aussi dans la loi du décembre 1959.

 Ce modèle de laïcité qui a eu le mérite d’imposer une neutralité du service va-t-il pouvoir s’accommoder à la liberté d’expression religieuse de l’usager ? Autrement dit, la laïcité signifie-t-elle la neutralité du service public et la neutralité de l’usager ? Donc, il ne s’agit plus de lutter contre l’omnipotence d’une religion, mais de se déterminer par rapport à l’expression religieuse de l’usager de l’école. Une interprétation stricte du principe de neutralité aboutirait à élargir le principe à l’usager en lui interdisant de manifester ses opinions de quelque façon que ce soit.

Cette idée est longtemps restée la règle tant que l’Église cherchait à menacer la laïcité. Or, dans les années 60, le contexte politique ainsi que les textes juridiques se sont enrichis. Rapportée à la problématique de laïcité de l’école, cette mutation concerne directement l’interprétation du principe de neutralité que l’on peut repérer à un triple niveau. D’abord, la laïcité s’accommoderait sans difficulté de la libre expression des élèves. Ces derniers peuvent sans heurter la neutralité du service extérioriser leurs croyances religieuses. Ensuite, au niveau juridique, deux conventions internationales viennent modifier la donne amenant le législateur à adapter le droit interne.

La Convention européenne des droits de l’homme (article 9) et le Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques, affirment clairement que « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé » relève désormais des droits fondamentaux. La loi du 10 juillet 1989 quant à elle, a aussi reconnu le droit d’expression des élèves dans les établissements scolaires publics. Cependant, elle ne mentionne pas la liberté religieuse.

Enfin, le troisième niveau de mutation concerne le contexte jurisprudentiel. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a soumis le service public à l’article 9 de la Convention. Et le Conseil d’État dans son avis concernant le foulard islamique ainsi que dans son arrêt Kherouaa (CE, 2 nov. 1992) a imposé une lecture ouverte de la laïcité. Ils ont fait prévaloir le principe selon lequel chaque élève dans le cadre de l’exercice de sa liberté d’expression peut manifester ses croyances religieuses même à l’intérieur de l’établissement scolaire.

 De cette interprétation, la laïcité-neutralité sort renforcée au détriment de la laïcité-laïcisme. Il en découle de fortes conséquences par rapport à la relation que le système scolaire doit entretenir avec le fait religieux. La laïcité de l’école repose désormais avant tout sur sa manière de s’adapter à l’expression religieuse.

Il y aurait même contradiction à fonder la légitimité de ce principe sur sa capacité à déconnecter l’école de la religion. Il s’agirait plutôt d’inverser les rapports juridiques qui servent de base au principe de neutralité. D’où l’accent placé sur la nécessité de respecter la liberté de conscience conçue comme cadre formel de l’agencement fonctionnel des établissements scolaires. Remplir ces obligations scolaires apparaît comme l’une des conditions principales au bon fonctionnement de l’école. Aucune référence ici au passé et à l’ancrage historique de l’école dans son rapport aux religions. Ce modèle met un terme à la vision alternative de la manière de concevoir la laïcité. Les héritiers semblent oublier la pluralité conceptuelle de leur héritage.

 

B.    La position du Conseil d’État

La position du Conseil d’État sur le port du foulard islamique à l’école est apparue comme une réponse empirique à la contradiction ouverte entre la liberté et l’abus de la liberté. La Haute Assemblée a voulu exprimer aussi bien dans l’avis que dans les arrêts, une philosophie selon laquelle la laïcité doit être plus une tolérance qu’un combat ; une école laïque et moderne est celle qui arrive à intégrer les différences en respectant la liberté de conscience et d’expression ; enfin les élèves sont dans une situation différente de celle des enseignants et du personnel éducatif dont l’obligation de neutralité est beaucoup plus importante[322].

Dans cette perspective, on constate que pour tenter de répondre au défi d’une société de plus en plus hétérogène et de plus en plus conflictuelle, le Conseil d’État, comme à son habitude, s’efforce d’être un « pacificateur ». C’est peut-être dommage que l’interminable querelle sur le voile ait occulté ce rôle positif que la haute juridiction administrative a toujours joué quand il s’agissait de régler des problèmes liés aux pratiques religieuses.

On pense aux nombreuses décisions en matière de sonnerie de cloches, de procession, de cérémonie funèbre, chaque fois le Conseil a cherché à mettre en avant la paix civique[323]. Pourtant, cette position, malgré son équilibre juridique et politique n’a pu mettre un terme aux interrogations relatives au port des signes religieux à l’école.

1.     L’ambiguïté de la conciliation de l’ordre et de la liberté

L’orientation idéologique de la position du Conseil d’État semble trouver sa justification juridique majeure dans une tradition jurisprudentielle qui s’efforce comme toujours de concilier la liberté et l’ordre public, d’arbitrer entre les différentes libertés en concurrence, afin de pouvoir exercer un contrôle de proportionnalité sur le modèle de la jurisprudence Benjamin. Une telle conception autorise naturellement à faire prévaloir la liberté d’expression au détriment de la laïcité-neutralité.

Par liberté d’expression, il convient d’entendre essentiellement la liberté d’exprimer ses convictions religieuses, ainsi que ses convictions politiques. Dès lors, le port de signes d’appartenance religieuse ou politique n’est point en soi incompatible avec la laïcité de l’enseignement public.

Le Conseil d’État tire en effet cette théorie d’un référentiel normatif selon lequel la liberté de conscience est envisagée comme une donnée devant présider à l’organisation générale de la société et de l’État. L’article 2 de la Constitution assure l’égalité devant la loi sans distinction de race ou de religion. L’article 10 de la Déclaration de 1789 mettait également en perspective la liberté d’opinion. La loi de 1905 qui a certes mis fin au concordat, prévoit toutefois que : « La République assume la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… ».

Enfin, la loi du 10 juillet 1989 accorde aux élèves la liberté de s’exprimer dans les établissements scolaires. Cette tendance est encore renforcée au niveau international. Le Conseil d’État s’est référé à des textes (de l’ONU ou Européens) selon lesquels la liberté religieuse constitue un principe fondamental qui ne peut que rarement souffrir de dérogations. Ainsi voit-on que si la liberté de conscience figure dans tous ces textes, la laïcité ne paraît quasiment nulle part. Comment peut-on alors s’étonner de la configuration idéologique de la position du Conseil d’État ?

C’est le thème de la subjectivité qui préside sa construction théorique. En voulant libérer le sujet (l’élève) de la contrainte institutionnelle marquée par l’obligation de neutralité, le Conseil d’État l’enferme dans une forme subtile de subjectivité au moment où par la médiation de l’école il doit la surmonter. Dès lors, aucune limite normative ne doit venir contrarier sa liberté. Cette dernière transcende tous les principes y compris ceux issus de la laïcité. Chaque élève forme par son être un bloc de droits (de l’homme) dont la seule limite réside dans sa façon d’être : prosélytisme, propagande ou manière (ostentatoire) de porter le signe de son appartenance religieuse.

Même quand l’interdiction prend une valeur normative (règlement intérieur), elle ne doit être ni générale ni absolue. L’institution scolaire perd alors toute emprise sur son sujet. Dépouillée de son autorité et de son caractère laïc, elle devient un lieu où s’expriment des droits individuels produits par des stimulations extérieures (à l’école) et alimentés par des représentations manipulables à gré. Résultat, d’une institution de devoir et de savoir, l’école se transforme en un espace d’affrontement. Affrontement entre deux catégories de droits n’ayant pas la même finalité. Des droits objectifs porteurs des valeurs laïques qui transcendent les particularismes des élèves et imposent un traitement égalitaire et des droits subjectifs dont l’égoïsme et la défense de l’être constituent leurs traits principaux. Bref, un affrontement entre la défense des valeurs collectives telle que la laïcité et la défense des droits individuels telle que la liberté de conscience.

Le Conseil d’État a opté pour la reconnaissance aux élèves des droits de porter dans l’espace scolaire des revendications liées à des affiliations particulières au détriment de la laïcité-neutralité. Dans cette configuration, les droits individuels sont donc supérieurs aux valeurs collectives. Or, dans ce contexte, le gain ne doit pas être cherché du côté de l’individualité considérant la société pour soi, mais du côté des valeurs collectives cherchant des dynamiques égalitaires et non discriminatoires. L’école laïque ne peut donc être réduite simplement à « ce que je veux faire », mais elle doit être un « lieu de ressourcement, un refuge ouvert à tous, non pas pluri-mais transcommunautaire »[324]. Ainsi donc, l’ambivalence de la notion de liberté d’expression rejaillit sur celle de la laïcité éclatée entre son caractère universel et son relativisme culturel.

La confusion est encore renforcée par une double ambiguïté méthodologique : une généralisation analytique du précepte « signe religieux » et une neutralisation de sa portée axiologique. L’idée du signe religieux comme forme d’extériorisation de la liberté d’expression appartient aux droits de l’homme issus de l’école du droit naturel sécularisé. Mais pour son analyse de la compatibilité de ces signes avec le caractère laïc de l’école, le Conseil d’État transpose sa jurisprudence relative au contrôle des actes de police administrative comme une grille de lecture générale, qui, tout en affirmant que « la liberté est la règle et l’interdiction l’exception », tait la spécificité de l’outil par lequel la liberté s’exprime.

Pis encore, il ne daigne même pas lui donner une définition. Or, en agissant de la sorte, le Conseil d’État esquive un débat pourtant capital : qu’est ce qu’un signe religieux ? Le vide juridique et épistémologique provoqué par ce manque est comblé par des considérations formelles concernant la manière de le porter. Un tel raisonnement est peu satisfaisant.

En effet, s’il est une notion omniprésente dans la littérature sacrée, c’est celle des signes religieux. Les doctrinaires s’y référent avec prédilection. Les variations littéraires et politiques sur ce thème sont uniquement de nature à flatter la sensibilité religieuse du croyant. Destiné à préserver le sanctuaire de la personnalité plus ou moins menacée par des agressions extérieures, le signe religieux signifiera tout à la fois fidélité aux préceptes religieux, attachement au patrimoine spirituel et refus de toutes influences étrangères (à la religion) jugées incompatibles avec les valeurs morales et socio-culturelles propres à la tradition communautaire. On comprend dès lors pourquoi le Conseil d’État a « omis » de définir cette notion. Car loin d’être une expression de liberté, les signes religieux sont plutôt un moyen « d’enfermement » mental et culturel. L’associer à la liberté constitue en soi une première erreur.

La seconde erreur réside dans la globalisation à laquelle a induit naturellement l’absence de définition des « signes religieux ». L’interprétation du Conseil d’État pousse à croire que tous les signes religieux se valent, y compris celui par lequel le problème s’est posé : le voile islamique. Or le voile dit islamique n’est pas un signe religieux. Le considérer comme tel, c’est tomber dans le piège tendu par les défenseurs d’un Islam rigoriste. Le voile est d’abord et avant tout une prescription religieuse, c’est-à-dire une norme spirituelle indiscutable qui doit s’imposer sans interprétation humaine. Elle doit donc primer les normes temporelles.

C’est pourquoi, toutes les discussions concernant son caractère ostentatoire ou pas, provoquant ou pas, ne sont que bavardage. Sa portée idéologique principale est d’abord d’être porté. Erigé en « barrière », le port du voile légitimera non seulement le rejet des valeurs juridiques et politiques rationnelles telles que la laïcité, la séparation du temporel et du spirituel, mais en même temps les représentations d’ordre institutionnel et fonctionnel qu’elles véhiculent. Ce qui se trouve ainsi mis entre parenthèses et entre guillemets, ce serait bien la modernité du droit dont la sécularisation des sources constitue l’un des fondements les plus importants.

D’autre part, le voile est aussi un instrument de domination masculine. Comment peut-on le considérer comme un outil d’expression d’une liberté (de culte) alors qu’il cherche à opprimer la moitié de l’humanité ? Outre l’atteinte qu’il porte à l’égalité entre hommes et femmes, principe constitutionnel, le voile est une violence faite aux femmes. En autorisant le port du voile, c’est la liberté, en réalité, qu’on voile. Curieusement, cette dimension juridique a été là encore occultée par le Conseil d’État. Quel est le sens des droits individuels dans un système de pensée dont l’essence même est la négation de ces droits ?

Enfin, le voile est un signe d’appartenance identitaire. Il lie la personne qui le porte à une communauté ethnique. Son affichage public introduit une différenciation culturelle à caractère communautariste. Ainsi, la cohésion nationale cède la place à une fragmentation sociale. En acceptant qu’il soit porté à l’école, le Conseil d’État a pris le risque d’introduire dans un espace protégé par une neutralité laïque, des conflits identitaires et religieux, qui traversent la société et sur lesquels l’école n’a pas à prendre position. Au contraire, elle doit être le plus possible en dehors de ces contradictions qui la dépassent.

2.     Un principe de laïcité dépassé

Après avoir généralisé de la sorte le principe de laïcité de l’école publique, le Conseil d’État neutralise encore sa portée théorico-empirique en le présentant comme un phénomène archaïque renvoyant à une conception de l’école dépourvue de modernité. Cela implique une autre pensée de l’école qui se doit d’accueillir en son sein toutes les manifestations d’appartenance religieuse sans se soucier de son propre caractère laïc.

Or l’école avant d’être le lieu où s’expriment les libertés individuelles, est l’espace où doit se concrétiser l’un des premiers droits de l’élève, celui d’apprendre et l’un des premiers devoirs qui pèse sur l’école, celui de dispenser un savoir dépassant les appartenances communautaire et ethnique, bref un savoir laïc. Le droit d’apprendre et de se former doit être supérieur à celui de croire. La portée des droits individuels ne peut nous faire oublier de défendre les valeurs collectives. C’est grâce au « savoir » laïc que l’élève pourra acquérir les outils nécessaires afin d’appréhender les croyances par le prisme de la raison. À défaut, c’est l’élève, fort de sa liberté de culte, qui sera habilité à sélectionner les cours en fonction de sa religion. Lieu de transmission et non d’expression des croyances, la première vocation de l’école n’est-elle pas d’apprendre à lire ?

Lire un texte, c’est en investir les arcanes, penser ce qui n’est pas explicite et se forger sa propre opinion critique sur lui. Rien de plus difficile, de plus vulnérable et, néanmoins indispensable, que cette obligation de l’école : apprendre à lire. Gardons-nous alors de la polluer par des considérations périphériques. Point de neutralité du savoir sans neutralisation de son contexte. Or, en acceptant que l’élève puisse s’exprimer librement, le Conseil d’État participe à la diffusion de la croyance religieuse dans l’enceinte d’une école censée être laïque.

En d’autres termes, il introduit le fait religieux comme une évidence liée à une expression d’une liberté individuelle sans laisser le temps nécessaire à l’école de transmettre à l’élève la capacité intellectuelle et scientifique de revisiter sa pratique religieuse grâce un savoir rationnel.

Ce postulat repose sur une idée simple : la capacité de l’élève à comprendre son univers politique et religieux. Cette représentation valorisante d’un élève compétent, à la fois attentif au « savoir » et au « croire », ne résiste pas à l’épreuve des faits. Les affaires à répétition du « foulard » dévoilent une tout autre réalité : l’attachement de l’institution scolaire publique à sa mission première qui consiste à dispenser un savoir laïc ainsi que son rejet d’une démarche qui sous prétexte « d’objectivité juridique » discréditerait a priori le « savoir » au profit du seul « croire ». Cela aboutirait inévitablement à la fabrication d’un univers conflictuel, un affrontement frontal entre l’élève et ses « droits-libertés » et l’école et sa laïcité. Là se noue le problème.

En réduisant la question du port des signes religieux à l’école à son simple dénominateur commun : s’exprimer librement, le Conseil d’État entretient l’illusion d’une école espace de liberté matrice de la construction sociale capable de juguler les contradictions de plus en plus violentes qui traversent la société. Cette position frappe davantage par sa construction juridique. Elle conduit à croire en une relation linéaire entre usager et service public débarrassée de toute tension politique et introduit une dialectique artificielle entre des valeurs à finalités totalement différentes.

Certes, elle n’est pas sans avancées en termes de libertés individuelles, mais à quel prix ? Ce que ses bénéficiaires peuvent y retirer individuellement ne l’est jamais qu’au détriment de valeurs collectives. La laïcité se réduirait alors « à un morceau de cire sur quoi chaque groupe de conviction viendrait se tailler un fief à part, pour faire pièce au voisin »[325].

Cette orientation ne va pas sans ambiguïté ou paradoxe. L’éthique de la laïcité est cette forme particulière de pensée qui rend possible l’accès à l’universel en libérant l’individu des appartenances particulières. Les revendications identitaires des groupes religieux ne peuvent être compatibles avec les exigences de la laïcité que lorsqu’elles se soumettent à la règle de la discrétion.

C’est pourquoi, l’introduction d’une neutralité différencielle entre l’enseignant formateur, tenu d’être neutre, et l’enseigné sujet, autorisé à ne pas s’y soumettre opère une modification des rapports entre l’élève et l’enseignant. La dynamique interne de ce rapport s’observe alors sous la forme de forces contraires entrant en opposition. Ce conflit interne conduit à mettre en cause de façon plus ou moins directe l’extranéïté de la forme et de l’autorité de l’institution scolaire.

Les affaires du « foulard » sont bien les plus significatives, puisqu’on a pu voir une opposition entre une vision laïque et neutre de l’école, dominante jusque-là (chez une majorité d’enseignants), et celle des partisans d’un mythique retour à la tradition confessionnelle de l’école. Il n’est pas certain que le recours à « l’appréciation au cas par cas », comme système de médiation, soit la meilleure façon de parvenir à la sauvegarder. Entre le permis et le défendu, quelle sera la taille du foulard, l’attitude de l’élève, ses intentions ? Les chefs d’établissement, majoritairement, ne voulaient plus assumer une telle mission.

Pour eux, principal relais de diffusion des principes républicains, la laïcité est un modèle qui ne se négocie pas. Une fois de plus, le passé est restitué à partir des catégories du présent ; et le présent analysé à partir de l’image ainsi reconstruite du passé. Dialectique des représentations qui nous invite à ne pas oublier que si le discours paraît intransigeant, il résulte d’abord de la charge émotionnelle et idéologique que comporte le principe de laïcité.

3.     Les méfaits du droit à la différence

De cette représentation, un phénomène se dégage nettement : l’émergence d’une revendication formulée au nom de la différence : le droit à la différence. Employé de manière souvent polémique, ce droit soulève un problème politico-juridique complexe. Il considère que l’unité nationale n’a de sens que si elle fait une place importante à la pluralité. La différence culturelle et la diversité ethnique ne sont plus regardées comme source d’altération mais plutôt comme pôle de civilité. C’est uniquement par la pluralité qu’on peut construire l’unité.

Dans ce cadre, l’individu se trouve délivré de toute soumission artificielle aux lois de la collectivité. L’uniformité devient alors synonyme d’inégalité. L’universalisme des droits des individus n’est qu’une illusion (juridique) pour occulter l’étendue des inégalités de fait. Seul le traitement catégoriel et la subjectivisation des normes induisent l’équité et l’égalité réelle. Affranchies des tutelles d’autorité extérieure à l’homme, les individus ont des droits contre l’État, l’autonomie individuelle est prioritaire, les droits du sujet ont leur propre finalité, non définie par l’unité collective. L’individu s’affirme comme détenteur et source de droit. La communauté culturelle ou ethnique remplace l’État comme relais politique. Elle est source de valeurs : le bien réside dans ce qui est utile à la communauté, le mal dans ce qui nuit à son développement et à son efficacité ; le droit marque ainsi le triomphe de la subdivision, de la subjectivité et du particularisme.

On met ainsi l’accent sur le rôle majeur qui revient aux aspirations individuelles, vecteur essentiel de l’épanouissement politique et social : ce qui engendrerait le bien-être collectif, c’est la défense privilégiée des droits individuels au détriment de l’universalité de l’État. On touche là à la dimension identitaire de la citoyenneté, corollaire au processus historique de la construction de l’État-nation. Loin d’être source d’intégration, l’appartenance à une collectivité infra-étatique s’impose désormais comme le rouage indispensable du contrat social revisité.

Cette évolution est lourde de conséquences, non seulement parce qu’elle se produit alors même que le sentiment national ne constitue plus un idéal politique certain, mais surtout, parce que la citoyenneté comme valeur porteuse d’égalité est mise à mal par la crise économique et par l’impuissance des politiques.

Dès lors en droit une question centrale se pose : un ordre juridique peut-il survivre à l’existence de sources concurrentielles de production normative ? Cette question, qui ne poserait probablement aucun problème dans un autre pays, prend une tournure particulière en France tant le système juridique est marqué par l’histoire de l’édification de la République.

Certes, l’idée de la République n’exclut pas la diversité des sources de droit, mais elle confère à la norme étatique une portée universelle. Cette exigence signifie que sans valeurs juridiques communes susceptibles de transcender les particularismes et contenir les forces antagonistes, une société ne peut fonctionner pacifiquement. Le jeu équivoque du pluralisme normatif, compilant une rhétorique étatique (universelle) et des normes culturellement spécifiques (relativisme culturel), peut réduire l’efficacité du Droit à son aptitude à gérer les défis émotionnels de la vie sociale.

Ainsi, « le lieu du pouvoir devient un lieu vide, inoccupable »[326]. On mesure alors l’inconfort d’un système juridique qui, sans prôner pour autant l’uniformité absolue, nourrit une appréciation critique à l’égard d’une production normative non maîtrisée. Il ne suffit pas de parler de pluralisme juridique pour échapper au doute sur la viabilité du modèle.

Cette part d’altérité située au cœur de la République l’expose inévitablement à des secousses, des crises et des incertitudes, dans la gestion de la racialisation des relations sociales et dans l’instrumentalisation des réclamations identitaires. À trop reconnaître et légitimer la différence, ne risque-t-on pas de mettre en péril l’équilibre normatif républicain ? « Tout ce qui est plural n’est pas d’or »[327].

Le droit à la différence n’est point ce processus enrichissant qui est la résultante de la tolérante acceptation de l’autre avec ses différences et ses spécificités. On feint toujours de préciser que sous la tolérance se dissimule l’indifférence. Quoi de plus méprisant que de vivre à la périphérie de la collectivité ? Soumis à la loi du groupe, sorte de droit ethnique (officieux), l’individu se trouve déconnecté des valeurs universelles qui ont généré la modernité.

Délicat exercice de droit à la différence ? N’est-il pas hasardeux de croire que la lapidation de l’adultère est un progrès ou l’excision des jeunes filles est une liberté de pensée ?

Méditons encore sur ces propos tenus par un rabbin après l’effroyable profanation du cimetière de Carpentras : « Finie, écrit-il, une religion soumise aux lois du monde qui l’entoure. Il faut défendre la pureté de l’environnement juif. Les femmes mariées reviennent au port de la perruque seuls leurs maris ont le droit de voir leur chevelure… »[328].

Aussi, loin d’atténuer les inégalités, le droit à la différence concourt à les accentuer en exposant l’individu à des normes dépourvues de toute modernité. Ses promoteurs cherchent en réalité à relativiser la place de l’État au nom d’une hypothétique spécificité culturelle. On peut se demander si, à force de flatter l’identité, on ne finira pas par clôturer la liberté. Aujourd’hui sous couvert du mythe des origines (culturelles, ethniques et religieuses), l’individu s’érige en législateur pour faire de sa subjectivité une norme juridique et de son attitude une ligne de conduite.

De là cette idée qu’il ne suffit pas que les libertés individuelles soient garanties contre le pouvoir, mais encore elles n’en doivent admettre aucune qui émane de lui. Pourquoi donc, si les libertés individuelles sont sacrées, accepteraient-elles un commandement ou une valeur collective dont il faut se méfier ? Achevons l’oeuvre, abolissons la valeur et que la somme des libertés particulières constitue une Autorité nouvelle qui, par nature, ne puisse être que l’incarnation d’une nouvelle modernité. Mais c’est lâcher la proie pour l’ombre. Car cette confusion est justement le principe même du despotisme moderne.

   II.         La réalité scolaire à l’épreuve de la loi

La loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », affirme l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. En France, on a toujours eu une passion particulière pour la loi. Associée à la liberté, on proclame sa souveraineté et on glorifie sa vertu. Expression directe de la volonté populaire contre l’abus de pouvoir, la loi doit se situer, selon la formule de Rousseau, au-dessus de l’homme. Et rien d’autres que la loi ne serait au-dessus de l’homme.

Elle n’aurait point à ménager les intérêts particuliers d’une communauté ou à trembler devant un groupe menaçant par son nombre ou par ses revendications catégorielles, car entre ce groupe et elle, entre cette communauté et elle, il y a l’intérêt général. Elle n’aurait non plus rien à craindre des gouvernants, car leur expansionnisme naturel serait encadré par des lois dont ils ne se trouveraient plus que les serviteurs. Le citoyen se voit affranchi de toutes les contraintes sauf celles qui sont prévues par la loi.

C’est au bénéfice de ces remarques qu’il convient d’apprécier l’acceptation du législateur de légiférer sur le port des signes religieux à l’école. Est-il opportun d’adopter une loi spécifique sur cette question ? De là découle une autre interrogation de fond sur la légitimité d’une telle législation : dans quelle mesure une loi considérée par certains comme une loi d’exception, peut-elle être encore légitime ?

La thèse de l’inopportunité et de l’illégitimité s’appuie essentiellement sur les conséquences que la loi est supposée entraîner : la laïcité signifie libérer, ouvrir des espaces de manifestations symboliques. Un État laïque sûr de lui et de sa cause ne doit en aucun cas adopter une législation qui exclut les religions. Au contraire, il doit faire en sorte que toutes les religions s’expriment librement dans un espace public neutre dans lequel l’extériorisation (symbolique ou réelle) de la croyance ne peut être encadrée.

Et les défenseurs de cette thèse, non contents de dénoncer le déficit démocratique d’une telle législation, en tirent comme conséquence générale le risque de stigmatisation d’une religion (l’Islam) qui souffre déjà d’un rejet généré par la peur liée à la méconnaissance de ses préceptes de base. Le droit, œuvre de raison, reposerait sur des valeurs à vocation universelle telle que l’égalité, l’équité et la justice, il ne pourrait résister à la transgression flagrante de ces principes par une loi en laquelle on ne saurait plus deviner l’expression du droit.

 Compréhensibles, ces remarques sont-elles satisfaisantes ? L’universalisme français ne rejette pas les diversités culturelle et religieuse sous réserve de respect des règles communes forgées par les Lumières et héritées de l’histoire. L’ennui est que « la multiplicité des cultures (qui ne sont plus unifiées hiérarchiquement par le mythe eurocentrique du progrès), la fragmentation des sphères d’existence et le pluralisme babélique de la société du modernisme tardif ont rendu de fait impensable un ordre unitaire du monde »[329].

De là le « désarroi » de la laïcité, principe établi non sans difficulté, au terme d’une longue évolution historique et d’une longue conquête des libertés, dont la portée s’articule autour d’un compromis entre un État respectueux des libertés de culte et de pensée et un individu-citoyen s’engageant à laisser neutres des espaces publics d’expression démocratique. Énoncer cet avantage de la laïcité n’est pas combattre la religion. C’est exiger d’elle de renoncer à sa Révélation et à l’unicité de sa Vérité et d’accepter de n’être qu’une spiritualité.

Or, loin d’être abandon de la religion, cette exigence est la réalisation de sa plus intime vocation. La laïcité exprime l’épanouissement de l’individu, il s’affirme comme sujet politique au détriment d’autres types d’appartenances : il y a prédominance de la citoyenneté. La neutralité de l’espace public rompt l’alliance et l’unité du ciel et de la terre et impose un traitement égalitaire entre les êtres sociaux. Donc « Dieu est mort » comme l’a annoncé Nietzsche. « Mais si Dieu est mort…, comment éviter qu’il ressuscite, fort, violent et péremptoire, dans l’intégrisme et le fondamentalisme ? »[330].

Le retour du religieux. Dieu est remis en scène tout puissant. Point de concession. Le discours est agressif et proprement réactionnaire. Sa cible principale la laïcité. À l’école, les incidents se multiplient et changent de nature. Le problème n’est plus exclusivement le port du signe religieux. Il ne s’agit plus de gérer le refus de certaines filles voilées d’assister aux cours d’éducation physique, de sciences ou d’éducation sexuelle, mais d’accéder à des demandes pressantes d’élèves voulant arrêter les cours pour aller faire la prière ou de convaincre d’autres de ne pas boycotter des enseignements parce que dispensés par des professeurs femmes…

Dans les établissements scolaires, la négociation atteint ses limites. L’offensive se globalise. L’espace (public) extrascolaire se voit à son tour touché. Sous la pression de plusieurs associations juives et musulmanes, des maires (Lille, Strasbourg, Sarcelles…) interdisent la mixité dans les piscines publiques. Partout où c’est possible, les fondamentalistes cherchent à imposer leur loi.

Dans les hôpitaux, dans les prisons, et dans les entreprises privées, on retrouve toujours la même démarche et les mêmes revendications : la racialisation des rapports sociaux et l’instrumentalisation des réclamations identitaires. Du coup, on redécouvre la laïcité. « L’oublier, écrit Régis Debray, nous exposerait à un quiproquo fort dommageable. Les crises de la laïcité sont des crises de civilisation »[331].

Interpellés par ce débat, les politiques ne peuvent rester indifférents. Très vite chaque groupe a réagi à sa manière. Sauf que, sur cette question, le clivage classique gauche droite n’est pas l’élément structurant du débat.. La loi a été votée quasi-unanimement sur un mot d’ordre simple : défendre la laïcité c’est défendre la République.

A.   La nouvelle donne législative

Au-delà du langage politique, la difficulté du législateur était d’adopter une loi qui soit utile et facilement applicable. L’inquiétude était réelle. La tactique consista alors à faire en sorte que la nouvelle législation s’inscrive dans un processus de clarification et de rationalisation de l’existant. En cela, la création d’une « commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République » faisait partie de cette stratégie normative. Privés de leurs fonctions, critique, rénovatrice et pédagogique, les parlementaires n’ont eu d’autres recours que de suivre l’essentiel des propositions formulées dans le dit rapport. Pour beaucoup d’entre eux, ce document fait office de position de repli. Ce transfert de légitimité mérite toutefois évocation. Pouvait-on imaginer une autre voie ?

Pour que les parlementaires puissent garder l’initiative dans ce domaine, il aurait fallu plusieurs conditions : que le camp dit laïc ne soit pas lui-même déchiré ; que les conflits qui se poursuivirent après l’avis du Conseil d’État n’aient pas mis à mal le caractère laïc de l’école ; que les fondamentalistes religieux n’aient pas choisi, pour mieux s’afficher politiquement, de recourir au seul langage de l’affrontement avec l’État.

Or le temps de la réflexion ne correspond jamais au temps des réformes. Le processus législatif, parce qu’il n’est jamais qu’une relation de pouvoir particulière, emprunte à celle-ci ses traits marquants : légiférer est avant tout relation stratégique et moment de choix politique. « Entre le pouvoir comme force et le pouvoir comme droit, entre le droit et la justice, entre le fait et le droit, le constitutif, le prescriptif, le normatif, le performatif, écrit Jacques Dérida, un spectre de différences et de nuances multiples se plie, se déplie, se replie au sujet desquelles, en démocratie, la clarté devrait être faite et devenir intelligible, si du moins quiconque doit pouvoir accéder au sens de ce que veut dire démocratie. Ce n’est pas demain la veille »[332].

Les représentants de la nation ont décidé d’agir en faisant mine d’ajuster la réponse à la commande des électeurs. Ils n’ont repris qu’une proposition (centrale) de la commission. Là gît le paradoxe français.

La laïcité mériterait-elle mieux ? Sans aucun doute. Contrairement à la loi de 1905 dont la vocation structurante est l’objet aujourd’hui d’un large consensus (elle a donné corps au principe de la séparation de l’Église et de l’État et elle constitue l’un des piliers légitimant de la III ème République), celle de 2004 semble souffrir d’un problème de lisibilité. On peut en effet lui reprocher d’avoir dilué la question laïque, valeur centrale de la République, dans des considérations certes importantes, mais qui restent néanmoins périphériques. Nettement plus large que le problème du port des signes religieux à l’école, la laïcité repose sur une vision éclairée de l’organisation politique de l’État, qui l’autorise à rationaliser sa relation avec le pouvoir spirituel. Dès lors réduire sa portée aux traitements des problèmes que posent le port des signes religieux à l’école, c’est commettre une double erreur. Une erreur symbolique et une erreur juridique.

  1. Critique de la loi

L’erreur symbolique consiste à faire apparaître la laïcité comme une arme antireligion et en l’occurrence ici (ne nous voilons pas la face) une arme antivoile islamique. D’abord, la laïcité n’est pas un moyen, elle est un ensemble de valeurs. Cela signifie que sa vocation centrale dépasse la question religieuse. Elle ne cherche ni à les combattre ni à les valoriser. Elle veut simplement leur tracer une ligne de conduite conforme aux valeurs de la République : une coexistence pacifique, donc point d’hégémonie, d’une part, et une discrétion quand elles s’affichent dans l’espace public, d’autre part.

Cette relation neutre avec les religions vise, en réalité, à pacifier la vie spirituelle, souvent conflictuelle, sinon polémique. Le traitement égalitaire qui en découle fonctionne comme un cadre juridique dont la vocation est d’imposer des injonctions sanctionnantes. Le respect de l’ordre public, par exemple, est l’une des injonctions dont l’État laïc peut se prévaloir pour s’immiscer dans les affaires internes des religions. Cette stratégie de « neutralité active » favorise la conciliation de l’affirmation de l’expression religieuse et les exigences qu’impose l’État de droit. En effet, son devoir de protéger les libertés entraîne nécessairement un droit de contrôle. Il doit veiller à ce que la liberté des uns n’empiète pas sur celle des autres.

On le voit, ce rapprochement conflictuel entre religions et laïcité est donc erroné. Auguste comte avait sans doute raison de prétendre qu’un système organique ne peut être formé que d’éléments semblables à lui et seulement moindres : les parties sont homogènes au tout, même si celui-ci, d’un certain point de vue, les dépasse et les déborde. En effet, c’est par l’entremise de la laïcité que la religion s’ouvre continuellement sur le droit, et c’est ce qui la sauve à la fois de toute étroitesse et de tout impérialisme : car c’est toujours par manque d’ouverture sur les autres qu’on veut s’imposer à eux.

« Les religions, écrit, Rodinson, ne sont pas dangereuses parce qu’elles prêchent la croyance en Dieu mais parce qu’elles ne disposent d’autres remèdes que l’exhortation morale pour les maux inhérents à la société. Plus elles croient disposer de tels remèdes et plus elles sacraliseront le statu quo social qui convient le plus souvent à leurs cadres »[333]. Encore une fois, lorsque le fait religieux se durcit et s’isole de la vie démocratique, c’est le signe manifeste que la laïcité ne remplit plus son office d’intégration.

L’affaire du « voile » peut s’interpréter comme la manifestation de cette crise qui révèle la difficulté de certains musulmans à adhérer à une valeur qui fait de la séparation du religieux et du politique la base « du vivre ensemble ». Pour les adversaires de la laïcité comme paradoxalement pour certains de ses partisans, elle a été trop souvent le symbole d’une autorité purement extrinsèque. Faute de la considérer comme le socle principal du pacte républicain, on lui a en quelque sorte emprunté uniquement « l’obligation de ne pas manifester ostensiblement ses allégeances religieuses ou communautaristes diverses dès lors qu’on accède à l’espace public ».

D’où un imbroglio de faux problèmes, de questions mal posées et de ressentiments inexpiables. Parce que la laïcité ne peut et ne doit se réduire à un morceau de tissu porté par une élève à l’école. Elle est naturellement beaucoup plus noble. Source de sociabilité, elle ne se veut l’adversaire d’aucune religion en particulier. Bien plus, elle ne les reconnaît pas toutes. Les principes qui la composent ne sont pas d’application différencielle, mais des principes absolus non négociables. Ainsi se manifeste le lien intime de la liberté et de l’égalité, deux principes qui savent unir intimité et sociabilité.

Cette démarche qui réduit la laïcité à la seule question du port des signes religieux à l’école se révèle également critiquable sur le plan juridique. La laïcité, loin d’être extérieure au droit, se situe au contraire à l’intérieur même du système juridique.

En effet, il n’existe pas de valeur qui soit règle juridique en soi et pour soi. Toute norme est articulée à une autre et toute production (normative) est liée à un producteur. Ces normes de droit peuvent être objectives, mais point abstraites. La Constitution de 1958 reprenant l’article 1 de celle de 1946 prévoit ainsi que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Cette reconnaissance constitutionnelle de la laïcité l’a donc hissée au niveau supérieur de la hiérarchie des normes.

Mais pour qu’elle soit féconde, outre son ancrage juridique, la laïcité a encore besoin d’une articulation institutionnelle claire. Autrement dit, la laïcité ne peut être une abstraction formelle. Elle n’a de sens que lorsque son ancrage juridique est articulé institutionnellement. Son efficacité politique dépend alors de son intimité avec l’État. Ainsi, État et laïcité ne peuvent rester séparés. Il faut donc qu’il y ait quelque chose de la laïcité qui passe dans l’État et quelque chose du droit qui passe dans la laïcité.

Nous n’avons guère à revenir sur le second point qui s’identifie à la question des libertés individuelles : la laïcité comme porteuse de libertés, est une perpétuelle source vivifiante du lien social. Reste le premier problème. Il est bien clair que tout ce qu’il y a de juridique dans la laïcité lui vient de l’État. Ce qui signifie que devenu lui-même laïc, l’État doit faire en sorte que la laïcité soit une réalité institutionnellement établie. Comme la liberté et l’égalité ne peuvent concrètement exister qu’en s’incarnant dans des structures politiques et économiques, la laïcité n’a d’efficacité qu’en passant par le canal étatique.

Les sociétés comme les individus ne sont pas spontanément laïques, ils le deviennent. Et pour cela il faut une intervention de l’État. Et cette intervention s’incarne diversement suivant les conditions historiques. Il appartient ensuite à l’État de traduire cette idée en règle d’après les conditions du lieu et du moment. Mais ce droit de protection n’est pas suffisant dans tous les cas. Aussi l’État a-t-il de plus un droit de tutelle. C’est lui qui impose son respect par la force de la loi. Si cette fonction n’était pas (ou était mal) remplie, c’est la vie même de l’État qui serait mise en danger. C’est parce que la loi semble n’avoir pas pris en considération cette dimension qu’elle s’expose à la critique.

En effet, en voulant traiter la laïcité à l’école d’une manière totalement déconnectée de sa problématique globale (la laïcité de l’État), le législateur autonomise la question de la laïcité de l’espace scolaire (public) au risque d’accentuer sa vulnérabilité. Or, dans un État laïc, l’école publique ne peut se concevoir autrement que par son ancrage laïc. Car la caractéristique de l’école est précisément l’approfondissement, le perfectionnement et le développement de la laïcité de l’État.

Ainsi, l’école apprend-elle à l’élève les vertus sociales et politiques de la laïcité. C’est grâce, sans doute, à cette relation avec l’État (laïc) que la laïcité de l’école est restée longtemps à l’abri des revendications identitaires. Au contraire, c’est le relâchement de ce lien qui l’a mis dans cet état de crise. Et ce n’est qu’au nom de cet idéal qu’on peut réhabiliter la laïcité à l’école.

  1. La nécessité de la loi

Cependant, ces considérations ne doivent en aucun cas nous faire perdre de vue la nécessité de cette loi. Peut-être une connaissance exacte fera-t-elle évanouir les insuffisances qui l’encombrent. Par connaître, nous entendons une compréhension intime, une analyse du dedans. Il s’agit de dégager l’être même de la loi, ce que nous appellerions son intention profonde. Les phénoménologues, eux, distinguent l’utilité et le sens. L’utilité est la marque même d’une finalité extérieure, pour autre chose ; le sens est ce qui n’a pas de finalité extrinsèque, ce qui a sa signification en soi même. C’est donc dans cette perspective que nous voudrions nous engager pour y découvrir l’essence (l’utilité et le sens) même de la loi.

Ainsi, sommes-nous conduits à commencer notre analyse par le premier fondement légitime de la loi, celui qui, en l’accomplissant, peut du même coup la sauver des ressentiments amoncelés contre elle. Rompre avec l’état du droit existant, notamment l’avis du Conseil d’État du 27 novembre 1989, et créer une nouvelle donne législative qui permet aux institutions scolaires d’accéder à de nouveaux moyens pour mieux faire revivre l’idéal républicain de l’école. Le plus grand service que puisse rendre le législateur à l’école, c’est d’être elle même. Qu’est-elle donc ? « L’école est le lieu et la laïcité le moyen pour apprendre à vivre ensemble dans une société qui se diversifie et se fragmente »[334].

Or c’est précisément cet « étalon idéal » qui semble être gravement menacé. « L’exigence laïque, dans les services publics, notamment à l’école, et dans le monde du travail est affaiblie par des revendications tendant à faire prévaloir des convictions communautaires sur les règles générales », constate le rapport de la commission Stasi. Il était donc de la responsabilité de l’État laïque d’intervenir pour assainir une situation devenue de l’avis de plusieurs témoins[335] insupportable.

