Cet exemple de mémoire vise à vous donner un aperçu des attentes académiques relatives à la rédaction de mémoire dans ce domaine de compétence.
La réécriture du mythe d’Iphigénie dans les œuvres d’Euripide (Iphigénie à Aulis), de Racine (Iphigénie), de Johnson (The Victim)
Sommaire
INTRODUCTION
Première partie: La notion de réécriture au théâtre
- Brève histoire de la réécriture au théâtre (de la tragédie grecque antique à la littérature contemporaine du XXème siècle)
- Définition et portée de la réécriture au théâtre
- La réécriture au théâtre basée sur l’exemple de la tragédie grecque antique
- La réécriture au théâtre basée sur l’exemple de la littérature contemporaine du XXème siècle
- Les formes de réécriture au théâtre (basées sur l’ouvrage de Marie-Claude Hubert : Les formes de la réécriture au théâtre)
- Le mythe, essence de la réécriture au théâtre: le mythe d’Iphigénie au théâtre à travers les trois réécritures d’Euripide, de Racine et de Johnson
- La manifestation de la réécriture à travers le théâtre
- La perception de la réécriture (la réécriture comme transformation du texte ou du récit)
- Une perception positive de la réécriture
- Une perception négative de la réécriture
Deuxième partie: La réécriture du mythe ou les variants et les invariants du mythe
- Les invariants du mythe d’Iphigénie
- Les variants du mythe d’Iphigénie
- La transposition du mythe antique d’Euripide chez Racine et Johnson
Troisième partie: Le mythe d’Iphigénie: un mythe purement littéraire?
- La place du mythe dans la littérature : exemple illustré d’Iphigénie
- Le mythe à travers le théâtre
- Qu’est-ce qu’un mythe ? Impact du mythe sur la société
- La réception du mythe littéraire d’Iphigénie
- La place du lecteur vis-à-vis du mythe : interaction et interdépendance entre mythe littéraire et présence du lecteur
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Première partie: La notion de réécriture au théâtre
- Brève histoire de la réécriture au théâtre (de la tragédie grecque antique à la littérature contemporaine du XXème siècle)
- Définition et portée de la réécriture au théâtre
Généralement, la réécriture décrit l’action de réécrire, c’est-à-dire de choisir un mythe, un livre, une pièce de théâtre ou un simple article et d’écrire une nouvelle histoire à partir de ce dernier. La réécriture a déjà existé depuis les temps anciens, à l’exemple de nombreux ouvrages traitant de la mythologie grecque dont les écrits ont pour source des mythes originaux.
La littérature est indissociable de la réécriture. Cela se manifeste surtout dans les réécritures des mythes dont les auteurs restent inconnus et qui sont réécrits et transformés pour correspondre à l’époque à laquelle la réécriture a lieu. A titre d’exemple, nous pouvons prendre le mythe d’Iphigénie dont la réécriture par Racine effectuée au XVIIe siècle est plus adaptée aux mœurs et coutumes de cette époque qu’à celle où le mythe a commencé à se propager.
La réécriture est également associée au plagiat, comme le confirme Cocteau (1922) : « Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue.1 ». En effet, The Victim de Johnson est une réécriture du mythe d’Iphigénie empruntant plusieurs passages à l’œuvre de Racine intitulée Iphigénie. Cet emprunt peut être vu comme une forme de plagiat car plusieurs passages d’Iphigénie sont retranscris tels quels dans The Johnson, mais dans la langue anglaise.
Ainsi, la réécriture suscite donc la transformation d’une œuvre ou d’un mythe pour des raisons propres à l’auteur, soit dans une fin d’amélioration ou bien de changement radicale du texte tout en conservant uniquement le fond de l’histoire.
Dans la réécriture, un roman peut subir une transstylisation, cela signifie que le style de l’écriture est changé. C’est le cas d’une versification qui peut être opérée par l’auteur de la réécriture qui changera complètement le roman d’origine en poésie ou en pièce de théâtre. De même, une pièce de théâtre peut également être réécrite et reprise pour devenir une nouvelle, un récit fantastique, etc.
Dans ce contexte, nous pouvons voir que la réécriture est apparue au théâtre depuis son origine. On peut citer l’exemple de la tragédie grecque qui s’est fortement inspirée des différents mythes tels qu’Iphigénie, Ulysse, les dieux de la mythologie grecque, les épopées d’Homère2.
En parallèle, de nombreuses pièces de théâtre du Moyen-âge telles que les œuvres de Shakespeare sont issues de représentations et d’adaptations de plusieurs mythes, nouvelles, etc. dans un sens, nous pouvons avancer que la réécriture fait partie des fondements du théâtre puisque ces deux éléments sont indissociables. Pour illustrer ce propos, nous allons voir la réécriture au théâtre basée sur l’exemple de la tragédie grecque antique.
- La réécriture au théâtre basée sur l’exemple de la tragédie grecque antique
La tragédie grecque constitue le point de départ des réécritures. En effet, elle a produit les écrivains tragiques les plus fameux desquels les réécritures découlent, à savoir Sophocle (496 à 406 av. J.-C), Euripide (480 à 406 av. J.-C) et Eschyle (525 à 456 av. J.-C)3. Pour rappel, la tragédie grecque antique parle de la mythologie grecque qui narre les épopées de multiples héros aux pouvoirs fantastiques confrontés à un destin supérieur à celui des hommes. Ces héros sont des dieux, des demi-dieux ou des humains très puissants qui doivent franchir un nombre incalculable d’obstacles presque infranchissables et dont la force n’est pas comparable à celle des simples mortels.
La tragédie grecque antique trouve son fondement vers le V et le VIème siècle avant Jésus-Christ et naît d’une utopie religieuse. En effet, elle est issue des célébrations religieuses à l’effigie du dieu de la vigne, du vin et de ses excès : Dionysos. Le terme tragédie lui-même est issu de la composition de deux mots grecs : tragos signifiant bouc et ôdè signifiant chant.
La tragédie grecque antique repose sur le théâtre et sur le jeu d’acteur et l’intervention d’un chœur qui, en temps normal, chante pour marquer le passage d’un acte à un autre, comme on peut le voir dans Iphigénie à Aulis d’Euripide. A cette époque, le théâtre constituait un point de rencontre entre toutes les classes sociales et servait à la fois d’amusement, de transmission de savoir, de divertissement, etc.
Euripide, Sophocle et Eschyle peuvent être considérés comme les précurseurs de la tragédie grecque antique. En effet, ces trois écrivains antiques ont su faire des mythes des représentations théâtrales qui ont fait l’objet de plusieurs réécritures bien des siècles plus tard. Euripide était un écrivain tragique supposé être né à Salamine et dont les œuvres sont restées très peu récompensées malgré une écriture pointue et très sentimentale. Ses ouvrages les plus connus sont Alceste (438 av. J.-C.), Médée (431), Hippolyte (428), et Oreste (408).
Quant à Sophocle, il est né à Colone au sein d’une famille aisée dans laquelle il a pu s’épanouir pleinement, contrairement à Euripide qui a passé son enfance auprès d’une famille moyenne. L’écriture de Sophocle est contradictoire à celle d’Euripide puisqu’elle est plus proche de l’homme et narre son destin et le sort qu’il lui réserve. On doit à Sophocle des œuvres mythiques dont les principales sont Antigone, Électre, Œdipe roi et Œdipe à Colone.
Eschyle est considéré comme étant « le premier Tragique », c’est-à-dire comme premier représentant de la tragédie grecque antique. D’ailleurs, son œuvre « Les Perses » (472 av. J.-C.) est la plus ancienne tragédie grecque jamais découverte. La notoriété d’Eschyle dépasse de loin celle de Sophocle et d’Euripide et est plus affermie par le fait qu’il soit le premier dramaturge à mettre en scène des représentations nécessitant l’intervention d’acteurs en plus du chœur et du narrateur qui ont toujours été les seuls intervenants décrits dans le théâtre grec antique. Outre Les Perses, Eschyle a écrit des ouvrages de référence pour la tragédie grecque antique tels que les Sept contre Thèbes, datée de 467 av. J.-C., Laïos et Œdipe, Prométhée enchaîné, Prométhée délivré et Prométhée porte-feu.
Ces trois auteurs ne sont pas uniquement connus pour leurs œuvres principales, mais aussi par leur faculté de reprendre l’œuvre de l’auteur pour en changer la narration ou le récit. Il en est ainsi pour le mythe d’Oreste qui est repris par les trois auteurs. Dans ces trois réécritures, les personnages et leur trait de caractère et le déroulement de l’histoire même sont modifiés.
L’Orestie d’Eschyle est la version la plus ancienne. Il s’agit d’une trilogie écrite en 458 av. J.-C. basée sur une envie de vengeance exprimée par Clytemnestre envers Agamemnon pour avoir sacrifié leur fille Iphigénie afin de mobiliser sa flotte pour conquérir Troie. Clytemnestre attend donc le roi à Argos et Cassandre, une des esclaves d’Agamemnon qui, dans une vision, lui annonce sa propre mort et celle de son mari. Cassandre évoque également une vengeance par Oreste, fils d’Agamemnon4, suite à l’assassinat du roi par Clytemnestre et Egisthe.
La version d’Oreste écrite par Sophocle est supposée voir le jour en 414 av. J.-C. Dans cette réécriture, Agamemnon est déjà mort assassiné par Clytemnestre et son amant Egisthe qui finissent par s’emparer d’Argos et le gouverner5. La fille d’Agamemnon, Electre, est désespérée par la mort de son père et attend son frère pour venger le roi et l’arracher à sa vie devenue d’esclave6.
Quant à la version d’Euripide, cette dernière est la plus jeune des trois réécritures et a été écrite en 408 av. J.-C. Elle narre le destin d’Oreste qui, suite aux demandes de sa sœur, venge Agamemnon en tuant Clytemnestre et Egisthe.
Elle se focalise particulièrement sur la vie d’Oreste après qu’il ait commis l’assassinat, sur sa poursuite par les Erinyes, déesses du remord et par le pardon qu’elles finissent par lui accorder. Entre autres, ces déesses deviennent les Euménides suite à ce pardon, c’est-à-dire des bienfaisantes7.
Les versions d’Oreste écrites par Sophocle et par Euripide peuvent être considérées comme des réécritures de la pièce de théâtre de la trilogie d’Eschyle puisqu’elles constituent une suite à l’histoire écrite par ce dernier. Dans l’œuvre d’Eschyle, Clytemnestre et Egisthe meurent des mains d‘Oreste venu venger son père.