Telle fut notamment, pour ne prendre qu’un exemple, l’attitude de certains élèves qui consiste à refuser d’accomplir leur devoir de présence à des cours sous prétexte qu’ils heurtent leur conviction religieuse. Cette réalité nouvelle n’est autre que l’aboutissement logique d’une volonté d’ouverture non maîtrisée de l’école. Ce n’est pas essentiellement pour exhiber leur croyance que les élèves se rendent à l’école, ils y vont pour acquérir un savoir, car l’école, si elle reste ce qu’elle doit être, est naturellement ce lieu où se façonnent « des esprits libres aptes au jugement autonome »[336]. À défaut, c’est l’universel de la mission de l’école qui sera altérée. Peut-être n’a-t-on pas assez insisté sur cette évidence. Le véritable dévouement de l’élève consiste à se dévouer à ses devoirs scolaires. Telle est, sans doute, l’une des raisons profondes pour lesquelles l’école est l’apprentissage de toutes les vertus sociales.

La fonction éducative de l’école résulte directement de sa nature et de son être : c’est parce qu’elle est faiseuse de sociabilité qu’elle fait de l’élève un citoyen en devenir. Mais de ce même caractère résulte une autre conséquence non moins importante : en faisant des l’élèves des citoyens et des êtres sociaux, elle les ouvrent au-delà d’elle même, à tous les autres. L’éducation est un enfantement continué. Éduquer n’est pas seulement pour l’école remplir une fonction importante ou même atteindre sa fin essentielle, c’est réaliser son idée, se constituer elle-même. Et cette mission prend encore plus d’ampleur quand elle se trouve associer à la laïcité. La laïcité, en effet, a ceci en commun avec l’école c’est qu’elle apprend à l’élève à ne plus se faire centre, mais à se considérer comme le terme d’une relation.

Nul besoin ici de disserter sur la crise que traverse l’école dans son ensemble. Toutefois, personne ne peut ignorer le désordre chaque fois que se déclenche une affaire liée au port du voile à l’école. Les passions se déchaînent, parfois dans la démesure, instantanément. Preuve que l’incompréhension est totale. Faut-il alors cédant à l’argument arithmétique, à la loi du nombre, renoncer à l’efficacité d’une loi capable de mettre de l’ordre, et reconnaître en elle simplement la créature légitime de l’État garant de la cohésion nationale ? Il faudrait pour répondre disposer de chiffres fiables et de statistiques viables. Combien de voiles dans les écoles ? Aucune étude statistique sérieuse n’a jamais été effectuée par le ministère[337].

Entre 1990 et 2003, cent cinquante[338] cas ont été répertoriés (semble-t-il), sur une population de cinq millions d’élèves. Et ce chiffre n’a évidemment pas changé depuis plusieurs années. Mais le regard sur le port du voile, lui, n’est plus le même. « Il n’est plus de l’ordre du fait divers, mais de l’événement fondamental »[339]. Mais l’histoire ne nous a-t-elle pas montré qu’un État ne peut scier la branche sur laquelle il veut asseoir sa société ? Le mal que pouvait engendrer le fait de ne pas légiférer a été pris au sérieux par le législateur.

Ici, comme il arrive souvent, c’est le scepticisme qui est sot, et l’enthousiasme qui est sage. Dès lors le recours à la loi s’est imposé comme la solution du Droit Le port du voile à l’école devient un fait illicite.

Certes, la laïcité a besoin d’une pédagogie, mais celle-ci, en cas de conflit, a aussi besoin d’une loi. « L’idéal légaliste, écrit Jean Carbonnier, contredit, dans l’homme et dans la société, des tendances trop fondamentales ; dans la réalité humaine et sociale qui s’exprime dans les systèmes juridiques modernes se rencontrent des instincts antagonistes : besoin d’ordre et de régularité, mais aussi propension au compromis et à l’indulgence qui inclinent les règles de droit à une ineffectivité naturelle »[340].

Cette description de l’ineffectivité du droit peut s’appliquer exactement à l’attitude du droit à l’égard du port du voile à l’école. Il est frappant de révéler au détour d’une médiation ou d’un document administratif, l’emploi de termes comme usage, coutume, prescription religieuse pour qualifier le port du voile, au point que la pratique administrative, les hésitations du juge devant les carences de la loi et les incertitudes de la jurisprudence, se rejoignent pour refuser de rejeter cette pratique qui, en fin de compte, constitue la négation même de la vertu du service public. En droit, usage, coutume, pratique, ne sauraient de l’avis général prévaloir sur une norme d’ordre public.

  1. La légitimité de la loi

Reste alors à apprécier, en fonction de ces éléments, la compatibilité de cette loi avec les normes européennes et plus particulièrement avec la Convention européenne de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. On pourrait être d’abord tenté d’interpréter cette législation comme une violation de l’article 9 qui a comme objet de protéger d’une manière très libérale la liberté religieuse. Quand la plus haute juridiction administrative nationale n’exclut nullement, en se référant à cette disposition, que le port du voile puisse être incompatible avec la laïcité, on peut en effet éprouver un sérieux doute sur le sort juridique de la loi.

Mais de même que l’on observe une tendance jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l’homme à maintenir sur le plan juridique un compromis entre l’affirmation du principe (la laïcité) et la tolérance de sa non-application, le moment semble venir de résorber cet antagonisme, car un ordre juridique ne peut impunément supporter la transgression de sa cohérence.

L’attitude de la Cour sur ces questions portant sur la pratique religieuse dans les États membres du Conseil de l’Europe est d’une extrême subtilité. Elle admet qu’il existe des degrés dans la positivité. Elle considère le droit non pas uniquement comme un ensemble de normes sanctionnées par une contrainte étatique, mais une règle de jugement, une sorte d’idéal nécessaire à partir duquel chaque État en fonction de son contexte encadre et régule les contraintes qui le lient.

Une telle vision ne saurait manquer de produire des conséquences en droit : la licéité ou l’illicéité d’un encadrement juridique des pratiques religieuses ne peut s’apprécier d’une manière absolue. C’est la jonction du texte et de son contexte qui servira de base de réflexion.

Dans l’arrêt « Cha’ are Shalom ve Tsedek contre France » du 27 juin 2000, la Cour a traduit cet empirisme dans une formule fort intéressante : « eu égard à la marge d’appréciation qu’il faut laisser à chaque État, notamment pour ce qui est de l’établissement des délicats rapports entre les Églises et l’État ». L’adéquation entre l’ordre public et la norme retenue comme appui de cette solution procède en réalité davantage de la volonté de la Cour de ne pas céder au confort que procure la démarche prétorienne.

C’est bien par ce même raisonnement que la Cour a élaboré une série de décisions, citées opportunément par le rapport de la commission Stasi pour conforter son option, dont la plus représentative de sa position jurisprudentielle est celle qui concerne l’interdiction par le gouvernement turc d’un parti islamiste « Refah ». La Cour constitutionnelle de Turquie, saisie pour statuer sur cette affaire, avait confirmé cette décision en estimant que ce parti est porteur d’un projet politique incompatible avec le principe de laïcité prévu explicitement par la Constitution.

Dans cet arrêt « Refah partisi et autres contre Turquie », du 13 février 2003, la Cour a considéré, non seulement, que l’interdiction de ce parti eu égard à la place qu’occupe la laïcité dans la Constitution turque n’est point une violation de la Convention, mais surtout, et d’une manière plus globale, que la défense des valeurs sur lesquelles se base une société donnée peut se faire même au détriment des libertés individuelles. « La Cour européenne de Strasbourg, conclut le rapport de la commission (Stasii), protège la laïcité quand elle est une valeur fondamentale de l’État. Elle admet que soient apportées des limites à la liberté d’expression dans les services publics, surtout lorsqu’il s’agit de protéger les mineurs contre des pressions extérieures »[341].

En un sens, la laïcité existe en dehors du fait religieux. Elle a sa nature propre. Mais c’est l’État qui l’inscrit dans l’histoire d’une nation. Il la transmet aux citoyens pour qu’elle façonne leur mode de vie. Il y a là le paradoxe de l’éducation. Éduquer c’est utiliser la contrainte au service de la liberté, c’est employer des moyens d’hétéronomie au service d’un développement graduel d’autonomie. Mais réussir une éducation ce n’est pas la rendre indispensable, mais permettre de s’en passer : « le bon éducateur est celui qui a su se rendre utile, comme le maître véritable est celui qui a fait du disciple un maître à son tour, c’est-à-dire un être capable de se répondre lui même »[342]. Peut-être pourrait-on traduire cela en disant que la laïcité est une éthique. Autrement dit, elle est une manière d’être et de se comporter et également une démarche intellectuelle, à savoir : l’exercice d’une liberté qui sait incarner des valeurs en remplissant des devoirs. On comprend par là quel service fondamental rend « l’État-éducateur » quand il intervient pour réhabiliter l’éthique de la laïcité. De ce point de vue la loi précise en effet les conditions sous lesquelles une éthique laïque doit être préservée.

« Dans les écoles, les collèges et les lycées, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». L’interdiction issue de cette disposition, affecte au premier chef les signes religieux (ostensibles) et s’étend aux tenues vestimentaires, débouchant sur une confusion entre les deux termes.

On se trouve alors au coeur de l’une des questions centrales de l’éthique laïque : comment une tenue vestimentaire pourrait-elle s’identifier à une pratique religieuse en lui devenant consubstantielle ? En principe « dans une démocratie devenue autoréférentielle depuis qu’elle s’est coupée de la transcendance »[343], se vêtir relève de la liberté individuelle. Mais depuis que l’expression religieuse ne cesse de s’étendre et de se renforcer en prenant des formes de plus en plus différentes, elle devient « “pouvoir-cause”, investi de la mission de changer la société ; dès lors, son emprise est théoriquement illimitée : elle s’exerce sur les biens comme sur les esprits »[344].

Cet expansionnisme religieux a pour credo un prosélytisme décomplexé et pour instrument un militantisme dont le volume, le contenu et la finalité, soulèvent aujourd’hui de tous côtés protestation et cris d’alarmes, non seulement d’un point de vue social, en raison du repli identitaire qu’il provoque et le communautarisme qu’il engendre, mais aussi, sur un plan politique, par la mise en cause qu’entraîne un pareil phénomène quant à la cohésion de notre espace politique.

On parle à ce propos de crise, de zone de non droit, de déclin de l’État. « Des services publics sont, au nom des convictions religieuses de certains de leurs usagers, quelquefois de leurs agents, niés dans leurs principes et entravés dans leur fonctionnement. En effet, les revendications auxquelles ils doivent faire face mettent en cause l’égalité et la continuité qui les fondent. Si la République n’est pas à même de restaurer leur fonctionnement normal, c’est donc l’avenir même de ces services publics qui est en jeu »[345].

Rien, pour elles, n’est personnel, elles ne s’arrêtent pas au seuil du corps. Ainsi, les tenues vestimentaires servent de moyen d’identification religieuse. L’habit perd sa neutralité pour devenir un objet de culte. Dès lors, la boucle se referme. La liberté (vestimentaire), qui s’est assignée comme vocation première (particulièrement pour les femmes) l’émancipation de l’individu, aboutit à son asservissement et verse de la sorte dans un totalitarisme oppressant. Dans une société où le dévoilement du corps est considéré comme un signe de modernité, vouloir le cacher constitue une atteinte grave à la liberté. Cette situation atteint un degré paroxystique avec l’importation de la « burka » afghane.

C’est à cette instrumentalisation et à cette forme d’aliénation que se trouve à l’heure présente confronté le service public, et notamment l’école. Or force est de constater l’extrême complexité de cet état de fait. Comment prétendre ne pas afficher son appartenance religieuse quand on est habillé en noir de la tête au pied avec les mains gantées ? Comment prétendre qu’il n’existe aucun lien entre cet accoutrement et la perturbation du bon fonctionnement de l’établissement scolaire quand celles qui sont habillées de la sorte refusent de se rendre à certains cours ou à certaines activités scolaires (CE, 10 mars 1995 époux Aoukili).

Enfin, comment condamner les conséquences sans s’attaquer à la logique dont elle découle ? Une telle prise de conscience exprime en effet la volonté du législateur de réhabiliter la neutralité de l’espace scolaire. « La classe, écrit Régis Debray, n’est pas une tribu, avec ses petits chefs et ses boucs émissaires, ni une fédération de clans. C’est une réunion réglée d’individus égaux et libres devant la tâche personnelle d’apprendre »[346].

Sans vouloir revenir à l’uniforme scolaire, le législateur en élargissant l’interdiction aux tenues vestimentaires a exprimé son souci de réorganiser la laïcité de l’école sur des bases plus claires. Cette disposition entre autres objectifs, vise également à introduire une éthique laïque qui ne cherche pas à nier la singularité, mais qui suppose que, dans la diversité, les individus (les élèves) accèdent à une sphère de légitimité homogène dans laquelle les acteurs adhèrent aux mêmes valeurs d’intérêt général, de solidarité et de participation[347].

Cette équation est capitale pour l’école dont la mission principale est l’instruction. Le vécu personnel ne doit pas faire modèle. Se comporter sans une once d’ostentation doit être la règle à l’école. La seule chose qui puisse être fructueuse dans cet espace est « une instruction vivante, un enseignement de l’âme entière, de toute la personne, de la vie », disait Alain[348]. Sa santé (l’école) dépendra de la manière dont on façonnera le jeune, l’élève, en vérité. Les normes régissant l’espace scolaire doivent donc se situer juste hors de la portée de l’élève, suscitant en lui effort et volonté. La règle suprême est la neutralité.

On comprend dès lors ce que peut signifier, pour le législateur, défendre la laïcité de l’école : ce n’est point par ressentiment contre telle ou telle religion, c’est faire en sorte que l’école soit pleinement elle-même, c’est-à-dire le lieu où l’on apprend. Ce qui implique de la part de tous les élèves objectivité et respect de l’institution scolaire.

Donc la laïcité n’est pas un pouvoir extrinsèque et contraignant, mais une autorité au service de l’élève. Cela signifie qu’elle se conçoit aussi comme moyen de protection de l’élève. Voilà qui suffirait à justifier la réactivation du principe de « protection des mineurs ». Avant d’être élève, l’enfant est une valeur que les pouvoirs publics se doivent de protéger. Le protéger contre les agressions extérieures et le protéger contre lui-même. Ce sont bien ces deux aspects dont il est question également dans l’élaboration de la loi.

 

B.    Laïcité et école publique : la nécessaire clarification

« La question scolaire est le chapitre le plus irritant et le plus inépuisable des débats sur la laïcité »[349]. En effet, même si la notion de laïcité dépasse largement le cadre scolaire, c’est autour de l’école qu’ont eu lieu les plus vifs échanges au sujet de ce principe.

« Mot qui sent la poudre dans le domaine politique et phisolophique »[350], la laïcité, pour schématiser à l’extrême, est « un problème de frontière entre le spirituel et le temporel »[351]. Or, dès lors que l’on parle de frontières, on s’expose au risque de batailles (physiques ou intellectuelles), chacun tentant de s’imposer sur le « territoire » de l’autre[352] . L’école constitue donc un « champ de bataille » propice puisque l’on s’adresse dans ce cadre à la conscience d’enfants qu’il s’agit encore de former, voire d’influencer. Tout le débat se situe sur ce point : doit-on enseigner à l’enfant dans le cadre, et selon les préceptes, d’une religion donnée ou bien doit-on lui assurer un enseignement laïque, c’est-à-dire dépourvu de références dogmatiques, quelles soient religieuses ou politiques ?

Ce débat a semble-t-il été tranché par la loi du 28 mars 1882 inspiré par Jules Ferry. En effet, cette loi a officialisé la laïcité de l’école de la République qui impose la neutralité absolue à l’égard des religions. Pour « compenser » l’expulsion de la religion hors de l’école, cette loi prévoyait de réserver un jour par semaine pour un enseignement religieux, celui-ci devant se dérouler hors des locaux scolaires. Après des siècles où le spirituel et le temporel se « combinaient », le pouvoir politique trancha le lien à la fin du XIXe siècle pour l’école publique et de façon plus générale, au début du XXe siècle, avec la loi de séparation des églises et de l’État du 9 décembre 1905.

À partir de ce moment-là, la laïcité a sans cesse été tiraillée entre ses farouches défenseurs et ses inlassables détracteurs. Elle a peu à peu évolué pour « tenir compte de certaines réalités historiques ou sociales rendant difficile sa mise en oeuvre »[353] .

On est passé d’une laïcité de « combat »[354] à l’origine, qui voulut rapidement couper les ponts avec la religion, à une laïcité plus « tolérante »[355], plus « ouverte », (…) « l’éthique de la laïcité étant porteuse d’un principe de séparation, non de négation des religions »[356].

On peut prendre un exemple concret de cette évolution en s’appuyant sur l’analyse des rapports entre l’État et l’enseignement privé. Dans un premier temps, l’existence d’un enseignement privé a été admise au nom de la liberté d’enseignement, mais l’État se refusait à intervenir financièrement. En effet, on s’appuyait ici sur une conception plutôt « passive », « neutre », de la laïcité. Il a fallu attendre les lois Barangé de 1951 et Debré de 1959 pour que l’État commence à attribuer des aides publiques à l’enseignement privé. Le Conseil constitutionnel, quelques années plus tard, en tentant de concilier le principe de laïcité avec le principe de liberté d’enseignement, admis simplement le principe d’un financement public[357] avant que de le considérer « obligatoire » et indispensable au maintien du principe de la liberté d’enseignement[358].

Depuis le début de la Ve République, les juges, constitutionnel ou administratif, ont toujours tenté de concilier le principe de laïcité avec l’évolution de la société en tenant compte d’autres principes tels que la liberté d’enseignement, la liberté de culte, la liberté d’expression… Il est vrai que l’école a souvent été le lieu de cette confrontation entre principes constitutionnels. C’est à l’école, d’abord, que se sont posés les problèmes des repas à la cantine, de l’assistance aux cours de biologie ou d’éducation physique et sportive. Des conflits sont peu à peu apparus au nom de telle ou telle religion et les chefs d’établissement, parfois les tribunaux, ont dû trancher.

Deux questions, selon nous, doivent attirer particulièrement l’attention. Il s’agit d’une part de la question du port de signes religieux par les élèves au sein de l’école publique et, d’autre part, de la question de l’enseignement du fait religieux dans le cadre du programme scolaire. De nombreux rapports ont été rédigés sur ces thèmes. Chronologiquement, et sans remonter très loin dans l’histoire, on peut évoquer le rapport de M. Debray de février 2002 sur « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », le rapport de M. Baroin de mai 2003 intitulé : « Pour une nouvelle laïcité », le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les signes religieux créée et présidée par M. Debré et enfin le rapport de la commission « Pour la laïcité de la République » présidée par M. Stasi à la demande du président de la République (ces deux derniers rapports ayant été rendus en décembre 2003).

Ce foisonnement de rapports montre un besoin actuel de clarification sur la signification exacte de la laïcité en ce début de XXIe siècle. Non pas que l’actualité soit particulièrement chargée « d’affaires » concernant la laïcité (même si, ici ou là, quelques problèmes peuvent surgir[359]), mais parce que beaucoup, notamment dans la classe politique, estiment qu’il est peut-être temps de légiférer pour donner un cadre plus fixe à la laïcité à un moment où, au plan européen, on s’interroge sur l’opportunité de faire référence ou pas à Dieu dans le projet de Constitution[360] .

1.     Le port du signe religieux

Tout d’abord, il convient de souligner que la question de l’autorisation ou pas du port de signes religieux à l’école se pose à l’égard des élèves et non à l’égard des « maîtres ».

En effet, pour ces derniers, il n’y a pas lieu à hésitation. Les choses sont très claires et, comme tout fonctionnaire de l’État, les enseignants ne peuvent, dans le cadre de leur fonction, afficher leur croyance religieuse ou leur idée politique. Nous aurions peut-être envie de dire, plus que tout autre fonctionnaire de l’État, car ils sont au contact d’usagers mineurs, donc beaucoup plus influençables[361].

En ce qui concerne les élèves, la solution adoptée n’est pas aussi claire, les obligations pesant sur leurs épaules n’étant pas de la même nature que celles pesant sur les enseignants. Ce problème du port de signes d’appartenance religieuse par les élèves s’est posé de façon aiguë vers la fin des années 1980, plus particulièrement à l’égard du port du voile islamique 15 . Et si, bien évidemment, les décisions qui ont découlé de ces « affaires » s’appliquent à l’ensemble des signes d’appartenance religieuse (croix, kippa, voile…), on a tendance à réduire ce problème au port du voile et à se focaliser sur la religion musulmane ce qui, on le verra, peut fausser le débat.

Tout semble avoir commencé, même si des cas s’étaient déjà présentés, mais de façon certainement beaucoup moins médiatisée, durant l’année scolaire 1989-1990 avec des jeunes musulmanes qui portaient le voile islamique dans l’enceinte du collège de Creil.

Face à cette situation, le principal décide d’exclure les jeunes filles qui ne respectaient pas, selon lui, le principe de laïcité. Devant le fort battage médiatique qu’il y eût autour de cette affaire, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Lionel Jospin, décida, avant de prendre une circulaire pour tenter d’établir la « doctrine » de l’État sur cette question, de consulter le Conseil d’État. Ce dernier rendit un avis le 27 novembre 1989, avis qui fut repris quasiment mot pour mot dans la circulaire du ministre.

Selon cet avis (et la circulaire qui en découle), « Le port du foulard islamique en classe n’est pas incompatible avec le principe de laïcité dans la mesure où il constitue l’exemple de la liberté d’expression et de la manifestation de la croyance religieuse. Cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de provocation, de prosélytisme ou de propagande ».

Cet avis, s’il paraît équilibré en établissant un compromis entre le principe de laïcité et les principes de liberté d’expression et de manifestation des croyances religieuses, soulève cependant un problème de taille. En effet, il appartient aux chefs d’établissement d’apprécier, au cas par cas, le caractère ostentatoire du port d’un signe religieux. Ce qui ne va pas sans poser de problèmes d’interprétation et de risque de divergences d’application de la circulaire d’un établissement à l’autre.

Depuis cette date, d’autres cas se sont bien évidemment présenté et ont abouti à des solutions différentes. Si, dans certains cas, le chef d’établissement a pu résoudre le problème par la discussion et la négociation[362], dans d’autres cas, des mesures d’exclusion ont été prononcées, aboutissant à la saisine des tribunaux. C’est ainsi que le Conseil d’État, dans un arrêt du 2 novembre 1992, Kherouaa, eût l’occasion de confirmer, dans sa formation juridictionnelle, son avis de 1989, en considérant que le port du voile islamique n’était pas incompatible par nature avec le principe de laïcité et que seul le port ostentatoire de ce signe pouvait faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

Cependant, cette position ne faisait pas l’unanimité, et la question qui semblait pourtant close par cette décision juridictionnelle a été rouverte par la circulaire du 20 septembre 1994 du ministre de l’Éducation nationale de l’époque, François Bayrou, qui était beaucoup plus restrictive[363] que celle de 1989. En effet, cette circulaire considérait le foulard islamique comme un signe ayant un caractère ostentatoire par lui-même. Si cette circulaire avait l’avantage de la clarté, ne posant donc aucune difficulté d’interprétation pour les chefs d’établissement, elle avait l’inconvénient de ne viser qu’un signe religieux, stigmatisant ainsi une religion, l’Islam, parmi toutes les autres.

Sur la base de cette nouvelle circulaire, des exclusions furent prononcées et le Conseil d’État dut intervenir pour réaffirmer sa position et « écarter » la circulaire Bayrou. Dans un arrêt du 10 juillet 1995, la Haute juridiction administrative a ainsi cassé toutes les exclusions fondées sur le port de signes religieux ostentatoires par eux-mêmes, n’admettant, comme motif d’exclusion, que le port ostentatoire de signes religieux[364]. La différence de formulation semble minime, mais elle a une importance capitale puisque celle du Conseil d’État laisse peser l’appréciation du port ostentatoire sur les épaules des chefs d’établissement. Dans son arrêt Ylmaz du 14 mars 1994, le Conseil d’État a ainsi considéré qu’il n’était pas possible de poser des mesures d’interdiction générale et absolue[365] et qu’il était seulement possible, dans un établissement donné, en fonction de troubles à l’ordre public, d’imposer une interdiction motivée par des circonstances de temps et de lieux.

Depuis 1989 donc, à l’exception de la circulaire Bayrou, les problèmes posés par le port de signes religieux à l’école ont été réglés sur le fondement de la jurisprudence administrative. Globalement, en faisant la synthèse de cette jurisprudence, on s’aperçoit que des sanctions ont été infligées lorsque le comportement de l’élève, selon Rémy Schwartz[366], a entraîné « un manquement aux règles fondamentales de l’enseignement public ; l’élève ne peut porter atteinte à la continuité du service, il doit respecter tous les programmes, il ne peut arborer des signes religieux qui seraient constitutifs d’un acte de prosélytisme, de provocation, il ne peut porter atteinte à la liberté d’autrui, il ne peut perturber le déroulement des activités d’enseignement, le rôle éducatif des enseignants… »[367].

À ce stade, il convient de souligner que ce problème est typiquement franco-français puisqu’on ne relève pas en Europe, ou de façon très isolée, de débats autour du port de signes religieux à l’école, ceux-ci étant parfaitement admis.

Toute la difficulté en France réside dans le fait que les principes de liberté d’expression et de la manifestation de croyances religieuses, primant partout en Europe et que l’on retrouve d’ailleurs dans les textes européens, se trouvent confrontés au principe de laïcité. Dans ce cas, et lorsque deux principes juridiques de même valeur se trouvent en opposition, les juridictions, constitutionnelle ou, en l’occurrence, administrative, tentent de les concilier. C’est ce qu’a fait le Conseil d’État mais le problème, nous le répétons, est qu’en l’espèce, toute la responsabilité de l’appréciation porte sur les chefs d’établissement ce qui amène à une application différenciée sur l’ensemble du territoire.

C’est pour cette raison, et d’autres encore, que le débat sur le port de signes religieux à l’école est revenu sur l’avant-scène en 2003. Et si le premier rapport rendu sur ce thème a été celui de M. Baroin[368], plusieurs autres ont suivi, l’un issu d’une mission d’information de l’Assemblée nationale sous la présidence de M. Debré[369] et l’autre issu d’une « commission de sages » constituée autour de M. Stasi à la demande du président de la République[370].

Après ce court rappel « historique », il convient donc désormais de se pencher sur le contenu des débats au sein de ses commissions, et en dehors, pour analyser les positions des uns et des autres et voir si une clarification de cette question est possible et… souhaitable.

En effet, la question centrale qui focalise l’actualité depuis quelques mois, est celle de savoir s’il faut légiférer, ou pas, sur la question du port de signes religieux à l’école.

Bon nombre d’hommes politiques, d’auteurs, considèrent que la seule manière de clarifier les choses serait d’interdire par la loi tout port de signes religieux à l’école. Pour certains, le port de ces signes constitue une atteinte grave au principe de laïcité qui veut, selon eux, que la religion, mais aussi la politique, restent totalement en dehors de l’école. Pour Alain Finkielkraut[371] par exemple, « L’école est un temple. Ce n’est pas seulement un sanctuaire, c’est aussi un temple. Et on enlève son foulard dans ce temple, précisément pour se rendre disponible aux grandes oeuvres de la culture, aux oeuvres qui font l’humanité… Or, le foulard est quelque chose qui s’entremet, il s’agit même d’un rideau que l’on tend devant la culture. Voilà ce que l’école, en tant que temple, se doit de refuser. L’école est un espace séparé qui obéit à ses propres règles : la laïcité ».

De plus, pour les partisans d’une loi, le port de signes religieux à l’école est le symbole d’une inquiétante dérive communautariste. Ainsi, selon Petek Salom[372], « Le voile est communautariste. C’est l’affichage d’une appartenance religieuse, donc d’une différence, qui confine au particulier. Or, l’école est un espace partagé où prime avant tout le vivre ensemble. La neutralité est seule garante de l’universalité et de la paix scolaire ». Dans le même sens, selon Geneviève Koubi[373], « Le principe de laïcité est bien une arme contre la division socioculturelle, il est l’argument fondamental sur lequel repose la définition de la République française, comme il est le principe directeur de l’action des pouvoirs publics français ». Car le problème, selon Danièle Lochak[374], est que « l’individu ne revendique plus seulement le droit de conformer sa conduite à ce que lui dicte sa conscience ; il entend afficher à la fois ses convictions et son appartenance à une communauté ».

Enfin, et ce n’est pas le moindre des arguments, l’interdiction du port du voile serait absolument nécessaire car il est « ségrégationniste. C’est le constat de l’inégalité et de l’infériorité de la femme. L’espace public ne lui est pas autorisé, à moins qu’elle n’y paraisse cachée sous son voile afin de ne pas être offensée »[375]. Or cette discrimination ne peut être admise au sein de la République française. La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt relatif à une institutrice suisse voilée rendu en 2000, a d’ailleurs donné un tel sens au voile puisqu’elle a déclaré que c’était une atteinte à l’égalité hommes-femmes.

Tels sont donc les principaux arguments avancés par une partie de la doctrine et de la classe politique pour demander une loi interdisant le port de signes religieux à l’école.

Cependant, force est de constater que d’autres auteurs ou hommes politiques sont favorables pour leur part au maintien du système actuel et de la jurisprudence du Conseil d’État. Solution équilibrée, cette jurisprudence permettrait en effet, selon eux, de préserver la liberté d’expression et de manifestation des croyances religieuses tout en posant des limites. Cette jurisprudence se situerait d’ailleurs dans la logique des textes européens, notamment de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui stipule : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989[376] reprend d’ailleurs ce principe à son compte en précisant que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression ».

Pour les tenants du statu quo, légiférer pour interdire tout port de signes religieux à l’école poserait un problème de constitutionnalité et risquerait de nous mettre en opposition avec la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, et au-delà du problème purement juridique, légiférer aujourd’hui sur cette question risquerait d’être pris comme une législation de circonstance, visant avant tout la religion musulmane et le port du voile, ce qui ne ferait qu’aviver certaines tensions.

Toutes ces positions, des tenants d’une législation ferme affichant l’interdiction de tout port de signes religieux à l’école, aux tenants du maintien du statu quo, ont été tour à tour défendues devant la mission d’information de l’Assemblée nationale présidée par Jean-Louis Debré et devant la commission des sages présidée par Bernard Stasi. Toutes les formations politiques, des intellectuels, des associations… ont pu s’exprimer sur cette question.

Pour notre part, nous pensons depuis longtemps que la solution proposée par le Conseil d’État, même si elle paraît équilibrée, n’est plus tenable en l’état.

Elle n’est plus tenable, dans un premier temps, parce qu’elle laisse toute la charge de l’appréciation aux chefs d’établissement qui préfèreraient avoir, en la matière, des instructions beaucoup plus précises. De plus, une telle situation amène à prendre des mesures différenciées en fonction des établissements, ce qui trouble encore plus le débat dans un pays où les citoyens doivent être traités, à situation identique, de façon égale.

Cette solution ne nous semble plus tenable, non plus, car nous sommes à une période où, pratiquement cent ans après la loi de séparation, la laïcité a besoin d’une « piqûre de rappel », pour reprendre une expression déjà utilisée. Comme nous avons eu l’occasion de l’évoquer dans notre thèse[377], la laïcité a connu une longue évolution, passant d’une laïcité de combat, à l’origine, à une laïcité-neutralité pour aboutir, ces dernières années, à une laïcité dite ouverte où la notion de pluralisme devient centrale et dont l’un des fervents défenseurs est le philosophe M. Touraine[378].

Faire ce constat, appuyé sur des faits, de la jurisprudence, ne signifie pas accepter cette évolution, certains diraient cette dérive[379]. Sans revenir à la laïcité de combat originaire, il nous semble nécessaire aujourd’hui de revenir sur des principes clairs, sans édulcoration. Et s’il est vrai que la laïcité est susceptible de multiples approches, elle a quand même comme principes centraux celui de la séparation du religieux et du politique et celui de la tolérance et du respect de toutes les religions. Or l’école est le lieu par excellence, d’autres l’ont mieux dit que nous[380], qui doit faire la part de ce qui relève du collectif de ce qui relève du privé, notamment la religion.

C’est pourquoi nous sommes favorables[381] à ce qu’une loi, spécifique ou pas[382] , puisse préciser les choses et exclure le port visible de signes religieux à l’école. Comme M. Seksig[383], nous aurions « préféré que la laïcité continue simplement à faire autorité ». Mais en l’absence de compromis[384], l’intervention législative devenait nécessaire. Certains avanceront qu’une telle législation n’apportera rien, car il faudrait pour être très précis, recenser de façon exhaustive les signes concernés.

Si un recensement global est possible, il semble qu’il ne soit pas nécessaire de rentrer dans le détail et même s’il reste des cas « litigieux » qui relèveront de l’appréciation des chefs d’établissement, leur tâche sera quand même considérablement simplifiée. Il est plus facile de juger ce qui est un signe religieux, de ce qui ne l’est pas, que de juger du port ostentatoire (ou ostensible) ou pas de tels signes[385].

Nous sommes sensibles par contre à l’argument qui consiste à dire qu’une telle législation, à l’heure actuelle, risque d’être interprétée comme étant une « attaque » dirigée essentiellement contre la religion musulmane[386]. Bien loin de nous cette idée car, pour notre part, tous les signes religieux, quels qu’ils soient, doivent être traités de la même façon. Il n’y a pas de différence à faire, au nom même de la laïcité, qui se doit de traiter de façon identique toutes les religions. Certes, on n’empêchera pas les interprétations tant l’actualité s’est focalisée depuis quinze ans sur les foulards. On oublie de dire que dans les années 1960, comme le soulignait M. Dubernard[387], c’étaient les « crucifix que l’on demandait de dissimuler sous les pull-overs ». Gageons que le long débat qui vient de s’ouvrir arrivera à couper court à toute stigmatisation de telle ou telle religion. De toute manière, comme le soulignait un membre de la commission Stasi[388], si l’hypothèse législative devait être retenue, « il faudrait l’accompagner en contrepoint de gestes très forts en matière de mobilité sociale, d’accès au logement, de vote, bref d’intégration ».

Reste l’écueil des normes européennes et ce n’est qu’en avançant une législation que nous saurons si une telle évolution est compatible, ou pas, avec la Convention européenne des droits de l’homme[389]. Cependant, il convient de souligner que M. Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l’homme, lors de son audition par la commission Stasi, affirma que « si une telle loi était soumise à notre Cour, elle serait jugée conforme au modèle français de laïcité, et donc pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme ». Pour M. Costa[390] en effet, la Convention ne fixe pas de modèle en matière de relations entre les États et les religions et admet tous les modes d’organisation, depuis la laïcité à la française jusqu’aux religions d’État.

Même si la liberté religieuse est garantie, la Convention reconnaît aux États un « droit d’ingérence », ingérence soumise à trois conditions : qu’elle soit prévue par la loi, qu’elle ait un but légitime et que l’intervention soit proportionnelle au trouble qu’elle prétend combattre.

Même si une loi semble donc envisageable et même souhaitable selon nous, une telle mesure devra s’accompagner, peut-être pour montrer que la laïcité ne signifie pas le rejet absolu du religieux, d’une volonté accrue d’enseigner le fait religieux à l’école. Enseigner le fait religieux, mais aussi le principe de laïcité, pour bien faire comprendre aux élèves les raisons de l’adoption d’un tel système en France dont le seul but est de maintenir la cohésion de notre société et d’éviter son éclatement en communautés.

2.     L’enseignement du religieux à l’école publique

Cette question de l’enseignement du religieux à l’école publique vient de faire une nouvelle apparition dans l’actualité suite à la parution du rapport de M. Debray consacré à cette question.

Avant d’aller plus loin dans l’analyse de la situation actuelle, il convient de bien s’accorder sur les termes utilisés pour éviter toutes confusions et de faire un bref rappel historique.

En effet, parler d’enseignement du religieux à l’école ne signifie pas faire un enseignement religieux à l’école. Comme le souligne M. Debray dans son rapport, « personne ne peut confondre catéchèse et information, proposition de loi et offre de savoir, témoignages et comptes rendus ». Il poursuit plus loin en évoquant l’enseignement du religieux ou, pour reprendre le titre de son rapport, l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, qui « procède d’une approche descriptive, factuelle et notionnelle des religions en présence, de l’Extrême-Orient à l’Occident, sans chercher à privilégier telle ou telle ».

C’est certainement parce que ce distinguo n’est pas clair pour tout le monde que l’on a refusé de parler pendant longtemps des religions à l’école. En effet, si l’on fait un retour en arrière, il convient de souligner qu’avant 1882 un enseignement confessionnel était admis au sein de l’école[391]. Il a fallu attendre la loi du 28 mars 1882 pour que l’enseignement confessionnel soit exclu des locaux et du temps scolaire, le législateur prévoyant cependant le blocage d’un jour libre par semaine pour permettre à ceux qui le souhaitaient de suivre un enseignement religieux en dehors des locaux scolaires.

Cette « expulsion » de Dieu de l’école publique ne s’est cependant pas appliquée partout en France. En effet, il convient de souligner que le régime antérieur à 1882 s’applique encore aujourd’hui dans certaines collectivités d’Outre-Mer[392] et dans les trois départements d’Alsace-Moselle (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle) sur lesquels nous allons nous attarder. Ces trois départements annexés par l’Allemagne au moment de la loi Ferry, n’ont pas été soumis à ce changement et sont restés sous le coup de la loi Falloux du 15 mars 1850 prévoyant un enseignement religieux pendant les heures de classe et dans les locaux scolaires.

Ce régime, fixé par la loi Falloux, a été maintenu par l’Allemagne durant toute la période d’annexion (de 1871 à 1918) et, chose encore plus étonnante, a été maintenu lorsque ces trois départements ont été réintégrés à la France[393].

On se retrouve donc aujourd’hui en France avec trois départements[394] où l’enseignement religieux est obligatoire durant les heures et dans les locaux scolaires sauf demande expresse de dispense par les parents[395].

Cette situation constitue bien évidemment une exception en France qu’il convenait de souligner car elle est en Europe… majoritaire.

En effet, et de façon globale, les pays européens admettent un enseignement religieux au sein de l’école. Bien évidemment, il n’existe pas un modèle type applicable dans chacun des pays. Si en Irlande et en Grèce, par exemple, l’enseignement est de type confessionnel et obligatoire, dans d’autres pays, comme la Belgique, les établissements d’État permettent un choix entre cours de religion et cours de morale non confessionnelle.

Ailleurs, comme en Allemagne, l’enseignement religieux chrétien fait partie des programmes religieux, souvent sous contrôle des églises, les notes obtenues en religion comptant pour le passage dans la classe supérieure.

En Italie, comme le souligne M. Starck[396], « Les élèves, eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leurs parents, doivent déclarer chaque année s’ils envisagent ou non de fréquenter le cours d’instruction religieuse catholique en tant que matière optionnelle. Les professeurs de religion sont nommés par l’administration publique responsable de l’enseignement sur proposition de l’évêque du diocèse… Les professeurs de religion sont payés par l’État »[397].

La situation est quasiment identique en Espagne, le gouvernement Aznar ayant cependant récemment marqué la volonté de rendre ces cours obligatoires et non plus simplement facultatifs, et au Portugal où cette réglementation a été validée par le Tribunal constitutionnel qui a décidé que « l’enseignement religieux confessionnel dans les écoles publiques n’est contraire ni au principe constitutionnel de séparation de l’église et de l’État (article 41, alinéa 4 de la Constitution portugaise), ni à la liberté de confession de l’éducation nationale »[398].

Enfin, et pour terminer ce rapide tour d’horizon, il convient d’évoquer le cas de l’Angleterre où est dispensé un enseignement religieux chrétien non confessionnel dans les écoles publiques.

Finalement, mis à part l’exception concernant l’Alsace et la Moselle qui se rapproche des autres systèmes européens, il faut se tourner vers les États-Unis pour trouver un système se rapprochant du système français, la Cour suprême ayant estimé que « Les écoles devaient être tenues dégagées des querelles religieuses, toute contrainte de conformité sur les élèves devant être évitée »[399].

Au total, la France paraît être l’un des derniers bastions où la religion est totalement écartée de l’enseignement public. Cette situation a perduré pendant de longues décennies et ce n’est finalement que très récemment que la position officielle de l’État s’est assouplie. En effet, depuis 1995, il a été demandé de prendre en compte de façon plus poussée l’étude des faits religieux dans les programmes notamment d’histoire et de français. Or, paradoxalement, cetté évolution a fait naître des craintes, comme nous allons maintenant le voir, tant dans le camp des « laïques » que du côté « ecclésiastique ». Pourtant, cette évolution nous semble aller dans le bon sens et devrait même être prolongée par la prise en compte des récentes préconisations du rapport Debray.