Dans cette version, le destin d’Achille est plus tragique et le désir de vengeance emporte sur l’amour. Selon les critiques de l’auteure Jacqueline de Romilly, l’Orestie d’Eschyle est basée sur le drame familial, la guerre et le désir de vengeance8. Des trois versions, celle d’Eschyle est la seule à raconter le meurtre d’Agamemnon par les deux amants et leur prise de pouvoir. La version de Sophocle commence après la mort d’Agamemnon et est basée sur le meurtre de Clytemnestre et d’Egisthe. Celle d’Euripide se passe après la mort de Clytemnestre et d’Egisthe.
Ces trois versions traitent du destin vengeur d’Oreste perçu comme étant le personnage principal de l’Orestie d’Eschyle et d’Oreste d’Euripide. Dans l’œuvre de Sophocle, Oreste est un personnage moins important qu’Electre sur laquelle toute l’histoire se concentre.
Outre l’exemple d’Oreste, la plupart des œuvres de ces trois grands auteurs ont été reprises et réécrites que ce soit au moyen-âge ou à l’époque contemporaine. On peut citer les multiples réécritures du mythe d’Œdipe écrit par Sophocle vers 430 et 420 avant J.-C. Pour rappel, les deux tragédies d’Œdipe, Œdipe Roi et Œdipe à Colone, relatent l’histoire d’Œdipe dont la prophétie annonce qu’il tuera son père et qu’il sera coupable d’inceste envers sa mère. Ce récit, repris à travers les temps, est une pièce de théâtre de laquelle des réécritures théâtrales modernes ont vu le jour.
Ainsi, les réécritures d’Œdipe sont également des pièces de théâtre. En voici quelques exemples :
- Œdipe de Sénèque en cinq actes
- Œdipe ou le roi boiteux de Jean Anouilh, pièce de théâtre écrite en 1978, étalée sur 96 pages et publiée en 1986 mais n’a jamais été représentée théâtralement.
- Oedipe de Pierre Corneille écrite en 1659 et répartie en cinq actes avec une première représentation à l’hôtel de Bourgogne le 24 janvier 1649
- Oedipe de Voltaire écrite en 1718 et répartie en cinq actes avec une première représentation à la Comédie-Française le 18 novembre 1718.
- La machine infernale de Jean Cocteau, pièce de théâtre relatant du destin tragique d’Œdipe écrite en 1932 et représentée pour la première fois le 10 avril 1934 à la Comédie des Champs-Elysées. Cette réécriture est l’une des plus modernes et reprend le mythe d’Œdipe dans un contexte plus humoristique et émouvant. Elle se décline en quatre actes.
D’autres mythes tels que celui d’Antigone dont la réécriture la plus fameuse reste celle de Jean Anouilh vers 1940 sont également largement réécrits. Les réécritures découlant de la trilogie « L’Orestie » d’Eschyle restent les plus connues et les plus variées. On cite les écrits ayant découlé de l’histoire, produits par Euripide : Iphigénie à Aulis (406 av. J.-C.) et Iphigénie en Tauride (414-412 av. J.-C.).
De l’Orestie découle également plusieurs réécritures telles que :
- Iphigénie de Racine écrite en 1674
- Oreste de Voltaire, pièce théâtrale de Voltaire composée de cinq actes et écrite en 1750,
- Electre de Sénèque écrite en 1834
- Electre de Jean Giraudoux, pièce théâtrale divisée en deux actes représentée pour la première fois en 1937 au théâtre de l’Athénée
- Les Mouches de Jean-Paul Sartre, théâtre créé en 1943 au Théâtre de la Cité.
La tragédie antique grecque n’a pas cessé d’inspirer les auteurs qui en ont créé plusieurs réécritures. Le mythe d’Orphée en est un exemple apparent et a suscité de nombreuses réécritures dont une version théâtrale « Eurydice » écrite par Jean Anouilh en 1942.
Ainsi, nous pouvons donc voir que les multiples réécritures découlent avant tout de la tragédie grecque antique dont les nombreux héros, dieux et demi-dieux ont fortement inspiré les auteurs. Suite à cet exemple basé sur la tragédie grecque antique, nous allons maintenant nous focaliser sur l’exemple de la réécriture à l’époque contemporaine durant le XXème siècle.
- La réécriture au théâtre basée sur l’exemple de la littérature contemporaine du XXème siècle
Le XXème siècle constitue une période de réécriture intense des mythes. En effet, les mythes d’Oreste, d’Antigone ou d’Electre restent les sources d’inspiration les plus plébiscitées par les écrivains. Il en est de même pour le mythe de Don Juan qui jouit d’une réécriture abondante et diversifiée dans la littérature contemporaine du XXème siècle.
Contrairement au développement du point précédent, le développement de cette partie suppose une réécriture du mythe au XXème siècle au lieu de l’inspiration que la tragédie grecque antique insuffle aux auteurs. A cette période, la réécriture se manifeste sous toutes ses formes, soit par l’usage et la présence de l’allusion, soit sous forme de parodie, de citation, etc.
Comme nous l’avons souligné précédemment, les différents mythes grecs sont très repris au XXème siècle. Dans le cadre du théâtre, on peut citer quelques réécritures que nous avons déjà évoquées auparavant :
- Œdipe ou le roi boiteux de Jean Anouilh, pièce de théâtre écrite en 1978,
- La machine infernale de Jean Cocteau, pièce de théâtre relatant du destin tragique d’Œdipe écrite en 1932
- Antigone de Jean Anouilh écrite en 1944
- Electre de Jean Giraudoux, pièce théâtrale divisée en deux actes représentée pour la première fois en 1937 au théâtre de l’Athénée
- Les Mouches de Jean-Paul Sartre, théâtre créé en 1943
- Eurydice de Jean Anouilh en 1942.
D’autres mythes et contes populaires sont également repris par des auteurs de renom :
- Celui de Don Juan dont la réécriture fascine particulièrement les auteurs contemporains français9
- Celui d’Homère duquel James Joyce s’est inspiré pour réécrire Ulysse en 1922,
- Celui d’Hamlet :
- Hamlet-machine de Heiner Müller, texte dramatique écrit en 1977. Cet ouvrage se divise en cinq parties
- La tragédie d’Hamlet de Peter Brook écrit en 2000
- Hamlet (a monologue) de Robert Wilson
- Hamlet ou la conséquence de la piété filiale, un théâtre inspiré de l’œuvre de Shakespeare écrit en 1967 par Carmelo Bene dont une seconde version est sortie en1974.
Jean Cocteau, Jean Anouilh, Jean Giraudoux et Jean-Paul Sartre ont produit les meilleures réécritures du XXème siècle. La réécriture de Jean-Paul Sartre du mythe d’Oreste est l’une des plus fameuses et des plus significatives. L’œuvre « Les Mouches » écrite par ce grand philosophe en 1943 est une référence en termes de réécriture théâtrale du 20ème siècle.
Cette pièce théâtrale divisée en trois actes reprend le mythe d’Euripide sur Oreste qui, de retour à Argos pour venger son père, voit la ville envahie par des mouches et rencontre des habitants mourants rongés par les remords. Jean-Paul Sartre a ajouté le personnage de Jupiter, dieu et maître des mouches. Les mouches sont une image plus moderne des Erinyes qui ont poursuivi Oreste et Electre après qu’ils aient assassiné Egisthe et Clytemnestre.
Ici, Jupiter se sert des mouches pour menacer Oreste afin qu’il ne réalise pas son projet funeste mais n’y parvient pas. Et même si Electre se repent auprès de Jupiter à la fin, Oreste ne fléchit pas et quitte Argos, après avoir délivré le peuple de leurs remords. Bien que basée sur la trilogie d’Orestie, Les Mouches revêt une portée plus philosophique et part d’un concept de liberté.
Selon Simone de Beauvoir pour qui cette pièce a été créée, cette œuvre est un moyen pour Jean-Paul Sartre de s’exprimer au sujet de la seconde guerre mondiale, plus précisément de l’occupation de Paris par les Allemands. En effet, Argos envahi par les mouches représente Paris et les Argiens prisonniers de leur remord pour avoir, quinze ans au plus tôt, fermé les yeux devant le meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre et Egisthe. Les Argiens qui ont envie de se délivrer de leurs remords sont le portrait des Français qui hésitent entre se battre pour leur liberté ou subir leur occupation.
Un enjeu politique et social est donc associé à cette réécriture qui relate également des drames familiaux, de la vengeance et de l’inceste10. Selon Simone de Beauvoir, Sartre demandait au peuple Français de ne pas capituler et de revendiquer leur liberté à travers cette œuvre.
Une autre pièce de théâtre contemporain a également marqué la réécriture au théâtre dans la littérature contemporaine du XXème siècle. Il s’agit d’Antigone d’Anouilh qui a été écrite en 1944. Tout comme Les Mouches de Sartre, cette réécriture a été écrite durant l’occupation allemande de Paris et véhicule également une histoire politique. Cette pièce de théâtre composée d’un seul acte met en jeu une héroïne, Antigone, qui, pour Anouilh, représente le courage et la résistance du peuple français face aux Nazis.
Ce livre revêt donc des intentions politiques et sert de moyen d’expression à l’auteur qui dénonce le manque de courage de certaines personnes (notamment les collaborationnistes de Vichy) face à la dictature des allemands occupant la France. Si l’œuvre de Sartre a surtout eu pour but d’inciter le peuple à se libérer, celle d’Anouilh sert plutôt de divertissement pour oublier un temps la guerre tout en conscientisant le peuple en dénonçant sa peur face à l’ennemi et en lui montrant que sa lâcheté ne l’aidera pas à échapper à sa situation.
Ecrit par Sophocle vers 441 av. J.-C., Antigone narre la tragédie d’Antigone, fille d’Œdipe et de Jocaste, par le fruit de l’inceste. Antigone, tout comme Iphigénie, est dévouée à son père qu’elle guidera jusqu’à sa mort. Oedipe, roi de Thèbes, a été chassé du royaume et rendu aveugle par ses frères, est conduit par sa file Antigone afin de mendier pour vivre. Suite au décès de son père, Antigone retourne à Thèbes pour mettre fin à une querelle entre ses frères pour s’emparer du pouvoir. Voguant de tragique en tragique, Antigone meurt tragiquement en étant enterrée vivante dans le tombeau des Labdacides par son oncle Créon pour avoir organisé un enterrement décent à son frère Polynice. A travers cette pièce de théâtre, Anouilh veut toucher le cœur des Français passifs à résister à l’occupation et aux Nazis.
L’œuvre de Sophocle et celle d’Anouilh présentent quelques points communs et quelques différences. Le tableau ci-dessous offre une comparaison entre les deux ouvrages.