 

Paragraphe 2 : la laïcité et l’espace public

Lorsque l’on aborde la question de la place de la religion dans l’espace public, l’on s’intéresse souvent, même si c’est implicitement et presque involontairement, à deux espaces publics : l’espace public comme lieu, physique et géographique, de réunions, de rassemblements et de déambulation et l’espace public comme lieu, intellectuel et immatériel, de débats et de confrontations d’idées et d’opinions qui trouvent place dans divers media (journaux, livres, radios, télévision, réseau internet…)[400]. Il s’agit ainsi d’examiner la place qu’occupe la religion tant dans la rue que dans le débat public.

Et encore faut-il immédiatement souligner que l’espace public physique et matériel, celui que nous foulons et empruntons, est lui-même composite et, pour cette raison, a longtemps été juridiquement inexistant, le droit ne connaissant que ses composantes classiques que sont les voies publiques et les bâtiments publics (appartenant à des personnes publiques), en particulier ceux affectés au service public. La loi du 11 octobre 2010, qui comporte pourtant dans son intitulé l’espace public, se borne d’ailleurs dans ses dispositions à en énoncer les composantes (et certes à les enrichir avec la catégorie des lieux ouverts au public) sans le définir lui-même. En tant que tel, l’espace public, tant physique que métaphysique, reste donc juridiquement insaisissable.

À proprement parler, « l’espace public », dans son acception homogène physique et géographique et non dans son acception intellectuelle, acception large d’ailleurs puisqu’elle inclut des lieux privés ouverts au public, est né en 2010 : il s’agit d’une création législative, la jurisprudence connaissant quant à elle essentiellement la voie publique et les bâtiments publics affectés au service public et retenant donc plutôt une conception organique des lieux publics. Encore faut-il souligner que cet espace public matériel est précisément défini comme le siège, le lieu, d’un ordre public immatériel, cet ordre public substantiel, qui est une valeur plus qu’une limite aux libertés publiques[401], où s’imposent les exigences minimales de la vie en société[402] telle que l’obligation de laisser voir son visage, l’obligation d’être dévisageable par autrui.

Or, cette création semble répondre à un objectif : celui de diffuser plus largement, sinon le principe de laïcité dans toute sa rigueur, du moins une certaine neutralité ou une certaine modération dans l’expression de l’appartenance religieuse, lesquelles sont pour l’essentiel exigées d’une partie de la population de religion musulmane.

La comparaison de la jurisprudence et des textes législatifs (essentiellement la loi du 11 octobre 2010 et dans une moindre mesure celle du 15 mars 2004), et de leurs positions respectives quant à la perméabilité de l’espace public aux manifestations religieuses, fait apparaître que le premier, sur le fondement de la loi du 9 décembre 1905, a largement défendu la place de la religion, en particulier de la religion catholique, dans l’espace public tandis que le second est essentiellement mû par la volonté de limiter celle de la religion, en particulier de la religion musulmane.

     I.         L’espace public sous la loi de 1905

Appréhendé par le juge au regard de la loi de 1905, l’espace public inclut essentiellement les voies et bâtiments publics et peut aisément être le lieu de manifestations religieuses sous réserve du respect d’un ordre public matériel strictement apprécié.

A.   Le principe de l’autorisation de la manifestation religieuse

Autorisant en principe les manifestations religieuses dans les lieux publics, la jurisprudence retient une appréciation stricte de l’atteinte à l’ordre public.

1.     Autorisation concernant les voies publiques et les services publics

En principe, sous réserve d’absence de troubles à l’ordre public, il est toujours possible de manifester, individuellement ou collectivement mais en tout cas publiquement, son appartenance et ses opinions religieuses dans les lieux publics appartenant à des personnes publiques et ouverts au public, et notamment dans des bâtiments publics affectés au service public, sous la réserve de l’absence de trouble apporté à l’ordre public. Il a ainsi été jugé qu’un élu municipal, qui n’est pas un agent public, pouvait manifester son appartenance religieuse au sein même du conseil municipal[403]. Il a également été jugé qu’il était en principe possible pour les usagers ou visiteurs (et non bien sûr pour les agents), de prier dans les locaux du service public, sous réserve d’absence de troubles apportés au fonctionnement de ce service public[404].

Précisons cependant que de telles prières publiques, qu’elles aient lieu dans la rue (sur la voie publique) ou, et à plus forte raison, aux abords ou à l’intérieur de bâtiments publics affectés à un service public, doivent en principe faire l’objet d’une déclaration préalable en application des dispositions des articles 1 et 3 du décret-loi du 23 octobre 1935.

Un rassemblement ayant pour objet l’organisation d’une prière sur la voie publique peut ainsi être interdit par le préfet pour un motif d’ordre public tenant aux troubles constatés lors de rassemblements similaires organisés antérieurement[405].

Cette obligation de déclaration préalable ne vaut cependant pas pour les manifestations conformes aux usages locaux (cf. infra) et, en outre, de manière classique, l’interdiction d’une manifestation religieuse telle qu’une prière sur la voie publique ne peut être justifiée que par l’existence d’une menace réelle de troubles à l’ordre public à laquelle l’autorité ne pourrait faire face en recourant aux moyens qui sont les siens. Ce droit d’accès des religions à l’espace public, sous réserve d’une absence de menace à l’ordre public, vaut d’ailleurs pour toutes les religions (c’est-à-dire pour tous les groupements se qualifiant comme tels : définition purement subjective), même pour celles qui ont pu être qualifiées de « sectes »[406].

Des lieux publics affectés au fonctionnement du service public doivent en outre permettre l’exercice d’une pratique religieuse et au moins une administration, l’« administration militaire », doit également organiser en son sein et donc dans des bâtiments publics l’accès aux cultes. Rappelons en effet que si, aux termes de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. », le même article dispose que : « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » Si cet article ne faisait du financement d’aumôneries qu’une simple faculté pour les personnes publiques, le juge administratif y a vu quant à lui une obligation afin qu’il ne soit pas porté atteinte à la liberté de religion des usagers de ces services publics[407].

D’autres bâtiments, publics et ouverts au public et donc appartenant à l’espace public largement conçu[408], sont marqués par une présence religieuse : il s’agit, bien entendu, des lieux de culte appartenant aux personnes publiques (car construits avant 1905), c’est-à-dire essentiellement des édifices affectés au culte catholique, églises, chapelles et calvaires, tous propriété des communes et qui marquent d’une forte empreinte physique et sonore (l’article 27 de la loi de 1905 prévoit qu’il appartient au maire de fixer le volume et la fréquence des sonneries de cloches en accord avec l’autorité religieuse et, généralement, le juge administratif ne décèle dans ces sonneries aucune atteinte à la tranquillité publique)[409] la présence de l’Église catholique dans l’espace public.

Dans ces lieux de culte ouverts à tous qui sont propriété publique, lieux qui sont donc publics par excellence, l’autorité religieuse, l’autorité du desservant, prévaut sur celle de la personne publique[410].

L’on doit enfin relever que, dans certains cas, une collectivité peut affecter un bâtiment dont elle est propriétaire à l’exercice d’un culte et donc à des pratiques cultuelles. En effet, le Conseil d’État, dans l’une de ses cinq décisions d’Assemblée du 19 juillet 2011[411], s’est prononcé pour la première fois sur les marges d’action dont disposent les collectivités publiques pour encadrer des pratiques d’abattage rituel, telle que celles qui ont lieu au moment de l’Aïd-el-Kébir. Etait en cause en l’espèce une délibération prise en septembre 2003 par le conseil de la communauté urbaine du Mans-Le Mans métropole et arrêtant à 380 000 € l’enveloppe budgétaire destinée à l’aménagement de locaux désaffectés en vue d’y aménager un abattoir temporaire agréé d’ovins, essentiellement dans le but de le faire fonctionner au moment de l’Aïd-el-Kébir. Les deux juridictions du fond saisies de l’affaire, le tribunal administratif puis la cour, avaient censuré cette délibération au motif qu’elle était constitutive d’une aide à un culte.

Le Conseil d’État a retenu une autre solution, plus libérale, en jugeant, que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, construise ou acquière un équipement ou autorise l’utilisation d’un équipement existant, afin de permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel relevant du libre exercice des cultes, une telle faculté ne pouvant être légalement mise en œuvre que si sont respectées deux conditions dont la première est l’existence d’un intérêt public local[412], tenant notamment à la nécessité que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques. Certes, la participation d’une collectivité publique à l’aménagement d’un abattoir pour des pratiques rituelles ne sera pas toujours légale : il faudra une certaine carence de l’offre existante en la matière pour que le motif d’ordre public puisse légitimer l’intervention de la collectivité.

La question de la faculté ou de l’obligation pour les pouvoirs publics de faciliter ainsi l’exercice des cultes pour protéger l’ordre public est cependant posée puisque le Conseil juge que l’intérêt public tient « notamment à la nécessité que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité publique et de la santé publique ».

L’on pourrait déduire du terme de « nécessité » que pèse sur les collectivités une obligation de procéder aux aménagements nécessaires, même si le commentaire autorisé de cette décision[413] relève que la décision signifie simplement « que les collectivités publiques peuvent, sous conditions, mener à bien ce type d’actions, et non pas qu’elles le doivent. » mais ses auteurs n’excluent pas « d’être un jour démentis » sur ce point.

Quoiqu’il en soit, la décision Communauté urbaine du Mans-Le Mans métropole autorise bien la facilitation matérielle, par une collectivité locale, de l’exercice d’un culte, et cette facilitation matérielle est justifiée notamment par un motif d’ordre public, ce qui manifeste que l’ordre public peut dans certains cas autoriser voire commander le soutien de l’administration à l’exercice de la liberté de religion.

2.     La jurisprudence s’est surtout attachée à reconnaître la légalité des manifestations religieuses sur la voie publique

L’article 27 de la loi du 9 décembre 1905 reconnaît la possibilité de manifestations religieuses sur la voie publique[414] en disposant que « les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, sont réglées en conformité de l’article 97 du Code de l’administration communale ». Cette licence est remarquable en ce qu’elle a fait suite à un projet initial d’interdiction de toute manifestation religieuse sur la voie publique. À l’origine, le projet de la commission de la Chambre des députés comportait en effet un article prévoyant que les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures « ne peuvent avoir lieu sur la voie publique ».

Le rapport d’Aristide Briand défendait ainsi cette prohibition : « Les Églises sont séparées de l’État (…) elles n’ont plus aucun caractère officiel ni public ; leur patrimoine, leur fonctionnement sont du domaine privé (…) ». Le rapport ajoutait que les Églises peuvent construire des édifices « aussi nombreux, aussi vastes qu’elles désirent » mais, précisait-il, « elles n’ont pas le droit d’emprunter la voie publique pour les manifestations de leur culte et d’imposer ainsi aux indifférents, aux adeptes des autres confessions religieuses le spectacle inévitable de leurs rites particuliers (…). La séparation entre le monde religieux et le monde laïque, comme entre les divers groupements religieux, doit être absolue et décisive »[415].

Sur le fondement de cet article 27 autorisant les manifestations religieuses sur la voie publique, le juge administratif, devenu « régulateur de la vie paroissiale »[416] a généralement annulé les arrêtés municipaux interdisant les processions traditionnelles et les convois funèbres, qui sont présumés ne pas porter atteinte à l’ordre public[417] et ne sont ainsi soumis à aucune autorisation ni déclaration préalables[418].

De manière classique, le Conseil d’État a apprécié strictement le motif d’ordre public justifiant l’interdiction et l’a estimé inexistant lorsqu’étaient seulement alléguées par le maire la crainte de contre-manifestations (qu’il appartient en principe au maire de prévenir, en dehors de toute interdiction)[419], la crainte de représailles contre ceux qui ne décoreraient pas leurs maisons[420], la disparité de cultes[421], la gêne occasionnée aux riverains (Décision Abbé Boutheux précitée : annulation d’une interdiction fondée sur la gêne occasionnée aux personnes occupées à jardiner et qui se sentent obligées de quitter leur travail pendant le passage de la procession) ou les entraves portées à la circulation lorsque d’autres manifestations non religieuses sont quant à elles autorisées sur le même parcours[422].

Bien plus, le Conseil d’État a retenu une conception large et extensive du caractère traditionnel des processions, qui résulte normalement de son ancienneté et de son déroulement régulier et paisible qui attestent qu’elles sont connues et admises de tous, en jugeant qu’un usage de quelques dizaines d’années suffisait à le caractériser[423] et que l’absence d’usage pendant un même délai n’ôtait pas son caractère traditionnel aux processions, dès lors que la tradition avait été interrompue contre la volonté de l’Église par des décisions administratives interdisant la procession[424].

Finalement, depuis 1920, toutes les interdictions générales et absolues ont été annulées par le Conseil d’État, ce par des décisions dont les motifs ont peu varié, le Conseil considérant soit que « l’arrêté a par la généralité de ses termes prohibé toutes les manifestations extérieures du culte, ce qui comprendrait le port du viatique, les convois funèbres et les cérémonies fondées sur les traditions locales »[425], soit que « l’arrêté municipal interdit toutes les processions [alors] qu’aucun motif tiré de la nécessité de maintenir l’ordre sur la voie publique ne peut être invoqué pour légitimer la prohibition de cérémonies telles que celles qui ont pour objet le culte des morts et celles qui sont consacrées par les habitudes et les traditions locales »[426].

Les manifestations non traditionnelles, c’est-à-dire non conformes aux usages locaux (décret-loi du 23 octobre 1935), sont quant à elle soumises à une obligation de déclaration préalable et des manifestations non conformes aux usages locaux ont pu, parfois, être légalement interdites[427].

Néanmoins, le juge administratif a continué d’exercer un contrôle strict du motif d’ordre public invoqué pour justifier leur interdiction, jugeant illégale l’interdiction de cérémonies religieuses sur la voie publique lorsqu’une telle cérémonie « n’était pas de nature à menacer la tranquillité ou la sécurité publiques dans des conditions telles qu’il ne pût être paré à tout danger par des mesures de police appropriées »[428]. Et il est même arrivé au Conseil d’État d’examiner la légalité de l’interdiction d’une procession sans se prononcer sur le point de savoir si cette procession avait ou non un caractère traditionnel[429].

Cependant, la référence fréquente aux usages locaux ou aux traditions locales exclut en principe que des cérémonies, processions et rites publics qui appartiennent à une tradition religieuse ancienne, mais dont la pratique est récente localement, puissent être considérés comme traditionnels. L’on doit en conclure que, dans cette hypothèse qui pourrait concerner d’autres cultes que le culte chrétien (culte musulman voir boudhiste), les autorités religieuses seraient tenues de déclarer préalablement toute cérémonie qu’elles souhaiteraient organiser sur la voie publique, quand bien même une telle cérémonie aurait lieu de longue date dans d’autres pays.

B.      Position consacrée par la jurisprudence

La loi de 1905 et la jurisprudence, qui consacrent la présence de la religion dans l’espace public et singulièrement sur la voie publique, sont rejointes par la jurisprudence européenne.

1.     La loi de 1905 et la jurisprudence consacrent la présence de la religion dans l’espace public

Si l’article 28 de la loi du 9 décembre 2005 interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépultures dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou des expositions », et si donc l’apposition d’un emblème religieux sur un bâtiment public (que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment) n’est plus possible, ainsi que le prévoit expressément l’article 28 de la même loi et que l’a jugé une cour[430], il n’en demeure pas moins que des cérémonies religieuses peuvent être organisées dans des bâtiments publics affectés au service public, lorsque ceux-ci sont dotés d’une aumônerie[431].

En outre, si ce même article 28 a pour conséquence que toutes les parties publiques de ces espaces publics que sont (généralement) les cimetières ne peuvent recevoir aucun emblème religieux (sauf s’ils existaient avant l’entrée en vigueur de la loi de 1905) ni accueillir aucune cérémonie religieuse (en dehors des inhumations), les tombes et monuments funéraires, biens privés situés dans des lieux publics, peuvent en revanche être ornés de signes ou emblèmes religieux, ornements auquel le maire ne peut légalement s’opposer[432]. Et le maire ne peut davantage interdire dans les cimetières les visites processionnelles d’un prêtre le dimanche des Rameaux et le jour de la Toussaint[433] ou le dépôt au pied d’un monument aux morts présent dans le cimetière de gerbes ou objets contenant des inscriptions ou attributs religieux[434] ni user de ses pouvoirs de police pour déterminer les dimensions et la hauteur des monuments funéraires édifiés dans les limites des concessions funéraires, ce même lorsque la construction religieuse envisagée est conséquente[435].

L’on sait par ailleurs que le service public audiovisuel est également dans l’obligation de diffuser des émissions à caractère religieux au profit des cultes catholique, protestant, juif et musulman. Or, au sens intellectuel du terme, ce service public est bien un espace public, c’est-à-dire un lieu accessible à tous où s’exposent publiquement des idées et opinions.

Au total, la jurisprudence précitée, administrative pour l’essentiel, consacre la présence de la religion, singulièrement de la religion chrétienne, au sein de l’espace public : la jurisprudence relative aux processions, convois funèbres et cérémonies religieuses sur la voie publique, se rapporte presque toujours en effet au culte chrétien et plus précisément catholique. Par ailleurs, l’on sait que le juge administratif veille à ce que l’administration remplisse sa mission d’entretien des bâtiments publics affectés au culte, très généralement catholique[436]. L’on peut ainsi parler, de fait et au sens physique et matériel du terme, d’un espace public catholique, ce, même si, au sens intellectuel du terme, l’espace public est aujourd’hui souvent conçu comme un espace laïque devant être imperméable ou opaque à toute intervention d’une autorité religieuse, parlât-elle au nom de la religion majoritaire du pays.

Enfin, l’approche jurisprudentielle, fondée sur une appréciation stricte de l’atteinte à l’ordre public, peut et pourra aussi bien s’avérer favorable aux autres religions et à leurs manifestations non traditionnelles soumises à déclaration préalable, dans la mesure où, malgré l’absence d’usages locaux, c’est encore cette appréciation stricte qui devrait prévaloir : c’est pourquoi les prières de rue musulmanes ne pourraient être interdites qu’en cas de risques avérés de troubles à l’ordre public.

2.     Une jurisprudence européenne également protectrice des manifestations religieuses sur la voie publique et plus largement dans les lieux publics

L’arrêt Arslan et autres c/ Turquie[437] a confirmé cette approche libérale de la liberté d’expression religieuse. Dans cette affaire, les requérants avaient organisé une manifestation à caractère religieux sur des voies et places publiques, c’est-à-dire dans des lieux publics ouverts à tous. Bien que l’État turc eût, pour justifier les sanctions pénales prises à l’encontre des manifestants, invoqué le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui, et bien qu’il se fût référé à des dispositions législatives interdisant le port de vêtements à caractère religieux, la Cour a relevé que les requérants s’étaient « réunis devant une mosquée, dans la tenue en cause, dans le seul but de participer à une cérémonie à caractère religieux » (§ 50) et qu’il n’en ressortait nullement que cela « constituait ou risquait de constituer une menace pour l’ordre public ou une pression sur autrui ».

Sur la voie publique, le critère de l’ordre public, d’interprétation stricte, peut donc difficilement justifier une ingérence dans le droit de manifester sa religion et, dans tous les cas, une telle ingérence n’est pas jugée nécessaire dans une société démocratique lorsque l’interdiction de la manifestation ou, ici, la punition pour y avoir participé, sont fondées sur des dispositions législatives (loi du 28 novembre 1925 relative au port du chapeau et loi du 3 décembre 1934 sur la réglementation du port des vêtements relevant d’une autorité ou d’un pouvoir religieux) et non sur l’existence d’une réelle menace pour l’ordre public (§ 50 de l’arrêt). L’existence de pressions exercées sur autrui et le critère du prosélytisme sont d’ailleurs tout aussi strictement appréciés (§ 50 et 51).

Quelques années auparavant, la Cour, interprétant l’article 11 de la Convention (qui garantit la liberté de réunion) à la lumière de l’article 9 (qui garantit notamment celle de religion), avait jugé que la Russie avait méconnu ces stipulations en refusant à un pasteur de l’église évangélique l’autorisation de tenir un office du culte dans un parc public par crainte de troubles à l’ordre public, alors que les autorités avaient les moyens de faire face à ces troubles sans interdire cette manifestation religieuse[438]. Selon la Cour, l’espace public peut donc être le lieu de manifestations religieuses potentiellement conflictuelles.

L’arrêt Arslan et autres c/ Turquie consacre cette dimension publique et collective de la liberté de religion. Bien plus, la Cour, dans cet arrêt, opère une distinction entre les manifestations religieuses au sein des établissements publics affectés à un service public, « dans lesquels le respect de la neutralité à l’égard de croyances peut primer sur le libre du droit de manifester sa religion » (§ 49 de l’arrêt), de celles ayant lieu « dans des lieux publics ouverts à tous comme les voies ou les places publiques » (idem), lieux auxquels ne s’applique pas « la jurisprudence de la Cour mettant l’accent sur l’importance particulière du rôle du décideur national quant à l’interdiction du port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement public ».

Autrement dit, si un État peut assez aisément invoquer le principe de laïcité, et son corollaire l’obligation de neutralité, pour limiter et encadrer les manifestations religieuses dans les établissements publics affectés à un service public[439], il peut difficilement le faire pour limiter ces mêmes manifestations sur la voie publique et l’on peut raisonnablement penser qu’il peut difficilement invoquer un autre principe (tel que les « exigences minimales de la vie en société ») pour y limiter l’exercice de la liberté de religion dès lors que, en tout état de cause, la voie publique est en principe un espace de liberté et non un espace de contrôle étatique.

Plus récemment encore, l’arrêt Lautsi c/ Italie[440], relatif aux crucifix présents dans les salles de classe des écoles publiques italiennes, a affirmé le droit de l’État lui-même de manifester publiquement, en particulier dans les bâtiments affectés au service public (le service public de l’éducation en l’espèce), si ce n’est « sa » religion du moins sa tradition et son héritage religieux, ce sous réserve que cette manifestation ne révèle pas une démarche prosélyte d’endoctrinement dont l’existence est concrètement appréciée par la Cour, et niée en l’espèce par elle.

Ce critère de l’endoctrinement est finalement à la manifestation religieuse des personnes publiques ce que le critère de l’ordre public est à la manifestation religieuse des personnes privées : il permet de déterminer à quel moment la liberté de manifester sa religion s’exerce au détriment d’autrui et entraîne plus d’inconvénients qu’elle ne comporte d’avantages.

L’on voit, au total, la fragilité de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, fragilité d’autant plus grande que, derrière l’intitulé très général de la loi qui évite de nommer des tenues et des motivations particulières, et donc qui évite de se présenter comme une loi interdisant certaines tenues religieuses, apparaissent des débats et une application qui en révèlent aisément le motif religieux et l’objectif de mettre fin à certaines pratiques religieuses féminines et musulmanes.

Le port de la burqa ou du niqab pourra ainsi difficilement se voir refuser la qualification d’« acte inspiré ou motivé par une religion », qualification déjà donnée par la Cour au port du foulard islamique, et il devait se voir appliquer l’article 9 de la Convention relatif à la liberté de religion. Or, l’arrêt précité Arslan et autres c/ Turquie, s’il semble autoriser l’interdiction générale (hors risque ponctuel d’atteinte à l’ordre public) du port d’une tenue religieuse dans les établissements affectés au service public, paraît exclure une telle interdiction sur la voie publique, même motivée par le nécessaire respect d’un ordre public substantiel que ne (re)connaît pas, pour l’instant, la Cour.

Néanmoins, et cela vaudra jusqu’à ce que cette dernière se prononce, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 9 de la Convention a été écarté par la Cour de cassation au motif que la loi de 2010 « vise à protéger l’ordre et la sécurité publics en imposant à toute personne circulant dans un espace public, de montrer son visage[441]. La Cour de cassation ne se fonde donc pas sur un ordre public immatériel pourtant consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 octobre 2010 mais s’en tient à l’ordre public matériel traditionnel : or, il est difficile d’affirmer que la seule présence dans l’espace public d’une personne ayant le visage dissimulé constitue un trouble matériel à l’ordre public.

   II.         L’espace public sous la loi du 15 mars 2004 et du 11 octobre 2010

Appréhendé et défini par les lois du 11 octobre 2010 et du 15 mars 2004, l’espace public est conçu plus largement comme un lieu où prévaut une norme sociale et laïque de comportement s’opposant à certaines pratiques et manifestations religieuses.

A.   Un espace législatif spécialement conçu

1.     Lieux publics et ouverts au public : une conception fonctionnelle et non organique

La loi du 11 octobre 2010, loin de s’appliquer seulement aux lieux appartenant à des personnes publiques, s’applique à de nombreux lieux appartenant à des personnes privées. Soulignons le immédiatement : cet espace public, largement conçu, est aussi spécialement conçu car la définition qu’en donne le législateur dans cette loi ne vaut que pour son application, plus précisément pour l’application de son article 1er en vertu duquel « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. »

Outre les voies publiques, la loi s’applique en effet, selon son article 2, aux lieux ouverts au public, catégorie à laquelle plusieurs circulaires ont donné leur plus grande extension[442], et aux lieux affectés à un service public qui, s’ils sont souvent propriété de personnes publiques, peuvent fort bien être propriété de personnes privées[443].

La circulaire du 22 octobre 1996 relative à l’application de l’article 10 de la loi no 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité[444] indiquait déjà que « Pour la jurisprudence un lieu public est ‘un lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions’ (par exemple acquittement d’un droit d’entrée) » et citait un « jugement du tribunal de grande instance de Paris du 23 octobre 1986, Gazette du Palais du 8 janvier 1987, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 novembre 1986 ». Par ailleurs, par un arrêt du 7 mai 1985[445], la chambre criminelle de la Cour de cassation avait indiqué que les débits de tabac entraient dans la catégorie des lieux ouverts au public. Ces lieux sont donc les lieux auquel l’accès n’est pas privatif.

La notion de « lieux ouverts au public »[446] est ainsi très proche de la notion de « lieux affectés à un usage collectif », ces derniers lieux étant visés par une autre interdiction qui est l’interdiction de fumer (article L. 3511-7 du Code de la santé publique). Aux termes de cet article en effet : « il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ». La circulaire du 29 novembre 2006 relative à l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (JO du 5 décembre 2006, p. 18285) indique ainsi que « La notion de lieu accueillant du public doit s’entendre par opposition au domicile et à tout autre lieu à usage privatif » et que cette notion inclut « en particulier des administrations et des établissements et organismes placés sous leur tutelle, des entreprises, des commerces, galeries marchandes, centres commerciaux, cafés, restaurants, discothèques, casinos, gares, aéroports [ainsi que] des lieux publics à vocation sportive ou culturelle, dès lors qu’ils sont fermés et couverts, tels que les salles de sports ou les salles de spectacle ».

La notion de « lieux affectés à un usage collectif » ne se distingue donc de la notion de « lieux ouverts au public » qu’en ce qu’elle est un peu plus extensive, en incluant en particulier les lieux de travail, alors que ces lieux n’entrent pas dans le champ d’application de la loi du 11 octobre 2010. Encore faut-il préciser sur ce point que cette loi s’applique aux espaces professionnels que sont les locaux d’une entreprise ou d’une association destinés à l’accueil du public[447].

Au total, c’est donc une conception fonctionnelle et non organique de l’espace public que retient la loi du 11 octobre 2010, ce afin de donner une large portée à l’interdiction qu’elle édicte. Soulignons cependant que cette interdiction ne s’applique pas en principe à l’espace de la communication audiovisuelle (hormis bien sûr le service public de l’audiovisuel), de sorte que rien ne s’opposerait à ce qu’une personne ayant le visage dissimulé présente une émission de télévision ou apparaisse sur internet, pourtant qualifié d’espace public par la Cour de cassation[448].

2.     Lieux affectés au service public : la combinaison partielle de deux lois et la place du principe de laïcité

S’agissant des lieux affectés à un service public, la loi du 11 octobre 2010 associe la qualité d’usager du service public au respect d’une norme de comportement puisque l’accès au service peut et doit être refusé à toute personne dont le visage est dissimulé : l’usage des transports en commun est ainsi, par exemple, subordonné au dévoilement du visage. La circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011 à cet égard apporte trois précisions qui démontrent que la personne ayant le visage dissimulé perd de ce fait sa qualité d’usager du service public.

En premier lieu, « les agents chargés d’un service public, qui pouvaient déjà être conduits à demander à une personne de se découvrir ponctuellement pour justifier de son identité, seront fondés à refuser l’accès au service » ou, si cette personne est déjà entrée dans les locaux, à lui demander de se découvrir ou de quitter les lieux : la dissimulation du visage fait ainsi obstacle à l’accès ou au maintien dans les lieux affectés à un service public, sans toutefois que les agents puissent contraindre les personnes concernées à se conformer à l’interdiction, et c’est là la deuxième précision qu’apporte la circulaire[449].

La circulaire apporte une troisième précision quant au « traitement » qui doit être réservé aux personnes ayant le visage dissimulé : « La dissimulation du visage fait obstacle à la délivrance des prestations du service public ». Les agents des services publics sont ainsi tenus de refuser la délivrance de ces prestations aux personnes réfractaires au dévoilement du visage qui ne pourront donc retirer un pli à la poste, assister à une audience, se faire prêter un ouvrage, aller voir une exposition, se faire soigner dans un hôpital… L’on peut également supposer que le personnel des services de transport en commun, qui sont des services publics, pourra refuser l’accès aux différents modes de transport des personnes ayant le visage dissimulé. Cela manifeste à nouveau que la dissimulation du visage emporte, dans l’esprit du législateur, perte de la qualité d’usager du service public.

La combinaison des lois du 15 mars 2004 (codifiée à l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation) et du 11 octobre 2010 conduit par ailleurs à une double interdiction dans les établissements publics primaires et secondaires d’enseignement : y sont interdits les signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse et les tenues destinées à dissimulater le visage. En revanche, seule l’interdiction de dissimulation du visage est applicable aux établissements d’enseignement supérieur et aux établissements d’enseignement privés sous contrat d’association avec l’État qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L 141-5-1 du Code de l’éducation.

Dans les établissements d’enseignement publics primaires et secondaires se superposent donc deux interdictions, la première (chronologiquement) englobant en partie la seconde puisque celle-ci (loi de 2010) s’applique particulièrement aux tenues telles que burqa et niqab qui sont évidemment au sens de la loi de 2004 des « tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » (article L. 141-5-1).

Or, ces deux interdictions n’ont pas le même fondement : en effet, l’interdiction du port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse a pour fondement le principe de laïcité[450] tandis que l’interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler son visage a pour fondement cet ordre public substantiel et positif qu’est le respect des exigences minimales de la vie en société ainsi que le principe d’égalité des sexes, objectivement (et non subjectivement et « patrimonialement ») conçu puisqu’il peut être opposé à celles qui en tolèrent la méconnaissance dans leur propre personne[451].

Ainsi, c’est le principe de laïcité qui limite la liberté de religion dans les écoles publiques mais ce sont d’autres principes qui la limitent dans l’espace public. Ajoutons que c’est seulement dans cet espace qu’est prohibée et punie (par une contravention) la dissimulation choisie ou volontaire du visage, alors que la dissimulation contrainte du visage est réprimée partout, sans distinction et constitue un délit[452].

B.    Espace public et les « valeurs de la République »

Un espace public conçu comme un espace où peuvent prévaloir des normes sociales de comportement et où les « valeurs de la République » peuvent s’imposer à certaines manifestations religieuses.

1.     Un espace où prévaut une norme sociale de comportement

Sont consacrés par la loi du 11 octobre 2010 le droit de dévisager et l’obligation d’être dévisageable mais aussi, et plus généralement, les droits fondamentaux de la Société (article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[453]) qui s’imposent aux autres droits fondamentaux que détiennent les individus.

Ces droits de la Société que crée et définit le législateur[454], et les exigences minimales de la vie en société, constituent bien une nouvelle incarnation et définition de l’ordre public qui prévaut au sein de l’espace public (largement) conçu à cet effet pour être le lieu de prévalence d’un ordre public substantiel bien qu’immatériel.

Et prévaut aussi au sein de cet espace public une conception objective des principes d’égalité des sexes et de dignité de la personne humaine, ces principes pouvant être opposés et imposés aux personnes qui en tolèrent la méconnaissance dans leur propre personne[455].

Ainsi conçu, l’espace public est un espace social, un espace de communication où chacun détient le droit d’entrer immédiatement en communication avec autrui et le devoir réciproque de permettre une telle communication[456] et il est assigné au droit pénal une « fonction de préservation d’un système social lui-même conçu comme un système de communication »[457]. Nous avons vu toutefois que cette nouvelle vision de l’espace public qui s’appuie sur une conception renouvelée de l’ordre public, n’a pas été prise en compte par le Cour de cassation dans son arrêt précité du 5 mars 2013.

L’on voit ainsi quelle fin est également assignée à l’usage de l’espace public, à l’usage du concept d’espace public : celle de faire de ce lieu de débat et de décision qu’est l’espace parlementaire le lieu de définition de ce lieu physique mais aussi idéologique, car siège de valeurs, qu’est l’espace public. Il s’agit, pour le législateur, de s’approprier ou de se réapproprier l’espace public en édictant les devoirs qui s’y imposent à tous[458].

2.     Un espace conçu pour exclure des pratiques religieuses radicales

La loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public est née, on le sait, de la volonté d’interdire le port du voile intégral dans ce même espace et donc de prohiber un signe religieux. Le premier bilan d’application de la loi fait clairement apparaître cet objectif ainsi que la volonté d’étendre le principe de laïcité à l’espace public ou du moins de l’opposer à une pratique radicale de l’islam puisque les 350 contrôles (ayant donné lieu à 298 verbalisations) qu’il avait recensés au 30 mars 2012 concernaient presque exclusivement des femmes intégralement voilées, seuls quatre contrevenants étant de sexe masculin.

Les chiffres de la direction centrale de la sécurité publique indiquaient d’ailleurs qu’une grande majorité des femmes contrôlées étaient nées en France, les personnes nées à l’étranger venant principalement du Maghreb et de Turquie[459]. De manière remarquable, lors de la présentation de ce bilan aux parlementaires, le ministre de l’intérieur a indiqué que « Le Gouvernement et la majorité tiennent au respect d’un certain nombre de principes essentiels. Au nombre d’entre eux figurent la laïcité et la dignité de la femme […] Avant [la loi], on estimait que 2 000 femmes étaient intégralement voilées en France, aujourd’hui on estime que ce nombre a été réduit de moitié »[460]. On ne saurait mieux dire que la loi du 11 octobre 2010, derrière la généralité de son intitulé, vise à interdire le port de certaines tenues religieuses arborées par des femmes musulmanes.

De même que l’espace public de la loi du 11 octobre 2010 est conçu pour lutter contre certaines pratiques religieuses considérées comme radicales (en dehors de toute atteinte concrète à l’ordre public), de même la loi du 15 mars 2004, applicable à ces espaces publics que sont les bâtiments affectés au service public de l’enseignement primaire et secondaire, a-t-elle été conçue pour lutter contre certaines pratiques religieuses ostentatoires et considérées de ce fait, également, comme radicales.

À l’égard de la liberté de religion, la différence de fondement des interdictions posées par ces deux lois aboutit ainsi à un résultat identique, au point que l’on peut se demander si, pour le législateur, le principe de laïcité et une certaine obligation de neutralité ou de modération religieuses (excluant toute pratique et manifestation religieuses radicales) ne sont pas partie intégrante des exigences minimales de la vie en société, ce en dehors de tout risque d’atteinte à l’ordre public. Lors des débats parlementaires au Sénat, Robert Badinter s’exprimait d’ailleurs ainsi :

« en interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, vous n’empêchez personne de pratiquer sa religion (…) vous n’empêchez pas celles qui le veulent de pratiquer leur religion, mais vous ne tolérez pas que les éléments les plus intégristes et les plus fanatiques affichent et proclament leur vision, que nous ne pouvons pas accepter, d’une société où les femmes disparaissent de l’espace public et en sont plus que des fantômes »[461].

À cet égard, l’on pourrait rapprocher ces exigences minimales des « valeurs essentielles de la communauté française », dont le respect est une condition posée par le Conseil d’État à l’acquisition de la nationalité française. C’est ainsi que l’article 21-4 du Code civil permettant de refuser l’acquisition par mariage de la nationalité française pour « défaut d’assimilation » a pu conduire le Conseil d’État à juger légale une décision de refus d’acquisition de la nationalité française au motif qu’une pratique radicale de l’islam était « incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française »[462].

La notion d’ordre public subit en particulier une attraction laïque au point que l’ordre public substantiel tend à se confondre avec la laïcité et à devenir un ordre laïc : le Conseil d’État a ainsi jugé, toujours en matière de refus d’acquisition de la nationalité française, que faisait preuve d’un défaut d’assimilation le conjoint de Français qui avait « tenu à plusieurs reprises des propos à connotation discriminatoire, hostiles à la laïcité et à la tolérance révélant un rejet des valeurs essentielles de la société française »[463]. L’on voit très clairement ici que la laïcité est une valeur, si ce n’est la valeur, opposée à certaines pratiques religieuses.

3.     Espace public, espace laïc ?

Initialement cantonné à l’administration et à ses agents et plus largement aux agents des services publics gérés par des personnes privées[464], le principe de laïcité tend à se diffuser plus largement aux usagers du service public, voire aux usagers des lieux publics, ainsi qu’aux personnes privées. Si l’espace public doit, désormais, être conçu comme incluant tous les lieux affectés au service public et tous les lieux ouverts au public, force est de constater que cet espace tend à se laïciser et permet à la laïcité de prendre corps et lieu et de devenir une « valeur » et non plus seulement un mode d’organisation des rapports entre l’État et les religions.

Une proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité, a ainsi été adoptée en première lecture par le Sénat et transmise à l’Assemblée nationale le 18 janvier 2012.

Le texte adopté modifie, en premier lieu, l’article L. 2324-1 du Code de la santé publique relatif aux établissements d’accueil des enfants de moins de six ans pour imposer la neutralité religieuse à ceux de ces établissements qui « bénéficient d’une aide financière publique » et permettre aux autres établissements de soumettre leurs salariés à cette obligation via une disposition de leur règlement intérieur ou une note de service : le texte crée également un article L. 227-1-1 au sein du Code de l’action sociale et des familles afin d’étendre ce dispositif aux autres personnes morales de droit privé accueillant des mineurs. Le texte adopté crée, en second lieu, un article L. 423-22-1 au sein des dispositions du même code relatives aux assistants maternels pour imposer en principe à ces derniers une obligation de neutralité religieuse « dans le cours de [leur] activité d’accueil d’enfants », obligation à laquelle seule une stipulation contraire du contrat conclu entre l’assistant maternel et le particulier employeur pourra déroger[465].

La volonté de légiférer pour imposer le respect du principe de laïcité, et de son corollaire l’obligation de neutralité religieuse, dans le « secteur » de la petite enfance a été récemment renforcée par la solution retenue par la Cour de cassation dans l’affaire « Baby loup », solution consistant à écarter l’application de ce principe et de cette obligation aux employeurs privés non chargés d’un service public, parmi lesquels figurent les crèches associatives[466] aux parents d’élèves participant à une sortie scolaire[467], se manifeste donc une prolifération du principe de laïcité et une extension de son application aux personnes privées, qu’elles soient morales ou physiques, en grande partie justifiée par la nécessité d’imposer une certaine neutralité dans les lieux du service public et donc dans l’espace public au sens de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

Dans son avis de mars 2010 relatif à l’expression des religions dans les espaces publics, le Haut conseil à l’intégration proposait même de faire respecter le principe de laïcité à tous les collaborateurs occasionnels du service public et d’interdire des signes ou tenues ostensibles religieux, à l’occasion des cérémonies de remise des ampliations de décrets de naturalisation en préfecture ou en mairie, à l’exception des autorités religieuses (recommandation no 4), de prohiber tous signes et tenues religieux au sein des assemblées délibérantes des collectivités publiques (recommandation no 5, que contredit l’arrêt précité de la Cour de cassation du 1er septembre 2010) et d’appliquer en partie le principe de laïcité dans les universités (recommandation no 7 : interdiction du « prosélytisme manifeste »).

Les espaces publics que sont les bâtiments, lieux et véhicules affectés aux services publics, sont ainsi les principaux vecteurs de l’extension du principe de laïcité. Certaines communes ont même adopté des chartes de la laïcité affirmant en principe (mais certes sans portée novatrice) l’application du principe de laïcité aux usagers du service public. La Charte de la laïcité adoptée par le conseil municipal de la commune des Ulis le 20 janvier 2010 comporte ainsi un 6 relatif au « Respect de l’espace public laïc », lequel se borne cependant à indiquer que « Les usagers du service public ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public ».

La loi du 11 octobre 2010 participe de cette extension, loin de ses bases habituelles (les administrations et leurs agents), du principe de laïcité. Le rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 26 janvier 2010, indiquait ainsi que la résolution parlementaire dont elle recommandait l’adoption devait avoir pour objet de réaffirmer les principes républicains que heurte cette pratique, « au premier rang desquels figurent la liberté, l’égalité, notamment entre les sexes, la fraternité mais aussi la laïcité et la dignité de la personne humaine ».