Antigone d’Anouilh | Antigone de Sophocle |
Destinée d’Antigone annoncée par le Prologue, personnage à part entière | Antigone devant le corps de Polynice, huile sur toile de Nikiforos Lytras, 1865, Athènes Destin d’Antigone présentée dans un dialogue; ses motivations sont religieuses |
Par fidélité et par exigence de justice face à la raison d’Etat Antigone accomplit, la nuit, les rites funéraires malgré les gardes qui surveillent le corps de Polynice. | Elle refuse d’adhérer à l’ordre, soit disant social et moral de Créon, par amour fraternel et par obéissance aux lois divines, seule face à la lâcheté de sa sœur Ismène et consciente de la peine encourue |
Elle aime la vie et voudrait qu’elle demeure pure comme l’enfance. Mais ses deux frères, Etéocle et Polynice, se sont entre-tués pour le trône de Thèbes. Créon, le nouveau roi et l’oncle de l’héroïne, pour sauver l’ordre social et politique, a fait d’Etéocle un héros national, et de Polynice un rebelle et interdit, sous peine de mort, de l’ensevelir. Après l’arrestation d’Antigone, Créon essaie de la raisonner en lui montrant l’inutilité de son héroïsme mais elle ne peut concevoir l’avenir impur qu’il lui propose, avenir qu’il justifie par ses devoirs de roi: « La nécessité d’une politique qu’il qualifie de réaliste. » | Antigone de Sophocle met en scène l’injustice de Créon vis-à-vis de Polynice. Mais Antigone qui n’ignore pas le châtiment qui la guette, refuse de s’y soumettre. Elle agitpar désir de justice, par obéissance « aux lois non écrites, inébranlables des dieux ! ». En fait, Antigone agit ainsi pour ne pas attirer sur elle la vengeance des dieux. |
Créon n’est pas un être malhonnête ou brutal. Il comprend Antigone et voudrait la sauver ; mais il ne peut revenir en arrière alors elle mourra. Hémon et Eurydice, son épouse, la suivront dans la mort. Quant à Créon, il continue sa tâche : « Ils disent que c’est une salle besogne, mais si on ne la fait pas, qui le fera ? ». | Créon, personnage intransigeant et dénué de toute piété n’a ni compassion, ni regret envers Antigone; sans aucun égard pour la souffrance des autres:« Ne parle pas de ta sœur : tu n’as plus de sœur. » « Il n’en faut point douter : ces deux filles sont folles, l’une depuis peu, l’autre depuis sa naissance. » Sans cesse il affirme son pouvoir tyrannique : « Un ennemi mort est toujours un ennemi. »« Descends donc là-bas, et, s’il te faut aimer à tout prix, aime les morts. Moi vivant, ce n’est pas une femme qui fera la loi. »Cette attitude causera sa perte dans d’atroces souffrances, rongé par le remords. |
Tableau 1. Comparaison entre Antigone de Sophocle et Antigone d’Anouilh. Source :https://docs.google.com/document/preview?hgd=1&id=1C3fRGeCjWH4njli9JL2POoFKBoREaCIrKnQU6Dbsawk
Il faut préciser que le théâtre au XXème siècle a fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques. Ainsi, les réécritures n’ont pas uniquement été adaptées sous formes de pièces de théâtre, mais aussi sous forme de films. En outre, d’autres genres littéraires tels que les comédies se sont également approprié les mythes pour en faire des réécritures comiques.
En résumé, le théâtre s’est inspiré de la tragédie grecque antique. Les mythes grecs sur des êtres surnaturels ou de simples mortels ont inspiré les écrivains contemporains qui en ont fait des réécritures suivant leur vision. En somme, les mythes peuvent être considérés comme l’essence du théâtre, et même comme étant une base de la réécriture au théâtre.
Après avoir longuement discuté de la place de la réécriture au théâtre et de son historique, nous allons maintenant parler des formes de réécriture au théâtre.
- Les formes de réécriture au théâtre (basées sur l’ouvrage de Marie-Claude Hubert : Les formes de la réécriture au théâtre)
La réécriture au théâtre est un sujet de recherche pertinent et maintes fois étudié. Le colloque international organisé en juin 2004 portant sur les études théâtrales fait partie de ces recherches.
Suite à ce colloque, Marie-Claude Hubert a écrit un livre consacré à la réécriture au théâtre. Dans cet ouvrage, l’auteure veut répondre à deux questions fondamentales en termes de réécriture au théâtre : comment et pourquoi la réécriture a-t-elle tant d’importance dans le champ théâtral ?11
Dans cet ouvrage, Marie-Claude Hubert expose sa vision de la réécriture au théâtre. Elle annonce d’abord l’importance de la réécriture dans le théâtre et évoque ensuite la spécificité de cette dernière. Pour cette auteure, le théâtre est construit à partir de la réécriture, cependant, la réécriture proprement dite n’est pas uniquement partielle, mais presque totale. Cela signifie que lorsqu’un auteur s’inspire d’une œuvre ou d’un mythe pour créer une nouvelle pièce théâtrale, il ne choisit pas uniquement des bribes d’information à partir de l’original, mais se sert entièrement de lui.
La réécriture, de son point de vue, est une réinterprétation, une nouvelle invention faite à partir d’anciens éléments qui servent de source. Hubert considère que le théâtre se sert abondamment de la réécriture pour exister. Elle détecte alors plusieurs formes de la réécriture au théâtre, des formes que nous allons étudier ci-après.
- Le mythe, essence de la réécriture au théâtre: le mythe d’Iphigénie au théâtre à travers les trois réécritures d’Euripide, de Racine et de Johnson
Nous l’avons précédemment introduit, le mythe est à l’origine de plusieurs réécritures. Il ne s’agit pas uniquement de la mythologie grecque, mais aussi de contes populaires ou de légendes telles que Madame de Bovary. Ces mythes ne sont pas non plus obligatoirement grecs, mais peuvent être des croyances du monde entier.
Pour mieux cerner la place du mythe dans la réécriture et attester qu’il constitue une essence de la réécriture au théâtre, nous allons d’abord nous intéresser à la place du mythe dans la réécriture et dans la littérature en général. Dans un article intitulé La réécriture du texte littéraire Mythe et Réécriture, Maurice Domino, un agrégé de la faculté de Besançon, a mené une étude précaire sur le rapport entre le mythe et la réécriture.
Selon ce dernier, la relation entre le mythe et la réécriture est palpable mais incompréhensible. Il rappelle que la réécriture désigne l’action d’écrire une seconde version à partir d’une première version tout en modifiant le texte et non en le copiant entièrement. Il distingue la différence entre le terme réécrire et le terme copier qui est synonyme de plagiat. Savoir distinguer la réécriture de la copie est essentiel pour pouvoir comprendre l’art de la réécriture.
Dans son analyse, Maurice Simon évoque une relation incompréhensible entre réécriture et mythe. Bien que la réécriture ne nécessite pas spécifiquement un emprunt aux mythes ou de se servir uniquement des mythes comme source primaire, il est indéniable de constater que les mythes ont mieux inspiré des réécritures que les œuvres concrètes. L’hypothèse de Simon réside dans la théorie de certains auteurs concernant le mythe. Il s’appuie ainsi sur l’affirmation de Gilbert Durant selon laquelle : « La littérature, et spécialement le récit romanesque sont un département du mythe12 ».
Même si cette citation témoigne d’une corrélation entre ces deux genres, Simon rappelle que la littérature et le mythe sont deux genres bien distincts mais qui peuvent se rencontrer dans certaines circonstances. Il assimile le mythe à une littérature orale, dans ce sens, la réécriture provient donc de l’oral. Cela suppose qu’une réécriture ne découle pas forcément d’un écrit.
Cette corrélation est perçue dans la littérature en général et dans la poésie et le théâtre en particulier, selon Socrate : « …je me dis qu’un poète devait,
pour être vraiment poète, prendre pour matière des mythes… ».
Au final, l’étude menée par Simon lui a conféré la conclusion suivante : la littérature et le mythe se rencontrent en un point particulier appelé réécriture. En effet, le mythe étant une littérature orale dont les origines restent obscures, est repris et réinterprété au moyen d’une littérature écrite13. A la fin, le mythe est donc, dans une certaine mesure, la source de la réécriture.
Pour expliquer l’engouement pour les mythes, on peut avancer qu’il entre dans le cadre du mystérieux et du fantastique. Le mythe a depuis toujours été considéré comme divertissant grâce au récit, à l’époque durant laquelle l’histoire se passe et au héros. Le mythe se démarque par ses péripéties fabuleuses et par un récit souvent dramatique et moralisateur dont le dénouement est riche, inattendu et emportant. Le mythe dépeint également une réalité ancienne injustifiée et mais qui est quand même approuvée.
La croyance aux multiples dieux grecs et de leur façon de régir la vie humaine, de la nourrir comme de pouvoir y mettre un terme, est un concept insaisissable de nos jours et favorise donc l’intérêt pour le mythe. En d’autres termes, le mythe aide à échapper à la réalité et sert également de témoignage d’une époque très antique d’avant Jésus-Christ dont l’exactitude des faits n’est pas justifiable.
D’un autre côté, le mythe est également aimé pour sa faculté à mettre en scène une vie passée qui, grâce à une réécriture moderne, se mélange à la réalité actuelle. Autrement dit, de nombreux faits historiques de l’époque contemporaine peuvent s’identifier à certains mythes, comme c’est le cas dans Antigone d’Anouilh ou dans Les Mouches de Sartre. Pour les écrivains contemporains du XXème siècle, la réécriture théâtrale du mythe est donc un moyen de s’exprimer à travers des métaphores et derrière une histoire fantastique qui, loin de cacher la réalité, la décrit d’une manière plus embellie et moins ennuyeuse.
Le mythe est donc l’essence de la réécriture au théâtre. Il a la capacité de véhiculer une morale et de divertir en même temps. Nous avons déjà donné plusieurs exemples de mythes réécrits durant l’époque contemporaine. En nous focalisant sur les réécritures de Johnson, d’Euripide et de Racine, nous pouvons dire que le mythe d’Iphigénie n’échappe pas à l’hypothèse que nous venons de développer.
Ces trois réécritures sont réalisées à des époques différentes par des auteurs différents et, dans les trois cas, il s’agit d’une pièce théâtrale. Nous pouvons attribuer le choix des auteurs de garder la forme authentique du mythe par un respect envers celle-ci, c’est-à-dire envers le théâtre. Cependant, il peut aussi être attribué à une difficulté de transformation du mythe en un autre genre tel que le roman par exemple.
Dans cette optique, nous allons développer la manifestation de la réécriture à travers le théâtre dans laquelle nous pourrons approfondir cette deuxième hypothèse.