Bien que les travaux parlementaires n’aient pas fait du principe de laïcité l’un des fondements de l’interdiction de dissimulation du visage dans l’espace public, nous avons vu qu’aux yeux du ministre de l’intérieur, la loi du 11 octobre 2010 avait pour but d’assurer le respect de ce principe dans l’espace public. Or, si cet espace devait se concevoir comme un espace laïc, ne serait-ce que partiellement, l’on pourrait imaginer et proposer qu’y soit prohibé le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.

Plus largement, l’ordre public substantiel de la loi du 11 octobre 2010, en ce qu’il s’oppose à certaines pratiques religieuses jugées radicales, est parent du principe de laïcité en ce qu’il s’oppose également à de telles pratiques et impose le respect d’une certaine neutralité religieuse.

Quoiqu’il en soit, en tant qu’il inclut les lieux affectés au service public, l’espace public tend bien à devenir un espace laïc, ce qui cependant n’ôte rien au fait qu’il demeure en partie, et matériellement, un espace chrétien[468], et plus particulièrement catholique, ni au fait qu’il est aujourd’hui, intellectuellement, largement ouvert à l’expression de certaines revendications musulmanes.

L’usage religieux de l’espace public dépend principalement de la définition de la notion d’ordre public et de l’appréciation qui en est faite par l’administration et le législateur.

L’ordre public, nous l’avons vu, tend aujourd’hui à se substantialiser et à se légaliser, à devenir une valeur ayant vocation, de manière générale et principielle et non plus de manière ponctuelle et particulière, à limiter l’exercice de la liberté de religion dans l’espace public. Dans le même temps se manifeste une diffusion (du moins une volonté de diffusion) du principe de laïcité dans un espace public largement conçu et en particulier dans les lieux affectés au service public, sans considération des personnes qui les fréquentent (agents, usagers, collaborateurs occasionnels).

Cette évolution, largement motivée par la volonté de lutter contre des pratiques religieuses musulmanes, ne remet cependant pas en cause l’équilibre et le cadre issus de la loi de 1905, lesquels favorisent largement la présence de la religion chrétienne dans l’espace public (voie publique et domaine public).

Le législateur de 1905 s’avère ainsi plus libéral, vis-à-vis de la liberté de religion dans l’espace public, que le législateur de 2004 et 2010.

 

Chapitre II : la laïcité menacée

Section I : le communautarisme un défi pour la pensée républicaine

Par communautarisme on entend « l’affaiblissement de la prise en compte abstraite de l’individu au profit de la surévaluation de certains de ses traits physiques, ethniques, religieux ou sexuels – l’essentiel étant qu’ils soient considérés comme débouchant sur une vision du monde particulière, commune à ceux qui les ont en partage. Cette surévaluation conduit à une réduction de l’individu à telle ou telle de ses particularités, et à une demande de réorganisation de son statut déterminée par la culture ainsi induite »[469].

C’est  l’idéologie individualiste des droits de l’Homme qui soutient cette conception. Conception qui est favorable à une « double diversification des droits : le communautarisme exalte l’individu, mais seulement après l’avoir fondu dans le groupe ; la différence est sanctifiée au prix d’une fusion préalable, comme si la reconnaissance individuelle devait passer par l’assomption d’une communauté emblématique. Qui plus est, cette revendication utilise le levier des droits de l’Homme, alors même que les grandes déclarations qui en ont exprimé l’idéologie avaient pris la précaution d’établir un homme abstrait, en l’extrayant des statuts particuliers où le XVIIe siècle enracinait encore les individus »[470].

Cette situation d’individualisme tribal[471] se dérobe largement à l’analyse : le mouvement est différentialiste par sa revendication d’une reconnaissance de certaines singularités individuelles ; communautariste par le rattachement de l’individu spécifique à un groupe qui en partage les valeurs ; culturaliste par l’idée que ces valeurs communes débouchent sur une weltanshauung collective, à laquelle les autres hommes ne sauraient accéder.

Paragraphe 1 : essai de définition du communautarisme

Sur le terrain juridique, ce communautarisme se manifeste encore peu dans la règle de droit – si on laisse de côté le pacs et la parité, deux réformes récentes au succès incertain. Sa pression s’exerce plus lourdement sur les tribunaux, confrontés à des revendications identitaires marquées qui visent à altérer le fonctionnement de la règle de droit. La composante juridique du communautarisme se signale du reste par un double trait : la surévaluation du statut personnel ; sa réorganisation préalable autour de la caractéristique tenue pour essentielle. La pensée culturaliste commence par refuser toute neutralité dans la notion juridique de personne, en ramenant les droits de l’individu aux besoins spécifiques exaltés par la culture à laquelle ses traits décisifs le rattachent ; d’où une manipulation du statut personnel, qui se trouverait ipso facto dominé et réorganisé.

M. Carbonnier avait autrefois milité pour une intégration de la religion à l’état des personnes, fût-ce sur un mode mineur[472] ; avec moins de pertinence juridique et des effets outranciers, cette revendication paraît aujourd’hui à l’œuvre dans les demandes de nombre de groupes identitaires. Mais cette altération du statut personnel n’emporterait guère de conséquences, s’il n’était aussi réclamé qu’il produise ses effets bien au-delà de son champ d’application légitime. Et notamment dans le domaine contractuel, comme on le verra : le contractant cesserait d’être identifié à sa libre volonté, partie à la rencontre de celle d’un autre ; il se réduirait à la personne qui la manifeste, dont les caractéristiques essentielles entreraient de plein droit dans le champ du contrat quand bien même rien n’aurait été précisé à cet égard. Le communautarisme se traduit ainsi par une projection des singularités de la personne sur son environnement juridique, et par une soumission des droits qui doivent lui être octroyés à ses besoins identitaires.

Il ne faudrait pas chercher longtemps les illustrations témoignant de ce mouvement. Mais c’est peut-être aller trop vite en besogne que d’évoquer globalement la montée en puissance du différentialisme dans le droit français. Car au sein des groupes culturels, il en est auxquels une reconnaissance pleine et entière tend à être refusée, quelle que soit la légitimité de leur revendication d’autonomie : les groupes fondés sur la pratique d’une religion. C’est un constat qui mérite qu’on s’y arrête : le droit étatique se révèle aussi peu accueillant au fait religieux qu’au droit religieux[473].

  1.  Nation et communauté

Sans grande rigueur, on illustrera la réserve du droit français à l’égard du fait religieux par un arrêt du 18 décembre 2002, d’ores et déjà promis à la faveur des revues. Le propriétaire d’un grand ensemble dont les appartements étaient donnés à bail avait décidé d’y installer un digicode, ce qui provoqua l’émotion d’un groupe de vingt-cinq locataires de confession israélite.

L’utilisation d’appareils électriques leur étant défendue au cours du Shabbat, la présence du digicode restreignait gravement leur liberté d’aller et venir ; ils demandèrent en conséquence l’installation d’une serrure mécanique qui leur éviterait l’étincelle électrique prohibée. Le propriétaire refusa, mais la cour d’appel lui donna tort « au regard de la liberté de culte garantie par la Constitution et les textes supranationaux », au motif que « les conventions doivent être exécutées de bonne foi, la pose d’une serrure supplémentaire et la confection de clés n’altérant pas l’équilibre du contrat ». L’arrêt est cassé, au visa des articles 1134 du code civil, 9-1 et 9-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, et 6 a. et c. de la loi du 6 juillet 1989, parce que : « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique ». Attendu pertinent, où l’on éprouve néanmoins un certain rejet du fait religieux, qui ne se fût peut-être pas manifesté face à d’autres traits spécifiques.

Que le juge décide ou non d’y accéder, la demande des locataires était recevable dans son principe : ils avaient loué des appartements dans un immeuble sans digicode ; en l’installant, le bailleur modifiait les conditions d’exécution du contrat à leur détriment, quoique de façon périphérique. Cette modification unilatérale ne procédait d’aucune obligation : il était donc légitime qu’elle se heurte à la résistance des locataires auxquels elle faisait grief. N’eût-on pas trouvé admissible la contestation d’un handicapé, à qui l’installation compliquait l’accès à l’immeuble ?

On opposera que le grief serait objectif, quand il est subjectif dans le cas religieux. Mais un raisonnement adéquat est indifférent à cela : le conflit d’intérêts suscité par la modification unilatérale doit être traité par une proportionnalité bien tempérée. Les avantages collectifs du digicode l’emportent-ils sur les inconvénients individuels ; et y a-t-il des moyens de minimiser ces derniers, par exemple par l’installation d’une serrure qui eût rendu service à vingt-cinq personnes ?

Autrement dit, la question n’était pas de savoir si les pratiques religieuses étaient entrées dans le champ contractuel, comme l’affirme la Cour, mais de déterminer la mesure dans laquelle le grief devait être pris en considération, compte tenu de la modification du contrat. Diverses réponses pouvaient s’envisager : le primat de l’intérêt individuel conduisait à interdire la pose du digicode, celui de l’intérêt collectif à autoriser les locataires récalcitrants à quitter l’immeuble sans préavis, éventuellement avec des dommages-intérêts ; une voie moyenne acceptait l’installation, en y adjoignant une serrure mécanique de manière à concilier tous les intérêts. Face à un grief que la cour d’appel avait pris en considération – pour s’efforcer d’en minimiser l’impact individuel -, la Cour régulatrice a préféré considérer qu’à raison de son origine religieuse, il n’était pas recevable en tant que tel. On peine à ne pas y voir une dénégation du fait religieux, fruit de conceptions politiques regrettables.

  1. La nation : l’impensée de la laïcité

La France a longtemps été dépeinte comme un pays d’immigration, où le processus d’intégration est encadré par le républicanisme, et depuis le milieu des années 2000, par la laïcité. La principale distinction entre la France et ses voisins européens réside dans leurs différentes définitions de la nation (notamment par rapport à l’Allemagne et au Royaume-Uni) et dans le développement d’un multiculturalisme qui articule race et ethnicité comme critères centraux de la mise en œuvre de la justice.

La position française actuelle peut être mieux définie comme un moment de réinvention, à la fois en termes d’inventer un vocabulaire qui convient au nouveau style de gouvernance européen – où la discrimination est une question centrale – et en s’appuyant sur un type de grammaire politique qui peut se connecter à un perspective historique[474].

Cette évolution a débuté dans les années tendues de 2003 et 2004. Cette période a été marquée par l’interdiction légale des signes religieux ostentatoires des écoles publiques, et plus tard par des débats publics et des discussions parlementaires qui ont conduit à interdire le voile intégral (niqab / burqa) dans les espaces publics.

Dans ce contexte de tension sociale, de discrimination, de chômage et de répression policière, trois semaines d’émeutes urbaines ont eu lieu en France en novembre 2005, suivies de longues discussions entre experts et politiques sur la légitimité de la collecte de données ethniques pour les statistiques publiques. Le débat gouvernemental sur l’identité nationale française et la discussion sur la restriction de la double citoyenneté pour les citoyens français ont augmenté les tensions à travers le pays. La liste des déclarations publiques et des décisions politiques désignant les musulmans et les autres immigrés comme cibles de politiques restrictives est longue. Nous les avons placés au début de cette section, car ils définissent la constellation à l’intérieur de laquelle la laïcité narrative s’est développée.

Le défi actuel pour les dirigeants français et les agences publiques à cet égard semble être double. Le premier est l’écart grandissant entre les récits historiques (la France en tant que nation qui accueille les étrangers et le cadre républicain de l’intégration).

Pour parvenir à l’égalité entre les citoyens et entre les religions, la laïcité française repose sur deux grands principes: la neutralité religieuse de l’État et la séparation de l’Église et de l’État. Ces deux caractéristiques institutionnelles résultent d’un processus démocratique et sont fondées sur la reconnaissance de la souveraineté du peuple. Ils partagent un but ultime: l’égalité.

La séparation de l’Église et de l’État, inhérente au processus de sécularisation dans les sociétés modernes, implique l’autonomie réciproque des deux: «l’État (…) ne peut accepter aucune des nombreuses raisons fondamentales, parfois difficiles à concilier, que les citoyens embrasser »et auquel ils attachent leurs« convictions de conscience »[475]. Il n’y a pas une forme exclusive, unique et pure de laïcité en France, ni dans aucun autre pays, mais une série de formes de laïcité historiquement variables.

Pour paraphraser Selby, la laïcité en France englobe à la fois des buts explicites et des conséquences implicites[476]. Ceux-ci découlent autant des représentations actuelles dans les débats sociaux que de la nature des politiques adoptées – politiques qui peuvent, bien sûr, varier au sein d’un même régime séculier, soulignant le caractère polymorphe de la laïcité.

La laïcité, dans son usage commun contemporain, est donc un mélange d’histoire, d’idéologie et de politique. Il couvre les dimensions sociales et incarne les visions du monde et les relations de pouvoir[477]. Un état laïc est défini par le fait que ses processus législatifs et judiciaires sont hors contrôle religieux, et que ses actions et décisions sont neutres envers toutes les religions[478]  et pratiques (discrimination et hostilité publique contre certains groupes de personnes).

Le deuxième défi est le conflit entre les principes politiques (égalité et neutralité de l’État sur les questions religieuses) et leur mise en œuvre en termes de restrictions légales, l’État étant particulièrement actif dans le domaine de la diversité religieuse[479].

Quatre éléments issus de la Révolution française structurent aujourd’hui l’approche républicaine française de l’intégration sociale: premièrement, la relation sans intermédiaire entre le citoyen et l’État (égalité par l’appartenance à une communauté politique nationale); deuxièmement, l’éducation publique laïque; troisièmement, la croyance en la mission internationale de la France; en quatrième lieu, un état interventionniste fort[480]. Ces éléments contribuent activement à la conviction que la manière française d’obtenir l’égalité entre ses citoyens est quelque peu exceptionnelle[481]. Cette conviction, cependant, est mûre pour une exploration plus approfondie, en commençant par les défis qui lui sont adressés dans les épisodes récents, et en continuant avec la capacité du modèle républicain à gouverner un pays ethniquement et culturellement diversifié, en particulier lorsque la diversité s’exprime en religion.

  1. Le corps national fusionnel et intégré et les points de tensions
  1. Démocratie pluraliste et minorités

La vision française de la laïcité est toute d’abstention[482]. S’il convient d’exclure la référence religieuse de l’espace public, c’est parce qu’il ne lui est permis de s’épanouir que dans le for individuel. La laïcité n’est pas un principe conquérant qui, à partir d’un espace public neutralisé par les efforts de la République, parviendrait à extirper le sentiment religieux du coeur des fidèles en le pourchassant jusque dans leur vie privée. Il n’y a aucune contradiction à faire voisiner la laïcité et la liberté de culte, en prenant en considération la religion comme un simple fait dans l’espace public.

De même qu’une loi étrangère peut être appliquée par l’ordre juridique national sans que sa souveraineté soit en péril, une prescription d’ordre religieux peut être reçue comme un fait sans que le droit étatique s’incline pour autant devant le phénomène religieux, ou que le principe de laïcité soit bouleversé. Cette prise en considération est fréquente dans la loi comme la jurisprudence, sans que l’on puisse trouver à y redire.

Qu’il s’agisse de l’acceptation d’un mariage religieux à côté du mariage civil, ou de l’admission d’une clause de dureté destinée à protéger l’époux de confession catholique contre la dissolution d’un mariage pour lui indissoluble, la règle de droit positif a parfois su ménager sa juste place au fait religieux. Cette admission se manifeste mieux encore dans la jurisprudence, où le fait religieux est relayé par le juge quand il touche la sphère privée, qu’il est chargé de garantir. Il lui arrive ainsi d’arbitrer à propos de la religion de l’enfant[483], sans pour autant l’y obliger sous astreinte[484]. Au-delà, ce fait religieux parvient parfois à se frayer une voie au sein même de la règle de droit, par exemple avec la notion d’entreprise de tendance, fort justement dégagée par le droit social sur le modèle allemand de la tendezbetrieb[485].

L’arrière-plan religieux d’une relation de travail peut être essentiel au point de se trouver de plano incorporé au champ contractuel : « l’article L. 122-45 du code du travail, en ce qu’il dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de ses convictions religieuses, n’est pas applicable lorsque le salarié, qui a été engagé pour accomplir une tâche impliquant qu’il soit en communion de pensée et de foi avec son employeur, méconnaît les obligations résultant de cet engagement »[486]. En application de ce principe, il apparaît que si les clauses d’un contrat de travail interdisant le divorce sont contraires à l’ordre public, il en va autrement lorsque l’on se trouve dans le cadre d’une école catholique qui exige l’adhésion des enseignants à ses principes[487] ; de même, un employé choisi pour ses compétences religieuses peut interrompre son travail le temps nécessaire au rituel du deuil, sans que son employeur ne lui oppose valablement la durée prévue par le droit du travail[488] ; en revanche, c’est de façon fort surprenante que la Cour de cassation a refusé le licenciement d’un sacristain homosexuel, alors même que sa situation de travail justifiait qu’il se conforme aux exigences sexuelles de l’Eglise[489].

C’est peut-être à ce contexte contractuel partagé que la Cour de cassation faisait en l’espèce référence. Mais à tort, comme l’atteste la variété des situations envisageables. Si les locataires récalcitrants avaient été logés dans un immeuble cultuel, leur revendication eût été d’emblée admise – la notion de tendance pouvant opportunément s’étendre du contrat de travail au bail ; mais le caractère non confessionnel du contexte n’empêchait pas que leur revendication puisse être reçue, encore qu’elle se heurtât à la considération d’autres impératifs entre lesquels il fallait trancher ; et à l’évidence, un locataire non pratiquant n’aurait certainement pas pu demander le retrait d’un digicode préexistant au motif que ses ardeurs religieuses se seraient un jour réveillées, cette fois pour la raison évoquée par la Cour.

Ce n’est ainsi que dans les hypothèses où l’argument religieux est invoqué à retardement, pour amender le contenu d’un contrat dénué de toute référence cultuelle, que les tribunaux sont fondés à l’écarter sans autre forme de procès : une tenue inadéquate sur les lieux de travail peut entraîner un licenciement, même si la salariée obéit à des exigences religieuses[490] ; un employé de boucherie peut être exposé au contact de la viande de porc, dès lors qu’aucune prohibition religieuse n’était contractualisée : « s’il est exact que l’employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n’entrent pas dans le champ du contrat de travail et l’employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d’exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché dès l’instant que celle-ci n’est pas contraire à une disposition d’ordre public »[491]. Il ne faut donc pas confondre les situations où l’arrière-plan religieux est amené à jouer de plano, avec les cas où une prescription religieuse peut être prise en compte comme un fait, sans que le juge y soit d’ailleurs obligé : il n’y a là aucun renoncement à l’exigence de laïcité. Pour ne pas l’avoir admis, la Cour de cassation s’est montrée peu respectueuse des principes contractuels comme des relations entre droit et religion.

Il n’est pas nécessaire de s’interroger longuement sur les raisons pour lesquelles le fait religieux est mal reconnu par un système juridique qui admet progressivement le fait communautaire. L’histoire en est largement responsable, la République n’ayant pu s’édifier en France qu’après avoir établi une coupure franche avec la religion dominante : à partir de la Révolution, la forme républicaine s’est construite sur les ruines d’une royauté associée à l’idée de religion d’Etat ; la France cesse d’être la fille aînée de l’Eglise pour se lancer sur la voie d’une neutralité religieuse qui aboutira en 1905 à la fameuse loi de séparation des Eglises et de l’Etat (L. 9-11 déc. 1905, D. 1906.4.1), avant l’étonnante déchristianisation qui marquera le 20e siècle[492].

Un examen plus attentif dévoile une seconde justification à la vigilance du droit. Quoi que leurs représentants prétendent, la plupart des communautés récemment apparues demeurent embryonnaires, et sans réelle cohésion : la vision du monde qu’elles cherchent à promouvoir n’est pas systématique, et leur idéologie guère structurée ; filles de leur temps, elles ont adopté une organisation non hiérarchique, de sorte que la constitution d’un ordre juridique n’y est pas à redouter. Ce qui n’est pas le cas avec la religion – avec toute religion, sinon avec les sectes, à cet égard moins organisées -, qui propose du monde une vision particulièrement structurée, associée de surcroît à un véritable ordre juridique.

On ne peut pas craindre de tel ou tel groupe culturel qu’il confronte l’Etat à une organisation rivale ; c’est en revanche une menace toujours renaissante en matière religieuse, avec cette circonstance aggravante que les Eglises sont par nature supra-étatiques. Dans ses relations avec la religion, l’Etat est toujours contraint de raisonner de Puissance à Puissance, ce qui l’incite à une hostilité de principe. Cela explique qu’en France, le traitement de la plupart des religions soit politique et non juridique (V. dernièrement l’organisation du Conseil du culte musulman, qui renouvelle le mouvement qui avait présidé à l’organisation d’un Consistoire israélite de France). C’est aussi pour cela que, malgré des propositions réitérées, les principes du droit international privé n’ont jamais été transposés à la relation entre l’ordre juridique étatique et les ordres religieux, pris dans leur composante normative[493].

Une décision du 17 décembre 2002 de la chambre criminelle illustre cette défiance à l’égard du droit religieux. Membre d’une congrégation religieuse, François X. était soupçonné de faits de pédophilie et se trouvait au centre de deux procédures, indépendantes l’une de l’autre : une instruction était régulièrement ouverte devant les tribunaux répressifs, tandis qu’une instance canonique se déroulait devant l’Officialité régionale de Lyon.

Peinant à établir les faits, le juge d’instruction diligenta une perquisition dans les locaux de l’Officialité comme au bureau de l’Evêque d’Autun, et saisit les pièces de l’enquête canonique. Mais par un arrêt du 9 avril 2002, la chambre de l’instruction annula la perquisition et les actes en découlant, en observant notamment que « la recherche d’une possible preuve, dans le dossier de la procédure canonique, pour être utilisée dans la procédure pénale laïque, plus protectrice des droits de la personne mise en cause, peut être analysée comme un procédé déloyal, aboutissant à faire échec aux règles de celle-ci, et aux droits de la défense ».

La décision est sèchement cassée : après avoir rappelé à titre de principe que « l’obligation imposée aux ministres du culte de garder le secret des faits dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur ministère ne fait pas obstacle à ce que le juge d’instruction procède à la saisie de tous documents pouvant être utiles à la manifestation de la vérité », la chambre criminelle ajoute que les motifs de l’arrêt critiqué « ne permettent pas de caractériser l’existence d’un artifice ou stratagème ayant vicié la recherche et l’établissement de la vérité ».

Une telle décision appelle un examen technique, qui dissocie des éléments aisément confondus : la légitimité de la perquisition, la saisie des pièces, l’utilisation qu’un tribunal est enfin habilité à en faire[494]. On peut aussi l’envisager sous un angle idéologique, en interrogeant les présupposés qui la sous-tendent. On aurait pu s’attendre à ce que le système juridique étatique ignore l’existence et les résultats de la procédure canonique ouverte, l’ordre juridique ecclésial n’étant pas reconnu à la façon d’un ordre étatique. Or l’attitude du juge est très éloignée d’une telle indifférence.

On comprend qu’il ne puisse abdiquer sa compétence en faveur de l’institution ecclésiale, qui serait chargée de rendre la justice. Mais pourquoi saisir les pièces de la procédure, en adoptant par ce geste même une attitude d’une extrême confusion ? La perquisition traduit un certain dédain à l’égard de la dignité du tribunal, au moment même où la saisie rend hommage à l’efficacité de ses techniques. Les mêmes contradictions se retrouvent dans l’attitude de la Cour de cassation.

Elle rappelle le secret auquel sont tenus les ministres du culte, qui est d’ancienne jurisprudence : non seulement « les ministres du culte… sont tenus de garder le secret sur les révélations qui ont pu leur être faites à raison de leurs fonctions », mais « pour les prêtres catholiques il n’y a pas lieu de distinguer s’ils ont eu connaissance des faits par la voie de la confession, ou en dehors de ce sacrement »[495]. Mais elle n’applique guère ses principes : les confidences reçues par un official ont été suscitées par sa fonction « sociale », comme par le contexte de droit sacré où il l’exerce : comment considérer que de telles transcriptions puissent jamais constituer un moyen de preuve obtenu de façon loyale ?

La procédure canonique est instrumentalisée par l’ordre juridique étatique, qui la soumet et l’utilise tout ensemble. Cet empiétement renouvelle ainsi le geste singulier par lequel la Cour européenne des droits de l’Homme avait, il y a peu, soumis à son contrôle une procédure canonique de nullité du mariage, au motif que l’arrêt devait être transcrit à l’état civil italien[496].

Derrière cette décision, faut-il vraiment voir des relations entre ordres juridiques ? On serait plus proche de l’actualité en la reliant à la lutte contre la pédophilie, qui apparaît aujourd’hui comme un objectif social de premier plan. Non seulement des prêtres ont pu être condamnés par les tribunaux répressifs, mais un évêque aussi bien pour ne pas avoir dénoncé des faits dont il avait connaissance[497]. Il va de soi que cette lutte est particulièrement bienvenue, et nul ne pourrait s’insurger d’une protection renforcée de l’enfant. Mais pourquoi doit-elle passer par une relative mise à l’écart du secret professionnel des ministres du culte, dont le besoin social est avéré[498] ?

Sans doute est-ce excessif, mais on peut se demander s’il ne faut pas voir là un effet anticipé de ce que l’avenir se charge peut-être de nous réserver : des conflits juridiques entre droits particularistes. Car la montée en puissance des droits de l’enfant apparaît à sa façon comme une construction différentialiste : l’enfant sort de la perspective classique qui le tenait pour une personne ordinaire, quoique temporairement incapable ; il se trouve dorénavant comme sanctuarisé dans son essence même, par un corps de règles dont le XXe siècle aura tissé la trame. La décision aurait peut-être été différente dans un contexte moins protecteur : la Cour a garanti le secret d’une procédure canonique, alors qu’une femme se considérant comme injuriée par son mari demandait la saisie des pièces[499]. Cette solution se maintiendrait-elle aujourd’hui, ou les droits de la femme primeraient-ils, en tant que tels ?

Dans cette perspective, par delà la pression du différentialisme, la présente décision apparaît comme une manifestation de la supériorité du droit de l’enfant sur le droit religieux ; surtout, elle annonce un type de conflits inusité, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il déroutera les principes juridiques actuellement en usage.

Paragraphe 2 : les menaces du communautarisme

Le “communautarisme”, traduction française de “communalism”, plus courant dans le vocabulaire des sciences sociales anglo-saxonnes, désigne des groupes culturels partageant la même langue, la même religion et/ou les mêmes traits raciaux. Mais, définir ainsi les communautés à partir de caractéristiques culturelles ne revient pas à faire une lecture culturaliste du phénomène, telle que celle proposée par le courant “primordialiste” (pour lequel les identités collectives procèdent directement de ” donnés ” culturels[500]). Les communautés ne constituent pas ici des entités trans-historiques qui entreraient toute armée en politique. Le “communautarisme” est donc bien comme 1’indique le suffixe attaché au mot – une idéologie, c’est à dire une construction moderne et largement stratégique qui émerge nécessairement en relation avec la formation ou les transformations de l’Etat. Chacun des articles réunis dans ce numéro illustre à sa façon cette problématique même lorsqu’il adopte une perspective historique et remonte très loin dans le temps pour analyser justement le caractère construit du communautarisme.

Cependant dire que le communautarisme est un phénomène idéologique moderne ne suffit pas à le définir ; c’est même à ce stade que surgit la question la plus difficile. Comment, en effet, distinguer cet ” isme ” des autres du même ” genre “, comme le nationalisme et le particularisme pour n’en citer que deux ? La question est d’autant plus délicate que les termes utilisés sont eux-mêmes des enjeux politiques. Des “nationalistes” auto-proclamés stigmatisent ainsi des “communalistes” dont l’action mine à leurs yeux l’unité du pays et bien des communautés cherchent par contre à revendiquer le statut de nations de manière à légitimer leurs aspirations à l’indépendance.

Communautarisme, nationalisme et particularisme La distinction entre ” nationalisme ” et ” communautarisme ” (ou communalisme) repose chez certains auteurs sur un rapport contradictoire aux valeurs individualistes. Pour Louis Dumont, ” le communalisme diffère du nationalisme par la place que semble y prendre la religion “[501] considérée ici comme indissociable d’un univers holiste. Cette thèse s’inscrit dans une perspective ouverte par Marcel Mauss selon lequel la nation ne peut se développer que dans un contexte individualiste[502]. Cette conception est discutable dans les termes mêmes du modèle de L. Dumont qui oppose volontiers un nationalisme universaliste et individualiste, dont l’archétype est fourni par la France, et un “nationalisme ethnique”, qui correspond davantage au cas allemand, où l’accent est mis sur les liens culturels et parfois de sang[503]. Dès lors comment distinguer le “communautarisme” du nationalisme ethnique ?

Un élément de réponse réside sans doute dans les modalités d’insertion de la communauté dans un ensemble social et politique plus vaste. Le terme “communautarisme” s’applique en effet de façon privilégiée à des groupes culturels qui ne représentent qu’une composante parmi d’autres, d’un Etat multi-culturel et qui même, parfois, vivent en inter-action de sorte qu’ils se perçoivent dans certains cas comme des sous-ensembles de la nation et non comme des nations. Cette intégration relative ne signifie pas que la communauté ne puisse pas évoluer vers une forme de nationalisme ethnique et formuler pour finir des revendications indépendantistes – il s’agit au contraire d’un cas de figure fréquent qu’illustrent plusieurs articles de ce numéro – mais dans une acception idéal-typique du ” communautarisme “, le groupe est inscrit dans un cadre national dont les références visent à transcender les clivages culturels au nom d’une identité englobante : les nationalismes libanais, mauricien, indien, yougoslave … ont ou ont eu leur raison d’être, par rapport à des ennemis extérieurs (notamment au moment des luttes anti-coloniales) et les communautés sont dans cette configuration, censées fournir leur apport particulier à ces constructions qui sont davantage que la somme de ces composantes et qui affichent souvent une vocation universalistes. La maxime indienne répétée à l’envi dans de nombreux Etats pluri-ethniques ” d’unité dans la diversité ” renvoie à ce schéma.

La différence entre le ” communautarisme” et le “particularisme ” découle en partie de cette caractérisation des communautés comme composantes plus ou moins bien intégrées d’ensembles plus vastes. Le particularisme consiste en effet souvent à revendiquer la reconnaissance d’une spécificité par 1’Etat tandis que le communautarisme implique que cette étape est déjà réalisée et que les revendications portent sur davantage de concessions encore. Dans certains cas les communautés sont même institutionnalisées à travers le système fédéral (cas de l’ex-Yougoslavie) ou les techniques de représentation électorales (Liban, Maurice). Cet essai de typologie, qui est aussi un effort de clarification terminologique dans un domaine où le sens des concepts est souvent trop idiosyncrasique ou polémique, montre combien les différences peuvent être ténues entre des notions voisines. Cet exercice confirme en tout cas que l’on ne peut s’intéresser à ces questions sans rencontrer aussitôt l’Etat.

Les (contre)stratégies ” ethniques ” de l’Etat Le communautarisme se caractérise d’abord par sa prétention à opposer à la relation citoyenne une autre allégeance qui se veut prioritaire. Il remet, par là, en cause la construction d’un espace public et le principe même d’une société politique transcendant les spécificités culturelles. Si la constitution des communautés en forces sociales et politiques peut ainsi apparaître comme une menace adressée à l’Etat, ce dernier peut toutefois aussi chercher à les utiliser en vue de conforter ou de rétablir son pouvoir. Ce point de vue est sans doute complémentaire du précédent dans différents cas de figure. Le plus courant, semble-t-il, est celui où l’Etat s’efforce de diviser les communautés pour mieux régner ; il peut alors utiliser une mobilisation identitaire de type extrémiste pour déstabiliser un rival politique représentant la même communauté mais sur un registre modéré. Le cas de l’Etat indien dans ses relations avec les sikhs du Pendjab illustre bien cette configuration. Ce genre de manipulation se traduit cependant par une nouvelle ” communalisation ” de l’Etat. Ce changement peut n’être que de degré dans les Etats où ces communautés sont reconnues de façon plus ou moins institutionnelle ; il peut aussi être de nature là où l’Etat affiche (ou affichait) une vocation universaliste et laïque. Dans tous les cas, l’usage (contre)stratégique du communautarisme est contraire à la notion d’un Etat transcendant les clivages de la société.

La dimension internationale L’analyse des rapports entre Etats et communautés demande à être resituée dans le contexte international. Cette approche concerne l’impact de ” ceux de l’extérieur ” du point de vue transnational et le rôle des Etats voisins (ou plus lointains) d’un point de vue internationaliste plus classique. S’agissant du premier volet deux propositions peuvent être avancées et demandent à être testées. D’une part les communautés apparaissent comme des menaces d’autant plus grandes pour l’Etat, qu’elles bénéficient de soutiens à l’étranger. D’autre part, ” ceux de l’extérieur ” peuvent, à l’inverse, soutenir l’Etat dans ses efforts de survie, y compris au plan financier. Du point de vue international, il paraît important de prendre en compte l’attitude des Etats voisins abritant ou non des ressortissants de la même communauté que celle qui se mobilise dans un pays donné. Par ailleurs les Etats voisins peuvent alimenter des mouvements séparatistes, qu’ils comportent ou non des éléments de la communauté mobilisée. Enfin l’efficacité d’un mouvement communautaire et la démonstration de sa puissance supposent souvent une énonciation internationale de son identité et de ses buts et donc une internationalisation de son action de contestation.

  1. La remise en question de la laïcité ouverte
  1.  Le cadre identitaire commun de la laïcité ouverte

Le débat sur la laïcité est loin d’être terminé, aussi bien en Europe qu’au Québec. L’année 2010 a été marquée par le dépôt du projet de loi 94 (Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements) faisant suite au rapport Bouchard-Taylor. En février, un groupe d’intellectuels publiait le texte « Pour un Québec pluraliste », qui se situe dans l’esprit de la laïcité ouverte et tolérante. En mars, les Intellectuels pour la laïcité ont fait paraître le manifeste intitulé « Pour un Québec laïque et pluraliste », qui prône une laïcisation intégrale de la société. La question de la prière au conseil municipal a encore fait des vagues en 2010 et en 2011. Dans une décision de 2006, le Tribunal des droits de la personne en a interdit la récitation à la Ville de Laval ; le 9 février 2011, le Tribunal l’a de nouveau interdite à la Ville de Saguenay et a ordonné de retirer le crucifix et une statue du Sacré-Cœur. L’affaire a été portée en Cour d’appel du Québec.

De nombreux événements en Europe ou en Amérique mériteraient d’être mentionnés pour alimenter notre réflexion : la décision unanime de l’Assemblée nationale de maintenir le crucifix en évidence au Salon bleu ; l’interdiction à des sikhs de porter le kirpan à l’Assemblée ; une directive du ministère de la Famille qui « prévoit que les services de garde subven­tionnés par l’État doivent être exempts d’activités ayant pour objectif l’apprentissage d’une croyance, d’un dogme ou de la pratique d’une reli­gion spécifique » ; l’interdiction d’installer une crèche de la Nativité en Picardie ; l’interdiction de la prière du vendredi des musulmans dans les rues de Paris ; l’attitude des autorités à l’égard de la construction de mos­quées ou de mi­narets en France ou en Suisse ; la Ville de Paris qui finance et organise un concert pour fêter le ramadan ; la publication par la Com­mission européenne de 3 millions d’exemplaires d’un agenda 2011 destiné aux élèves de 21 000 écoles des 27 pays de l’Union qui mentionne les fêtes de nombreuses religions, mais ne fait aucun cas des fêtes chrétiennes de Noël, de Pâques, de l’Ascension, de la Pentecôte, de l’Assomption…

Le 3 mars 2011le Conseil du statut de la femme a publié un mé­moire intituléAffirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Il y recommande au gouvernement d’affirmer dans une loi la laïcité comme « valeur commune du Québec », de déclarer que le Québec « rejette la laïcité ouverte », de modifier la Charte afin d’affirmer que l’État est laïque, d’adopter une loi qui prévoirait les modalités d’application du principe de laïcité de l’État afin d’établir clairement sa séparation d’avec la religion. Il recommande aussi de réévaluer les liens financiers entre l’État et le religieux afin que l’État ne soit pas ou ne pa­raisse pas associé aux religions. Les subventions aux écoles confession­nelles et les privilèges fiscaux consentis aux communautés religieuses devraient précisément être examinés.

Dans le même mois, à Strasbourg, la plus haute cour en Occident en matière de droits de la personne, la Cour européenne des droits de l’homme, a rendu un arrêt historique en matière de laïcité ouverte. Statuant à 17 magistrats, en révision d’une décision de la première cham­bre, la grande chambre confirme le droit pour l’État italien de maintenir les crucifix aux murs des écoles publiques italiennes.


La Cour qualifie le crucifix d’« expression de l’identité culturelle et religieuse des pays de tradition chrétienne ». Elle respecte les choix des États dans ces domaines quant à la place qu’ils donnent à la religion, dans la mesure où ces choix ne conduisent pas à une forme « d’endoctri­ne­ment ». Un crucifix sur un mur est certes « un symbole religieux », mais il s’agit d’un symbole passif, dont l’influence sur les élèves ne peut être comparée à celle d’un discours didactique ou de la participation à des acti­vités religieuses.La Cour constate qu’en prescrivant la présence du crucifix dans les salles de classe des écoles publiques, la réglementation italienne donne certes à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante dans l’environnement scolaire, mais elle considère que « cela ne suffit pas pour caractériser une démarche d’endoctrinement ». Elle estime en outre que les effets de la visibilité accrue que la présence de crucifix donne au christianisme dans l’espace scolaire méritent d’être encore relativisés au vu d’autres éléments significatifs.


Les enseignements de la Cour en mars 2011 peuvent être transposés dans d’autres domaines du service public. La présence du crucifix dans l’espace public et dans les bureaux de l’État et de l’Administration n’est pas contraire à l’obligation de neutralité de l’État, dans un pays de tradition chrétienne, s’il n’y a pas volonté manifeste d’endoctrinement. Voilà une saine conception de la laïcité ouverte, valable en Vénétie comme au Québec.


Le 19 juillet, le Conseil d’État français, prestigieuse cour administra­tive suprême, siégeant en Assemblée du contentieux (17 magistrats) rendait 5 arrêts fort attendus. Dans ces affaires, il est question du finance­ment et de la part active des autorités publiques locales dans l’aména­gement d’équipements ou la construction de lieux de culte. Dans l’affaireCommunede Trélazé (Maine et Loire) étaient contestés l’achat et la restauration d’un orgue et son installation dans une église. Dans l’affaire de la basilique de Fourvière était contestée l’installation d’un ascenseur aux frais de la Ville de Lyon dans la célèbre basilique. Dans l’affaire de la Communauté urbaine du Mans, il s’agissait de l’aménagement de locaux précisément affectés à l’abattage rituel (pour qu’une viande soit halal, propre à la consommation des musulmans, l’animal doit être égorgé vivant en toute conscience, la tête tournée vers la Mecque quand il se vide de son sang, et ce sacrifice s’accompagne des paroles sacrées). Dans l’affaire de Montpellier était contesté l’aménagement d’une salle polyvalente, mise à la disposition d’une association de Franco-Marocains et réservée au culte musulman. Dans l’affaire de Montreuil, il s’agissait de la conclusion, avec une fédération cultuelle musulmane, d’un bail emphytéotique dans le but de construire une mosquée.

Les arguments retenus par le Conseil sont éclairants. Dans le cas de Trélazé, il énonce que la laïcité ne fait pas obstacle au financement d’un orgue dans une église par une commune « dès lors qu’existe un intérêt public local (organisation de cours ou de concerts de musique) et qu’un accord, qui peut par exemple figurer dans une convention, encadre l’opé­ration ». À la basilique de Fourvière, le Conseil estime que la laïcité « ne fait pas obstacle aux actions des collectivités territoriales visant à valoriser les atouts culturels ou touristiques qu’un édifice cultuel présente pour elles ». D’autre part, selon le Conseil, le financement d’un abattoir rituel temporaire pour l’Aïd-el-Kébir (380 000 ¤) par la Communauté urbaine du Mans peut être « d’intérêt public », lorsqu’il est nécessaire « que les pratiques rituelles soient exercées dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques, […] en l’absence d’abattoir proche ». À Montpellier, à propos de la construction d’une salle polyvalente mise à la disposition d’une « association cultuelle », le Conseil écrit qu’une commune peut, dans le respect des principes de neutralité et d’égalité, permettre l’utilisation d’un local qui lui appartient pour l’exercice d’un culte si les conditions finan­cières de cette autorisation excluent toute aide financière directe à ce culte, et pourvu que l’association n’en ait pas l’usage exclusif.

Le Conseil d’État tout comme la Cour européenne s’éloignent certes d’une conception étroite ou rigide de la laïcité. Ces arrêts nous convain­quent de la faiblesse des décisions du Tribunal québécois des droits de la personne. Le règlement municipal contesté à Saguenay n’impose à per­sonne de réciter ladite prière ni n’oblige personne à y assister. Aucune contrainte n’est imposée ni par la Ville ni par le maire. La prière dans l’espace public est un symbole religieux comparable à un crucifix ou à une statue qui n’a pas été placé sur les murs dans un but d’endoctrinement.

Le Tribunal québécois a déformé radicalement la portée de la juris­prudence de la Cour suprême sur la portée de la neutralité de l’État et des institutions publiques. Pour la Cour suprême canadienne, la neutralité de l’État, qui découle implicitement de la protection de la liberté de conscience et de religion, signifie que l’État ne doit imposer aucune « contrainte », aucune « forme de coercition » ; il ne doit pas « astreindre l’ensemble de la population à un idéal sectaire chrétien ». L’article 18 du Pacte international sur les droits civils et politiques utilise ce même terme : « Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté […]. » Le Tribunal québécois en déduit qu’il ne doit pas y avoir « instrumentalisation du pouvoir politique et des institutions publiques pour véhiculer ou afficher une foi particulière » (par. 223). Il y aurait, de plus, discrimination notamment à l’égard des non-croyants parce qu’il s’agit de « la manifesta­tion d’une expression religieuse qui n’est pas conforme à leurs [ses] convictions […] » (par. 258).

Dans leur manifeste, les Intellectuels pour la laïcité veulent montrer que la laïcité intégrale, et non la laïcité ouverte, fait partie de l’identité québécoise parce qu’elle « fait partie de l’histoire du Québec » : « Au Québec, la défense des idéaux laïques ne date pas d’aujourd’hui. » Et parmi les textes fondateurs de notre identité, on retrouverait les écrits de Fleury Mesplet, disciple de Voltaire, à la fin du xviiie siècle, la Déclaration d’indépendance des patriotes de 1838, les écrits des Papineau, Dessaulles, Doutre, Buies, etc., le texte du Refus global, celui du Mouvement laïque de langue française. Voilà un bien court résumé de notre histoire sociale et de nos racines ! Ces textes ou événements qui, somme toute, sont marginaux dans l’histoire du Québec, auraient marqué « la laïcisation de l’État québé­cois » et mené à « l’affranchissement du joug religieux ».

On peut lire aussi dans le manifeste des Intellectuels que « la laïcité ouverte s’avère être en pratique une négation de la laïcité de l’État », alors que c’est cette laïcité ouverte qui est en vigueur dans presque tous les pays d’Europe, y compris la France, comme le rappelle justement le rapport Bouchard-Taylor.

Quant à la laïcité à la française, personne n’ignore qu’en France, 90 % des églises (environ 40 000) sont la propriété de l’État ou des munici­palités, qui ont l’obligation constitutionnelle de les entretenir et de les mettre à la disposition des croyants ; personne n’ignore que depuis la loi Debré de 1959, l’État finance à un très haut niveau les institutions privées d’enseignement qui sont presque toutes à caractère religieux. Qui ignore la pratique des subventions variées aux associations ou œuvres d’inspiration religieuse ? L’histoire et la sociologie enseignent aussi que la laïcité admet des modalités diverses, y compris la reconnaissance de droits historiques de certaines religions du moment que les libertés de conscience, de religion et de culte sont affirmées et appliquées. Le célèbre rapport Stasi de 2004 affirme que chaque État aborde le défi de la laïcité « avec la tradition qui est la sienne », y compris « le respect des habitudes et des traditions locales », en sachant « aménager des exceptions », faire « des nuances », ad­­mettre « des limites » (rapport, p. 20, 25, 32). Dans son récent ouvrage Les laïcités dans le monde, Jean Baubérot écrit que la laïcité n’est pas une « ex­ception française » :

Elle n’est pas plus un « pur concept » intemporel. Il existe des laïcités dans le monde qui résultent de processus historiques divers, de fondements philosophiques pluriels et qui correspon­dent à des réalités sociales, culturelles et politiques elles-mêmes variées. Cela ne signifie nullement que ces laïcités soient équivalentes mais implique, dans chaque situation, qu’un seuil minimal de laïcité ait été franchi.

La portée universelle de la laïcité n’empêche pas que celle-ci soit marquée par les singularités de l’expérience historique. Comme l’écrivent Jocelyn Maclure et Charles Taylor, « il n’existe pas une formule universelle de la laïcité ; chaque société doit élaborer la sienne, dont la physionomie variera selon les différentes conceptions du monde et du bien qui l’habitent » (2010).


Le rapport Bouchard-Taylor (2008 : 130-154) et le rapport Proulx ont traité de laïcité dans une perspective « de laïcité ouverte » (p. 145, 229). Mais déjà le rapport Parent, en 1966, contenait une page qui mérite d’être rappelée :

[…] la neutralité religieuse de l’État ne signifie pas que celui-ci ne doive avoir aucune considération pour les convictions des citoyens. En effet, si la neutralité religieuse de l’État interdit à celui-ci de prendre parti en faveur d’une religion, elle n’exige cependant pas une intervention de l’État en faveur de l’indif­férence religieuse pas plus que contre une religion. L’État doit au contraire respecter, dans les limites de l’ordre public, toutes les options religieuses des citoyens […]. Il lui faut, dans l’intérêt général, prendre en considération et chercher à respecter les attitudes des citoyens inspirées de leurs convictions morales et religieuses (Rapport Parent, t. 4, p. 33).

  1.  Méconnaissances des acquis de l’unité de l’Etat par les nouveaux venus
  1. Le repli communautaire et la résurgence de l’identitaire
    1. Remise en cause des libertés individuelles
    2. Remise en cause des fondements de la citoyenneté

Section II : la revalorisation du principe de la laïcité pour venir à bout de ce défi

Paragraphe 1 : matérialisation de l’égalité juridique pour en faire une égalité pratique 

  1. La prise en compte toutes les convictions spirituelles ou religieuses

Une dichotomie est flagrante en France entre le postulat juridique d’égalité des religions et la réalité de leur traitement. « Passée d’une facture idéologique destinée à l’inculcation des principes républicains émergents dès les années 1870, à une formulation juridique entérinant ces principes à partir de la libération »[504], la laïcité est devenue un principe fondamental qui connaît aujourd’hui une certaine recomposition.

À partir des années 1960, la lecture juridique de la laïcité a oscillé entre deux obligations de l’État pouvant apparaître, mais apparaître seulement, comme concurrentes : l’interdiction d’intervenir dans les affaires religieuses et l’obligation de concilier les différentes religions afin de garantir effectivement la liberté religieuse. La médiation entre ces impératifs de l’État laïque français a impliqué que ce dernier s’érige en gestionnaire des différences, ce qui a vraisemblablement participé au brouillage des repères. L’État est, en effet, dans l’obligation de prendre en considération l’émergence de groupements sociaux constitués autour de valeurs différentes que celles qui ont forgé la République. Cette démarche postule l’intervention des autorités publiques afin de résoudre, en droit, les possibles conflits entre les cultes mais aussi entre ceux-ci et l’État.

Il est important, à notre sens, de souligner que le creuset judéo-chrétien de la République a éclaté au profit d’une sécularisation fondée sur la coexistence de plusieurs cultures au sein de la société française. Dans ce régime pluri-culturel, la culture judéo-chrétienne est, depuis les années 1990, confrontée au problème de l’apparition de nouvelles valeurs religieuses. A priori, la neutralité s’imposant, ce phénomène relativement récent ne devrait poser aucun problème. D’ailleurs, J.-H. Prélot souligne que « le système français de laïcité repose sur un postulat essentiel, celui de l’égale valeur des religions aux yeux de l’État et, comme conséquence, celui de leur égal traitement »[505]. De même, J. Robert insiste, à propos des articles 1 et 2 de la loi de 1905, « ces deux textes signifient que l’État, en France, ne donne sa préférence à aucune religion puisqu’il n’en aide aucune, mais il les reconnaît toutes et assure le libre exercice des cultes de chacune d’entre elles »[506]. Pourtant, suite à son affirmation du principe d’égalité juridique des religions, P.-H. Prélot nuance « le constat n’est ni entièrement nouveau ni entièrement original, et pour être juste, il faut souligner que la littérature juridique consacrée à la question de manière constante estime que la loi de 1905 n’a, en réalité, jamais totalement rompu avec le régime légal de reconnaissance des cultes anciennement reconnus faisant l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics. Notamment, les autorités religieuses légitimes des anciens cultes reconnus sont restées, après 1905, les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics », et l’auteur poursuit : « que signifie l’égalité de traitement pour des religions qui sont fondamentalement différentes dans leur système de croyance, dans leur pratique et dans leur mode d’organisation interne, mais aussi dans leur implantation sociale ? »[507].

Il faut cependant souligner qu’il n’existe aucune disposition discriminatoire dans l’ordre juridique français sous-tendu par la laïcité et que le traitement différencié des religions résulte de l’application de ce dernier et uniquement de manière implicite. Afin d’illustrer son propos, J.-H. Prélot donne trois exemples non exhaustifs que nous allons tenter d’étayer :

_ le calendrier républicain français pose le choix du dimanche comme jour de repos dominical[508]. Il en va de même pour les jours fériés qui, pour la plupart, correspondent aux fêtes chrétiennes. Au regard de cet exemple, il apparaît clair que notre droit laïque est imprégné de la tradition et de la culture chrétienne. La question est alors de savoir s’il est possible de remettre en cause cet ordre du calendrier sans nier nos origines, notre culture, nos traditions, alors même que l’institution du dimanche comme jour de repos dominical repose sur un constat historique et sociologique sans aucune intention discriminatoire. En outre, les fondements de ce repos se retrouvent aujourd’hui plus dans le Code du travail que dans les sources bibliques. De plus, les textes permettent des aménagements particuliers afin d’y déroger (ouverture des commerces, organisation occasionnelle de concours…) sans prendre en considération les obligations religieuses chrétiennes. Néanmoins, cette justification ne permet pas de résoudre le problème posé par la revendication du vendredi pour les musulmans et du samedi pour les juifs. Il a donc incombé au juge de rétablir l’égalité et d’envisager au cas par cas des aménagements particuliers de façon à permettre le libre exercice de chaque confession[509].

Une autre expression de l’imprégnation religieuse de notre droit laïque peut être trouvée dans la réglementation des sonneries de cloches. En effet, alors que les édifices du culte chrétien disposent d’une réglementation propre et spécifique[510], l’appel à la prière de la mosquée est, lui, encadré par le droit commun c’est-à-dire l’interdiction de l’usage public des hauts parleurs sauf autorisation. Il faut toutefois préciser que les clochers ne sont pas réservés à l’usage exclusif des appels religieux mais au contraire peuvent être utilisés pour des manifestations civiles du fait de leur domanialité publique[511]. Or, les mosquées sont des lieux de culte intégralement privés.

_ Le deuxième exemple concerne les lieux de culte en tant que tels. La loi de 1905 a eu pour effet d’incorporer au domaine public les édifices qui sont ensuite mis à la disposition du culte[512]. Or, ce mécanisme d’affectation ne vise que les édifices cultuels existant à l’époque de l’entrée en vigueur de la loi de 1905, il n’a donc pas vocation à s’appliquer aux nouveaux lieux de culte apparus postérieurement sur notre territoire. En outre, le Conseil d’État a refusé d’étendre la domanialité publique à des lieux de culte autres que ceux faisant l’objet d’une affectation légale par la dite loi, en estimant qu’« une convention de mise à disposition d’un bien immobilier pour la célébration du culte ne peut être regardée comme ayant entraîné l’affectation de cet édifice à l’usage direct du public et par suite ne l’a pas fait entrer à ce titre dans le domaine public communal »[513].

Toutefois, le régime d’affectation légale des lieux de culte, propriétés publiques, présente plusieurs avantages : l’entretien et la conservation de l’édifice revient à la collectivité propriétaire et l’affection étant perpétuelle, elle ne peut être remise en cause sauf conditions strictement définies par la loi. De cette situation résulte un problème de financement des mosquées. Par exemple, certains Imams doivent rechercher des subsides à l’étranger avec le risque toujours présent d’adopter les idéologies parfois conservatrices mêmes fondamentalistes des bailleurs de fonds. Néanmoins, sur le plan de l’égalité entre les religions, la discrimination ainsi apparente doit être nuancée. En effet, les Églises ou les Temples construits dans les nouveaux bassins de population sont également de statut privé.

_ La troisième illustration, donnée par J.-H. Prélot, concerne le statut d’association cultuelle ouvrant droit aux dons et legs. Ce statut est assez aisément reconnu aux religions traditionnelles mais refusé, de façon constante, aux associations issues des groupes religieux minoritaires comme les témoins de Jéhovah[514]. Ce refus est explicité par la perception de ce type de mouvement comme étant sectaire ou potentiellement dangereux pour l’ordre public[515]. La loi de 1905 avait prévu l’organisation des cultes en associations cultuelles mais l’Église catholique a refusé de se constituer de la sorte, le statut proposé ne correspondant pas à leurs structures internes hiérarchiques. Aussi, des statuts spécifiques ont été imaginés sous forme d’associations diocésaines et ont ensuite été étendus au titre de congrégation religieuse aux cultes non chrétiens. Toutefois, le statut d’association cultuelle doit être approuvé par les autorités représentatives des cultes, l’autorité publique se remettant aux représentants légitimes de chaque culte pour l’organisation interne. Or, ceci pose problème, les Églises chrétiennes refusant de reconnaître certains groupes religieux, les excluant de ce fait du statut officiel et donc des dons et legs qui en découlent (Témoins de Jéhovah par exemple). Il en est de même pour l’agrément des sacrificateurs rituels refusé aux associations juives non reconnues par le Consistoire[516]. Concernant l’islam, le problème est d’ampleur puisqu’il ne fonctionne pas selon un mode institutionnel et hiérarchique traditionnel et ne dispose pas d’institutions représentatives internes permettant, seules, un dialogue avec les autorités publiques. Ces dernières ont alors tenté d’impulser un regroupement au sein d’un Conseil des musulmans de France, organisé depuis peu, mais dont la représentativité semble être contestée par les musulmans de France de diverses tendances, de différentes origines nationales et de sensibilités religieuses divergentes[517].

Les textes sur la laïcité sont des textes généraux qui ne peuvent tenir compte des particularismes propres à chaque culte. Il appartient donc au juge d’adopter une prise en compte individualisée de chaque demande religieuse, qu’il s’agisse de l’aménagement des menus dans les cantines ou des dispenses à l’obligation d’assiduité scolaire. Ainsi, le système de dérogations ponctuelles et individuelles permet de rétablir l’égalité entre les différentes religions. Toutefois, la prise en compte des prescriptions religieuses particulières doit rester compatible avec l’intérêt général et l’ordre public dont l’État a la charge. Aussi, nous pensons que le droit à la différence doit nécessairement s’accommoder des règles de vie nationale.

Toutefois, cette démarche visible dans la jurisprudence du Conseil d’État a fait apparaître une laïcité de plus en plus ambiguë et/ou diluée au profit de la notion de pluralisme. En effet, pour certains, cette « nouvelle » laïcité est trop ouverte et conduit à la détérioration des principes républicains d’indivisibilité nationale. Par contre, pour d’autres, comme C. Geffre, « le pluralisme religieux, culturel et éthique est une chance pour la laïcité, c’est-à-dire un savoir vivre ensemble »[518]. Dans la même ligne de pensée, une partie de la doctrine préconise la valorisation du concept de pluralisme et la définition de la société française non plus comme laïque mais comme pluraliste. Mais, le problème est que, selon E. Pion, « de la notion de pluralité qui exprime un constant objectif d’une indéniable diversité, on passe à la notion de pluralisme comme doctrine ambiguë, fondée implicitement sur le culte du particularisme et des diversités identitaires »[519]. L’interrogation demeure donc de savoir si la forme républicaine de l’État, qui ne peut faire l’objet d’aucune révision en ce qu’elle prône l’indivisibilité de la Nation, doit s’adapter à des expressions religieuses communautaires. R. Rémond estime que l’on assiste, à l’heure actuelle, à la substitution à une « philosophie unitaire (la laïcité) d’une vision qui reconnaît les différences et exalte le pluralisme »[520]. Pourtant, malgré les assouplissements nécessaires et observés dans la jurisprudence, notamment administrative à propos de la notion de laïcité, la République est nettement affirmée : « L’idée française de la Nation et de la République… exclut l’éclatement de la Nation en communautés séparées »[521]. À cet égard, le rôle du juge a été et est encore de concilier la liberté de conscience qui sous-tend le droit à la différence et les exigences de la République elles-mêmes sous-tendues par la laïcité.

La laïcité est aujourd’hui à l’épreuve d’une société nouvelle qui subit les douleurs propres à toute phase d’adaptation. Mais, la France ne constitue en rien une exception puisque la tendance est européenne. En effet, en Allemagne, alors que la question de la liberté religieuse est majeure et commande l’exclusion de toute emprise du pouvoir politique, les difficultés se sont multipliées ces dernières années. Elles ont appelé les autorités publiques à envisager l’adoption d’une loi interdisant le port du voile islamique par les enseignantes. Les solutions demeurent cependant dans le sens d’une conciliation entre protection de l’expression libre des convictions religieuses et respect de l’ordre juridique établi. Comme la France, l’Allemagne oscille entre le respect d’exigences difficilement conciliables : le souci d’accorder les mêmes droits à toutes les religions et la crainte de voir se développer des communautarismes remettant en cause ces mêmes droits. Les Pays-Bas ont, quant à eux, opté pour une solution communautariste. En effet, le système hollandais est organisé autour de « piliers » auxquels se rattachent les individus en fonction de leur appartenance notamment religieuse. Alors que chaque pilier dispose de son organisation propre et permet à tout immigré de s’y fondre, l’intégration pose problème. Des interrogations apparaissent donc quant à la remise en cause de ce fonctionnement afin de privilégier les valeurs fondatrices de la société néerlandaise[522]. Les pouvoirs publics français sont donc confortés, au regard du paysage européen le plus proche, dans leur option d’intervention législative[523]. Aussi, le 11 décembre 2003, la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République a remis son rapport au Président de la République. Sans qu’il soit nécessaire ici d’être exhaustif quant au contenu de ce dernier, nous pouvons retenir les dispositions principales et souligner quelques points qui, de notre avis, suscitent déjà quelques interrogations.

Le rapport conclut à plusieurs nécessités dont la première est de « rappeler aux Administrations les obligations auxquelles elles sont assujetties en les invitant à une plus grande fermeté » notamment dans le cadre de l’éducation nationale. Est-ce dire alors que l’Administration fera, à l’avenir, une application stricte de la règle d’assiduité scolaire et par là même, supprimera toute possibilité de dérogation exceptionnelle à la faveur de l’enfant pratiquant une religion dont les fêtes importantes ont lieu les autres jours que le dimanche ?

_ Deuxième nécessité : « la suppression des pratiques publiques discriminantes » impliquant que, dans la région d’Alsace-Moselle, l’islam soit inclus au titre des enseignements religieux proposés avec le choix pour les élèves de les suivre ou non. Or, cette région est restée soumise au régime concordataire. L’introduction de l’islam dans l’enseignement religieux proposé commande alors des modifications juridiques profondes.

_ Troisième nécessité : « l’adoption d’une loi sur la laïcité » notamment quant au fonctionnement des services publics et quant au respect de la diversité culturelle. Concernant le premier pan, le rapport propose : « Dans le respect de la liberté de conscience et du caractère propre des établissements privés sous contrat, sont interdits dans les écoles, collèges et lycées, les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique. Toute sanction est proportionnée et prise après que l’élève ait été invité à se conformer à ses obligations ». Cette disposition doit être éclairée, pour être comprise, par l’exposé des motifs suivant : « Les tenues et signes religieux interdits sont les signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa. Ne sont pas regardés comme des signes manifestant une appartenance religieuse les signes discrets que sont par exemple médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatma ou petits Corans »[524]. Nous pouvons ici nous étonner de l’utilisation du terme « ostensible » signifiant « qui peut être montré sans inconvénient »[525] et doit nécessairement être rapproché, pour être compris, du terme « ostentatoire » (« qui témoigne de l’ostentation) »[526], adjectif du nom « ostentation » (« Mise en valeur excessive et indiscrète d’un avantage »)[527]. En outre, il est important de souligner la distinction établie entre les signes ostensibles et non ostensibles demeurant manifestement des signes d’expression d’une appartenance religieuse[528].

_ Quatrième nécessité : le respect de la diversité spirituelle. Ce point rejoint la première remarque et est relatif au fait de faire des fêtes religieuses de Kippour et de l’Aïd-El-Kebir des jours fériés dans toutes les écoles de la République. Certes, cette disposition permettrait aux croyants de pratiquer leur religion mais ceci seulement à l’occasion d’une manifestation par an, contrairement aux nombreux jours fériés accordés, par tradition, pour l’exercice du culte catholique ou protestant. En outre, que faire pour maintenir l’égalité juridique et permettre le libre exercice des cultes, par exemple bouddhiste ou orthodoxe non envisagés par le texte ?

Certes, la tâche de la Commission était peu aisée et résidait dans la conciliation de principes juridiques parfois difficilement conciliables. Telle est également la matière du juge, la jurisprudence permettant cependant plus de souplesse que l’intervention législative.

· Juridiquement, il existe donc un conflit entre la laïcité, principe constitutionnel, dont il est classiquement déduit une obligation d’abstention d’expression des convictions religieuses, et de l’autre, la liberté de conscience et d’opinion, elle aussi de nature constitutionnelle, et dont on admet logiquement qu’elle puisse avoir des manifestations extérieures. Dans l’ensemble, la jurisprudence a fait le choix de se placer plus sur le terrain de la liberté de conscience que sur celui de la laïcité telle qu’elle était entendue traditionnellement. De cette position découle la crainte que l’ouverture au pluralisme, à la manifestation de toutes les croyances religieuses ne constitue une gêne pour l’intégration républicaine.

· Le problème se pose surtout par rapport à un constat, celui de l’évolution de la perception de la notion de laïcité parallèlement à l’évolution de la société française[529] : la religion est passée du domaine public au domaine privé et a entamé sa progression dans le domaine personnel. À cet égard, les affaires du voile, montées en épingle par une couverture médiatique et surtout un contexte international particulier, sont néanmoins au cœur de l’interrogation. Dans une démocratie, le pluralisme ne peut être nié mais il s’oppose parfois à une logique républicaine d’indivisibilité nationale. Est-ce alors à la laïcité, par l’adaptation de son encadrement juridique, de concilier les deux plus importantes données de notre État de droit : la démocratie et la République ? La République a démontré qu’elle pouvait parfaitement s’accommoder d’une laïcité-neutralité permettant le pluralisme cultuel et culturel. À cet égard, les interprétations au cas par cas par le juge de ce qui heurte ou non la laïcité républicaine sont encore la meilleure garantie ou rempart contre la dilution de la République française en communautés séparées sans qu’une intervention législative ne vienne exacerber les esprits opposés et radicaliser les opinions.

Toute religion a une visibilité et, par conséquent, des effets sociaux que l’État ne peut ignorer dans le respect du principe de neutralité à l’égard de tous les cultes et de libre exercice de ces derniers pour chaque individu. Le problème est aujourd’hui posé non plus en termes de droit à la différence, celui-ci ayant évolué, mais de droit à l’expression du différent. C’est à l’égard de cette transformation, pouvant à terme porter atteinte aux valeurs républicaines et donc à l’indivisibilité nationale, qu’un projet de loi s’est rapidement mis en place dans le dessein de rattacher l’ensemble des citoyens, quelles que soient leurs différences, au respect des lois de la République. Ce texte rappelle donc, dans l’exposé des motifs, que le principe de laïcité inscrit à l’article 1er de la Constitution « Est au cœur de l’identité républicaine de la France ». Il poursuit : « La laïcité (…) assure à chacun la possibilité d’exprimer et de pratiquer paisiblement sa foi » mais « l’application du principe se heurte à des difficultés nouvelles et grandissantes (…). À cet égard, la réaffirmation du principe de laïcité à l’école, lieu privilégié d’acquisition et de transmission de nos valeurs communes, instrument par excellence d’enracinement de l’idée républicaine, paraît indispensable ». Le projet met ensuite en garde : « Il ne s’agit pas de déplacer les frontières de la laïcité. Il ne s’agit pas non plus de faire de l’école un lieu d’uniformité et d’anonymat, qui ignorerait le fait religieux (…). Si les élèves des écoles, collèges et lycées publics sont naturellement libres de vivre leur foi, ce doit être dans le respect de la laïcité de l’école de la République (…). Il ne s’agit pas, par ce projet de loi, de refonder la laïcité, mais de permettre, en rappelant les principes et les valeurs de l’école, de la faire vivre dans la fidélité aux idéaux de la République ».

Le texte de loi est rédigé comme suit : l’article premier prévoit la modification du Code de l’éducation nationale par l’ajout de la disposition L. 141-5-1 : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, les signes et tenues qui manifestent ostensiblement l’appartenance religieuse des élèves sont interdits ». L’article 2 concerne l’application de la loi aux départements et territoires d’outre-mer. À l’article 3, il est indiqué que les dites dispositions entreront en vigueur à partir de la rentrée de l’année scolaire qui suit leur publication.

Le discours du Président de la République du 17 décembre 2003 où il exprimait le souhait que soit clairement interdit, dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port des signes et de tenues qui manifestent ostensiblement l’appartenance religieuse, n’a pas suffit à faire taire la polémique. En effet, de nombreuses inquiétudes subsistent. Pour certains, une telle loi est une nécessité, une réponse « à un symbole par un symbole »[530], visant à endiguer le port du voile islamique notamment parce qu’il représente le premier signe d’une volonté claire de réintroduire la Shari’a. En fait, le voile serait une porte ouverte à l’introduction, par les intégristes radicaux, d’éléments de plus en plus importants de la religion islamique[531]. À cet égard, quelques exemples flagrants de ce risque sont cités : le problème médical posé par le refus de soins à une femme si ceux-ci ne sont pas pratiqués par un individu du même sexe[532], le problème des cantines scolaires consistant dans le refus de certains enfants de manger un quelconque plat de peur qu’il n’ait été au contact du porc. Que dire enfin de l’acceptation éventuelle de dérogations aux règles du statut de la femme, règles d’organisation familiale et éducative au nom d’une religion spécifique ? Peut-on permettre, au nom du pluralisme que le statut de la femme soit soumis à des règles dérogatoires notamment celles de la Shari’a dans un État comme le nôtre et dans lequel la revendication de l’égalité entre les femmes et les hommes fut un véritable combat ? Aussi, la loi, dans cette optique, devrait permettre un coup d’arrêt à une prolifération excessive des signes de manifestation des différences. Toutefois, ces exemples, dont il faut souligner l’isolement au regard du nombre de musulmans en France, reflètent une radicalisation politique de la question de l’expression des différences. En outre, cette loi représente un danger bien plus grand : en interdisant le port de signes religieux dans les établissements scolaires, ne risque-t-on pas d’exclure de toute scolarité les jeunes filles de plus de seize ans parce qu’elles feront le choix du voile plutôt que celui de l’éducation. Cette situation ne conduirait-elle pas au développement des « cours islamiques de cave » sous l’influence des Mosquées les plus radicales, sans aucun contrôle possible de l’État ? N’aboutirions-nous pas alors à engendrer ce que la loi a justement pour finalité d’éviter[533] ?

De plus, le fait pour les jeunes filles porteuses du voile de bénéficier d’une éducation ouverte dans les établissements scolaires publics n’est-il pas le seul moyen de leur apprendre, à elles, comme à tout élève, ce qu’est la liberté de choix ? Le texte de loi, par l’interdiction qu’il prône, ne tend-il pas à exclure plutôt qu’à intégrer[534] ?

Si le gouvernement a fait la promesse que les décrets d’application de la loi tiendraient compte des situations diverses que l’on verra apparaître dans les établissements, n’en arrive-t-on pas finalement à la même conclusion à laquelle la jurisprudence administrative était parvenue : un principe général de la laïcité avec des exceptions utiles[535] ?

Le dépôt de la loi sur la laïcité a suscité un vif et long débat à l’Assemblée Nationale conduisant finalement à l’adoption du texte le 10 février 2004[536]. Ce dernier consacre la prohibition des signes qui « manifestent ostensiblement une appartenance religieuse »[537]. Prise dans l’objectif d’éclaircir ce qu’est la laïcité, la loi risque, en fait, de reproduire les mêmes difficultés pratiques qu’antérieurement. En effet, la responsabilité de dire ce qui « manifeste ostensiblement » une appartenance religieuse ou pas, revient aux chefs d’établissement. Toutefois, afin de venir en aide à ces derniers, une circulaire détaillant le « mode d’emploi » de la loi sur les signes religieux fut adoptée, levant par là même une vive polémique en ce qu’il permettait le port de tenues traditionnelles[538] ou de bandana. Mais, P. Jan se pose la question de savoir « Quelle attitude suivre si le bandana s’avère un palliatif du foulard interdit ? »[539].

La distinction entre signes ostensibles (voile, kippa, grande croix) et signes discrets (petite croix, main de fatma) est finalement maintenue. L’autorisation de port du bandana est présentée comme un compromis visant à ne pas rendre l’interdiction systématique, ce qui entre d’ailleurs en contradiction avec la version initiale de la circulaire. En effet, cette dernière encourageait les chefs d’établissement à interdire tout couvre-chef.

La rentrée scolaire de septembre 2004 a été l’occasion de faire le test de la loi et de ses décrets d’application qui prônaient la recherche du consensus, du dialogue. Cette rentrée ne fut pas aussi agitée qu’on pouvait le craindre. En effet, sur les 12,5 millions d’élèves attendus dans plus de 68 000 établissements, il apparaît que seuls 240 ont refusé de retirer leurs voiles et ce dans des régions relativement ciblées comme l’Alsace ou le Nord. Depuis lors, il s’avère que la situation s’est améliorée puisque quinze jours plus tard, seuls 101 cas demeuraient problématiques. Plusieurs éléments peuvent être avancés afin d’expliquer cet apaisement :

_ La révision de nombreux règlements intérieurs dans le sens de l’interdiction totale de tout couvre-chef comme les casquettes, bonnets, chapeaux… s’analyse comme le « tout interdit » présentant certes l’avantage de ne créer aucune discrimination entre « petits signes religieux », mais confirmant néanmoins l’inversion du principe juridique français traditionnel de liberté, l’interdiction devant, jusque la loi du 15 mars 2004, demeurer l’exception.

_ Conformément aux circulaires et décrets d’application du texte sur la laïcité à l’école, un esprit de conciliation présidait à l’accueil des élèves portant des signes religieux. Les équipes enseignantes et administratives ont privilégié la discussion à l’exclusion pure et simple. Pourtant, les élèves perdurant dans leur refus de retirer leurs signes religieux considérés comme ostensibles en eux-mêmes seront passibles de conseils de discipline et donc à terme de mesures d’exclusion. Ainsi, bien que la discussion soit prônée, l’aboutissement demeure identique au moins pour certains élèves avec tous les risques qu’il comporte dont le premier est sans doute le durcissement des positions.

_ Un contexte international influent et résidant dans la connexité entre la rentrée scolaire et la question des deux journalistes français otages en Irak. La libération de ces derniers a été un temps conditionnée par le retrait du texte du 15 mars 2004. Ce fut l’occasion pour bon nombre de jeunes français musulmans d’exprimer le refus de l’instrumentalisation de leur religion. C’était sans doute aussi l’occasion d’y voir que le port de signes religieux, pour de nombreux élèves, se limite à l’expression de leur conviction personnelle dans le cadre du respect des préceptes religieux et non à une revendication ostensible ou à du prosélytisme.

Finalement, nécessité ou risque, compte tenu de la démagogie politique, peut-être la loi nécessitait-elle un temps de réflexion supplémentaire avant d’être déposée. Il est bien sûr difficile de se forger une opinion par rapport à une dialectique mentionnée en ces termes : Respect des valeurs de la République ou non ? Toutes les questions n’ont peut-être pas été posées et pesées[540]. À l’occasion de son rapport annuel, le Conseil d’État s’est prononcé pour une interprétation « pragmatique » et « libérale » de la loi de 1905, ce qui est d’ailleurs conforme à l’interprétation qu’il donnait du principe de laïcité avant le texte de loi. La Haute Juridiction insiste, en outre, sur la nécessité des procédures de dialogue et de médiation précisant toutefois que si le respect des religions implique qu’il soit fait recours au dialogue, la pratique ne saurait déboucher sur la négociation des décisions publiques. Soulignons, pour finir, qu’il est largement regrettable que le Conseil constitutionnel n’ai pas été saisi du texte de loi entre son vote et sa promulgation. En effet, un certain nombre de contradictions constitutionnelles auraient pu, sans doute, être soulevées…

  1. Lever le voile qui travesti le social en identitaire

Paragraphe 2 : réapprendre la laïcité

  1. De la différence des droits au droit à la différence : la laïcité qui rassemble
  2. Rappel des principes de la République pour une meilleure prise en compte de la question sociale

Conclusion générale


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  • Vincente FORTIER, Justice, religions et croyances, CNRS éd., 2000.
  • Vincente FORTIER, Le juge, gardien des valeurs ?, CNRS éd., 2007.
  • Vincente FORTIER et François VIALLA (dir.), La religion dans les établissements de santé, Les Études Hospitalières, 2013.
  • Charles FOURRIER, La liberté d’opinion du fonctionnaire, (essai de droit comparé), Tome VI, 1957, LGDJ.
  • Marcel GAUCHET, La religion dans la démocratie : parcours de la laïcité, Gallimard, 1998.
  • Fanny GRABIAS, Gaëlle MARTI, Laurent SEUROT, Le fait religieux en droit public, contribution des doctorants de l’IRENEE, Presses Universitaires de Nancy, 2014.

Mélanges

  • Mélanges Philippe. Ardant, LGDJ, 1999
  • Recueil d’Etudes en hommage à Charles EISENMANN, Paris, Editions Cujas, 1975
  • Le nouveau constitutionnalisme, Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Paris, Economica, 2001
  • Mélanges Jean Gicquel, Paris, Montchrestien, 2008,

Articles

  • Patrick WACHSMANN, « La religion contre la liberté d’expression : sur un arrêt regrettable de la Cour européenne des droits de l’homme », R. U.D. H48(*) 1994, p 441-449.
  • Opinion dissidente commune à Mme le juge Palm et à MM. Les juges Pekkanen et Makarazyck, R. U.D. H 1994, p 470-471.
  • Sylvie PEYROU-PISTOULEY, « L’affaire Otto-Preminger-Institut et la liberté d’expression vue de Strasbourg : censure ou laxisme ? »RFDA, 1995, p1189-1998. Rev. trim. d. h 1995, p401- 415
  • François RIGAUX, « La liberté d’expression et ses limites »
  • Mercedes CANDELO SORIANO& Alexandre DEFOSSEZ « La liberté d’expression face à la morale et à la religion : analyse de la Cour européenne des droits de l’homme ». Rev. trim. d. h. 2006, p 817- 837.
  • Pierre-François DOCQUIR, « La CEDH sacrifie-t-elle la liberté d’expression pour protéger les sentiments religieux ?» notes sous CEDH, 31 janvier 2006 l’arrêt Giniewski contre France, Rev. trim. d. h. 2006, p 839- 849.
  • Pascal MBONGO, « Caricatures de Mahomet et liberté d’expression », Revue esprit (mai) 2007, p145.
  • Jean-Pierre TEYSSIER, « Médias et religion : jusqu’où le respect ? », Gazette du palais, recueil mai – juin 2006, p1665.
  • Benoît FRYDMAN, « Introduction Les propos qui heurtent, choquent, ou inquiètent. » REV. DR. ULB, vol 35, 2007, p1-11.
  • Guy HAARSCHER, Diffamation collective : une notion irrémédiablement confuse ? (Contribution à la REV. DR. ULB, vol 35, 2007, trouvée sous forme de document PDF)
  • BARBERIS Mauro, « Idéologies de la constitution –Histoire du constitutionnalisme », in TROPER Michel et CHAGNOLLAUD Dominique, Traité international de droit constitutionnel.
  • Théorie de la Constitution, Dalloz, 2010, pp.113-141
  • BEN ACHOUR Yadh, « Jeux et concepts : Etat de droit, société civile, démocratie », in ARSAC Pierre, CHABOT Jean-Luc et PALLARD Henri (dir.), Etat de droit, droits fondamentaux et diversité culturelle, Paris, L’Harmattan, 1999, pp.93-97
  • CHEVALLIER Jacques, La mondialisation de l’Etat de droit, in Mélanges Philippe. Ardant, LGDJ, 1999
  • GUENAIRE Michel, « Le constitutionnalisme, expression de la politique libérale », Revue de la reherche juridique, Droit prospectif, 1987, n°1, p.107 et s.
  • KELSEN Hans, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1926, IV
  • LEISNER Walter, L’Etat de droit, une contradiction, in Recueil d’Etudes en hommage à Charles EISENMANN, Paris, Editions Cujas, 1975, pp.65-79
  • TROPER Michel, « Le bon usage des spectres du gouvernement des juges au gouvernement par les juges », in Le nouveau constitutionnalisme, Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Paris, Economica, 2001
  • VEDEL Georges, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir », Cahiers du Conseil constitutionnel, n°1, décembre 1996

Rapports

Sites web

Autres


Table des matières

Introduction. 1

Partie I : La laïcité, vecteur d’intégration du religieux dans la République française. 14

Chapitre I : les prémices d’un nouveau principe d’organisation politique autonome. 21

Section I : Les racines historiques de la laïcité (depuis 1789) 21

Paragraphe 1 : la soif d’émancipation de la politique vis-à-vis de l’église. 23

Paragraphe 2 : les différents seuils de la laïcité. 27

Section II : l’affirmation de l’esprit laïc. 34

I.     La laïcité un principe structurant la culture française. 36

II.    La laïcité : de la défense de l’autonomie de la raison contre la tradition. 41

Paragraphe 2 : la dimension moderne de la laïcité. 42

I.     La laïcité républicaine…. 44

1.    De la République. 45

a.     La substance de la République. 45

b.    La République dans ses qualités 47

i.     La République une et indivisible. 47

ii.    La république laïque. 49

II.    … une valeur fondamentale toujours actuelle. 51

1.    Le fait religieux dans le droit positif français 51

2.    Une valeur toujours en quête de définition et de reconnaissance. 54

Section I : La laïcité, comme légitimation du pouvoir politique. 62

Paragraphe 1 : la laïcité source du pouvoir politique. 63

I.     La liberté de conscience fonde en légitimité l’autorité du pouvoir politique. 64

A.    L’émancipation de la conscience humaine clé de l’émancipation des peuples. 65

B.    La conscience humaine nouvelle source de la légitimation du pouvoir politique. 69

II.    La liberté de conscience comme base fondamentale des lois protectrices des droits 69

Paragraphe 2 : le respect des libertés fondamentales aspect principal de la démocratie comme de la laïcité  69

Section II : la mise en œuvre de la laïcité dans un Etat démocratique. 69

Paragraphe 1 : le principe d’égalité entre les cultes (devant l’Etat) 69

I.     Le régime de droit commun. 69

II.    Les régimes d’exception. 71

III.      Le régime sui generis de l’Église catholique romaine. 74

Paragraphe 2 : la liberté dans l’égalité (dans l’exercice de sa liberté de conscience et de religion) 75

I.     La laïcité comme forme française de la liberté religieuse. 75

A.    De la liberté religieuse. 75

B.    La liberté religieuse et la laïcité. 81

1.    La laïcité un principe apparu après la reconnaissance de la liberté religieuse. 81

2.    Ce que veut la laicité. 85

II.    Une forme de liberté « euro-compatible ». 87

Partie II : la laïcité, vecteur de la socialisation juridique. 89

Chapitre I : la sécurisation juridique de la liberté de conscience fondement de la laïcité. 89

Section I : la liberté de conscience au cœur de la démocratie française : la liberté de conscience un principe devenu constitutionnel 89

Paragraphe 1 : La liberté de conscience à la base du contrat social français. 89

I.     La liberté de conscience socle du modèle de cohésion social 89

II.    La question de la liberté de conscience : une question politique. 93

Paragraphe 2 : la liberté de conscience constitutionnelle une définition mal aisée. 93

I.     L’absence d’une définition formelle. 93

II.    Les risques d’interprétation. 93

Section II : le processus d’intégration de la laïcité dans l’esprit du citoyen. 93

Paragraphe 1 : la laïcité et l’école. 93

I.     L’école sanctuaire de la laïcité. 95

A.    Le modèle  hérité (de la révolution) 96

1.    Le modèle républicain. 96

2.    La laïcité en action. 99

B.    La position du Conseil d’État 101

1.    L’ambiguïté de la conciliation de l’ordre et de la liberté. 102

2.    Un principe de laïcité dépassé. 104

3.    Les méfaits du droit à la différence. 106

II.    La réalité scolaire à l’épreuve de la loi 108

A.    La nouvelle donne législative. 109

1.    Critique de la loi 110

2.    La nécessité de la loi 112

3.    La légitimité de la loi 114

B.    Laïcité et école publique : la nécessaire clarification. 117

1.    Le port du signe religieux. 119

2.    L’enseignement du religieux à l’école publique. 126

Paragraphe 2 : la laïcité et l’espace public. 128

I.     L’espace public sous la loi de 1905. 129

A.    Le principe de l’autorisation de la manifestation religieuse. 130

1.    Autorisation concernant les voies publiques et les services publics 130

2.    La jurisprudence s’est surtout attachée à reconnaître la légalité des manifestations religieuses sur la voie publique  132

B.    Position consacrée par la jurisprudence 134

1.    La loi de 1905 et la jurisprudence consacrent la présence de la religion dans l’espace public. 135

2.    Une jurisprudence européenne également protectrice des manifestations religieuses sur la voie publique et plus largement dans les lieux publics 136

II.    L’espace public sous la loi du 15 mars 2004 et du 11 octobre 2010. 138

A.    Un espace législatif spécialement conçu. 138

1.    Lieux publics et ouverts au public : une conception fonctionnelle et non organique 138

2.    Lieux affectés au service public : la combinaison partielle de deux lois et la place du principe de laïcité  140

B.    Espace public et les « valeurs de la République ». 141

1.    Un espace où prévaut une norme sociale de comportement 142

2.    Un espace conçu pour exclure des pratiques religieuses radicales 143

3.    Espace public, espace laïc ?. 144

Chapitre II : la laïcité menacée. 148

Section I : le communautarisme un défi pour la pensée républicaine. 148

Paragraphe 1 : essai de définition du communautarisme. 148

Paragraphe 2 : les menaces du communautarisme. 156

Section II : la revalorisation du principe de la laïcité pour venir à bout de ce défi 162

Paragraphe 1 : matérialisation de l’égalité juridique pour en faire une égalité pratique. 162

Paragraphe 2 : réapprendre la laïcité. 173

Conclusion générale. 173

Bibliographie partielle. 174

Ouvrages généraux. 174

Ouvrages spéciaux. 175

Mélanges. 177

Articles. 177

Rapports. 179

Sites web. 179

Autres. 179

Table des matières. 180


[1] Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.