- La manifestation de la réécriture à travers le théâtre
La réécriture et le théâtre sont également reliés. Le théâtre est dépendant de la réécriture puisque les pièces de théâtre anciennes et modernes sont basées sur la réécriture. Marie-Claude Hubert dénonce cependant une certaine complexité de la transformation de la réécriture en théâtre. Elle évoque une règle de « limitation » qui consiste en une étude du mythe ou de l’œuvre d’origine afin de déterminer si sa réécriture peut s’orienter vers une dimension théâtrale.
Hubert explique, à cet effet, que pour pouvoir réécrire un mythe et en faire un théâtre, il faut savoir observer tous les éléments autour du mythe et les accorder à la réécriture afin que celle-ci les assimile. L’auteur de la réécriture doit donc veiller à ce que la mise en scène théâtrale de la réécriture soit possible.
La réécriture est une pierre angulaire dans l’histoire du théâtre. Présente depuis ses origines, c’est-à-dire avant Jésus-Christ, elle a permis de diversifier et d’enrichir le théâtre avec des réécritures différentes basées sur un même thème ou un même personnage.
La réécriture peut se manifester dans le théâtre au même titre qu’elle se manifeste dans la littérature classique, c’est-à-dire à travers le pampliseste : par le moyen d’une allusion, d’une citation, d’une variation autour d’un mythe ou d’un personnage, d’un emprunt, d’une parodie ou d’un pastiche.
Dans chacun de ces cas, le réécrivain modifie le texte premier en gardant son fond. De ce fait, le texte original et la réécriture peuvent n’avoir en commun que la trame de l’histoire ou l’auteur de la réécriture peut en garder quelques passages en les reformulant. L’allusion et la citation sont deux formes de réécriture très utilisées. L’allusion amène un auteur à utiliser une phrase ou une citation célèbre d’un auteur influent sans en noter la source, la citation consiste en le même procédé avec un renvoi à la référence utilisée.
User de l’allusion ne signifie pas uniquement prendre le passage d’un livre d’auteur et l’insérer dans une réécriture, on peut également utiliser l’allusion en servant d’un mythe entier. Dans ce cas, l’allusion consiste à écrire une histoire nouvelle à partir d’un mythe que l’on mélange à l’histoire actuelle, sans faire paraître explicitement le mythe en question. C’est en lisant attentivement l’œuvre que le lecteur peut ressentir et découvrir l’allusion à un mythe à travers les actes, les textes, etc.14
L’allusion suppose donc une complicité et une interaction entre le lecteur et l’auteur. En effet, l’auteur ne cite pas intentionnellement le mythe ou le passage qu’il a emprunté et ne le signale pas non plus au lecteur, il attend du lecteur une compréhension et une lecture sérieuse pour le découvrir. Le lecteur est donc un acteur majeur dans l’allusion, comme le confirme cette citation : « Le domaine de l’allusion relève de la compétence du lecteur, comme dans toute identification intertextuelle.15 »
La variation autour d’un mythe ou d’un personnage est ce que nous étudions dans ce mémoire. Il s’agit d’une focalisation sur un mythe particulier et d’une transformation libre de ce dernier. Les trois réécritures que nous étudions ici peuvent être considérées comme une variation à un mythe puisqu’elles reprennent toutes l’histoire et le mythe du personnage d’Iphigénie.
Le pastiche et la parodie se rejoignent dans un contexte amusant et ludique. Le pastiche consiste à utiliser le style d’un auteur en le rendant plus drôle ou plus tragique. La parodie est une déformation d’une histoire dans le but de faire rire le lecteur. La déformation peut être totale ou partielle, l’objectif de l’auteur ici est d’amuser le lecteur à partir de sa nouvelle version.
L’emprunt est assez similaire à l’allusion puisque l’auteur de la réécriture emprunte un texte à un auteur, le modifie et y ajoute quelques connaissances personnelles ou générales supplémentaires, sans se référer au texte original, c’est-à-dire sans en citer l’auteur.
Dans le cadre de notre mémoire, nous voyons donc que la variation autour d’un mythe est la forme de réécriture la plus classique au théâtre. En effet, ce ne sont pas uniquement Johnson, Racine ou Euripide qui se servent du mythe d’Iphigénie pour produire des réécritures théâtrales, mais les autres auteurs cités ici tels que Jean-Paul Sartre, Jean Anouilh, etc. qui ont repris Oreste, Electre, etc. en pièce théâtrale.
Dans ces réécritures, on distingue plusieurs styles d’écriture comme la traduction dans le cas de The victim de Johnson, une traduction partielle d’Iphigénie de Racine. D’autres formes comme l’imitation ou la transposition sont également rencontrées.
Comme nous l’avons signalé plus haut, la réécriture est un procédé libre et propre à chaque auteur. Ainsi, la perception du lecteur varie en fonction de la morale que la réécriture véhicule, mais aussi en fonction du lecteur même. Nous allons étudier de plus près cette perception dans la sous-partie suivante.
- La perception de la réécriture (la réécriture comme transformation du texte ou du récit)
La réécriture, comme l’œuvre originale, peut faire l’objet de deux perceptions opposées : la perception positive et la perception négative. La manifestation de ces perceptions dépend du lecteur et de ce que l’œuvre lui apporte. Il peut donc arriver qu’un livre soit accueilli avec des éloges et de bonnes critiques par certains lecteurs et rejeté et médit par d’autres.
- Une perception positive de la réécriture
Globalement, la réécriture peut être perçue d’un bon ou d’un mauvais œil, selon le lecteur. En effet, comme toute chose, la réécriture peut susciter de l’intérêt ou du rejet. Cette perception contradictoire dépend uniquement du lecteur. On dit qu’une réécriture est positive lorsque le nombre de lecteurs qui l’apprécient est supérieur à celui de ceux qui ne l’aiment pas.
Dans son livre intitulé Marguerite Duras, une écriture de la réparation, Sylvie Bourgeois décrit la réécriture positive comme résultant de la perception positive d’un lecteur16.
Par cette constatation, Bourgeois décrit l’indissociable rapport entre le lecteur, l’œuvre et l’écrivain. En effet, le lecteur est inspiré par ce que l’écrivain produit à travers la lecture du livre. De cette inspiration dépend sa perception.
La perception positive de la réécriture dépend de l’auteur, de la morale de l’histoire et de l’adaptation de la réécriture. S’il s’agit d’une réécriture parodique, la première réaction du lecteur sera de rire, si l’humour utilisé correspond à sa vision. Si le mythe original ne lui a pas inspiré les mêmes sentiments, il peut le voir autrement grâce à cette réécriture qui ouvre ses yeux et lui permet de mieux appréhender l’histoire.
Le lecteur appréhende positivement la réécriture lorsque celle-ci, bien que répétitive à cause de la célébrité du mythe choisi (le mythe en question est célèbre car repris par plusieurs auteurs comme Oreste et Antigone), le touche et lui apporte de nouvelles connaissances. Lorsque le lecteur ressent du plaisir à lire le livre réécrit, lorsqu’il en tire satisfaction et qu’il retrouve sa propre vision des choses dans l’œuvre réécrit, sa perception est positive.
Dans ce cas, il peut manifester de l’égard et de l’intérêt envers le livre. Les facteurs de sa satisfaction peuvent être multiples et opposés. D’un côté, il peut aimer une réécriture car il a transformé entièrement sa vision d’un mythe et l’a rendue positive. D’au autre, la réécriture peut proposer un concept plus novateur au mythe et le rendre plus intéressant et plus adapté à la réalité actuelle, ce qui rend le lecteur plus enclin à l’apprécier.
Dans tous les cas, on note que la perception de la réécriture dépend aussi du mythe. Si l’auteur a respecté la trame du mythe, cela peut amener certains lecteurs à apprécier son œuvre. La parodie est une des formes les plus appréciées du mythe, surtout à notre époque. Elle apporte une vision plus ludique de l’œuvre originale et la rend plus intéressante, quoique souvent moins sérieuse. La réécriture parodique est donc mieux accueillie que la réécriture classique.
Un autre aspect de la perception de la réécriture positive réside dans l’identification que le lecteur se fait par rapport à l’héros. En effet, lorsque le lecteur sent qu’il a les mêmes idéaux que le personnage principal et que la cause qu’il défend est juste, il perçoit positivement l’œuvre.
- Une perception négative de la réécriture
Si la réécriture est perçue par certains lecteurs comme étant une transformation positive du récit, surtout lorsqu’elle s’inscrit dans un contexte et une réalité plus actualisés, les autres lecteurs peuvent manifester du rejet envers celle-ci, allant jusqu’à la juger comme étant négative. Il ne s’agit pas d’une idée générale puisque la perception de la réécriture n’est pas forcément positive ou négative, elle dépend du lecteur.
Le concept du « bon » et du « mauvais » est ici utilisé. Bien que l’intention de l’auteur en réécrivant une œuvre ou un mythe soit positive, il importe au lecteur de ressentir une bonne ou une mauvaise transformation dudit récit. Cela s’explique par le contexte historique dans lequel il place la réécriture. Nous pouvons prendre l’exemple d’Antigone d’Anouilh pour défendre cette hypothèse.
Anouilh a repris le mythe d’Antigone existant depuis plus de 400 ans avant Jésus-Christ pour l’adapter à l’époque de la Seconde Guerre Mondiale. Antigone représente un symbole de résistance aux nazis et lui sert à dénoncer la réaction de certains français qui se laissent faire par les occupants et qui sont « passifs » face à leur situation. Il dépeint Antigone de la même manière que Sophocle auparavant, en lui proférant les mêmes valeurs que sont le courage, le respect, l’amour, etc.
Il se sert d’Antigone pour montrer aux français l’attitude à avoir. Le combat d’Antigone est similaire à celui des Français au temps de l’occupation puisque ceux-ci sont sans cesse persécutés. Puisqu’Antigone a combattu jusqu’à sa mort et a surmonté courageusement sa vie qui n’a été faite que d’épreuves, de frayeurs et de combat, Anouilh invite ses semblables à réagir de la sorte, sans pour autant être explicite.
La perception du public de la pièce est mauvaise, au premier abord. Dans une époque où la liberté est un luxe et où s’exprimer peut coûter la vie, les Français ressentaient la peur et se soumettaient aux nazis. Antigone est alors apparue comme une révolte, ce qui les a conduits à mépriser cette pièce à sa première présentation, de peur des représailles des nazis.
Antigone a été perçue comme une initiative audacieuse mais effrontée. La première représentation en 1944 n’a recueilli aucun applaudissement, Anouilh a même ressenti du regret après avoir écrit cette œuvre en laquelle lui non plus ne croyait pas.
D’après l’exemple d’Antigone, nous pouvons dire que la réécriture d’un auteur dont les intentions sont positives peut être mal interprétée suivant le contexte dans lequel elle s’inscrit ou l’époque. En voulant divertir ses semblables par cette pièce tout en les sensibilisant à se défendre et à faire des efforts en faveur de leur liberté, Anouilh les a plutôt conduits à des sentiments mitigés, la pièce ayant été en grande partie un échec lors de sa première présentation.