[2] Article 1er, loi du 9 Décembre 1905.

[3] J. Rivero, « La laïcité », Recueil Dalloz, 1949, n° 33, p. 137 ; aussi, comme en écho, l’affirmation contenue dans le rapport remis en 2003 par la Commission Stasi : « la neutralité de l’État est la première condition de la laïcité » (p. 22).

[4] Hennette-Vauchez, S. (2016). Séparation, garantie, neutralité… les multiples grammaires de la laïcité. Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 53,(4), 9-19. https://www.cairn.info/revue-les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel-2016-4-page-9.htm.

[5] Cons. const., 21 févr. 2013, n° 2012-297QPC,Traitement des pasteurs des églises consistoriales.

[6] Ainsi, dans un avis du 24 oct. 1997 (n° 187122, Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Riom, Lebon; D. 1997. 256; RFDA 1998. 61, concl. J. Arrighi de Casanova; ibid. 69, note G. Gonzalez), le Conseil d’État définit l’exercice d’un culte comme la « célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques ».

[7] L’inégalité de départ dans laquelle elles se trouvent du fait de raisons qui tiennent à l’histoire (la tradition catholique française). Voir à ce sujet Y. Raison du Cleuziou, « Le pouvoir religieux et l’État en France », in B. Lacroix, Ph. Riutort,  A. Cohen, Nouveau manuel de science politique, 2009, p. 272.

[8] Sénat, 2014-2015, Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, n° 345.

[9] Ibid.

[10] Même si elles peuvent être confrontées à des difficultés liées à l’entretien d’un patrimoine vieillissant.

[11] https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/delegation/…/4_pages_definitif.pdf

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/delegation/…/4_pages_definitif.pdf

[15] Ibid.

[16] V. A. Fornerod, « La séparation financière des Églises et de l’État en France : un faux mythe ? », in V. Pacillo, Le financement public des Églises : regards croisés entre la Suisse et l’Europe, 2014, p. 27.

[17] Ibid.

[18] On compte pas moins de 50 occurrences du terme « égalité » dans les conclusions prononcées par E. Geffray sur les affaires précitées : Loi de 1905 et aides des collectivités publiques aux cultes », Revue française de droit administratif, 2011, p. 967.

[19] CE, 19 juillet 2011, 5 espèces : Commune de Trélazé, n° 308544 ; Fédération de la libre-pensée et de l’action sociale du Rhône, n° 308817; Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161 ; Commune de Montpellier, n° 313518 ; Mme V., n° 320796.

[20] CE, 28 juin 2013, 5 espèces : n° 360368, n° 359108, n° 359111, n° 359110, n° 351263.

[21] 17 sept. 2015, n° 1503276.

[22] CE, ord., 9 nov. 2015, n° 394333, AJDA 2016. 385 , note E. Debaets.

[23] La première ordonnance étant restée sans effet, le Conseil d’Etat a liquidé l’astreinte pour un montant total de 6 500 euros par une nouvelle ordonnance du 3 décembre 2015 : CE, ord., 3 déc. 2015, n° 394333, Association musulmane El Fath et autres, Lebon T. ; AJDA 2015. 2350.

[24] CE, réf., 19 janv. 2016, n° 396003. Le préfet a pris un arrêté d’ouverture provisoire le 22 janvier 2016. Voir également http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Ordonnance-du-19-janvier-2016-association-musulmane-El-Fath 

[25] Le 26 février 2016, le tribunal correctionnel de Draguignan n’ordonnait pas la démolition de la mosquée, mais condamnait l’association El Fath pour avoir méconnu les règles relatives au permis de construire(http://www.lemonde.fr/religions/article/2016/02/26/la-mosquee-de-frejus-echappe-a-la-demolition_4872371_1653130.html . Mais le parquet a fait appel du jugement.(http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/03/05/01016-20160305ARTFIG00059-l-affaire-de-la-mosquee-de-frejus-connait-un-nouveau-rebondissement.php ).

[26] Décision 2012-297 QPC du 21 février 2013.

[27] CE, 16 oct. 2013, Ministre de la Justice, n° 351115.

[28] CE, 11 juin 2014, M. S., n° 365237.

[29] V. la règle selon laquelle « l’État prend toutes les dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse » (article 1er de la loi Debré du 31 décembre 1959), concrétisée dans les dispositions de l’article R. 141-4 du code de l’éducation par des dispositions prévoyant que, dans les établissements publics d’enseignement ne recevant pas d’internes et non encore pourvus d’un service d’aumônerie, les parents d’élèves peuvent faire la demande d’enseignement religieux et la décision est prise par le recteur.

[30] A. Fornerod, dir., Assistance spirituelle dans les services publics, Presses universitaires de Strasbourg, 2012.

[31] CE, 5 juil. 2013, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir, n° 361441

[32] CE, 5 juil. 2013, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir, n° 361441

[33] Pour ce qui est des écoles publiques, le juge souligne que les cantines scolaires étant des services publics facultatifs, il ne saurait y avoir d’obligation de fournir des menus adaptés ou différenciés (CE, 25 oct. 2002, Mme Renault, n° 251161 ; et A. Kimmel Alcover, « Restauration scolaire et laïcité », Revue de droit sanitaire et social, 2014, p. 196). Reste que, dans les faits, cette question est souvent réglée de manière pragmatique (et depuis plus de trente ans déjà : v. Circulaire du 21 décembre 1982, BOEN, 6 janvier 1983, p. 1 qui invite les autorités scolaires à « prendre en compte les habitudes et coutumes alimentaires familiales » ; v. aussi en ce sens, Défenseur des droits, L’égal accès des enfants à la cantine de l’école primaire, mars 2013).

[34] La Cour européenne des droits de l’homme a en effet clairement établi que le respect de prescriptions alimentaires constituait un aspect de la liberté religieuse et qu’en conséquence, l’impossibilité pour un détenu bouddhiste d’accéder à des repas végétariens devait être lue comme une violation des obligations découlant de la Convention : CEDH, 7 décembre 2010,Jacobski v. Pologne, n° 18429/06. De même, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté multiplie les mises en garde et recommandations, insistant sur la manière dont à la privation de la liberté religieuse causée par l’impossibilité d’accommoder les menus en détention s’ajoute un risque de discrimination entre ceux des détenus qui peuvent « cantiner » des produits halal ou casher, par exemple, et ceux qui n’en ont pas les moyens (V. par ex.Rapport Annuel 2013, p. 249 et s.). Mais le juge se refuse pour l’heure à considérer que l’administration soit dans l’obligation de « garantir, en toute circonstance, une alimentation respectant les convictions [religieuses] » et met la liberté religieuse en balance avec « l’objectif d’intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires et [les] contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements » (CE, 25 févr. 2015, M. B., n° 375724).

[35] D. Koussens, L’épreuve de la neutralité. La laïcité française entre droits et discours, Bruylant, 2015 ; J. Baubérot, Les 7 laïcités françaises, Ed. EMSH, 2015.

[36] CE, 3 mai 1950, Delle Jamet, n° 28238.

[37] Solution récemment étendue aux salariés d’organismes de droit privé dès lors qu’ils sont chargés d’une mission de service public : Cass. soc., 19 mars 2013, CPAM Saint-Denis, n° 12-11.690.

[38]  CEDH, 26 nov. 2015, Ebrahimian c. France, n° 64846/11.

[39] L. Grunloh, « Religious Accomodations for Police Officers : A Comparative Analysis of the United States, Canada and the United Kingdom », Indiana International and Comparative Law Review, 2005, vol. 16, n° 1, p. 183.

[40] On se permet de renvoyer ici à : S. Hennette-Vauchez, V. Valentin, L’affaire Baby Loup ou la Nouvelle Laïcité, Lextenso, 2015 ; v. aussi V. Valentin, « Remarques sur les mutations de la laïcité : mythes et dérives de la ‘’séparation’’ »,Revue des droits et libertés fondamentaux, 2016, n° 14.

[41] V. le nouvel art. L. 141-5-1 du code de l’éducation : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ». La loi marque bien une rupture par rapport à l’état antérieur du droit : les formules, administratives et contentieuses, qui prévalaient jusque-là ne souffraient en effet aucune ambiguïté et affirmaient que le fait pour les élèves de manifester leur appartenance religieuse à l’écolene contrevenait pas au principe de la laïcité et qu’il en allait, en toute hypothèse, de leur liberté religieuse (CE, avis, 27 nov. 1989, n° 346893 ; CE, 2 nov. 1992, Kherouaa, n° 130394).

[42] Marquée notamment par un jugement établissant la légalité de telles dispositions du règlement intérieur (TA Montreuil, 22 nov. 2011, n° 1012015) mais aussi l’intervention ultérieure du Conseil d’État qui établit, de manière bien plus restrictive, qu’il n’existe pas de fondement juridique à la soumission des parents à une obligation de neutralité religieuse, hormis l’hypothèse de troubles spécifiques à l’ordre public : Conseil d’État, Étude demandée par le Défenseur des droits, 2013.

[43] V. en particulier l’arrêt : CAA Paris, 12 octobre 2015, n°14PA00582, qui valide l’éviction d’une stagiaire GRETA au motif du trouble à l’ordre qui causerait la « présence simultanée », au sein de l’établissement d’enseignement, d’élèves soumis à la loi de 2004 et de jeunes adultes en formation professionnelle qui y échapperaient. Auparavant, voir en sens contraire : TA Paris, 5 novembre 2010, n° 0905232 ; et TA Caen, 5 avril 2013, n° 1200934.

[44] Loi du 11 octobre 2010 ; sur laquelle : O. Roy, D. Koussens, Quand la burqa passe à l’Ouest, Presses universitaires de Rennes, 2013.

[45] E. Lemaire, « La laïcité répressive : l’exemple du traitement de l’affaire Baby Loup au Parlement », in G. Giraudeau, C. Guérin-Bargues, N. Haupais dir., Le fait religieux dans la construction de l’État, Pedone, 2016.

[46] V. bien sûr l’affaire Baby Loup, réglée en dernier ressort par Cass., AP, 25 juin 2014, n° 13-28369. La question est en passe de revenir sur le devant de la scène via la Cour de justice de l’Union européenne qui est saisie de deux questions préjudicielles (une belge, une française) à ce propos. Les conclusions de l’avocate générale Juliane Kokott dans l’affaire belge ont été rendues publiques en juin 2016 ; elle y préconise de considérer qu’une règle générale prohibant l’expression de toute conviction (religieuse, mais aussi au-delà, politique, syndicale…) ne cause pas de discrimination fondées sur la religion. Sur ces conclusions : S. Hennette-Vauchez, C. Wolmark, « Plus vous discriminez, moins vous discriminez », Semaine sociale Lamy, 20 juin 2016, n° 1728.

[47] Hennette-Vauchez, S. (2016). Séparation, garantie, neutralité… les multiples grammaires de la laïcité. Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 53,(4), 9-19. https://www.cairn.info/revue-les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel-2016-4-page-9.htm.

[48] Cette compréhension d’un principe de laïcité associé à un programme normatif n’est naturellement pas nouvelle dans l’histoire des conceptions philosophiques de la laïcité : de Rousseau (qui prescrit dans Du contrat social la profession de foi civile) à Voltaire (pour qui l’interdiction de cultes par trop dogmatiques ou fanatiques est possible) en passant par la religion civile promue par nombre d’acteurs révolutionnaires (v. V. Zuber, Le culte des droits de l’Homme, Gallimard, 2013) pour arriver aux conceptions néo-républicaines contemporaines (v. par ex., H. Pena-Ruiz, La laïcité, Flammarion, 1998), il existe un vibrant courant laïc pour lequel il importe de mettre le citoyen à l’abri de toute forme d’obscurantisme transcendantal en passant par l’injonction à l’adhésion à des valeurs le plus souvent dites républicaines. Ce ne sont toutefois pas ces conceptions de la laïcité qui ont été traduites en droit, ni par la loi du 9 décembre 1905, ni par l’interprétation qui en a prévalu sur l’essentiel du XXe siècle, ni par la consécration constitutionnelle de la laïcité en 1958.

[49] CE, 5 déc. 2007, n° 295671 ; CE, 10 juin 2009, n° 306833 ; CE, ord. réf., 19 mars 2013, n° 366749.

[50] Car en effet, ce régime de laïcité pèse essentiellement sur les femmes de confession musulmane ; v. O. Bui Xuan, « Regard genré sur les dispositions juridiques relatives à la neutralité religieuse », in REGINE, Ce que le genre fait au droit, Dalloz, 2013, p. 25 ; et S. Hennette-Vauchez, « Genre et religion : le genre de la nouvelle laïcité », in REGINE, La loi & le genre. Études critiques de droit français, éd. du CNRS, 2014, p. 715.

[51] V. le rapport de la Direction générale de l’enseignement scolaire, « Bilan de l’application du principe de laïcité à l’école », in Observatoire de la laïcité, Rapport annuel 2013-2014, p. 79 et l’étude de C. Moreau, « Bilan de l’application de la loi du 15 mars 2004 », ibid. p. 62.

[52] On reprend ici le vocabulaire commun du discours contemporain sur la laïcité comme pilier du pacte républicain ; il y aurait, cependant, beaucoup à dire, à la fois historiquement, théoriquement et politiquement, sur cet usage du terme républicain. On lira avec intérêt : C. Laborde,Français ! Encore un effort pour devenir républicains, Seuil, 2010.

[53] On emploie ce terme par facilité de langage ; on n’entend pas signifier par là que la laïcité ait jamais fonctionné comme authentiquement neutre au plan axiologique ; on entend néanmoins souligner le fait que le principe soit aujourd’hui explicitement associé à des valeurs, et donc éloigné d’un idéal de neutralité.

[54] http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/aff_a3_visage_20110308.pdf

[55] V. notamment les arrêts : CE, 27 juin 2008,Mme Machbour, n° 286798 (pour des analyses : D. Koussens, « Sous l’affaire de la burqa… quel visage de la laïcité française ? », Sociologie et Sociétés, 2009, vol. 41, n° 2, p. 327) et CE, 27 novembre 2013, n° 365587.

[56] Cf. le contrat d’accueil et d’intégration (article L 311-9 CESEDA). V. aussi A. Hajjat, Les frontières de l’identité nationale, La Découverte, 2012.

[57] C’était en effet ici le cœur de la controverse autour de la crèche Baby Loup, qui se rejoue aujourd’hui dans l’affaire pendante devant la CJUE : CJUE, Samira Achbita Centrum voor gelijkheid van kansen en voor racismebestrijding contre G4S Secure Solutions NV, C-157/15.

[58] Débat à la fois difficile et impérieux, qui mérite qu’on prête attention à la très vaste littérature anthropologique et juridique critique sur la difficulté de formes d’organisation sociale et cognitive occidentales à saisir aujourd’hui la question religieuse, en raison de définitions et conceptions occidentales de la religion et du séculier, du privé et du public, etc. V. Par ex. S. Mahmood, Politiques de la piété, La Découverte, 2009 ; M. Sunder, « Piercing the Veil », Yale Law Journal, 2003, vol. 112, p. 1399 (en français, une version courte : « Garder la foi : réconcilier les droits humains des femmes et la religion », in REGINE (S. Hennette Vauchez, M. Möschel, D. Roman, dir.), Ce que le genre fait au droit, Dalloz, 2013, p. 229.

[59] Bobineau Olivier, « La spécificité du régime français de laïcité. Grilles de lecture à partir des sciences humaines », Revue d’éthique et de théologie morale, 2/2012 (n°269), p. 49-74.
URL : http://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-2-page-49.htm
DOI : 10.3917/retm.269.0049

[60] Alain CAILLÉ, Théorie anti-utilitariste de l’action. Fragments d’une sociologie générale, Paris, La Découverte, 2009, p. 79.

[61] Cité in Bobineau Olivier, « La spécificité du régime français de laïcité. Grilles de lecture à partir des sciences humaines », Revue d’éthique et de théologie morale, 2/2012 (n°269), p. 49-74. Voir également à ce sujet Patrice Rolland. La religion, objet de l’analyse juridique. 2013.

[62] Marcel GAUCHET, Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985, p. XIII-XVI.

[63] Marcel GAUCHET, La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p. 32.

[64] Comme le soulignait le commissaire du gouvernement Arrighi de Casanova dans ses conclusions en 1997 sur C.E. Ass., 24 octobre 1997, Assemblée locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom, Revue française de droit administratif, 1998, p.61-69, note G. Gonzalez

[65] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 18, G.A. Res. 2200A (XXI), U.N. GAOR, 21ème Sess., Supp. N ° 16, 51, U.N. Doc. A / 6316 (1966); Convention relative au statut des réfugiés (28 juillet 1951), art. 1 & 4, 19 U.S.T. 6259, 189 U.N.T.S. 137 [ci-après la Convention de 1951 sur les réfugiés]; Protocole relatif au statut des réfugiés (31 janvier 1976), 19 U.S.T. 6223, 606 U.N.T.S. 267; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 2, G.A. Res. 2200A (XXI), U.N. GAOR, 21ème Sess., Supp. N ° 16, p. 49, document U.N. A / 6316 (1966); Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (11 avril 1950), art. 9, 213 U.N.T.S. 222; Convention américaine relative aux droits de l’homme (22 novembre 1969), art. 12, 1144 U.N.T.S. 123; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (27 juin 1981), art. 8, O.A.U. Doc. CAB / LEG / 67/3 / Rev.5 (1986), réimprimé dans 21 I.L.M. 58 (1982).

[66] General Comments Under Article 40, Paragraph 4, of the International Covenant on Civil and Political Rights: General Comment No. 22(48) (art. 18), U.N. GAOR Hum. Rts. Comm., 48th Sess., Supp. No. 40, at 208, 209, U.N. Doc A/48/40 (1993).

[67] The United States Constitution is typical in this regard. See, e.g., U.S. Const. amend. I; Grundgesetz [GG] [Constitution] art. 4 (F.R.G.); India Const. arts. 25-28; Nihonkoku  [Constitution] art. 20 (Japan); La Constitución [Constitution] art. 16 (Spain).

[68] Les allégations de persécution en vertu de la Convention de 1951 sur les réfugiés, par exemple, sont probablement les plus complexes, les plus mystérieuses et les plus incompréhensibles qui devront être tranchées par un arbitre d’asile. Alors que la religion peut impliquer l’identité de groupe (comme la race et la nationalité) ou l’adhésion volontaire (comme les groupements politiques et sociaux), elle englobe aussi une vaste gamme de croyances, d’activités et de manifestations de croyance humaines. Les adeptes de certaines religions pourraient prétendre, par exemple, à subir des persécutions si cela leur est nécessaire pour se couper les cheveux ou se raser la barbe, alors que les adeptes d’autrui pourraient prétendre être persécutés s’ils sont forcés de se faire pousser les cheveux. Certaines religions exigent l’abattage rituel des animaux et d’autres interdisent de manger de la viande. Certains exigent de boire de l’alcool dans les rituels sacrés, d’autres interdisent sa consommation à tout moment. Certaines religions interdisent le service militaire, d’autres obligent les hommes à porter des couteaux. Certains exigent un culte le samedi et d’autres le dimanche. Certains permettent à un homme d’avoir plus d’une femme, d’autres considèrent la pratique comme un péché. Certaines personnes croient qu’elles sont commandées par Dieu pour “prêcher que Jésus est le Christ”, d’autres croient qu’une telle profession est un blasphème punissable. Ce que les adeptes de certaines religions pourraient percevoir comme des questions insignifiantes, les adeptes d’autrui peuvent voir comme des commandements absolus dignes du martyre. Des complications encore plus grandes s’ajoutent à ce mélange volatil lorsque les traditions culturelles sont greffées sur une religion. Le rôle subalterne des femmes est-il la maîtrise d’un prophète ou d’un vestige culturel? Alors que certains adhérents vont rejeter les traditions comme des superstitions, d’autres les verront comme une partie intégrante de leur vie religieuse.

[69] Natan Lerner, Religion, Beliefs, and International Human Rights 3–5 (2000) (citing dictionary deªnitions); Bahiyyih G. Tahzib, Freedom of Religion or Belief: Ensuring Effective International Legal Protection 1–3 (1996) (citing international instruments).

[70] Pour une large discussion sur les questions relatives à la définition de la «religion», voir William P. Alston, Définition de «religion», dans Encyclopedia of Philosophy 140-45 (éd. Paul Edwards, 1967). Pour quelques exemples de tentatives de définir la “religion”, voir en plus des autres travaux cités ci-dessous, Les Pragmatiques de la Définition de la Religion: Contextes, Concepts et Concours (Jan G. Platvoet et Arie L. Molendijk eds., 1999).

[71] William E. Arnal, Deªnition, in Guide to the Study of Religion 22 (Willi Braun & Russell T. McCutcheon eds., 2000).

[72] Brian C. Wilson, From the Lexical to the Polythetic: A Brief History of the Deªnition of Religion, in What is Religion? 141–42 (Thomas A. Indinopulos & Brian C. Wilson eds., 1998).

[73] 1951 Refugee Convention, art. 1.A.2, op. cit.

[74] Les British Charity Commissioners doivent décider, par exemple, si une entité est «religieuse» dans le but de déterminer si elle est exonérée d’impôt. Aux États-Unis, les tribunaux doivent parfois se demander si le financement par le gouvernement de certaines institutions constitue un «établissement de religion» inadmissible en vertu de la Constitution des États-Unis.

[75] Ziad Abu-Amr, Critical Issues in Arab Islamic Fundamentalism, in Religion, Ethnicity, and SelfIdentity: Nations in Turmoil 47 (Martin E. Marty & R. Scott Appleby eds., 1997).

[76] Ibid.

[77] Ibid.

[78] Talal Asad, Genealogies of Religion: Discipline and Reason of Power in Christianity and Islam 47 (1993).

[79] Alain CAILLÉ, Théorie anti-utilitariste de l’action. Fragments d’une sociologie générale, p. 126.

[80] Bobineau Olivier, « La spécificité du régime français de laïcité. Grilles de lecture à partir des sciences humaines », Revue d’éthique et de théologie morale, 2012/2 (n°269), p. 49-74. DOI : 10.3917/retm.269.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-2-page-49.htm

[81] Il existe principalement dans la société deux « groupements de domination », écrit-il dans Économie et Société (1922). Le premier groupement est politique : une direction, une administration exerce à l’intérieur d’un territoire, de façon continue, « une contrainte physique », et l’exemple typique est celui de l’État qui « revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime » ; la domination opère une séparation d’ordre politique avec des hommes dominant les autres. Le second est hiérocratique : une direction exerce « une contrainte psychique par dispensation ou refus des biens spirituels du salut », c’est une domination qui opère cette fois une séparation entre ceux qui distribuent les biens spirituels et ceux qui les reçoivent (Économie et Société. Les catégories de la sociologie, t. I, Paris, Pocket, [1922] 1995, p. 97-99).

[82] Jean-Marie DONEGANI, Marc SADOUN, qu’est-ce que la politique ?, Paris, Gallimard, 2007, p. 406-407.

[83] Émile POULAT, Scruter la loi de 1905. La République française et la Religion, Paris, Fayard, 2010, p. 15, p. 251.

[84] Desan, Suzanne. “The French Revolution and Religion, 1795–1815.” The Cambridge History of Christianity. Ed. Stewart J. Brown and Timothy Tackett. Cambridge: Cambridge UP, 2006. 556-74.

[85] Wykes, Olive. “The Decline of Secularism in France.” Journal of Religious History 4.3 (1967): 218–232.

[86] Ibid.

[87] Ibid.

[88] Eric Jones, The European Miracle, Cambridge, Cambridge University Press, 1981 (It. tr. Bologna, Il Mulino, 1984).

[89] Ernst Cassirer, Individuum und Kosmos in der Philosophie der Renaissance, Leipzig, Teubner, 1927 (It. tr. La Nuova Italia, Firenze, 1935).

[90] Voir les publications récentes de Zygmunt Bauman, Le Présent liquide, Paris, Seuil, 2007 ou La Vie liquide, Rodez, Éditions du Rouergue, 2006.

[91] Troper, 1268.

[92] Salton, Herman T. “France’s Other Enlightenment: Laïcité, Politics and the Role of Religion in French Law.” Journal of Politics and Law 5.4 (2012): n. pag.

[93] Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, Article 2.

[94] Salton, Herman T. “France’s Other Enlightenment: Laïcité, Politics and the Role of Religion in French Law.” Journal of Politics and Law 5.4 (2012): n. pag.

16 Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat

[95] Latourette, Kenneth Scott. Christianity in a Revolutionary Age; a History of Christianity in the Nineteenth and Twentieth Centuries. Westport, Conn: Greenwood Press, 1973.

[96] Wykes, Olive. “The Decline of Secularism in France.” Journal of Religious History 4.3 (1967): 218–232. CrossRef. Web.

[97] Constitution de 1946, IVe République, Article 1.

[98] Voir à ce sujet Clément Benelbaz, Le principe de laïcité en droit public français (Préface B. Pacteau), Paris, l’Harmattan (Logiques juridiques), 2011. L’ouvrage est lui-même assorti d’une abondante bibliographie. Pour un ouvrage récent permettant de mesurer l’originalité de la laïcité française en Europe : H. Flavier, J.-P. Moisset, L’Europe des religions, Paris, Pedone, 2013.

[99] J.-B. Trotabas, La notion de laïcité dans le droit de l’Église catholique et de l’État républicain, Paris, LGDJ, 1961, p. 12 et s. avec les propos de R. Schuman pour lequel la doctrine de neutralité ou d’impartialité de l’État est acceptable (reproduits des débats parlementaires, JO 4 septembre 1946, p. 3475 et s).

[100] J. Rivero, « La notion juridique de laïcité », D. 1949, Chron. p. 137-140.

[101] Comme Marcel Gauchet l’a souligné, même si républicain que Renouvier, «qui ne déteste rien de plus que la perspective d’un« empire de la foi »ou d’une« administration des âmes », qu’elle soit cléricale ou positiviste, se réduit à avoir recours au mot fatal. Il ne faut pas craindre, dit-il, de reconnaître dans l’État, dans la République, «un vrai pouvoir spirituel». Ce «pouvoir spirituel» fournit prétendument une orientation légitime aux «intérêts moraux collectifs» » (M Gauchet, La religion dans la démocratie, Parcours de la laïcité, 1998, p. 48).

[102] P Cabanel, ‘1905: une loi d’apaisement?’ (2004) 289 L’Histoire 68-71.

[103] Les articles 4 et 19 de la loi de 1905 prévoient la création d’associations cultuelles distinctes du type d’association prévu par la loi de 1901.

[104] Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

[105] Loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes.

[106] L’expression «associations cultuelles de la loi de 1907» (1907 Act) est habituelle pour les associations demeurant dans le cadre de 1901, même si elles conservent l’objectif premier du culte.

[107] J P Durand, Liberté religieuse et régimes des cultes en droit français – Textes, pratique administrative, jurisprudence (1996) 300.

[108] Malgré leur nombre considérable, les musulmans n’en possèdent qu’un.

[109] Concordat du 26 messidor an IX (15 juillet 1801).

[110] « Trying to Understand French Secularism », Talal Asad, http://www.urbanlab.org/articles/Articles%20S.%20Mayor/Asad,%20Talal.%20”Trying%20to%20Understand%20French%20Secularism”.pdf

[111] Rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République (présidée par M. Bernard Stasi) remis au Président de la République et rendu public le 11 décembre 2003.

[112] Discours de M. Jacques Chirac relatif au respect du principe de laïcité dans la République, prononcé à l’Elysée le 17 décembre 2003.

[113] CEDH, 4 décembre 2008, Affaire Dogru c/ France (req. 27058/05). On peut remarquer que la Cour ne distingue guère entre les laïcités française et turque qui sont pourtant fort différentes au-delà des apparences.

[114] Weber, Max. The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism Trans. Talcott Parsons (New York: Charles Scribner’s Sons, 1958).

[115] Cox, Harvey. The Secular City (New York: The Macmillan Co., 1965).

[116] Berger, Peter L. The Sacred Canopy: Elements of a Sociological Theory of Religion (New York: Doubleday, 1967).

[117] Weber, Max. The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism Trans. Talcott Parsons (New York: Charles Scribner’s Sons, 1958).

[118] Herberg, Will. Protestant, Catholic, Jew (New York: Doubleday, 1955).

[119] Decision 23 November 1977, no. 77-87 DC, Sénat, Yvelines (Journal officiel, (25 November 1977): p. 5531, Recueil, p. 87, http://www.conseil-constitutionnel.fr.; Gaz. Pal, 9-10 and 11-13 (June 1978): pp. 293-300, note Flauss). In a ministerial reply of 13th November, 1995, no. 20155, the Foreign Minister stipulated: “Les principes posés par la loi du 9 Décembre 1905 doivent être considérés comme ‘principes fondamentaux reconnus par les lois de la République’ en ce qu’ils précisent le principe constitutionnel de la laïcité de la République française rappelé par l’article 1 de la Constitution du 04 Octobre 1958. Tel est le cas des principes de liberté de conscience, de libre exercice des cultes et d’interdiction de subventionnement des cultes par l’Etat, le département et les communes, énoncés par les articles 1er et 2 de la loi du 9 Décembre 1905” www.questions.assemblee-nationale.fr

[120] Decision of 19 November 2004, n° 2004-505 DC, TECE, (considérant 18), Journal officiel (24 November 2004): p. 19885, Recueil, p. 173, http://www.conseil-constitutionnel.fr.

[121] Decision of 22 October 2009, no. 2009-591 DC, Loi tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence, (considerations 4, 5, and 6), Journal officiel, (29 October 2009): p. 18307, http://www.conseil-constitutionnel.fr.

[122] Decision of 23 November 1977, no. 77-87 DC, Sénat, Yvelines, (consideration 5 alluding explicitly to Article 10 of the French Declaration).

[123] Article 11de la Déclaration française.

[124] State Council, 19 May 1933, Benjamin. Freedom guaranteed by the laws of 30 June 1881 and 28 March 1907.

[125] F Frégosi, J P Willaime, Le religieux dans la Commune. Les régulations locales du pluralisme religieux en France (2001) and F Champion, M Cohen, Sectes et démocratie (1999).

[126] Jean Baubérot distingue quatre approches européennes différentes de la sécularisation qui n’impliquent pas nécessairement une exclusion des religieux de la sphère publique mais plutôt des modèles variables de relations entre la sphère publique et le domaine religieux: ethnoreligion, religion civile, pluralisme religieux et enfin, mais non des moindres laïcité (J Baubérot, éd.), Religions et laïcité dans l’Europe des Douze (1994), pour une synthèse des analyses de cet auteur, voir «Les Européens et les entreprises de la position des Églises» dans Religions et société, Cahiers français (1995)

[127] J Baubérot, ‘Peur de la religion et laïcité’ in Laïcité et Religions, Revue des Deux Mondes (2002) April.

[128] La «Charte» est le texte fondamental dans lequel est déclarée l’établissement d’une monarchie constitutionnelle en France avec à sa tête le successeur de la dynastie des Bourbons, Louis XVIII. Écrit et voté en 1814, le texte fut concrètement appliqué en 1815 et constituait un compromis entre les principes de la Révolution et le retour de l’ancienne monarchie.

[129] Ce qui sera inclus dans le préambule de la Constitution de la Vème République le 4 octobre 1958 en tant qu’élément clé du bloc de constitutionnalité. Il s’agit d’un ensemble de textes fondamentaux auxquels la constitution actuelle se réfère en raison de leur intérêt fondamental, pour la protection des droits fondamentaux, et sur lequel le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle depuis sa fameuse décision 71-44 DC du 16 juillet 1971 , Liberté d’association, http://www.conseil-constitutionnel.fr

[130] Autrement dit, ils sont protégés par l’article 11 de la DDHC.

[131] Il s’agit d’une autre norme constitutionnelle de référence.

[132] Révisé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

[133] Article 1 de la Constitution.

[134] Article 2.

[135] http://www.legifrance.gouv.fr

[136] Doctrinal opinion outlined in Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, and Jean-Marie Woehrling, eds., Traité de droit français des religions (Paris: Litec, 2003), 390.

[137] L’opinion doctrinale esquissée dans Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, et Jean-Marie Woehrling, éd., Traité de droit français des religions (Paris: Litec, 2003), 390.

[138] Cons. const., 19 November 2004, decision no. 004-505 DC, TECE (recital18), JO of 24 November 2004, 19885, Recueil, 173, http://www.conseil-constitutionnel.fr.

[139] Cons. Const., 22 octobre 2009, décision no. 2009-591 DC, Législation garantissant la parité de financement entre écoles primaires publiques et privées dans le cadre d’un accord de partenariat lorsqu’elles accueillent des étudiants inscrits hors de leur commune de résidence (considérants 4, 5 et 6), JO du 29 octobre 2009, 18307, http: //www.conseil-constitutionnel.fr.

[140] Barthélemy Martine, Michelat Guy, « Dimensions de la laïcité dans la France d’aujourd’hui », Revue française de science politique, 5/2007 (Vol. 57), p. 649-698.
URL : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-5-page-649.htm
DOI : 10.3917/rfsp.575.0649

[141] Ibid.

[142] En ce sens Péguy peut parler, sans que cela choque, de « la République, notre royaume de France.

[143] On peut penser, par exemple, au mécanisme de l’art. 49 en vertu duquel, en cas de motion de censure, seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure, laquelle ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée.

[144] Le Préambule de la Constitution récapitule 1789 et 1946 et, par sa valeur constitutionnelle, intègre les acquis de ces deux époques. La Constitution de 1958 est ainsi la première, dans notre histoire, à en appeler aux régimes précédents.

[145] V. les passages qui consacrent aux appels, parfois incantatoires, au rassemblement et à l’unité, sous la Révolution, R. Debbasch, Le principe révolutionnaire d’unité et d’indivisibilité de la République, Economica-Puam, 1988.

[146] Mais A. Sauvy fait observer, à juste titre : « la démocratie ne consiste pas à s’unir mais à savoir se diviser. L’unanimité, le plein accord, est un mauvais signe », in La tragédie du pouvoir, Calman-Lévy, 1978, p. 271. L’art de se déguiser est cependant un art difficile.

[147] J. Bodin, Six livres de la République, 1576. V. le commentaire dans l’ouvrage, devenu un classique, de J. -J. Chevallier, Les grandes oeuvres politiques de Machiavel à nos jours, A. Colin.

[148] R. Debbasch, op. cit., p. 406.

[149] R. Debbasch, ouvrage préc., p. 428 et 429.

[150] A. Roux, Le Conseil constitutionnel et la décentralisation, La décentralisation 10 ans après, colloque Sénat, février 1992.

[151] V. le commentaire du doyen L. Favoreu de la décision précitée du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991, Rev. fr. dr. const.1991, n° 6, p. 307.

[152] A. Roux, Le Conseil constitutionnel et la décentralisation, op. cit.

[153] Tel est le cas du terme « race » utilisé par la Constitution et dont on sait, notamment depuis la découverte du système HLA par J. Dausset, qu’il ne correspond à aucune réalité scientifique. V. le compte rendu d’un colloque sur ce problème, Le Monde, 2 avr. 1992, p. 9.

[154] V. en particulier J. -C. Ricci, Laïcité, vieux débat ou question nouvelle ? Les rapports Eglise-Etat en France, RRJ 1989.705 s.

[155] Selon le juge judiciaire la religion implique, d’une part, l’existence d’une foi spirituelle, d’autre part, l’existence d’une communauté humaine dont les membres sont réunis par un système de croyances articulées autour de cette foi. Cf. J. -C. Ricci, art. préc., p. 713 s.

[156] Cons. d’Et. 14 mai 1982, Assoc. intern. pour la conscience de Krishna, Lebon, p. 179 ; D.1982.516, note P. Boinot et C. Debouy.

[157] Cons. d’Et. 21 janv. 1983, Assoc. Fraternité des serviteurs du monde nouveau, Lebon, p. 18.

[158] Cons. d’Et. 14 oct. 1985, Assoc. de l’étude de la nouvelle foi, Lebon, p. 284.

[159] Cons. d’Et. 17 juin 1988, Union des athées, Lebon, p. 247 ; D. 1988. IR. 197 ; Gaz. Pal. 1989.1.75, concl. Mme Lenoir.

[160] La loi du 9 déc. 1905 transfère, sans indemnité (et l’on voit mal comment on pourrait, dès lors, éviter de qualifier de spoliation une telle publicisation), aux personnes publiques la propriété des édifices du culte achevés au moment du vote de la loi de 1905.

[161] Dans ces départements d’Alsace-Moselle c’est donc un régime concordataire qui s’applique, les ministres du culte des trois cultes reconnus (catholique, juif, protestant) étant des agents publics rémunérés par l’Etat.

[162] Il n’est pas exclu, d’ailleurs, qu’un jour une directive européenne impose la parité de l’enseignement privé et de l’enseignement public, parité qui existe déjà depuis longtemps chez certains de nos voisins.

[163] On se reportera à l’article précité de J. -C. Ricci qui dresse un tableau très complet de ces atténuations.

[164] Françoise Subileau, « Les militants socialistes et la laïcité », dans Jean Baudouin, Philippe Portier (dir.), La laïcité, une valeur d’aujourd’hui. Contestations et renégociations du modèle français, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, p. 171-183 ; et Martine Barthélemy, Françoise Subileau, « Le militantisme laïque. Deux cas d’école », dans Jean-Marie Donegani, Sophie Duchesne, Florence Haegel (dir.), Aux frontières des attitudes. Entre le politique et le religieux. Textes en hommage à Guy Michelat, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 69-84.

[165] Barthélemy Martine, Michelat Guy, « Dimensions de la laïcité dans la France d’aujourd’hui », Revue française de science politique, 5/2007 (Vol. 57), p. 649-698.
URL : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-5-page-649.htm
DOI : 10.3917/rfsp.575.0649

[166] Ibid.

[167]  Dont les plus mémorables sont les attaques contre Charlie Hebdo en janvier 2015, puis celles du 13 novembre 2015 perpétrées à Paris. Voir à ce sujet http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/07/15/les-principaux-attentats-en-france-depuis-2012_4970357_3224.html ;   également http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/07/15/01016-20160715ARTFIG00002-terrorisme-de-2012-a-2016-la-france-durement-eprouvee.php.

[168] Valérie Lasserre, Droit et religion, Recueil Dalloz 2012 p.1072

[169] 1 Droit civil. Introduction, 26e éd., PUF, 1995, n° 54.

[170] A. Bergounoux, « La laïcité, valeur de la République », Pouvoirs, no 75, 1996, p. 17.

[171] J. Rivero, « La notion juridique de laïcité », D., 1949, ch. 137.

[172] Tout le débat antérieur sur la place du fait religieux dans la société civile, du XVIIIe au XXe siècle, avait concerné l’Église catholique et ses écoles, le protestantisme et le judaïsme acceptant d’autant mieux la laïcité de l’État que, d’une certaine manière, ces derniers y trouvaient une protection.

[173] P. Jan estime à cet égard que « L’école publique formant par définition le premier “sas” d’apprentissage de ce “vivre ensemble”, il n’est pas étonnant que la question du respect de l’autre, de l’Institution et de ses fondements s’y pose avec une particulière acuité comme semblent le révéler les événements liés au port du foulard islamique, montés en épingle par les médias grossis et exagérés certainement, mais qui n’en sont pas moins réels et problématiques pour ceux qui sont appelés par leurs activités à concilier au quotidien la laïcité et la liberté de conscience (…) » in P. Jan, « La laïcité à l’école : le droit national contre le “droit local” _ La loi plutôt que la négociation. Questions de valeurs _ », cette Revue 2004, p. 302.