La pièce de théâtre « Les Mouches » de Sartre est également une réécriture négative à sa première représentation. La morale de Sartre dans celle-ci est la même que celle d’Anouilh dans Antigone. Il ne peut pas faire face seul aux occupants et aux collaborationnistes Vichy qu’il dénonce car, au lieu de combattre les assaillants, ils leur offrent leur service, laissant les français à la merci des nazis.
La représentation théâtrale de la pièce connaît plusieurs difficultés et est soumise à la censure allemande. Les nazis menacent donc l’interruption de la représentation à tout moment, créant beaucoup de pression et de découragement chez Sartre. Avec Les mouches, Sartre fait appel à la volonté des français de se libérer et de ne pas vivre dans le remords, mais de se tourner vers leur avenir.
La pièce jouit d’un accueil froid et négatif. Les préceptes existentialistes de sa réécriture n’avaient pas leur place durant cette occupation puisque Sartre, en rappelant que chaque homme est libre de prendre sa propre décision et qu’il est seul maître de sa vie, rappelle aux Français leur condition de soumis et d’impuissants face à la situation.
Cependant, cette pièce et celle d’Anouilh servent aujourd’hui de référence aux réécritures des mythes dans le théâtre au XXème siècle. Elles ont donc acquis une perception plus positive au fil du temps. Les lecteurs actuels qui ne vivent pas l’occupation par les nazis ni la Seconde Guerre saluent l’initiative et le courage d’Anouilh et de Sartre de se dresser seuls face à une anarchie et une dictature. Cela nous amène donc à dire que la perception qu’elle soit négative ou positive au début, peut évoluer, suivant les paramètres que nous avons déjà évoqués : le lecteur, l’histoire, l’époque, le contexte, etc.
Ainsi, nous pouvons dire que la réécriture d’un mythe, d’un texte ou d’une œuvre entière, que ce soit de façon théâtrale ou d’une autre façon, peut être perçue positivement, négativement ou de manière neutre par le lecteur. Le lecteur est seul maître de la perception de la réécriture. Lui seul peut décider en lui-même si la réécriture est meilleure que l’original ou non. Il y a donc une comparaison constante entre l’œuvre originale et la réécriture.
Pour que la réécriture capte l’attention du lecteur, il le renvoie systématiquement à l’œuvre originale et la compare à cette dernière afin de déceler les similarités et les variants. Trois cas de figure peuvent alors se présenter :
- La perception positive : le lecteur, satisfait et heureux de la ressemblance entre l’œuvre originale et la réécriture, considère la réécriture comme étant positive. Il peut également appréhender positivement cette réécriture lorsqu’il trouve qu’elle ne ressemble pas réellement à l’œuvre originale mais qu’elle est plus intéressante. Dans tous les cas, il doit bien connaître l’ouvre originale avant de comparer.
- La perception négative : elle se manifeste selon le lecteur qui peut être insatisfait et ne pas aimer la réécriture parce qu’elle est trop identique à l’originale et fait office de « déjà vu » ou, au contraire, parce qu’elle n’a aucun point commun avec l’originale.
- L’indifférence : ce cas se présente lorsque le lecteur ne manifeste aucun intérêt pour l’œuvre réécrite et pour l’œuvre originale en même temps.
Partie II : La réécriture du mythe d’Iphigénie ou les variants et les invariants du mythe
Le mythe d’Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre et présumée fille d’Hélène avec Thésée, selon certaines rumeurs, est une mythologie grecque reprise dans plusieurs langues telles que le français, l’anglais ou l’allemand. Les réécritures peuvent, dans certains cas, rester fidèles à l’œuvre originale sur certains aspects, et différer d’elle sur d’autres. Les réécritures sont également différentes les unes des autres et comportent autant d’invariants, c’est-à-dire d’éléments communs, que de variants, des éléments qui ne sont pas forcément présents dans chacune d’entre elles.
Nous avons choisi ici trois réécritures du mythe d’Iphigénie, à savoir Iphigénie de Racine, Iphigénie à Aulis d’Euripide et The victim de Johnson. Nous allons, dans cette partie, recenser les différents invariants et variants dans chacune de ces œuvres, en nous basant sur l’ouvrage de Jean Rousset : Le mythe de Don Juan et, en même temps, étudier la transposition du mythe d’Iphigénie à partir de l’œuvre d’Euripide, Iphigénie à Aulis en nous basant sur l’ouvrage de Gérard Génette intitulé Palimpsestes.
- Les invariants du mythe
Les invariants du mythe sont les éléments communs à chaque réécriture. Le premier ouvrage à étudier ici est celui d’Euripide intitulé Iphigénie à Aulis. Racine, conquis par cette version, décide de l’adopter afin d’en créer une reprise basée sur la même histoire mais avec quelques modifications en chemin. Ainsi, nous allons d’abord parler de l’histoire du point de vue global avant d’entrer dans les détails.
- Les invariants du mythe d’Iphigénie dans l’ouvrage d’Euripide : Iphigénie à Aulis, dans Iphigénie de Racine et dans The victim de Johnson
- Iphigénie, entre un martyre et un sacrifice
Dans Iphigénie à Aulis, le récit lui-même tourne autour d’un seul personnage emblématique : Iphigénie, il en est de même pour les deux autres ouvrages de Racine et de Johnson. La force psychologique d’Iphigénie semble surprenante dans les trois ouvrages, la jeune femme étant résignée à mourir et pouvant être considérée comme une sorte d’héroïne.
Dans le récit d’Euripide, Iphigénie est convoquée par son père, le roi Agamemnon, à Aulis, sous prétexte d’un mariage avec Achille, fils du roi de la peuplade des Myrmidons en Thessalie, la nymphe Thétis. Le roi Agamemnon persuade Iphigénie de venir à Aulis pour cette raison derrière laquelle une mort tragique l’attend puisqu’elle sera offerte en sacrifice pour débloquer la flotte du roi immobilisée en mer.
Dans chacune de ces réécritures, Clytemnestre accompagne sa fille Iphigénie, toutes deux étant ravies du mariage. Cependant, Euripide ajoute une note de changement à l’histoire elle-même reprise de la mythologie grecque originale. Iphigénie sera donc résolue à se sacrifier au lieu d’être forcée à se sacrifier par son père.
Comme dans chacune de ces œuvres également, toute l’histoire repose sur le sacrifice d’Iphigénie tant attendue par les grecs, seul le déroulement varie suivant chaque auteur.
- Les personnages et le lieu de déroulement de l’histoire
Les trois œuvres littéraires que nous étudions contiennent des personnages communs, tels que le personnage principal d’Iphigénie qui est présent dans Iphigénie à Aulis, The victim et Iphigénie de Racine. En outre, six autres personnages secondaires apparaissent dans les trois œuvres : Agamemnon, roi et père d’Iphigénie, Achille, son prétendu « fiancé », Clytemnestre, reine, femme d’Agamemnon et mère d’Iphigénie, Arcas et Eurybate, deux domestiques d’Agamemnon et Ménélas, frère d’Agamemnon et roi de Sparte.
Les trois histoires que nous étudions se déroulent toutes dans un seul et même pays : en Euripe, plus précisément dans la ville portuaire d’Aulis (ou Aulide) en Béotie. Il s’agit ici de l’endroit où toute l’histoire se déroule, depuis le commencement du récit où, dans le prologue, Agamemnon s’entretient avec son serviteur, en passant par l’immobilisation en mer de la flotte du roi jusqu’au sacrifice ultime d’Iphigénie.
La plupart des discussions également, à part celles durant lesquelles Clytemnestre et Iphigénie sont en chemin pour Aulis, se font dans le campement ou la tente d’Agamemnon.
- Les actes
- Le premier acte
- Le déroulement de l’histoire
D’un point de vue global, Iphigénie à Aulis, écrit par Euripide vers environ -406 av. J.-C., est la version la plus ancienne des trois réécritures que nous étudions ici. Il raconte le tragique destin d’Iphigénie, fille du roi Agamemnon et de Clytemnestre qui, suite aux prédictions du devin Calchas, doit être sacrifiée afin de permettre à la flotte envoyée et dirigée par Agamemnon vers Troie de se déloger, la flotte étant immobilisée.
Iphigénie de Racine reprend à peu près la même trame et est donc considérée comme une réécriture, une autre version tirée de l’œuvre d’Euripide écrite et apparue plus tard, en l’an 1674. The victim de Johnson reprend également l’histoire d’Iphigénie.
Iphigénie à Aulis se divise en quatre actes – désignés sous l’appellation « épisodes » dans l’ouvrage -, contrairement à Iphigénie de Racine et The Victim de Mr. Johnson qui se déclinent sous cinq actes. Un prologue introduit l’histoire, il commence par un dialogue, plus précisément par une discussion entre le roi Agamemnon et son vieux serviteur, comme c’est le cas dans le premier acte d’Iphigénie à Aulis. La discussion a lieu dans la demeure du roi Agamemnon, à Aulis, alors qu’il fait encore nuit.
Le prologue, constitué d’une seule scène, évoque le même sujet que celui discuté dans la première scène du premier acte d’Iphigénie, c’est-à-dire l’intention d’Agamemnon de sacrifier sa fille Iphigénie afin de conquérir Troie. Ayant mobilisé son armée et s’étant engagé sur la mer afin de se rendre à Troie, lui et ses hommes furent immobilisés. En prophétisant, le devin Calchas ordonna à Agamemnon de tuer sa fille et de l’amener en sacrifice pour que la flotte puisse à nouveau voguer vers Troie.
Ce prologue est, dans son ensemble, identique à la première scène du premier acte d’Iphigénie de Racine ainsi qu’au premier acte de The Victim de Johnson, du fait de l’endroit où le dialogue se tient, c’est-à-dire chez Agamemnon, de la présence de deux personnages qui apparaissent dans les trois œuvres à ces mêmes passages : Agamemnon et le vieillard, et du sujet de discussion qui est le sacrifice d’Iphigénie. Agamemnon, triste mais résolu à offrir sa fille en offrande, se livre à une confession auprès de son vieux serviteur afin de recueillir l’avis de ce dernier et, sans doute, d’échapper à un cas de conscience et de se justifier.