[174] Le 11 décembre 2003, la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, dirigée par M. Bernard Stasi, a remis son rapport au Président de la République. Ce long texte intervient notamment sur la question du port des signes religieux à l’école et conclut à la nécessité de légiférer « pour la défense de la laïcité et des valeurs républicaines ».

[175] Alinéa 13 article 1er du projet de Constitution de 1946 : « Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinons ou croyances en matière religieuse, philosophique ou politique. La liberté de conscience et des cultes est garantie par la neutralité de l’État à l’égard de toutes les croyances et de tous les cultes. Elle est garantie notamment par la séparation des Églises et de l’État, ainsi que par la laïcité des pouvoirs et de l’enseignements publics ».

[176] G. Koubi, « La laïcité dans le texte de la Constitution », cette Revue 2001, p. 1303.

[177] C.-A. DURAND-PRINBORGNE, La laïcité, op. cit., p. 24.

[178] J. M. « Peut-on réviser la loi de 1905 ? », RFDA, 2005, p. 153 et s. E. Poulat, Scruter la loi de 1905, Paris, Fayard, 2010. E. Poulat, Notre laïcité publique, Paris, Berg International, 2003.

[179] Article 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » ; Article 2 : « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3 ».

[180] Articles 2 et 19 de la loi du 9 décembre 1905. Dès 1905, des limites au principe de non financement ont été prévues dans la loi concernant les dépenses relatives à des services d’aumônerie (article 2) et aux réparations effectuées sur les édifices affectés au culte public dès lors qu’ils sont des « monuments classés ». Les prises en charge de ces dépenses n’ont pas le caractère de subventions aux termes de l’article 19. Ultérieurement cette disposition sera étendue à l’ensemble des édifices même non classés. C’est d’ailleurs dans ce domaine que les aides publiques ont été les plus substantielles, qu’il s’agisse de réparer, voire d’entretenir les édifices cultuels. La seule interdiction qui subsiste est relative à la construction de ces mêmes édifices. Mais, là encore, des assouplissements ont été admis, garanties d’emprunts, mise à la disposition de terrains par baux emphytéotiques, exonérations de la taxe d’habitation et de la taxe foncière… La loi du 23 juillet 1987, relative au développement du mécénat, a permis la déduction des revenus imposables des dons faits au profit des associations cultuelles. Dans un arrêt de Section, du 12 février 1988 (Association des résidents des quartiers Portugal-Italie, Req. 38765), le Conseil d’État a considéré qu’un centre culturel islamique qui abritait en fait une mosquée, constituait un équipement public ce qui permettait un financement public du cultuel englobé dans le culturel. Cf, également, CE, 3 octobre 2011, Communauté d’agglomération Saint-Etienne-Métropole (req. 326460).

[181] C’était, selon une formule très bien choisie par le Conseil d’État dans son rapport public 2004, Un siècle de laïcité, Etudes et Documents, no 55, La Documentation française, 2004, « la voie ouverte à une interprétation libérale » (p. 263).

[182] Les querelles autour de l’enseignement privé ont repris par la suite en 1977, 1983-1984 et en 1994.

[183] Proposition 46 parmi les 60 propositions du futur président de la République.

[184] Par exemple, pour le doyen Maurice Hauriou, « en matière constitutionnelle, séparation ne veut pas dire antagonisme mais collaboration » (Précis de Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, p. 109-110. C’est une telle conception qui a dominé en Allemagne : Th. Rambaud, Le principe de séparation des cultes et de l’État en droit public comparé (analyse comparative des régimes français et allemand), Paris, LGDJ, 2004.

[185] Article 73. L’article 72-3 précise que « la République reconnait, au sein du peuple français, les populations d’Outre-Mer ». Un régime spécifique pour les cultes est applicable en Guyane, à Mayotte, en Polynésie française, à Wallis et Futuna, à Saint-Pierre et Miquelon, dans les Terres australes et antarctiques françaises et en Nouvelle Calédonie… (Rapport public du Conseil d’État 2004, précité, p. 269 et s.). Il serait étrange que les populations d’Alsace et Moselle qui ne profitent d’aucune reconnaissance comparable, bénéficient d’une constitutionnalisation de la spécificité de leur droit local au moment où l’on imposerait le droit commun Outre-Mer.

[186] Le Premier ministre a présenté 4 projets de lois constitutionnelles lors du Conseil des ministres du 15 mars 2013. La proposition relative à la laïcité n’y figurait pas, ce qui a pu être interprété comme un abandon…

[187] Décision no 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, JO 23 février 2013, p. 3110, AJDA 2013, p. 1109, n. E. Forey.

[188] Rapport public 2004 du Conseil d’État, (précité), selon lequel «la constitutionnalité du droit local appliqué en Alsace-Moselle fait l’objet de questions récurrentes… » (p. 268). Le Conseil d’État s’était déjà prononcé sur l’inapplicabilité de la loi de 1905 (6 avril 2001, SNES, Req. 219379).

[189] Composé comme nous l’avons vu de la collection d’éléments à laquelle le préambule de la Constitution de 1958 revient.

[190] . Cons. const., 23 November 1977, decision no. 77-87 DC, Sénat, Yvelines (recital 5).

[191] Les auteurs s’accordent à reconnaître que la liberté de conscience est la liberté de se définir par rapport aux actes impliquant ses convictions, y compris les convictions religieuses; la liberté de religion désigne le droit de manifester des croyances sans subir de contraintes externes. Mais la doctrine juridique française distingue entre, d’une part, la liberté religieuse, les droits individuels et, d’autre part, la liberté des religions, le droit collectif de toute confession religieuse de réglementer son organisation interne (principe d’autodétermination), mais aussi la liberté de parler et d’agir dans l’État. Certains considèrent que la conviction religieuse n’est qu’un type d’opinion particulière (Jean-Jacques Israël, Droit des libertés fondamentales, Paris, LGDJ, 1998, p. 426). D’autres croient que «la liberté de conscience inclut le droit de croire ce que nous voulons et de se rapporter à la religion qui est préférée. Mais cela n’implique pas la libre pratique de la religion: la liberté de conscience et la liberté de religion sont deux choses séparées. “(Henry Barthélemy, Traité élémentaire de droit administratif, Paris, Rousseau, 1933), J. Morange, Droits de l «Homme et libertés publiques» (Paris: PUF, «Droit fondamental» 5e édition, 2000) Jean François Flauss distingue trois approches des notions de liberté de conscience: «Le premier, le plus restrictive, appréhende la liberté de conscience et la liberté de conscience comme faisant partie de la liberté religieuse, c’est-à-dire comme un droit de l’individu à croire ou non aux questions religieuses. Dans une seconde perspective, la liberté de conscience est comprise de manière «extensive». Ce serait une liberté d’adhésion à toutes les opinions que l’on voudrait (…). Enfin, une troisième approche, très analytique, est parfois défendue: la liberté de conscience présenterait un caractère autonome, en relation avec la liberté d’opinion et la liberté de religieux, ce serait la liberté de croyance. “

[192] Voir Messner et al., Traité de droit français des religions, supra n. 14 at 43

[193] Ce qui affecte les choix de vie les plus fondamentaux.

[194] Article 11 of the DDHC

[195] CE, 19 May1933, Benjamin. Liberty granted by the laws of 30 June 1881 et 28 March 1907.

[196] Constitutionnalisée, par la loi du 1er juillet 1901 relative à l’accord de partenariat, la décision de 1971 ci-dessus.

[197] Ce principe fondamental dans une société démocratique prend une importance particulière en France. Voir Pierre Henri Prélot, «Les religions et l’égalité en droit français», Revue: Les Cahiers de droit 40: 4 (1999), p. 738

[198] Jean Morange, “Le régime constitutionnel des cultes en France”, dans Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de l’Union européenne (Paris: Litec, 1995), 119-138; Philippe Ségur, «Le principe constitutionnel de la cité», dans Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse XLIV (1996), 117-134; Jean Baubérot, Vers un nouveau pacte laïque (Paris: Seuil, 1990); Maurice Barbier, «Pour une définition de la laïcité française», Revue des débats 134, mars-avril 2005; “Face au nouveau millénaire: la liberté religieuse dans une société pluraliste”, dans Conscience et Liberté 54 (1997), Berne, notamment les articles des articles de Jacques Robert et Jean Baubérot; Guy Coq, Laïcité et République (1995), 334; “La Laïcité”, Revue Pouvoirs 75 (1995).

[199] Le président a rappelé que “personne ne conteste que le système français de laïcité est aujourd’hui la liberté: la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de pratiquer la religion et la liberté de changer de religion, la liberté de ne pas subir de préjudice. la conscience par des pratiques ostentatoires, la liberté pour les parents de donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs convictions, la liberté de ne pas être discriminé par l’administration fondée sur sa conviction “ajoutant qu’il doit” prendre en compte les racines chrétiennes de la France “; même pour les valoriser, tout en défendant une laïcité qui avait finalement atteint sa maturité “, et espérer” l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui, tout en assurant la liberté de pensée, ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais un atout. “Pour lui,” il s’agit de rechercher le dialogue avec les grandes religions de France et d’avoir le »Voir Discours de Nicolas Sarkozy au Palais du Latran, 20 décembre 2007, disponible sur http://www.elysee.fr/documents/index.php ? mode = cview & cat_id = 7 & appuyez sur id = 819

[200] Ce serait une question de «laïcité de cohabitation» selon l’expression d’Emile Poulat dans Liberté laïcité. La guerre des deux France et le principe de la modernité (Paris: Cerf-Cujas, 1988).

[201] Les inconvénients. Const., 12 juillet 1979, décision n ° 79-107 DC, relative à certains ouvrages dépendant des voies nationales ou départementales, (considérant 4), JO du 13 juillet 1979, Recueil, 31, http: //www.conseilconstitutionnel.fr  

[202] Les départements et territoires français d’outre-mer, comprenant tous les territoires administrés par la France en dehors du continent européen.

[203] Cons. const., 86-217 DC, 18 September 1986, Loi relative à la liberté de communication, http://www.conseil-constitutionnel.fr.

[204]

[205] Noica, 1996.

[206] Jung, 1994.

[207] Jung, 1994

[208] Noica, 1996

[209]

[210] voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 mai 1989, A187

[211] voir arrêt du 26 Octobre, 2000 A.78.

[212] Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms, Nov. 4, 1950, Europ. T.S. No. 5; 213 UNTS 221 [hereinafter ECHR]

[213] Id. at preambule

[214] Voir ANALYSE COMPARÉE DES DISCRIMINATIONS RELIGIEUSES EN EUROPE [A COMPARATIVE APPROACH TO RELIGIOUS DISCRIMINATION IN EUROPE] (Elisabeth Lambert Abdelgawad & Thierry Rambaud eds., 2011).

[215] L’article 9 n’appartient pas aux dispositions figurant au deuxième alinéa de l’article 15 en tant que non susceptibles de dérogation. Sur ce point, la Convention diffère du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, où, à l’article 4, paragraphe 2, la liberté de pensée, de conscience et de religion énoncée à l’article 18 est déclarée non susceptible de dérogation. Voir OVEY & WHITE, supra note 4, à la page 441.

[216] RENÁTA UITZ, FREEDOM OF RELIGION IN EUROPEAN CONSTITUTIONAL AND INTERNATIONAL CASE LAW 12 (2007).

[217] Kokkinakis v. Greece, App. No. 14307/88, 260-A Eur. Ct. H.R. (ser. A) 18, § 31 (Eur. Ct. H.R. 1993).

[218] Pour une énonciation de l’importance primordiale du pluralisme religieux comme l’un des fondements d’une société démocratique, voir Nolan et K. c. Russie, App. No 2512/04, § 73 (Cour eur., H.R. 2009).

[219] Gorzelik and Others v. Poland, App. No. 44158/98, § 92 (Eur. Ct. H.R. 2004).

[220] Campbell and Cosans v. United Kingdom, No. 48, 4 Eur. H.R. Rep. (ser. A) 293, ¶ 36 (Eur. Ct. H.R. 1982).

[221] DONNA GOMIEN, SHORT GUIDE TO THE EUROPEAN CONVENTION ON HUMAN RIGHTS 95 (3d ed. 2000).

[222] M.E. v. France, App. No. 50094/10 (June 6, 2013 Eur. Ct. H.R.)

[223] Wasmuth v. Germany, App. No. 12884/03 (Feb. 17, 2011 Eur. Ct. H.R.)

[224] Lourdes Peroni, “Very Weighty Reasons” for Religion: Vojnity v. Hungary, STRASBOURG OBSERVERS BLOG (Feb. 27, 2013), http://strasbourgobservers.com/2013/02/27/very-weighty-reasons-for-religion-vojnity-vhungary/.

[225] Vojnity v. Hungary, § 38, App. No.29617/07 (Feb. 12, 2013 Eur. Ct. H.R.).

[226] Leyla Sahin v. Turkey, App. No. 44774/98 (Nov. 10, 2005 Eur. Ct. H.R.).

[227] Ahmet Arslan and Others v. Turkey, App. No. 41135/98 (Feb. 23, 2010 Eur Ct. H.R.). Concerning diverging views among human rights bodies on this aspect, see Françoise Tulkens and Sébastien Van Drooghenbroeck, The Domestic Courts’ Response to Divergent Views among International Human Rights Bodies Thoughts Prompted by the Singh v. France Case in LIBERAE COGITATIONES: LIBER AMICORUM MARC BOSSUYT 733 (André Alen, Veronique Joosten, Riet Leysen, & William Verrijdt eds., 2013).

[228] Ahmet Arslan v. Turkey, App. No. 41135/98 (Feb. 23, 2010, Eur. Ct. H.R.).

[229] Le 27 novembre 2013, la Grande Chambre a tenu une audience dans l’affaire S.A.S. France concernant l’interdiction de porter la burqa et le niqab dans l’espace public en France. Voir Saïla Ouald Chaib, S.A.S. v. France: Bref résumé d’une audience intéressante, BLOG OBSERVATEURS DE STRASBOURG (29 nov. 2013), http://strasbourgobservers.com/2013/11/29/sasv-france-a-short-summary-of-aninteresting -audition. La Grande Chambre a rendu son arrêt dans l’affaire le 1er juillet 2014; la Cour n’a constaté aucune violation de l’article 8 et aucune violation de l’article 9 de la Convention sur la base de la marge d’appréciation et de la proportionnalité. Voir, toutefois, l’opinion dissidente commune des juges Nussberger et Jäderblom, jointe à l’arrêt

[230] Messner Francis, «Régime des cultes», Jurisclasseur Alsace-Moselle, no 230; Volff Jean, «Cultes protestants: Textes commentés», Jurisclasseur Alsace-Moselle, no 233).

[231] Cf. Jean Volff, «La législation des cultes protestants en Alsace et en Moselle», Strasbourg, 1993, Oberlin

[232] C.E. 21 janvier 1983.

[233] Cf. Jean Boyer, «Le droit des religions en France», P.U.F., Paris, 1993.

[234] R. Rouquette, La commune et les cultes, Le Moniteur, 2004, p. 10

[235] F. MESSNER, P.-H. PRÉLOT et J.-M. WOEHRLING [dir.], Traité de droit français des religions, 2003, Litec, p. 455

[236] M. BONNET-AMELINE, La réception de la loi de 1905 dans l’Ouest de la France, in J. FIALAIRE [dir.], Liberté de culte, laïcité et collectivités territoriales, 2007, coll. Colloques et débats, Litec.

[237] Ph.-J. HESSE, Les notions de liberté de culte et de laïcité, in J. FIALAIRE [dir.], Liberté de culte, laïcité et collectivités territoriales, 2007, Litec

[238] J.-P. MACHELON, Rapport de la Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, Doc. Fr., 2006, p. 11

[239] J.-P. BRARD, Le maire garant du respect des principes de la laïcité, Pouvoirs locaux no 69 II/2006, p. 119

[240] F. MESSNER, P.-H. PRÉLOT et J.-M. WOEHRLING, Traité, préc., p. 11

[241] Traité, préc., p. 30.

[242] Traité, préc., p. 11.

[243] Traité, préc., p. 14.

[244] formule empruntée à F. MESSNER, P.-H. PRÉLOT et J.-M. WOEHRLING [dir.], préc., p. 406

[245] CE, ord. réf., 25 août 2005, Cne de Massat, req. no 284307 , Lebon ; AJDA 2006. 91 , note P. Subra de Bieusses

[246] F. MESSNER, P.-H. PRÉLOT et J.-M. WOEHRLING [dir.], préc., p. 448.

[247] L. PELLIZZA, Les aides financières des collectivités 1091territoriales à la construction de nouveaux lieux de culte, in J. FIALAIRE [dir.], Liberté de culte, laïcité et collectivités territoriales, Litec, coll. Colloques et débats, 2007

[248] B. JORION, L’intervention des collectivités territoriales dans le champ religieux, JCP Adm. 2004, p. 47.

[249] L’invocation de l’Être suprême en tête de la Constitution, proposée d’abord par l’abbé Grégoire, ne rencontre pratiquement pas d’opposition : « l’homme n’a pas été jeté au hasard sur le coin de terre qu’il occupe. S’il a des droits, il faut parler de celui de qui il les tient ; s’il a des devoirs, il faut lui rappeler celui qui les lui a prescrits. Quel nom plus auguste, plus grand, peut-on placer à la tête de la déclaration que celui de la divinité, que ce nom qui retentit dans toute la nature, dans tous les cœurs, que l’on trouve écrit sur la terre et que nos yeux fixent encore dans les cieux ». Mirabeau avait même proposé que le Décalogue, œuvre du plus grand des législateurs, fût placé en tête de la Déclaration.

[250] V. sur tous ces points l’excellente analyse de J. Morange, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, PUF, Que sais-je ?, p. 34 et s.

[251] « Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette histoire que de voir la laïcité entrer dans l’État par la petite porte, celle d’un service public parmi les autres et, à partir de la position ainsi conquise, gagner progressivement du terrain jusqu’à occuper l’État tout entier » – J. Rivero, De l’idéologie à la règle de droit : la notion de laïcité dans la jurisprudence administrative, in La laïcité, PUF 1960, p. 263.

[252] V. J. Dietz, L’école gratuite, laïque, obligatoire, Rev. Politique et parlementaire, n. 479, oct. 1934, p. 135.

[253] Pour une approche comparative, voir J. Baubérot et Milot, Laïcité sans frontières, éd. Seuil – J. Baubérot, Les laïcités dans le monde, PUF, Que sais-je ? – O. Dord, La laïcité : le modèle français sous l’influence européenne, Fond. Robert Schuman, 2004.

[254] L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule : « 1 – Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 2 – La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Une abondante jurisprudence est venue en préciser la portée. C’est l’affaire Kakkinakis c/ Grèce, relative à la condamnation pour prosélytisme d’un témoin de Jéhovah, qui a permis à la Cour européenne de rendre, en 1993, son premier arrêt de principe faisant application de la liberté de religion. La cour y affirme la liberté de pensée, de conscience et de religion comme « l’une des assises d’une société démocratique » ; la liberté de religion, poursuit l’arrêt, se compose de deux éléments ; d’une part, la liberté de pensée, de conscience et de religion qui protège le for intérieur et est insusceptible de limitations ; d’autre part, un droit spécifique de manifester sa religion, par les pratiques et le culte et d’en changer, qui ne peut faire l’objet de restrictions que fondées sur des considérations d’ordre public, tout spécialement pour organiser la coexistence de plusieurs religions au sein d’une même population. Il en résulte un devoir non pas d’abstention mais de neutralité de l’État qui exclut toute appréciation des autorités publiques sur « la légitimité des croyances religieuses ». L’État a, à cet égard, « un rôle d’organisation neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes ou croyances » qui « exclut toute appréciation (de sa part) sur la légitimité de celles-ci » (CEDH, 26 septembre 1996, Manoussazkis). C’est ainsi sans restriction possible que chacun dispose de la triple liberté d’adopter la religion de son choix, de ne pas en avoir ou d’en changer (v. sur tous points, les développements très complets et auxquels on emprunte ici de F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF).Et déjà auparavant, la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, consacre la liberté de religion, en son article 18 : « Toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conscience, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ».

[255] On cite parfois l’article 354 de la Constitution du 5 fructidor An III, resté sans application : « nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’aucun culte ; la République n’en salarie aucun ». Et, quelques mois plus tôt, le décret du 21 février 1795 : « art. 1er : I – Conformément à l’article 7 de la déclaration des droits de l’homme… l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé. II – La République n’en salarie aucun. III – Elle ne fournit aucun local ni pour l’exercice du culte ni pour le logement des ministres. IV – Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice. V – La loi ne reconnaît aucun ministre du culte ; nul ne peut paraître en public avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses ».

[256] Un siècle de laïcité, EDCE n. 55, Doc. fr – v. aussi, J. Barthélémy, « Le Conseil d’État et la construction des fondements de la laïcité », Rev. administrative, 1999.

[257] Note ss. CA Nîmes, 10 juin 1967, Dalloy Sirey 1969, p. 366.

[258] Séance du 21 août 1946, cité par O. Echappé, article précité note 1.

[259] J.-F. Lachaume, C. Boiteau, H. Pauliat, Grands services publics, A. Colin, 2e éd., 2000, p. 371.

[260] CE 16 mars 2005, Ministre de l’Outre-Mer contre le gouvernement de la Polynésie française, req. no 265560 , Lebon ; AJDA 2005, note C. Durand-Prinborgne, p. 1463.

[261] Crim. 1er sept. 2010, Jean-Pierre X., req. no 10-80.584 , Bull. crim. no 127, AJDA 2010. 1679 , obs. M.-C. de Montecler ; AJCT 2010. 125, note A. Fitte-Duval  ; Dr. pénal 2010, no 135, note Véron ; RLCT 2010, no 62, p. 28, note Y. Mayaud

[262] F. Messner, P.-H. Prélot, J.-M. Woehrling [dir.], Traité de droit français des religions, Litec, 2003, p. 49.

[263] J. Carbonnier, note sous T. civ. Briançon, 6 janv. 1948, D. 1948.579.

[264] E. Michelet, Religion et droit pénal, Mélanges P. Raynaud, p. 475.

[265] V. sur cette question, L. de Naurois, Aux confins du droit privé et du droit public, la liberté religieuse, RTD civ. 1962.241.

[266] Crim. 12 févr. 1909, Gaz. Trib. 13 août 1909.

[267] Crim. 12 mai 1987, Gaz. Pal. 1988.1. Somm. 2 ; V. sur la décision des juges du fond, T. pol. Châteauroux, 6 nov. 1984, Gaz. Pal. 1985.1.35, note J.-P. Doucet ; V. au sujet des effets du serment religieux comme moyen de preuve en matière civile, Civ. 3 mars 1846, DP 1846.1.103.

[268] Cf. l’aff. Marie-Christine Amadeo (1976) et l’aff. Claire Chateau (mars 1982) citées par Patrick Boinot, in Sectes religieuses et droit pénal, Rev. sc. crim. 1983.413.

[269] D. 1964.24 ; cette loi est aujourd’hui incorporée à la loi du 10 juin 1971 portant code du service national, qui crée le statut des objecteurs de conscience.

[270] Cf. par exemple la secte des Témoins du Christ, qui croit inutile et périlleux de recourir à la médecine terrestre, condamnée pour homicide involontaire, T. corr. Dunkerque, 30 oct. 1953, D. 1954.270 ; JCP 1954.II.8095, note P.-A. P. ; Grenoble, 9 avr. 1954, D. 1954.375 ; JCP 1954.II.8139, note P.-A. Pageaud.

[271] Cf. Cons. d’Et. 9 juill. 1943, Ferrand, DC 1944.160, note Carbonnier ; S. 1943.3.44.

[272] L. n° 78-17 du 6 janv. 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, art. 31.

[273] Art. 43 de la loi précitée.

[274] Carbonnier, Droit civil, Les personnes, 17e éd., p. 122, n° 85.

[275] Cf. Douai, 25 juin 1974, D. 1975.492, note Foulon-Piganiol : refus par un hôtelier de louer une chambre à une personne de couleur.

[276] Paris, 30 mars 1990, aff. Assoc. Fraternité Saint Pie X c/ X…, D. 1990.596, note Jean Villacèque; Gaz. Pal. 1990.2.630, note C. Pettiti, cassé par Soc. 17 avr. 1991, D. 1991. IR. 140; Gaz. Pal. 11 août 1991, note O. Echappé ; JCP 1991.II.21724, note A. Sériaux

[277] Crim. 12 avr. 1976, Gaz. Pal. 1976.2.493.

[278] Pour l’Eglise catholique, Crim. 6 nov. 1909, DP 1910.1.377, rapport Mercier.

[279] T. corr. Bar-le-Duc, 2 juin 1982, Gaz. Pal. 1982.2.556.

[280] C’est au demeurant l’application de la jurisprudence constante en la matière ; Cf. la jurisprudence citée par A. Vitu, Rev. sc. crim. 1983.77 s.

[281] P. Malaurie et L. Aynès, Droit civil, Les personnes, op. cit., n° 328 et 402.

[282] Aff. Jacques Lanzmann, L’Evénement du Jeudi c/ AGRIF ; Marek Halter, Le Figaro c/ AGRIF ; Fluide glacial c/ AGRIF ; toutes ces affaires sont aujourd’hui pendantes devant la Cour de cassation.

[283] CC 76-67 DC, 15 juillet 1976, R. p. 35.

[284] CC 2001-446 DC, 27 juin 2001, R. p. 74.

[285] CC 2013-353 QPC, 18 octobre 2013, R. p. 1002

[286] CC 2015-512 QPC, 8 janvier 2016, JO 10 janvier 2016, texte nº 20.

[287] CC 2004-505 DC, 19 novembre 2004, R. p. 173.

[288] CC 2009-591 DC, 22 octobre 2009, R. p. 187.

[289] CC 2011-157 QPC, 5 août 2011, JO 6 août 2011, p. 13476.

[290] Cité par Jean Sévilla, Quand les catholiques étaient hors la loi, Perrin, 2005, p. 49. Voir également le programme de Belleville, in Ferdinand BUISSON, La politique radicale, 1908, Giard et Brière, pp. 28-30. On sait que Gambetta se montrera moins empressé par la suite s’agissant de la grande séparation.

[291] bid., p. 53. En 1850 déjà Victor Hugo, dans son grand discours contre la loi Falloux qui marquera la mémoire républicaine, s’était adressé au parti clérical dans des termes proches : « je ne veux pas vous confier l’enseignement de la jeunesse… l’esprit des générations nouvelles, c’est-à-dire l’avenir de la France, parce que vous le confier, c’est vous le livrer ». Cité par Pierre CHEVALLIER, La séparation de l’église et de l’école, Jules Ferry et Léon XIII, Fayard, 1981, p. 51.

[292] C’est l’expression que l’on utilise encore au tournant du XXe siècle quand la revendication commence à se faire plus présente. Mais comme le dit Ferdinand Buisson pour qui le mot fleure sans doute trop son Empire (La politique radicale, op. cit., p. 195) : « Ce mot monopole est un archaïsme qui peut sembler un contresens. Il faudrait le remplacer par service public ».

[293] (Le Parti radical) considère l’enseignement “comme une des plus nobles prérogatives de l’État”, ce qui signifie que l’enseignement est une des charges, une des fonctions, une des dettes de la nation. « Jusque là tous les radicaux sont d’accord et peuvent souscrire unanimement. Mais, le principe énoncé, dès qu’il faut en tirer les conséquences, ils se séparent. « Les uns disent : une dette qui pèse sur l’État, l’État doit se charger par lui-même et à lui seul de l’acquitter… Telle est la thèse si mal nommée “monopole de l’enseignement”… « Les autres répondent : l’Instruction publique incombe à l’État, il est certain qu’il ne peut s’en désintéresser, ni en remettre la responsabilité et la direction à d’autres. Mais pourquoi ne pourrait-il pas en assurer le bon fonctionnement soit en s’en chargeant directement dans des établissements à lui et par un personnel placé sous son contrôle pourvu qu’ils remplissent les conditions posées par la loi. Cette thèse est aussi improprement désignée sous le nom de “liberté de l’enseignement” que l’autre sous celui de “monopole”. Il s’agit d’une délégation du pouvoir enseignant de l’État. « C’est entre ces deux doctrines qu’oscille le radicalisme ». Ferdinand BUISSON, « Le radicalisme et la question scolaire », in La politique radicale, op. cit., p. 195.

[294] Notamment, la grande loi du 28 mars 1882 qui rend l’enseignement primaire obligatoire et laïc oblige à inscrire les enfants « dans une école publique ou privée… », ce qui revient à mettre les deux systèmes à parité du point de vue du choix des parents. Dans le même sens la loi du 18 mars 1880 qui modifie la récente loi du 12 juillet 1875 ne remet pas en cause dans son principe la liberté de l’enseignement supérieur.

[295] A contrario l’Alsace-Moselle, qui est restée à l’écart de ces querelles, et où la loi Falloux a été maintenue dans ses dispositions applicables à l’enseignement public après 1918, a connu un développement très faible de l’enseignement privé catholique.

[296] Pour l’enseignement primaire voir la Statistique de l’enseignement primaire, 1901-1902, in André LANFRAY, Sécularisation, séparation et guerre scolaire. Les catholiques français et l’école (1901-1914), Cerf Histoire, 2003, pp. 75-78. Pour l’enseignement secondaire voir M. HÉBERT, A. CARNEC, La loi Falloux et la liberté d’enseignement, contribution à la connaissance du problème scolaire français, éd. Rupella, 1953, p. 255.

[297] Expression de Claude Durand-Prinborgne, La laïcité, Dalloz 1996, Connaissance du Droit.

[298] L’opinion publique ne s’y trompe pas puisqu’elle s’est fortement mobilisée à Paris, le 16 janvier 1994 (entre 700.000 et 900.000 personnes) pour défendre l’école de tous et la laïcité menacées par la révision de la loi Falloux.

[299] Notamment : Jean Rivero, La notion juridique de laïcité, D. 1949, ch. p. 137. Maurice Barbier, La laïcité, L’Harmattan, 1995. Paul Tedeschi, Note J.C.P. 21998, 1993, p. 62. Gilles Lebreton, Port de signes religieux et laïcité, Petites Affiches no 62 du 24 mai 1993.

[300] Claude Durand-Prinborgne, op. cit., note que le Conseil d’Etat, comme le Conseil Constitutionnel (décision du 13 janvier 1994, relative à l’aide aux investissements des établissements privés) apprécient le principe de laïcité de manière honteuse et subalterne en fondant leurs décisions sur le principe de neutralité et la liberté de conscience.

[301] Voir en particulier D. Gros, La République laïque, p. 103 à 144, Colloque Dijon. Collectif ss. dir. M. Verpeaux, Economica 1995.

[302] Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique, Condorcet, extrait, Problèmes politiques et sociaux, no 768, 7 juin 1996, p. 19.

[303] Emile Poulat, Liberté – Laïcité – La guerre des deux Frances et le principe de modernité, Cujas 1987.

[304] Emile Poulat, Liberté – Laïcité – La guerre des deux Frances et le principe de modernité, Cujas 1987.

[305] .E., Bouteyre, 10 mai 1912, Rec. 553.

[306] Jules Ferry, le 5 avril 1890. Cité par Emile Poulat, op. cit., p. 210.

[307] Claude Durand-Prinborgne, La laïcité, op. cit.

[308] Jean Paul II dans son encyclique « L’evangile de la vie » parle de la prédominance de la loi morale sur la loi civile et de l’objection de conscience.

[309] Cf. Catherine Kintzler, Aux fondements de la laïcité scolaire _ Essai de décomposition raisonnée du concept de laïcité, Les temps modernes, Paris, Gallimard, no 527, juin 1990, p. 82 à 87.

[310] Claude Durand-Prinborgne, R.F.D.A., janvier-février 1990, p. 11.

[311] Céline Wierner, Les foulards noirs et la République, Mélanges – R. Chapus – 1992 _ Montchrestien.

[312] Catherine Kintzler, op. cit.

[313] Catherine Kintzler citée dans Problèmes politiques et sociaux, no 768, 7 juin 1996, p. 15-16.

[314] Christian Jelen dans La France éclatée ou les reculades de la République (1996 – Nil éditions) note « que la rêverie bien pensante du multiculturalisme a fait lever dans les couches populaires une xénophobie haïssable et ce réflexe du nationalisme d’exclusion ». Car effectivement « le nationalisme renvoie chacun à son appartenance éthique, à sa tribu, à ses coutumes, à ses traditions, à ses croyances religieuses, à sa communauté », p. 27.

[315] Pour le doyen J. Dehaussy _ Colloque, Dijon, « Les hussards noirs de la République ont été pendant une longue période les troupes de combat dont l’une des missions était de réaliser l’unité des citoyens français en fondant toutes les populations au sein d’un seul et même creuset qu’était l’école ». La République en droit français, op. cit.

[316] Max Gallo, note dans « Le Monde » du 19 décembre 1996, que « l’essentiel pour détruire l’idée nationale et républicaine est sans doute venu de la gauche et de son discours qui se veut généreux, moderne, internationaliste et antiraciste ».

[317] Catherine Kintzler, op. cit., p. 15.

[318] Régis Debray, op. cit., p. 29.

[319] G. Peiser, « École publique, école privée et la laïcité en France », CEMOTI, no 19, 1995, p. 197.

[320] Ibid.

[321] Ibid.

[322] P. Costat, in CEMOTI, no 19, 1995, p. 88.

[323] Ibid.

[324] R. DEBRAY, Ce que nous voile le voile, Gallimard, 2004, p. 23.

[325] Ibid.

[326] Cl. LEFORT, Essais sur le politique, Seuil, 1986, p. 27.

[327] N. ROLAND, Aux confins du droit, Odile Jacob, 1991, p. 150.

[328] Ibid. p 160.

[329] G. VATTIMO, Après la chrétienté. Pour un christianisme non religieux, Calman-Lévy, 2004, p. 24.

[330] R. Maggiori, « C’est à ne pas croire », Libération du 4 mars 2004.

[331] R. DEBRÉ, op. cit., p. 14.

[332] J. DERRIDA, Voyou, Gallilée, p. 106.

[333] Rondinson, « Khomeini, ou la primauté du spirituel », Nouvel Observateur, 19-2-1979, p. 19.

[334] Avis présenté au nom de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et sociales sur le projet de loi relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, p. 4.

[335] Auditionnés par la commission Stasi. Cette dernière a procédé à 140 auditions.

[336] Avis, op. cit., p. 5.

[337] Luc Ferry, ministre de l’Éducation nationale a avancé lors de son audition par la commission Stasi, le chiffre de dix, sans fournir la moindre preuve

[338] Chiffre avancé par la Médiatrice du ministère.

[339] S. Naïr, « La focalisation sur le voile occulte le seul vrai problème, celui de l’intégration sociale », Libération, 10-02-2004.

[340] J. CARBONNIER, Flexible Droit, LGDJ, 1983, p. 125.

[341] Rapport, op. cit.

[342] G. STEINER, Maître et disciple, Gallimard, 2003, p. 57.

[343] J.-M. DOMENACH, Apprendre de la modernité, éd. Marketing, 1986, p. 15.

[344] Ibid., p. 19.

[345] Rapport de la commission Stasi, op. cit., p. 19.

[346] R. DEBRAY, op. cit., p. 25.

[347] O. Abel, « Réflexion sur le problème de la laïcité en Turquie et en France », in CEMOT, op. cit., p.

41.

[348] Cité par G. STEINER, op. cit., p. 110.

[349] A. Latreille, cité par J.-A. Mazères, Les rapports entre l’État et l’enseignement privé, Annales de la faculté de droit de Toulouse, 1962, p. 6.

[350] J. Rivéro, La notion juridique de laïcité, Dalloz, 1949, p. 137.

[351] J. Rivéro, De l’idéologie à la règle de droit : la notion de laïcité dans la jurisprudence administrative, Centre de sciences politiques de l’Institut juridique de Nice, La laïcité, P.U.F. 1960, p. 263.

[352] Des batailles que Buffet, dès 1880, envisageait infinies. À la question d’un sénateur lui demandant : «Ne sortirons-nous donc jamais de ces questions religieuses ?», il avait répondu : «Je crois bien que nous n’en sortirons jamais car cette guerre religieuse n’est pas, pour ceux qui l’ont soulevée et qui l’agitent, une question : c’est la question», Journal officiel du Sénat du 15 novembre 1880, no 11099.

[353] M. Barbier, La laïcité, l’Harmattan, 1995, p. 176.

[354] Pour M. Charlier, en effet, la laïcité après la Révolution est devenue «une réaction presque physique contre des temps antérieurs où une église avait eu une position dominante, la laïcité et la séparation ayant pendant quelques temps pris l’allure d’une lutte contre le cléricalisme et même contre la croyance» (R.E. Charlier, La survie de la IIIe République, colloque sur : Le centenaire de la IIIe République, Rennes, 15 au 17 mai 1975, J.P. Delarge, 1975, p. 296).

[355] «La laïcité tolérante qui libère certes l’école et l’État de la religion, mais les oblige aussi à assurer les conditions de la liberté religieuse» (C. Wiener, Les foulards noirs et la République, p. 23).

[356] J. Costa-Lascoux, Les trois âges de la laïcité, Hachette, 1996, p. 83.

[357] Cons. const., 23 novembre 1977, déc. no 77-87 D.C., liberté d’enseignement et de conscience.

[358] Cons. const., 29 décembre 1984, déc. no 84-184 D.C.

[359] L’affaire la plus récente concerne l’exclusion de Lila et Alma Lévy du collège Henry Wallon d’Aubervilliers en octobre 2003.

[360] Après de longs débats au sein de la Convention chargée d’élaborer le projet de Constitution et en dehors (le pape est intervenu à plusieurs occasions sur ce point), il a finalement été décidé de ne pas faire référence dans le préambule à Dieu ou à la religion chrétienne comme source de l’Europe mais aux «héritages culturels, religieux et humaniste de l’Europe». L’avenir nous dira si cette proposition faite par la Convention sur l’avenir de l’Europe sera retenue ou pas… Les débats autour de la Constitution à l’heure actuelle concernant plutôt des problèmes institutionnels.

[361] Ceci nous renvoie notamment à l’avis du Conseil d’État no 217017, Mlle Marteaux du 3 mai 2000. Dans cet avis, le Conseil d’État a relevé que «Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses… Par suite, le fait pour un agent du service de l’enseignement public (qu’il soit chargé ou non de fonctions d’enseignement) de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations».

[362] Il convient de noter également, pour être exhaustif, que dans certains établissements le port du voile islamique n’a entraîné la prise d’aucune mesure particulière par des chefs d’établissement considérant qu’il n’y avait pas de volonté de prosélytisme dans l’attitude des élèves concernés.

[363] M. Turpin parla à cet égard de «piqûre de rappel de la laïcité» (D. Turpin, Les libertés publiques, Dunod, 1995, p. 119).

[364] Ainsi, le Conseil d’État se retrouve dans la droite ligne de la pensée d’Aristide Briand qui considérait que «Toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué… c’est la formule libérale qui sera la plus conforme à l’esprit du législateur».

[365] Cela a été confirmé dans les arrêts du 20 mai 1996, ministre de l’Éducation c/ Ali, et du 27 novembre 1996, ministre de l’Éducation c/ Khalid.

[366] R. Schwartz, intervention lors de la table ronde : École et laïcité aujourd’hui, organisée à l’Assemblée nationale le 22 mai 2003.

[367] Ainsi, dans l’arrêt Aït Ahmad du 20 octobre 1999, l’exclusion de l’élève a été justifiée non pour le port ostentatoire du voile mais parce que ce port était inadapté pour la pratique des cours d’éducation physique et sportive. Le paradoxe de cet arrêt est que, de façon inédite, le Conseil d’État a admis que si l’exclusion entraînait pour les élèves la nécessité de suivre les cours du Centre nationale d’éducation à distance, l’État se voyait dans l’obligation d’indemniser la famille afin d’assurer la continuité et la gratuité du service public.

[368] Rapport de mai 2003, Pour une nouvelle laïcité, qui dépasse la seule question du port de signes religieux à l’école.

[369] Il s’agit d’une mission d’information sur les signes religieux créée et présidée par le président de l’Assemblée nationale, M. Debré.

[370] Il s’agit de la commission intitulée : «Pour la laïcité de la République».

[371] A. Finkielkraut, intervention lors de la table ronde : École et laïcité aujourd’hui, organisée à l’Assemblée nationale le 22 mai 2003.

[372] G. Petek Salom, membre du Haut conseil de l’intégration, intervention lors de la table ronde : École et laïcité aujourd’hui, organisée à l’Assemblée nationale le 22 mai 2003.

[373] G. Koubi, Du principe de laïcité : à propos de la circulaire du 29 février 1996 relative à la lutte contre les mouvements sectaires, Droit administratif du 1er juillet 1996, p. 3.