Dans le prologue et le premier acte d’Iphigénie à Aulis, le déroulement de l’histoire est le même que dans les deux autres œuvres. Ainsi, Agamemnon, rongé par les remords et ne voulant pas ternir le bonheur de sa fille qu’il trahit en la faisant venir à Aulis pour un mariage qui n’est qu’un leurre, se rétracte et envoie une missive à sa fille déjà en route pour la faire changer d’avis et repartir à Argos. Il dépêche donc son vieux serviteur Arcas auquel il recommande de se hâter et de n’effectuer aucune halte jusqu’à ce qu’il arrive auprès de sa fille et lui remette sa lettre, au risque qu’elle ne foule les terres d’Aulis et que son sacrifice ne soit inévitable.
Dans tous les cas, il recommande à Arcas de ne pas mettre sa fille et sa femme au courant du destin funeste qui attend Iphigénie en réalité et de la raison exacte qui l’amène à Aulis. Il est attristé par la colère et le malheur que ressentiraient ces deux femmes et veut à tout prix leur épargner de tels sentiments. Il est résigné à empêcher l’immolation de sa fille mais, entendant l’arrivée de cette dernière et de sa mère, il comprend qu’il ne peut plus revenir en arrière. En effet, le peuple sait déjà qu’Iphigénie est arrivée et se réjouit de sa présence.
Dans son ensemble, le premier acte des trois ouvrages étudiés est identique et expose le même récit : l’explication du sacrifice d’Iphigénie à Arcas, l’envoi de ce dernier vers le convoi transportant la reine Clytemnestre et Iphigénie pour les faire rentrer à Argos en prétendant qu’Achille veut reporter les noces, le fait pour Agamemnon de ne jamais dévoiler à Clytemnestre l’immolation présumée de sa fille et les remords d’Agamemnon qui refuse l’immolation puis y consent sous l’influence de la soif de pouvoir et de la peur des dieux.
Entre autres, la même trame apparaît dans le premier acte des trois livres : il y a une récapitulation des faits qui ont conduit à la guerre et à l’immobilisation de l’armée d’Agamemnon. On y explique donc l’histoire d’Hélène qui, ayant eu le droit de choisir son époux de par sa grande beauté, épousa Ménélas, frère d’Agamemnon. Cependant, elle fut séduite par Pâris, un phrygien qui, épris d’elle, l’emmena avec lui. Ménélas, voulant récupérer son épouse et son honneur, s’engage donc à la faire revenir par le biais de la guerre contre Troie.
Ce premier acte narre également l’immobilisation de la flotte dans le détroit et la prédiction de Calchas qui dit que pour calmer les dieux et faire revenir les vents afin de débloquer la flotte, Agamemnon doit immoler sa fille Iphigénie à Artémis, cette dernière étant du même sang qu’Hélène.
Un autre point commun au premier acte est le changement d’avis du roi qui est influencé par son désir de régner sur Troie, de conserver son trône, de devenir plus puissant, etc.
- Les traits de caractères des personnages
Dans ce premier acte, deux personnages sont communs aux trois œuvres : Agamemnon et Arcas, désigné sous l’appellation « le vieux serviteur » dans Iphigénie à Aulis.
Dans ce premier acte, il est important d’analyser le comportement de chaque personnage, la relation entre tous les personnages et l’exposition de ces derniers dans les œuvres. Ainsi, le personnage et le caractère d’Agamemnon est le même dans les trois versions. Agamemnon est un roi bienveillant et un père aimant. Iphigénie représente sa gloire, son bonheur et sa fierté. Il est à la fois patriotique et patriarche, considérant son peuple comme son propre enfant, au même titre qu’Iphigénie.
Lorsqu’il a entendu de Calchas que sa fille devait être immolée à Artémis pour pouvoir gagner contre les troyens, il a d’abord accepté sans réfléchir devant son armée et Ulysse de le faire. Par la suite, ses sentiments en tant que père l’ont submergé, la raison l’a rattrapé, sa peur et sa servitude envers les dieux ne lui ont pas ôté sa culpabilité de vouloir offrir sa fille en offrande aux dieux pour sa propre gloire.
Agamemnon est tiraillé par deux sentiments contradictoires : celui d’être un bon père et d’être un bon roi. En même temps, il est obsédé par le pouvoir et la gloire et s’attache à son statut de roi par-dessus tout. Ce statut finit d’ailleurs par prendre le dessus sur lui et lui ôter toute culpabilité envers sa fille pour sa perpétration.
Si Agamemnon est fidèle à lui-même dans le premier acte des trois réécritures du mythe d’Iphigénie, le vieux serviteur Arcas l’est également. On note un profond respect et une admiration sans faille de sa part pour le roi. Il lui est également asservi et fidèle. Leur relation est basée sur la confiance, le roi lui confie ses chagrins, ses peines, ses intentions, etc. Le roi le charge de lourdes tâches, lui confie de grandes responsabilités qu’il s’acquitte avec le plus grand sérieux pour prouver qu’il mérite les sentiments d’Agamemnon à son égard.
Le personnage d’Hélène est également dépeint de la même manière dans le premier acte d’Iphigénie à Aulis, de The victim et d’Iphigénie de Racine. Elle est décrite comme étant une femme frivole et sans gêne, n’hésitant pas à quitter son époux pour un autre, sans sens de l’honneur ni du respect. D’ailleurs, toute l’histoire est déclenchée par son infidélité.
On découvre également, chez les trois œuvres, la mise en exergue de la puissance et du contrôle des dieux sur les humains, particulièrement sur les personnages. Cela se traduit par le changement d’avis d’Agamemnon qui a peur de décevoir les dieux ou de déclencher leur colère ; mais aussi par le sacrifice même d’Iphigénie qui doit être immolée pour le plaisir de la déesse Artémis.
- Le second acte
- Le déroulement de l’histoire
Le second acte d’Iphigénie à Aulis, d’Iphigénie et de The victim a le même fond. L’histoire se déroule à Aulis, alors qu’Iphigénie et Clytemnestre foulent déjà Aulis et ont déjà été aperçues par les habitants qui, ravis de contempler la beauté d’Iphigénie, se demandent pourtant ce qui peut bien l’amener au royaume.
Il retrace également les retrouvailles d’Iphigénie avec son père. Iphigénie, dévouée et admirative devant son père, est heureuse de le revoir après de longs moments de séparation. Cependant, Agamemnon lui réserve un accueil plutôt froid. En effet, à la vue de sa fille, celui-ci ne peut cacher son inquiétude et sa déception. Iphigénie s’en rend compte et s’étonne d’un tel accueil.
- Les traits de caractères des personnages
Les personnages d’Agamemnon, de Clytemnestre et d’Iphigénie sont présents dans le second acte des trois livres.
Agamemnon est ici inquiet et ne sait pas cacher sa peine en pensant au fait de ne plus pouvoir empêcher le sacrifice, maintenant que sa fille est déjà arrivée à Aulis. Iphigénie est une fille tendre et innocente, débordant d’amour pour son père qu’elle s’empresse de vouloir embrasser une fois arrivée dans sa baraque. Quant à Clytemnestre, elle est fière des noces de sa fille et s’y dévoue.
- Le troisième acte
- Le déroulement de l’histoire
Le troisième acte d’Iphigénie à Aulis, d’Iphigénie et de The victim présente des invariants. Dans chacune de ces œuvres, Achille et Clytemnestre, en pleine discussion, sont interrompus par Arcas, vieux serviteur d’Agamemnon, qui leur annonce que les préparatifs pour le mariage et pour les offrandes aux dieux sont terminés. Puis, il implore Clytemnestre et Achille de sauver Iphigénie des mains d’Agamemnon. Ne comprenant pas ce qu’il veut dire, Clytemnestre lui demande les raisons à de telles supplications.
Arcas raconte alors comment la flotte s’est retrouvée piégée dans le détroit et comment, en prophétisant, Calchas a ordonné l’immolation d’Iphigénie, ayant le sang d’Hélène, pour débloquer la flotte et apporter la victoire à l’armée Atride sur l’armée troyenne et la paix à Aulis. Arcas explique également que le mariage entre Iphigénie et Achille n’était qu’un prétexte pour pouvoir amener Iphigénie à Aulis pour la sacrifier.
Désemparée, Clytemnestre demande l’aide d’Achille qui promet de sauver Iphigénie. Clytemnestre est couverte de honte devant Achille qui, lui, se sent trahi et abusé, son nom ayant servi aux combines infâmes du roi Agamemnon.
- Les traits de caractères des personnages
Les personnages en commun dans les trois œuvres sont Arcas (désigné comme étant le vieillard dans le troisième acte ou troisième épisode d’Iphigénie à Aulis), Clytemnestre et Achille.
Dans cet acte, Arcas, dévoué à Clytemnestre autant qu’à Agamemnon, ne supporte pas la perfidie cachée derrière le mariage d’Iphigénie et d’Achille et la raison macabre qui les a réunis à Aulis. Il finit par céder à la compassion et par avouer à Clytemnestre et à Achille les raisons de l’avènement d’Iphigénie à Aulis, raisons uniquement connues de lui, d’Agamemnon, d’Ulysse, de Calchas et de Ménélas.
Ici, Arcas prouve encore sa fidélité envers son maître, bien qu’il s’agisse plus de la reine que du roi. On note également une trahison de sa part envers Agamemnon puisqu’il va interférer et permettre à Iphigénie de s’enfuir pour éviter l’immolation. Cet acte montre un comportement noble et humain de la part d’Arcas qui, loin de penser aux dieux et à leurs faveurs, pense à la famille, à la douleur de la reine et de sa fille et à la justice avant tout.
Clytemnestre, dans ce troisième acte, est heureuse du mariage de sa fille avec Achille. En apprenant les intentions de son mari, son premier réflexe est le désir de sauver sa fille, il supplie donc Achille pour le faire. Clytemnestre est intrépide, pourvue d’un grand amour maternel, cependant, elle ne tente pas de comprendre Agamemnon, elle veut uniquement l’arrêter et l’empêcher de parvenir à ses fins.
Achille, lui, est un jeune homme honorable et vertueux qui accepte d’aider Clytemnestre. Toutefois, sa rage envers Agamemnon ne concerne pas uniquement Iphigénie qu’il va tuer, mais concerne surtout le fait qu’il ait utilisé son nom, sans l’en avoir avisé, à des fins sanglantes. Il se sent déshonoré et veut se venger d’avoir ainsi été utilisé, ressentant la honte peser sur lui, sachant que son faux mariage masque en fait un assassinat.
- Le quatrième acte
- Le déroulement de l’histoire
Dans cet acte, les trois œuvres racontent toutes l’affrontement entre Iphigénie et son père. La princesse tente de comprendre son père, elle veut des explications quant à son attitude et au fait qu’il veuille l’immoler. Iphigénie tente de supplier son père d’épargner sa vie, en même temps, elle lui témoigne toujours de la compréhension et de l’affection.