[374] D. Lochak, For intérieur et liberté de conscience, in Le for intérieur, C.U.R.A.P.P., P.U.F., 1995, p. 197.

[375] G. Petek Salom, membre du Haut conseil de l’intégration, op. cit.

[376] Une nouvelle loi d’orientation est prévue pour 2004 dont le but, selon le ministre délégué à l’Enseignement scolaire, M. Darcos, sera de rappeler les valeurs de la République fondatrices du pacte républicain autour de l’école (table ronde : École et laïcité aujourd’hui, organisée à l’Assemblée nationale le 22 mai 2003).

[377] A. Viola, La notion de République dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, L.G.D.J. 2001, p. 175 à 196.

[378] Ou plutôt a été, ce dernier semblant avoir évolué sur ce sujet en participant à la commission Stasi, v. Le Monde du 12 décembre 2003.

[379] En effet, nous avons eu la surprise en lisant la thèse de M.D. Charlier-Dagras sur La laïcité française à l’épreuve de l’intégration européenne, parue chez l’Harmattan en 2002, de nous retrouver classé parmi les partisans du port du voile à l’école au travers de citations que nous avions relevé qui, certes, constataient la situation actuelle qui tendait à admettre, au nom de la laïcité ouverte, ce type de situations mais sans jamais, à aucun moment, apporter un quelconque «soutien» à cette évolution…

[380] Comme Mme Petek Salom (op. cit.) qui considère qu’en «acceptant la visibilité des signes religieux dans l’enceinte de l’école, on admet que s’expriment des identités communautaristes génératrices de droits particuliers… L’école de la République doit rester le lieu de partage d’une identité fédératrice et de valeurs communes à tous».

[381] Comme l’a finalement préconisée la mission d’information de l’Assemblée nationale.

[382] Il semblerait préférable cependant que cette loi dépasse la simple question du port de signes religieux pour s’intéresser à la question de la laïcité en général, en élaborant pourquoi pas, comme le préconisait M. Stasi, une sorte de «mode d’emploi» de la laïcité.

[383] A. Seksig, chargé de mission à la direction de l’enseignement scolaire, table ronde : École et laïcité aujourd’hui, organisée à l’Assemblée nationale le 22 mai 2003.

[384] La solution de «compromis» proposée par le ministre de l’Intérieur le 11 octobre 2003 devant le conseil d’administration du Conseil français du culte musulman (le port du bandana à la place du voile) nous semblant plus relever du gadget politique qui ne résout rien sur le fond.

[385] Comme le souligne la mission d’information de l’Assemblée nationale, il convient de retenir la notion de «port visible» afin de «trouver un critère objectif qui ne donne pas lieu aux incertitudes actuelles liées au caractère ostentatoire de certains signes religieux. Cette remarque est également applicable selon nous au terme «ostensible» finalement proposé par la commission Stasi et retenu par le président de la République dans son intervention du 18 décembre 2003 qui risque d’amener à une classification «dangereuse» des signes religieux en aboutissant à la «stigmatisation» de certains d’entre eux.

[386] Comme le souligne MM. Bedouelle et Costa, la société ne doit pas «rejeter un mouvement religieux qui inspire souvent des réactions xénophobes ou racistes ou à tout le moins un certain sentiment d’incompréhension» (G. Bedouelle et J.-P. Costa, Les laïcités à la française, P.U.F. 1998, p. 207).

[387] J.-M. Dubernard, intervention lors de la table ronde : École et laïcité aujourd’hui, organisée à l’Assemblée nationale le 22 mai 2003.

[388] V. Le Monde du 28 octobre 2003, p. 10.

[389] Il convient de souligner avec M. Dubernard (op. cit.) que la Cour européenne des droits de l’homme a admis en 1992, à propos d’une étudiante turque voilée, qu’une réglementation «peut soumettre la liberté de manifester sa religion à des limitations de lieux et de formes, destinées à rassurer la mixité des étudiants de croyances diverses». Cependant, pour M. Schwartz (dans sa réponse au cours de cette même table ronde), cet arrêt est spécifique à la situation turque, pays très fortement musulman où l’interdiction du port du foulard vise aussi à protéger les minorités.

[390] J.-P. Costa, in Le Monde du 28 octobre 2003, p. 10.

[391] L’instruction religieuse datait, selon M. Dubernard (op. cit.) de la loi Falloux de 1850, le père de famille pouvant demander une dispense pour ses enfants. L’instituteur était alors le répétiteur «forcé» du catéchisme et de l’histoire sainte.

[392] Wallis et Futuna, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie (qui n’est pas à proprement parler une collectivité d’outre-mer) et même le département de la Guyanne.

[393] L’article 7 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle a maintenu en application dans ces départements des articles du Code civil local dont ceux concernant le sujet qui nous intéresse. Ainsi, comme le souligne le Conseil d’État dans son arrêt du 6 avril 2001, «Le maintien en vigueur de la législation locale procède de la volonté du législateur ; que si, postérieurement à la loi précitée du 1er juin 1924, les Préambules des Constitutions des 27 octobre 1946 et 4 octobre 1958 ont réaffirmé les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, au nombre desquels figure le principe de laïcité, cette réaffirmation n’a pas eu pour effet d’abroger implicitement les dispositions de ladite loi» (Actualité juridique fonctions publiques, novembre-décembre 2001, p. 8).

[394] Il faut noter de plus que, dans ces départements, on se retrouve sous le régime des cultes reconnus, les ministres du culte étaient salariés par l’État, les principaux étant nommés par le président de la République.

[395] Dispense demandée par les 4/5es des effectifs au lycée (1/3 au primaire).

[396] Ch. Starck, Éducation religieuse et Constitution, Revue française de droit constitutionnel, janvier-mars 2003, no 53, p. 22.

[397] Il convient de souligner qu’en 1995, 90 % des élèves ont assisté au cours d’instruction religieuse catholique. De plus, on se doit de remarquer que les autres confessions peuvent envoyer leur propre personnel enseignant dans les écoles, ces derniers n’étant pas payés par l’État.

[398] Acordao 423/87 du 27 octobre 1987, source trouvée dans l’article de Ch. Starck, op. cit., p. 24.

[399] Ch. Starck, op. cit., p. 20 : «La Cour suprême a même estimé que les heures libres durant le temps de l’instruction, afin de rendre possible aux élèves la fréquentation de cours d’instruction religieuse en dehors de l’école, constituaient un manquement à l’interdiction de _ l’establishment of religion».

[400] Selon Thierry Paquot (L’espace public, La Découverte, collection « Repères », 2009, p. 3), l’espace public est non seulement le lieu du débat politique et de la confrontation des opinions privées auxquelles il est donné une certaine publicité mais aussi une pratique démocratique, une forme de communication et de circulation des points de vue. La référence à Jürgen Habermas, selon qui l’espace public est un espace intermédiaire entre l’espace privé et l’État et dans lequel s’échangent des idées (L’espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, 1978), est ici inévitable.

[401] En effet, l’ordre public n’est plus conçu comme un cadre d’exercice des droits et libertés, notamment de la liberté de religion, mais il intègre la conception que la « Société » se fait des limites à apporter à ces droits et libertés.

[402] La circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011 relative à la mise en oeuvre de la loi du 11 octobre 2010 indique en effet à titre liminaire que « Se dissimuler le visage, c’est porter atteinte aux exigences minimales de la vie en société. Cela place en outre les personnes concernées dans une situation d’exclusion et d’infériorité incompatible avec les principes de liberté, d’égalité et de dignité humaine affirmés par la République française ».

[403] Cass. crim, 1er septembre 2010, no 10-80584, Bull. crim. no 127 : a commis une infraction à caractère délictuel le maire qui a privé une élue du conseil municipal de son droit de parole au motif que celle-ci a, pendant la réunion du conseil, manifesté publiquement son appartenance à la religion chrétienne par le port d’une croix.

[404] Cass. crim., 5 mai 1997, no 96-81889 et 96-81462 : confirmant le délit d’entrave commis par des personnes s’étant agenouillées pour prier dans les locaux du service public hospitalier.

[405] CAA Paris, 12 mai 2005, Association Promouvoir et Association SOS Tout Petits, no 01PA02401, 01PA02711 : rassemblements organisés par des associations devant des hôpitaux pratiquant des avortements.

[406] TA Paris, 13 mai 2004, Association cultuelle des Témoins de Jéhovah de France, no 0411210, AJDA 2004, p. 1597, note G. Gonzalez : annulation du refus d’un maire d’autoriser une réunion des disciples de ce culte dans un stade, en l’absence de risque de trouble à l’ordre public local, le motif tiré des « dérives sectaires » du groupe ne permettant pas de caractériser un tel risque.

[407] CE, 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles, Rec. p. 250 : à propos des usagers d’un hôpital.

[408] Dans sa décision no 2010-613 DC du 7 octobre 2010 relative à l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, le Conseil constitutionnel consacre une réserve d’interprétation aux « lieux de culte ouverts au public » (considérant 5).

[409] Par exemple CAA Lyon, 24 septembre 2009, Meyer c/ Commune de Clessé, no 07LY00542.

[410] CE, 24 mai 1938, Abbé Touron, Rec. p. 462 : le ministre du culte détient un pouvoir de « garde et de police de l’église en vue d’assurer aux fidèles l’exercice de leur religion ».

[411] Communauté urbaine du Mans-Le Mans métropole, req. no 309161, Rec. p. 393.

[412] L’autre condition est la suivante : le droit d’utiliser l’équipement doit être concédé dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.

[413] X. Domino et A. Bretonneau, Le sacré et le local, AJDA 2011, p. 1667.

[414] La voie publique comprend principalement les rues, trottoirs, parcs, places, parkings et jardins publics, tous lieux appartenant au domaine public et affectés à l’usage du public. Selon l’article L. 111-1 du Code de la voirie routière, la voie publique se définit par son ouverture à la circulation publique. Selon la Cour de cassation, la voie publique comprend « tout passage accessible, route ou chemin, ouvert au public » (Cass. 3e civ., no 08-14640, AJDI 2009 p. 742).

[415] Rapport fait le 4 mars 1905 au nom de la commission relative à la séparation des Églises et de l’État et à la dénonciation du Concordat, no 2302, Chambre des députés, annexe au procès-verbal de la deuxième séance du 4 mars 1905, Edouard Cornély, éd., Paris, 1905, p. 332.

[416] G. Le Bras, Conseil d’État, Etudes et documents, 1950, p. 65.

[417] Pour des cortèges et processions : CE, 26 mars 1920, Boutheux, Rec. p. 331 ; 3 décembre 1954, Rastouil, Rec. p. 639, AJDA, 1955, II bis, p. 6, chron. M. Long ; pour un convoi funèbre : CE, 19 février 1909, Abbé Olivier, Rec. p. 181.

[418] 4 février 1938, Abbé Nicolet, Rec. p. 128 : illégalité de l’exigence d’une autorisation ; 2 mars 1934, Abbé Prothée, Rec. p. 1235 : illégalité de l’exigence d’une déclaration préalable.

[419] CE, 28 octobre 1931, Abbé Neauport, Rec. p. 910 ; 12 novembre 1931, Abbé Billard, Rec. p. 973.

[420] 4 juin 1927, Abbé Sablé, Rec. p. 661.

[421] 23 mars 1923, Abbé Duval, Rec. p. 279 ; 9 mars 1929, Abbé Pléneau, Rec. p. 285.

[422] 4 juin 1927, Abbé Sablé, précitée.

[423] CE, 11 février 1927, Abbé Veyras, Rec. p. 176 : procession ayant lieu depuis 77 ans.

[424] CE, 25 janvier 1928, Mgr Le Fer de la Motte, Rec. p. 107 : 18 ans d’interruption ; 23 novembre 1928, Mgr Chassagnon, Rec. p. 124 : 46 ans ; 10 février 1933, Abbé Picaud : 51 ans ; 25 février 1949, Gissot : 48 ans.

[425] 5 août 1921, Boulze, Rec. p. 819 ; 7 avril 1922, Dacheux, Rec. p. 337 ; 4 juillet 1924, Guerle, Rec. p. 640.

[426] 17 novembre 1922, Giraud, Rec. p. 835 ; 9 mars 1923, Rousset, Rec. p. 227 ; 20 mars 1925, Pouzineau, Rec. p. 288.

[427] CE, 2 juillet 1947, Guiller, Rec. p. 293 : interdiction jugée légale de la procession dite du « Grand Retour » à Choisy-le-Roi, laquelle ne se rattachait à aucun usage local et pouvait susciter des troubles comme il en avait été constaté dans les paroisses limitrophes.

[428] CE, 5 mars 1948, Jeunesse indépendante chrétienne féminine, Rec. p. 121 : à propos d’une messe en plein air, dans les jardins du palais de Chaillot.

[429] 29 juillet 1950, Abbé Portes, Rec. p. 483.

[430] CAA Nantes, 4 février 1999, Association civique de Joué-Langueurs et autres, Rec. p. 498 : apposition d’un crucifix dans la salle du conseil municipal et de célébration des mariages.

[431] CE, 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles, Rec. p. 250.

[432] CE Section, 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute-Garonne, Rec. p. 153, JCP, 1973, II, no 17446, note F. Bouyssou.

[433] CE, 8 avril 1911, Abbé Anselme, Rec. p. 164.

[434] CE, 23 décembre 1927, Demoiselle Lucien, Rec. p. 257.

[435] CE, 21 janvier 1910, Gonot, Dalloz, 1911, III, p. 135, conclusions Saint-Paul.

[436] Il appartient aux personnes publiques d’assurer l’entretien et la conservation des édifices du culte dont elles sont propriétaires, sous peine d’engager leur responsabilité : CE 10 juin 1921, Commune de Monségur, au Recueil p. 573 ; 18 janvier 1946, Epoux Fouchy, au Recueil p. 22 ; 20 avril 1966, Ville de Marseille, au Recueil p. 266.

[437] CEDH, 23 février 2010, no 41135/98.

[438] CEDH, 26 juill. 2007, no 10519/03, Barankevitch c/ Russie.

[439] Que ce soit pour interdire toute manifestation de la part des agents (CEDH, 15 février 2001, Dahlab c/ Suisse, no 42393/98) ou pour limiter certaines manifestations de la part des usagers (30 juin 2009, Aktas c/ France, no 43563/08).

[440] Grande chambre, 18 mars 2011, no 30814/06, JCP A, juillet 2011, no 2251, note F. Dieu.

[441] Cass. crim., 5 mars 2013, no 12-80891, à publier au bulletin.

[442] La circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011 indique ainsi que : « Constituent des lieux ouverts au public les lieux dont l’accès est libre (plages, jardins publics, promenades publiques…) ainsi que les lieux dont l’accès est possible, même sous condition, dans la mesure où toute personne qui le souhaite peut remplir cette condition (paiement d’une place de cinéma ou de théâtre par exemple) », ajoutant que « Les commerces (cafés, restaurants, magasins), les établissements bancaires, les gares, les aéroports et les différents modes de transport en commun sont ainsi des espaces publics ». cf. F. Dieu, Dissimulation du visage : la confirmation d’une interdiction de large portée. — À propos des circulaires du 2 mars 2011 et du 31 mars 2011, JCP A du 11 avril 2011, no 2144.

[443] Évoquons à cet égard les bureaux de poste et les véhicules assurant le service public du transport en commun de voyageurs lorsque ce transport est pris en charge, via une délégation de service public, par une personne privée, ce qui est très souvent le cas.

[444] Journal officiel du 7 décembre 1996, page 17835.

[445] No 84-91046, Bull. crim. no 176.

[446] Lieux que certains qualifient de « lieux publics par destination », dès lors que leur accessibilité ne présente pas un caractère absolu et permanent, contrairement à ce qu’il en est de la voie publique, l’accès étant soumis soit à des conditions générales d’admissibilité (âge, paiement d’un prix), soit à des limitations temporelles (jours et horaires d’ouverture). Cf. R. Hanicotte, « Espace public, impasse des libertés », JCP A du 2 juillet 2012, no 2227.

[447] Circulaire du 31 mars 2011 du ministre de l’intérieur, p. 4.

[448] Est déloyal le fait de recueillir « des adresses électroniques personnelles de personnes physiques sur l’espace public d’internet, ce procédé faisant obstacle à leur droit d’opposition » (Cass. crim., 14 mars 2006, no 05-83-423 : Bull. crim. 2006, no 69 ; Comm. com. électr. 2006, comm. 131, note A. Lepage ; RLDI mai 2006, no 471, note Leclainche ; RLDI juin 2006, no 498, note Belloir).

[449] En effet, celle-ci indique que « la loi ne confère en aucun cas à un agent le pouvoir de contraindre une personne à se découvrir ou à sortir » et que « L’exercice d’une telle contrainte constituerait une voie de fait et exposerait son auteur à des poursuites pénales » : face à une personne refusant de se dévoiler, les agents devront donc « faire appel aux forces de la police ou de la gendarmerie nationales, qui peuvent seules constater l’infraction, en dresser procès-verbal et procéder, le cas échéant, à la vérification de l’identité de la personne concernée ». Le personnel des services publics n’a donc pas vocation à se transformer en police anti-voile, de même d’ailleurs que les chefs des établissements publics d’enseignement vis-à-vis des élèves.

[450] L’article L 141-5-1 prend place dans le titre IV, intitulé « La laïcité de l’enseignement public » du livre 1er du Code de l’éducation.

[451] Rappelons à cet égard le considérant 4 de la décision du Conseil constitutionnel no 2010-613 DC du 7 octobre 2010 : « Considérant que les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu’il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ; qu’en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public ».

[452] En effet, selon l’article 4 de la loi relatif à la « dissimulation forcée du visage », article créant l’article L. 225-4-10 du Code pénal : « Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. / Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende. »

[453] Aux termes de cet article : « […] La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société ».

[454] Au point que celui-ci incarne la « Société ».

[455] Cf. sur ce point l’analyse d’O. Cayla : « Débat autour de la décision du Conseil constitutionnel no 2010-613 DC du 7 octobre 2010 », Recueil Dalloz, 2011, p. 1166.

[456] Comme l’écrit Anne-Marie Leroyer (Circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, RTD. civ., 2011, p. 399) : « Il ne s’agit plus d’identifier civilement la personne pour des raisons de sécurité publique, mais de l’identifier socialement parce que telle serait la règle de la vie en société ».

[457] M. Lacaze, « La contravention du port d’une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public : incertitude des fondements juridiques, incohérence des catégories pénales », Droit pénal, no 2, février 2012, étude 5.

[458] Et la doctrine a relevé le contrôle très restreint sur Conseil constitutionnel sur les actes de ce législateur incarnation de la « Société » : « […] le législateur est ainsi l’alpha et l’oméga, à la fois objet du contrôle et source de celui-ci puisque [c’est lui] qui est à la source de la définition de l’ordre public » (M. Verpeaux, « Dissimulation du visage, la délicate conciliation entre la liberté et un nouvel ordre public », AJDA, 2010, p. 2373). Est en effet confiée au législateur la détermination du contenu d’une exigence constitutionnelle à travers cette nouvelle notion d’ordre public.

[459] Selon les informations du ministère de l’intérieur, au 30 mars 2012, la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) a réalisé 319 contrôles qui ont donné lieu à 277 verbalisations, 37 avertissements et 5 convocations. Sur les 215 contrevenants ayant fait l’objet d’un contrôle, 50 personnes l’ont été au moins à deux reprises. Parmi ces contrevenants figurent 4 individus de sexe masculin s’étant dissimulé le visage. L’application de la loi n’a donc pas concerné que le port de la burqa. A ces chiffres, il faut ajouter ceux de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, qui a procédé depuis l’entrée en vigueur de la loi à 31 contrôles et à 21 verbalisations au 3 avril 2012. Parmi les 215 personnes contrôlées, une grande majorité d’entre elles sont nées en France (159). Les personnes nées à l’étranger viennent principalement du Maghreb (38) ou de Turquie (5). Seules deux femmes sont issues de la communauté subsaharienne (Mali). En ce qui concerne l’âge des contrevenantes, cinq d’entre elles étaient mineures lors de leurs verbalisations. Parmi les personnes majeures, 14 % sont âgées de 18 à 20 ans et la plupart — 51 % — ont entre 21 et 30 ans. Sur le plan géographique, 35 % des contrôles (112 sur 319) ont été réalisés dans les départements de la grande couronne parisienne (dont 65 dans le département des Yvelines, 26 en Seine-et-Marne, 14 dans l’Essonne et 7 dans le Val d’Oise). Les autres contrôles ont été opérés dans les régions de Provence-Alpes-Côte-d’Azur (notamment dans les départements des Alpes-Maritimes et des Bouches-du-Rhône) et Rhône-Alpes (départements du Rhône, du Puy-de-Dôme et de l’Isère), ainsi que dans la région Nord-Pas-de-Calais (département du Nord). Certaines verbalisations ont été suivies de condamnations prononcées par les tribunaux à l’encontre de femmes dissimulant entièrement leur visage. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, des condamnations ont déjà été prononcées par la justice. Des contrevenantes ont ainsi été condamnées au paiement d’amendes allant de 30 à 150 euros. Par ailleurs, lorsque l’option était offerte par le juge entre le paiement de l’amende ou l’accomplissement d’un stage de citoyenneté, la plupart des contrevenantes ont préféré payer l’amende.

[460] Assemblée nationale, 1re séance du 11 janvier 2012, propos de Claude Guéant.

[461] JO Sénat, comptes-rendus, 15 septembre 2010, p. 6761.

[462] Nous nous permettons de renvoyer ici à notre article décrivant la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 27 juillet 2008, Mme Mabchour, no 286798, pp. 737 et 743) en la matière, laquelle, sur le fondement du Code civil, oppose à la liberté d’expression religieuse non plus le traditionnel ordre public, qui n’est que matériel et résiduel, mais les valeurs de la communauté française méconnues par la seule pratique radicale d’une religion : La pratique religieuse peut-elle être un obstacle à l’acquisition de la nationalité française ? Des rapports conflictuels entre l’islam et la république : Droit et religions, annuaire 2009 — 2010, volume 4, p. 345, presses de l’Université d’Aix-Marseille III.

[463] CE 21 décembre 2007, Naïmi, no 297355, AJDA 2008, p.372.

[464] Cass. soc., 19 mars 2013, no 12-11690, à publier au bulletin ; JCP A, 29 avril 2013, no 2131, note F. Dieu.

[465] Cette proposition reprend donc largement les préconisations du Haut Conseil à l’intégration dans son avis du 1er septembre 2011, avis dans lequel ce dernier a opéré une distinction entre la sphère publique où s’appliquent, avec rigueur, les principes de laïcité et de neutralité, l’espace social où s’exercent pleinement les libertés publiques, mais dans les limites de l’exercice des libertés d’autrui et du respect de l’ordre public et le domaine privé qui est un espace de pleine liberté. L’avis recommande d’insérer dans le Code du travail deux articles autorisant les entreprises à intégrer dans leur règlement intérieur d’une part des dispositions relatives aux tenues vestimentaires, au port de signes religieux et aux pratiques religieuses dans l’entreprise (prières, restauration collective…) au nom d’impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou la paix sociale interne et d’autre part une disposition promouvant la neutralité religieuse dans l’entreprise. Le Haut Conseil à l’intégration estime également nécessaire une intervention du législateur dans le domaine particulier de la prise en charge de la petite enfance, qu’il s’agisse du secteur associatif ou de l’entreprise et il propose sur ce point d’affirmer que les personnels des établissements privés associatifs ou d’entreprises qui prennent en charge des enfants, sur un mode collectif, dans des crèches ou haltes-garderies ou, pour les enfants en situation de handicap, dans des établissements spécialisés du secteur privé — hors les structures présentant un caractère propre d’inspiration confessionnelle — se doivent d’appliquer les règles de neutralité et d’impartialité.

[466] Cass. soc., 19 mars 2013, no 11-28845, à publier au bulletin ; JCP A, 29 avril 2013, no 2131, note F. Dieu.

[467] TA Montreuil, 22 nov. 2011, no 1012015, Osman : JCP A 2011, 2384.

[468] Marqué par des bâtiments chrétiens et des manifestations religieuses chrétiennes.

[469]  Vincente Fortier, « Les incertitudes juridiques de l’identité religieuse », RDUS, 2008, https://www.usherbrooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/RDUS/volume_38/38-2-fortier.pdf

[470] J.-Fr. Kervégan, Les droits de l’Homme, Notions de philosophie, t. III, Gallimard, Folio, 1995.

[471] A.-G. Slama, La régression démocratique, Perrin, Tempus, 2002.

[472] J. Carbonnier, note sous T. civ. Briançon, 6 janv. 1948, D. 1948.579

[473] sur ces relations, V. J. Carbonnier, La religion, fondement du droit ?, Arch. philo. dr. 1993.17 ; C. Duvert, Droit et religion(s) : genèse et devenir d’un rapport méconnu, RRJ 1996.737.

[474] Fassin 2002, Calvès 2002, Amiraux & Simon 2006.

[475] Bouchard et Taylor 2008: 134-6

[476] Selby 2012: 169.

[477] Casanova 1994, Taylor 2007, Asad 2003.

[478] Kuru 2009: 7

[479] Amiraux & Guiraudon 2010.

[480] Levy, Cole & Le Galès 2008

[481] Laborde 2001.

[482] A. Boyer, Le droit des religions en France, PUF, 1993 ; G. Koubi, Vers une évolution des rapports entre ordre juridique et systèmes religieux ?, JCP 1987. I.3292

[483] J.-D. Bredin, La religion de l’enfant, D. 1960. 73), de constater le préjudice de la femme à qui le mari refuse de délivrer le gueth (Civ. 2e, 12 déc. 1994, Bull. civ. II, n° 262, p. 152 ; 15 juin 1988, Bull. civ. II, n° 146, p. 78 ; 13 déc. 1972, D. 1973.493, note Chr. Larroumet ; V. les intéressantes réflexions de L. de Naurois, note au JCP 1960.II. 11632

[484] Civ. 2e, 21 avr. 1982, Bull. civ. II, n° 62, p. 44, RTD civ. 1984.114, obs. crit. G. Durry ; 21 nov. 1990, D. 1991.434, note E. Agostini, plus critique encore

[485] G. Koubi, Droit et religions : dérives ou inconséquences de la logique de conciliation, RD publ. 1992.725

[486] Soc. 20 nov. 1986, JCP 1987.II.20798, note Th. Revet

[487] Ass. plén. 19 mai 1978, D. 1978.541, note Ph. Ardant, JCP 1979.II.19009, note R. Lindon.

[488] Paris, 25 mai 1990, D. 1990.596, note J. Villacèque.

[489] Soc. 17 avr. 1991, JCP 1991.II. 21724, note A. Sériaux ; pour une approbation, V. J. Savatier, Le licenciement, à raison de ses moeurs, d’un salarié d’une association à caractère religieux, Dr. soc. 1991. 485

[490] Saint-Denis, 9 sept. 1997, D. 1998.546, note S. Farnocchia.

[491] Soc. 24 mars 1998, Bull. civ. V, n° 171, p. 125

[492] R. Rémond, La fille aînée de l’Eglise, Les lieux de mémoire, t. III, Les France, 3, Gallimard, 1992, p. 541

[493] P. Coulombel, Le droit privé français devant le fait religieux depuis la séparation des Eglises et de l’Etat, RTD civ. 1956.1, et p. 35 et s.

[494] V. Rassat, eod. Loc.

[495] V. Crim. 4 déc. 1891, DP 1892.1.139 : le secret canonique de la confession n’est pas retenu comme tel, mais le fait religieux est pris en considération dans la mesure des besoins de l’ordre étatique ; adde, M. Robine, Le secret professionnel du ministre du culte, D. 1982.221

[496] Cour EDH 20 juill. 2001, Pellegrini, RTD civ. 2001.986, obs. J.-P. Marguénaud.

[497] TGI Caen, 4 sept. 2001, D. 2002.Somm.1803, obs. G. Roujou de Boubée et chron. Y. Mayaud, La condamnation de l’évêque de Bayeux pour non-dénonciation, ou le tribut payé à César…, D. 2001.3454

[498] H. Moutouh, Secret professionnel et liberté de conscience : l’exemple des ministres du culte, D. 2000.431

[499] Civ. 2e, 29 mars 1989, D. 1990.45, note M. Robine

[500] Cette interprétation “primordialiste” d’abord développée par C. Geertz (” The integrative revolution – Primordial sentiments and civil politics in the new states “, in C. Geertz (ed.), Old societies and new states – The quest for modernity in Asia and Africa, New York, The Free Press of Glencoe, 1963, pp. 105-157) a acquis une branche extrême que les pères fondateurs désapprouveraient sans aucun doute à travers l’approche sociobiologique représentée notamment par P. Van Den Berghe (voir notamment de cet auteur “Race and ethnicity : a sociobiological perspective”, Ethnic and racial studies, vol. 1, oct. 1978.)

[501] L. Dumont, “Nationalisme et communalisme”, appendice D à Homo Hierarchicus, Paris, Gallimard, 1966, p. 378.

[502] M. Mauss, “La nation”, in Oeuvres, tome 3, Paris, Minuit, 1969, pp. 573-625.

[503] L. Dumont, Essais sur l’individualisme, Paris, Le Seuil, 1983, pp. 115-131.

[504] G. Koubi, « La laïcité dans le texte de la Constitution », op. cit., p. 1302.

[505] J.-H. Prélot, « Les religions et l’égalité », cette Revue 2001, p. 738.

[506] J. ROBERT, Libertés publiques, Paris, Montchrestien, 1977, p. 361.

[507] J.-H. Prélot, « Les religions et l’égalité », op. cit., pp. 738-739.

[508] Loi du 13 juillet 1806. Le législateur précisera ce choix comme résultant d’un « fait sociologique qui prévaut dans toute société de tradition chrétienne ».

[509] Précisons que la technique des aménagements particuliers est à la base de l’organisation des cultes au XIXe siècle avec le système de reconnaissance mis en place initialement pour le culte catholique et qui fut ensuite étendu au culte protestant par les articles organiques et au culte israélite par deux décrets impériaux du 10 décembre 1806 et du 11 décembre 1808. En outre, le régime des exceptions à la laïcité est interne au droit français : la région d’Alsace-Moselle reste soumise au régime du culte catholique reconnu, la loi de 1905 n’ayant pas trouvé à s’y appliquer après 1918. Enfin, le système des aumôneries constitue une exception à l’article 2 de la loi de 1905 qui postule l’interdiction des subventions aux cultes, mais admet des dépenses relatives à des services d’aumôneries afin de permettre le libre exercice des cultes dans les Établissements publics, les lycées, collèges, prisons, et hôpitaux… Cf. à ce propos, C.-A. COLLIARD, Libertés publiques, op. cit., notamment la partie concernant la question des subventions, p. 447.

[510] Élaborée pour mettre fin à la querelle des clochers entre le maire et le curé.

[511] En outre, l’article 27 de la loi de 1905 confère une compétence de droit commun au maire pour régler les sonneries religieuses dans l’intérêt de l’ordre et de la sécurité publics. Cf. C.-A. COLLIARD, Libertés publiques, op. cit., notamment le paragraphe sur les sonneries de cloche, pp. 452-453.

[512] Article 13 de la loi de 1905, et la loi du 2 janvier 1907.

[513] CE, 19 octobre 1990, Association Saint Pie V et Saint Pie X de l’orléanais, cette Revue 1990, pp. 1874-1880.

[514] Cf. CE, 1er février 1985, Association chrétienne « les Témoins de Jéhovah de France », Rec. CE, p. 22.

[515] Le respect de l’ordre public est un des fondements essentiels de l’action régulatrice des pouvoirs publics à l’endroit des religions. À cet égard, un contrôle est exercé sur les activités qualifiées de sectaires. Le problème principal est que des critères permettant de définir la dangerosité d’un mouvement religieux font défaut. Aussi, a priori, seule la manipulation de conscience apparaît comme un critère de sélection. Le Rapport GEST élaboré par la commission d’enquête parlementaire sur les sectes en 1995 propose une liste de sectes mais sans que les critères usités pour les classer comme telles ne soient indiqués. Aussi la distinction entre des mouvements perçus comme sectaires et des minorités religieuses n’est pas évidente. À cet égard, le rôle régulateur du juge est décisif : Cf. CE, 14 mai 1982, Association internationale de la conscience de Krishna, D. 1982, p. 516. Un arrêté préfectoral avait interdit l’accès à un immeuble où se déroulaient des cérémonies religieuses du culte de Krishna. Le Conseil d’État avait indiqué que si le préfet de police « avait le pouvoir de veiller, par des mesures appropriées, au respect de la tranquilité publique par des adeptes du culte krisnaïte, il ne pouvait, en revanche, sans porter une atteinte illégale à la liberté des cultes, (leur) interdire toute cérémonie et tout office religieux ».

[516]  CE, 25 novembre 1994, Association cultuelle israélite Che are Shalom Ve Tsedek, AJDA, 1995, p. 476, deux espèces.

[517] Cf. à ce propos, B. Basdevant-Gaudemet, « Le statut juridique de l’islam en France », cette Revue 1996, pp. 355-384.

[518] C. GEFFRE, « Laïcité, liberté religieuse et pluralisme religieux », in Colloque Genèse et enjeux de la laïcité, Faculté de théologie protestante de Montpellier, 2 et 3 mars 1990, Labor et Fides, 1990, p. 160.

[519] E. PION L’avenir laïque, Paris, l991, p. 119.

[520] R. REMOND, « La laïcité n’est plus ce qu’elle était », op. cit., p. 445.

[521] Circulaire Bayrou du 20 septembre 1994.

[522] Cf. à ce propos le Rapport « Laïcité et République » de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République présidée par B. Stasi, du 11 décembre 2003, Documentation française, Paris, 2004, pp. 31-33.

[523] Lors de l’élaboration du projet de Constitution européenne, le problème de la laïcité et de la liberté religieuse devait nécessairement être abordé. Toutefois, le texte devait inclure la diversité européenne des systèmes juridiques, laïques ou non, et les traditions religieuses de chaque État. Sans parler d’héritage chrétien, terme jugé par certains comme étant trop restrictif et par d’autres comme l’expression d’un laïcisme anti-religieux, a été inscrit dans le préambule du projet : « héritages spirituels ». Cf. à ce sujet J.-L. Clergerie, « La place de la religion dans la future Constitution européenne », cette Revue 2004, pp. 739-754.

[524] Soulignons ici que la main de Fatma n’est pas un signe religieux au moins dans les États du Maghreb. Elle constitue un porte-bonheur.

[525] Définition du Petit Robert.

[526] Ibid.

[527] Ibid.

[528] Le texte du projet de loi, en son article premier, a préféré l’expression suivante « les signes et tenues qui manifestent ostensiblement l’appartenance religieuse (…) ». Le Conseil d’État, dans son avis, ne s’est pas prononcé sur la question du choix entre les adjectifs « ostentatoire », « ostensible » ou « visible ». Messieurs Long et Weil ont précisé que « la prohibition des signes visibles pourrait contrevenir à l’article 9 CEDH » in Le Monde du 27 janvier 2004.

[529] Rappelons qu’alors que la séparation de l’Église et de l’État et donc la laïcité se sont fixées en 1905, dès après 1920 les idéologies matérialistes et marxistes ont commencé la montée vers leur apogée. Ce contexte de développement idéologique a eu pour conséquence le fait que de nombreux chercheurs ont extrapolé la montée des idéologies matérialistes sur une exagération, c’est-à-dire que selon eux l’avenir serait forcément socialiste. Or, aujourd’hui nous sommes en plein coeur du libéralisme. En pensant que l’idéologie était l’avenir irréversible, ces intellectuels ont enterré la religion participant à ce qui fut appelé la théorie de la période post-historique. Or, nous avons assisté à un retour en force du besoin religieux et de l’inquiétude métaphysique voire « intégriste » antireligieuse relayant la chute des idéologies. Cette renaissance des religions par le besoin de croire, d’être rassuré par l’immuable a été accompagnée d’une contestation hargneuse de toute visibilité religieuse et d’un esprit laïcard offensif athée. Alors que l’on a assisté à un déclin des religions traditionnelles en termes de nombre de pratiquants ce, parallèlement à une floraison de cultes nouveaux généralement « importés » dont l’islam mais aussi le bouddhisme par exemple, le besoin religieux a fait un retour en force dans le cadre de la recherche de « choses » primaires et rassurantes, d’où le développement des sectes (Moon, temple du soleil, scientologie).

[530] Citation du Président de l’Union des étudiants juifs de France, Yonathan Arfi, in Le Monde du 2 janvier 2004.

[531] Nous pouvons ici faire un parallèle avec la Turquie dont l’adhésion à l’Union européenne a été examinée en décembre 2004 : Alexandre Del Valle précise à propos de la portée du triomphe des islamistes dits modérés aux élections de novembre 2002 et de la politique de son leader Recept Tayyip Erdogan, actuel premier Ministre, que la thèse de la modération actuelle est conjoncturelle et n’a comme unique objectif l’adhésion à l’Union européenne. L’auteur souligne « Galvanisés par les grands succès électoraux du mouvement islamiste des années 1990, Erdogan et les autres maires fondamentalistes tenteront de faire interdire les maisons closes, l’accès aux hôtels par les couples non mariés, les boissons alcoolisées, le port des minijupes ou encore la loterie… (…). Mais c’est surtout à travers la lutte pour le “droit au foulard” islamique qu’il continuera de satisfaire son électorat fondamentaliste tout en prétendant se démarquer de l’Islam politique (…). Erdogan est conscient que le thème du “turban”, dès lors qu’il est formulé au nom de la liberté individuelle et du “droit à la différence” et non en celui de la Charia, permet non seulement de fidéliser la base islamiste radicale et les milieux religieux, mais également de susciter la sympathie de nombreux démocrates européens (…) » in A. Del Valle, « Turquie/UE : la porte étroite », Politique Internationale, Été 2004, no 104, pp. 156-159. Certains soutiennent qu’en France la revendication du port du voile au nom de la liberté individuelle et du droit d’expression des croyances religieuses est un élément précurseur, une brèche ouverte pour l’introduction d’autres règles islamiques intégristes.

[532] D’ailleurs, dans son rapport annuel largement consacré à la laïcité, le Conseil d’État précise que la demande de se faire soigner par un médecin du même sexe ne saurait prévaloir sur les contraintes du service public, comme le port du foulard ne saurait prédominer les exigences liées aux conditions et à la nature des soins.

[533] Ibidem. Le Conseil d’ État estime que « révélatrice des difficultés », la laïcité, à l’école, impose la neutralité des programmes alors même que l’État ne peut ignorer le droit à l’instruction religieuse des enfants.

[534] D’ailleurs, J. Robert considère qu’il s’agit « d’un texte d’exclusion » : « C’est vraiment prendre le peuple soi-disant le plus intelligent de la terre pour un rassemblement de “gogos” que d’essayer de lui démontrer _ avec conviction ? _ qu’un texte qui interdit, dès la rentrée scolaire prochaine, le port de la kippa juive et du voile islamique en eux-mêmes (parce qu’ils seraient par nature “ostensibles”) et non les petites croix chrétiennes discrètes, n’est en aucune manière discriminatoire ! », in J. Robert, « Cacophonie », cette Revue 2004, p. 310.

[535] Rappelons toutefois que la loi inverse la donne juridique. En effet, jusqu’alors la liberté était considérée comme le principe et l’interdiction l’exception. Le nouveau texte fait de cette dernière le principe. L’article 34 de la Constitution fonde la compétence exclusive du législateur en matière de restriction d’une liberté fondamentale.

[536] Le projet de loi fut adoptée par 394 députés de l’Assemblée nationale et 36 contre. Le texte « Loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » fut promulgué le 15 mars 2004 ; loi no 2004-228, JO du 17 mars 2004, p. 5190.

[537]  « On peut lire sous la plume du rapporteur du projet à l’Assemblée nationale que “cette loi permettra de rétablir un juste équilibre entre une liberté de conscience qu’il n’est ni question de remettre en cause, ni d’affaiblir et un principe de laïcité que l’on souhaite ouvert et tolérant. Il s’agit concrètement d’inverser la logique d’appréciation de l’équilibre entre les deux libertés en cause et de clarifier le régime juridique. Le principe devient l’interdiction du port de signes religieux par lequel les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse mais il laisse place à la manifestation légitime de croyances religieuses quand elle est discrète”. Subtil équilibre qui risque de s’avérer très fragile et même dangereux s’il a pour effet à terme de favoriser le pluralisme scolaire et de réserver l’école publique aux partisans des “interdits” » in P. Jan, « La laïcité à l’école : le droit national contre le “droit local”, op. cit., p. 304.

[538] Finalement, la version définitive de la circulaire a maintenu la possibilité de porter des tenues traditionnelles. Mais, cette disposition est limitée géographiquement à Mayotte et à la Réunion.

[539] P. Jan, « La laïcité à l’école : le droit national contre le “droit local” », op. cit., p. 304.

[540] J. Robert écrit à propos du rapport de la Commission Stasi : « Dès le départ sa tâche était impossible. Parce que le problème posé n’avait pas été assez mûrement réfléchi et que tout était (…) mélangé et biaisé », in J. Robert, « Cacophonie », op. cit., p. 309.


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