Agamemnon est, dans ce quatrième acte, à mi-chemin entre laisser sa fille s’enfuir ou la sacrifier. Il est piégé entre deux sentiments paradoxaux : celui d’être père et celui d’être roi. Clytemnestre, elle, est déterminée à sauver sa fille avant tout, tel est également le cas d’Achille.
- Les traits de caractères des personnages
Les points communs dans le quatrième acte de chaque réécriture d’Iphigénie relevés, nous allons nous focaliser sur les traits de caractères des personnages en commun présents dans cet acte, c’est-à-dire de Clytemnestre, d’Iphigénie, d’Achille et d’Agamemnon.
Iphigénie, bien que malheureuse des intentions de son père, est compréhensive, noble, gentille, mais également naïve. Elle excuse son père pour ses actes, contrairement à Clytemnestre qui ne peut lui pardonner ses intentions et qui veut à tout prix sauver sa fille, au risque de désobéir à son mari, le roi. Achille est un personnage vaillant et fort, il n’hésite pas à se dresser contre le roi pour l’empêcher de commettre l’irréparable.
- Le cinquième acte
- Le déroulement de l’histoire
L’œuvre d’Euripide intitulée Iphigénie à Aulis ne contient pas de cinquième acte, cependant, il renferme un « exodos » qui narre l’essentiel des faits contés dans le cinquième acte d’Iphigénie de Racine et de The victim de Johnson. Il s’agit ici du rebondissement qui a marqué la fin de chaque livre, c’est-à-dire la vie sauve d’Iphigénie. Alors que Clytemnestre est persuadée que sa fille est déjà en train de mourir, Iphigénie a finalement la vie sauve, les dieux lui étant favorables.
- Les traits de caractères des personnages
Clytemnestre est le seul personnage en commun dans le dernier acte des trois œuvres. Elle est ici impuissante et croit en l’intervention des dieux pour sauver sa fille.
- Résumé
Pour résumer, nous dirons qu’Iphigénie à Aulis d’Euripide, The victim de Johnson et Iphigénie de Racine présentent des similitudes et sont basés sur le mythe d’Iphigénie. Nous avons vu dans cette partie les points communs au niveau des actes, des personnages, du fond de l’histoire, etc. Nous avons donc déterminé que dans chacun des cas, Iphigénie est une héroïne pieuse, compréhensive, compatissante, noble, confiante, etc. Elle regorge de qualités humaines qui font d’elle une jeune princesse dévouée autant du point de vue patriotique que vis-à-vis de sa propre famille.
Le personnage d’Iphigénie est ainsi dépeint dans chacun de ces livres. On note que dans la similitude entre ces trois livres, les auteurs restent fidèles aux caractères des personnages, c’est-à-dire que les personnages en commun dans les trois réécritures ont le même caractère :
- Iphigénie est héroïque, compréhensive, obéissante, noble, sage, etc.
- Agamemnon est ambitieux, sous l’emprise des dieux, puissant et entêté
- Clytemnestre est une mère dévouée, obéissante envers son mari mais fidèle à ses principes et observatrice de la loi et des coutumes
- Achille est loyal, respectueux, fougueux, audacieux, etc.
- Arcas est fidèle, respectueux, dévoué à ses maîtres, compatissant.
Nous pouvons également détecter une caractéristique commune à chacun des trois récits : une soumission aux dieux. A cette époque, les dieux grecs apportent la vie comme la mort, sont craints et hautement respectés. Leur désir est explicitement exaucé et prioritaires, qu’importe les vies arrachées ou le prix à payer. La peur des dieux et de leur pouvoir est immense, Agamemnon en est la preuve puisqu’il est prêt à satisfaire le souhait d’Artémis de sacrifier sa fille pour pouvoir envoyer son armée à Troie et gagner la guerre :
« C’est justement cet éclat qui nous perd. Toute préséance est flatteuse, mais révèle un poison dès qu’on y a goûté. Une faute est commise au service des dieux, et voilà une vie ruinée. Ou bien ce sont les hommes. Sans cesse ils changent d’opinion ; rien jamais ne les satisfait, et ils nous broient. » (Agamemnon dans Iphigénie à Aulis)
Heureux qui, satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l’état obscur où les dieux l’ont caché ! (Agamemnon dans Iphigénie de Racine).
Outre la peur ou la soumission aux dieux, on note également un régime patriarcal très dominant. Ainsi, le roi et père de famille a l’autorité absolue, sa femme et ses enfants lui doivent une obéissance totale et n’ont pas le droit de refuser ses ordres ni de protester contre lui :
J’avais plus espéré de votre complaisance.
Mais puisque la raison ne vous peut émouvoir,
Puisque enfin ma prière a si peu de pouvoir,
Vous avez entendu ce que je vous demande,
Madame : je le veux, et je vous le commande.
Obéissez. (Agamemnon à Clytemnestre, Iphigénie, acte III, scène I)
I hop’d I might prevail by mild persuasion
But since the force of reason stirs you not,
Know’tis my Will you come not to the Altar,
‘tis my command; reply not, but obey (Agamemnon to Clytemnestra, The victim, Johnson, Act III)
Toujours dans le cadre de la soumission et de la dévotion, nous sommes également en présence d’une époque durant laquelle la fidélité et la servitude des domestiques et serviteurs sont encore d’actualité. Arcas et Eurybate sont alors dévoués au maximum au roi et à Clytemnestre et leur servent depuis de longues dates. Le roi et la reine leur assignent même des tâches de la plus haute importance :
Ce qu’elle tient enfermé dans ses plis, je m’en vais te le dire, car tu nous es fidèle, à ma maison aussi bien qu’à ma femme. (Agamemnon à Arcas, Iphigénie à Aulis, Acte I)
Après avoir relevé les invariants du mythe d’Iphigénie dans les œuvres d’Euripide (Iphigénie à Aulis), de Racine (Iphigénie) et de Johnson (The Victim), nous allons exposer les différents variants au mythe dans la partie ci-dessous.
- Les variants du mythe
Les trois réécritures du mythe d’Iphigénie (The victim, Iphigénie, Iphigénie à Aulis) ne renferment pas que des invariants, mais aussi des variants, c’est-à-dire des éléments différenciant les trois récits. Nous allons les présenter ci-après.
- Les invariants du mythe d’Iphigénie dans les œuvres d’Euripide, de Johnson et de Racine
- Le fond de l’histoire
Comme nous l’avons vu plus tôt, les trois réécritures du mythe d’Iphigénie que nous analysons ici présentent divers variants. D’un point de vue global, le fond de l’histoire lui-même offre des variants, pouvant mener à une contradiction entre les œuvres puisque l’histoire est quand même modifiée sous certains aspects.
Chacune de ces réécritures raconte l’histoire d’Iphigénie, fille de Clytemnestre et d’Agamemnon, reine et roi d’Argos et d’Aulis. Les trois auteurs sont restés fidèles à certaines bases fondamentales du mythe comme le fait qu’Iphigénie soit toujours la fille de ces deux personnages, qu’elle soit choisie comme sacrifice pour libérer l’armée Atride, qu’elle soit si proche de son père et entièrement dévouée à lui, qu’elle soit compréhensive, que Calchas soit le devin dans l’histoire, etc.
Cependant, certaines scènes et plusieurs concepts sont revus dans chaque écriture. Si donc ces trois œuvres désignent Iphigénie comme sacrifice offert par son père à Artémis mais qui, au final, ne périra pas à la fin du récit, le déroulement de l’histoire jusqu’à cette fin regorge de nombreuses différences.
Dans Iphigénie à Aulis, Iphigénie est amenée à Aulis sous prétexte d’un mariage avec Achille, fils de Thétis. Cependant, en découvrant les manigances de son père concernant son immolation, elle se résigne facilement à se sacrifier pour le peuple grec, pour le présent mais aussi pour le futur :
J’ai réfléchi, ma mère, et j’ai compris que je dois accepter de mourir. Mais j’entends me donner une mort glorieuse, en rejetant toute faiblesse. Considère avec moi combien j’ai raison de parler ainsi. Vers moi en ce moment, la Grèce tout entière, la puissante Grèce regarde. De moi dépend le départ des navires et la ruine de Troie. De moi dépend qu’à l’avenir les épouses soient protégées.(Iphigénie à Clytemnestre, dans Iphigénie à Aulis, Euripide, quatrième épisode).
La résolution d’Iphigénie est prise après seulement quelques instants, elle accepte de se livrer à l’autel pour être sacrifiée et mourir de façon glorieuse. Cependant, lorsque Calchas commence le sacrifice, un miracle se produit et Iphigénie est remplacée par une biche dont le sang se répand sur l’autel :
O miracle soudain ! Chacun avait bien entendu frapper un choc, mais personne ne vit disparaître la jeune fille. Le prêtre jette un cri, l’armée entière lui répond, à la vue du prodige œuvre de quelque dieu qui était devant nous, sans qu’on pût bien y croire. Allongée sur le sol palpitait une biche, très grande et d’une admirable beauté, arrosant de son sang l’autel de la déesse. Quelle est alors la joie de Calchas, qui s’écrie : « Chefs de l’armée des Grecs, confédérés, voyez cette victime que la déesse a mise sur l’autel. C’est une biche des montagnes, qu’elle veut recevoir de préférence à la jeune fille, pour ne pas souiller son autel de ce sang généreux. Elle l’accepte avec faveur et nous accorde un vent propice et l’assaut d’Ilion. Que tous maintenant reprennent courage. Matelots, aux navires. Aujourd’hui même nous devons quitter Aulis et ses passes étroites pour traverser la mer Egée. » (Iphigénie à Clytemnestre, dans Iphigénie à Aulis, Euripide, Exodos)
On raconte qu’Artémis a eu pitié de cette dernière et l’a enlevée près d’elle au ciel, et qu’après, le vent revint et la flotte put se dégager.
Dans Iphigénie de Racine, Iphigénie est offerte en sacrifice par son père et lutte énormément pour vivre mais, au final, cède quand même face à l’autorité du roi, par respect, amour, obéissance et reconnaissance envers lui qui lui a donné la vie et mérite de la prendre:
Ma vie est votre bien ; vous voulez le reprendre :
Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre.
D’un œil aussi content, d’un cœur aussi soumis
Que j’acceptais l’époux que vous m’aviez promis,
Je saurai, s’il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente,
Et respectant le coup par vous−même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m’avez donné. Si pourtant ce respect, si cette obéissance (Iphigénie à Agamemnon, dans Iphigénie de Racine, Acte IV)
La façon dont Iphigénie est sauvée de l’immolation est également différente de celle utilisée dans Iphigénie à Aulis et The victim. En effet, en voulant immoler Iphigénie, Calchas fut possédé par les dieux qui lui ont révélé l’identité de la vraie Iphigénie qu’ils exigeaient en sacrifice, une Iphigénie née de l’union secrète d’Hélène et de Thésée, qui n’est autre qu’Eriphile. Celle-ci finit par se poignarder la poitrine pour assouvir le sacrifice et se racheter auprès d’Achille pour avoir dénoncé la fuite de sa promise. D’ailleurs, c’est également grâce à Achille qu’Iphigénie a pu être sauvée :
Entre les deux partis Calchas s’est avancé,
L’œil farouche, l’air sombre et le poil hérissé,
Terrible, et plein du dieu qui l’agitait sans doute :
“Vous, Achille, a-t-il dit, et vous, Grecs, qu’on m’écoute.
Le dieu qui maintenant vous parle par ma voix
M’explique son oracle, et m’instruit de son choix.
Un autre sang d’Hélène, une autre Iphigénie
Sur ce bord immolée y doit laisser sa vie.
Thésée avec Hélène uni secrètement
Fit succéder l’hymen à son enlèvement.
Une fille en sortit, que sa mère a celée ;
Du nom d’Iphigénie elle fut appelée.
Je vis moi−même alors ce fruit de leurs amours ;
D’un sinistre avenir je menaçai ses jours.
Sous un nom emprunté sa noire destinée
Et ses propres fureurs ici l’ont amenée.
Elle me voit, m’entend, elle est devant vos yeux, Et c’est elle, en un mot,
que demandent les dieux.” (Iphigénie de Racine, Acte V, scène V)
A la fin, l’autel est saisi par le tonnerre qui augure le retour du vent et donc l’immobilisation de la flotte, Agamemnon offre sa fille à Achille et Clytemnestre lui est éternellement redevable pour avoir sauvé sa fille.
Quant à The victim de Johnson, son scénario est le plus proche d’Iphigénie de Racine, l’histoire se déroule exactement de la même manière, seulement, Achille n’intervient pas durant le sacrifice et arrive bien plus tard, lorsqu’Eriphile est déjà morte sur l’autel :
Achil. Where are these pious Murtherers, these Priests
That thirst for blood, blood of innocents
And on the gods impose their barbarous crimes?
Destroy Patroclus, cut’em from the Earth
Agam. Restrain your Age…behold, all gracious heav’n
Has fav’d our Iphigenia; see, she lives
Achil. Oh my soul’s joy and transport! Do I hold thee
Once more? And shall I live to call thee mine?
What interposing God redeem’d thy life
What do I see, Eriphile! – and bleeding!
Agam. The Goddess has reveal’d her Will by Calchas;
Eriphile’s the victim heav’n demanded (the victim, Johnson, Act V, scene II)
- Les actes
Chaque acte des trois réécritures du mythe d’Iphigénie est pourvu d’éléments différenciateurs. Nous allons voir les actes un à un afin de le prouver.
- Le premier acte
- Le déroulement de l’histoire
Les trois réécritures du mythe d’Iphigénie ont été élaborées de manière différente par des auteurs différents. Plusieurs différences sont constatées entre elles au niveau des actes. Si l’on s’en tient au premier acte, on note des variants au niveau des personnages qui entrent en scène ici. Dans Iphigénie à Aulis, Agamemnon et Arcas sont les premiers à apparaître dans le récit, dans le prologue qui se situe avant le premier acte.
Agamemnon raconte à son serviteur l’histoire d’Hélène à cause de laquelle la guerre est engagée : Hélène put choisir son mari qui est Ménélas, frère d’Agamemnon. Mais un homme de Phrygie appelé Pâris l’a enlevée, elle et lui étant amoureux. Ménélas engage alors l’armée pour la récupérer et nomme Agamemnon commandant de la flotte.
Agamemnon se rétracte et veut épargner sa fille, Ménélas tente alors de l’en dissuader. Dans l’acte premier, Ménélas tente d’intercepter le message d’Agamemnon qui se rétracte et ne veut plus immoler sa fille. Il se fâche et se dispute contre Agamemnon qui essaie de lui expliquer en vain la difficulté d’offrir sa fille en sacrifice pour lui rendre une épouse frivole et désobéissante. Les deux hommes sont surpris par le serviteur de Clytemnestre qui leur raconte qu’Iphigénie et Clytemnestre et Oreste sont déjà près d’Aulis et qu’ils doivent donc préparer leur arrivée.
En voyant le chagrin du roi, Ménélas décide de laisser tomber le sacrifice, s’excuse auprès de son frère, comprend sa situation et lui demande de licencier l’armée. Cependant, Agamemnon change à nouveau d’avis à cause de la peur du peuple qui pourrait être au courant de tout et se fâcher à cause de sa lâcheté si Ulysse décidait de tout lui avouer. Il dit alors au serviteur ainsi qu’à son frère de se taire et se décide finalement à permettre l’immolation d’Iphigénie.
Outre le changement de l’histoire sur plusieurs détails, le premier acte d’Iphigénie à Aulis est introduit par un prologue, poursuivi par un parados constitué de strophe, d’antistrophe et d’épode et chanté par un chœur. Ce dernier décrit l’histoire d’Hélène et détaille sa trahison envers Ménélas.
En outre, ce premier acte est appelé « premier épisode », ce qui n’est pas le cas dans The victim et Iphigénie. Après le premier épisode arrive un « premier stasimon » constitué de strophe, d’antistrophe et d’épode.
Ce dernier narre la venue de Pâris en Grèce en vue de résoudre un conflit entre Phrygie et la Grèce et comment il a succombé aux charmes d’Hélène.
Dans Iphigénie de Racine, chaque acte, du premier au cinquième, est constitué de plusieurs scènes, une caractéristique inexistante chez Iphigénie à Aulis mais présente chez The victim, dont le nombre de scène se limite pourtant à un seul, sauf dans le cinquième acte. Ainsi, le premier acte d’Iphigénie comporte cinq scènes.
La première est jouée par Arcas et Agamemnon et parle essentiellement du sacrifice d’Iphigénie et du changement d’avis d’Agamemnon qui ne veut plus immoler sa fille. Agamemnon, pour se défendre de ses intentions, explique à Arcas la façon dont Ulysse l’a persuadé d’offrir sa fille en sacrifice au nom du royaume, de la victoire et de la paix.
La seconde scène met en place trois personnages : Achille, Ulysse et Agamemnon. Achille est heureux car il a appris qu’Agamemnon veut l’unir à Iphigénie. Effrayé, Agamemnon demande à Ulysse s’il a tenu Achille informé de son projet funeste, ce qui n’est pas le cas. Puis, Achille et le roi reprennent leur discussion, Achille essaie de le persuader à tout prix de lui accorder la main de sa fille et le flatte, voulant être près de lui et combattre à ses côtés.
La troisième scène comporte deux personnages : Agamemnon et Ulysse. Agamemnon ne veut plus sacrifier sa fille, il y consent mais ne veut pas ternir son bonheur. Ulysse lui explique qu’il doit tenir la promesse faite au peuple à qui Calchas a déjà prédit le retour du vent, qu’il ne faut pas décevoir le peuple et donner Iphigénie en sacrifice, sinon Calchas dira tout au peuple qui se révoltera contre Agamemnon :
De ce soupir que faut−il que j’augure ?
Du sang qui se révolte est−ce quelque murmure ?
Croirai−je qu’une nuit a pu vous ébranler ?
Est−ce donc votre coeur qui vient de nous parler ?
Songez−y : vous devez votre fille à la Grèce,
Vous nous l’avez promise ; et sur cette promesse,
Calchas, par tous les Grecs consulté chaque jour,
Leur a prédit des vents l’infaillible retour.
A ses prédictions si l’effet est contraire,
Pensez−vous que Calchas continue à se taire,
Que ses plaintes, qu’en vain vous voudrez apaiser,
Laissent mentir les dieux sans vous en accuser ?
Dans la quatrième scène arrive Eurybate qui se joint à Ulysse et Agamemnon pour leur annoncer que Clytemnestre et Iphigénie ne sont plus loin d’Aulis et qu’Eriphile les accompagne. Le peuple est heureux de voir sa jeune princesse, quoiqu’il s’interroge sur sa venue, puisqu’il n’est pas au courant des desseins d’Agamemnon. La cinquième scène est encore jouée par Agamemnon et Ulysse qui finit par comprendre les sentiments du roi, lui-même étant père, mais rappelle que le sacrifice est inévitable et que les dieux ont déjà agi, permettant à Iphigénie d’être déjà sur le chemin. Il permet au roi de pleurer sa peine loin de tout œil, Agamemnon lui demande ensuite de garder le secret et de faire taire Calchas sur le sacrifice. Il accepte l’immolation de la jeune fille et promet de garder sa mère loin de l’autel pour ne pas avoir à assister à y assister.
Dans The victim de Johnson, le premier acte ne comporte qu’une seule scène jouée par Ménélas, Arcas, Eurybate, Agamemnon, Achille et Ulysse. Ici, ce sont Eurybate et Arcas qui discutent du destin funèbre attendant Iphigénie à son arrivée à Aulis. Agamemnon arrive ensuite et remet la lettre de report du mariage de sa fille à Arcas.
Il faut préciser que The victim est, dans plusieurs passages de ses cinq actes, une traduction d’Iphigénie de Racine. On y rencontre donc les mêmes faits, comme l’arrivée d’Ulysse et Achille, l’anxiété d’Achille d’épouser Iphigénie car il en est amoureux, la persuasion et la compréhension d’Ulysse vis-à-vis d’Agamemnon au sujet du sacrifice. La différence entre les deux œuvres réside dans l’annonce de l’arrivée d’Iphigénie qui, ici, est effectuée par Ménélas.
- Les traits de caractères des personnages
Certains personnages, n’étant pas présents dans le premier acte des deux autres œuvres, apparaissent dans le premier épisode d’Iphigénie à Aulis : Ménélas, le coryphée et le serviteur de Clytemnestre. Ménélas est le mari d’Hélène et le frère d’Agamemnon. Il intervient ici afin de persuader son frère de sacrifier sa fille pour son honneur. Le coryphée est un personnage à part, dont l’intervention consiste à commenter les évènements. A titre d’exemple :
Le Coryphée
Moi aussi je te plains. Une étrangère peut bien compatir au malheur des rois. (Iphigénie à Aulis, Euripide, premier épisode)
Le coryphée n’intervient pas directement dans le dialogue mais émet son avis sur la tristesse d’Agamemnon de devoir immoler sa fille. Le serviteur, lui, ne fait qu’annoncer l’arrivée de Clytemnestre, d’Iphigénie et d’Oreste, son petit frère, qui n’apparaît pas non plus dans les deux autres réécritures.
Achille, Ulysse et Eurybate sont les personnages ajoutés dans le premier acte d’Iphigénie de Racine. Eurybate n’est que de passage et annonce l’arrivée d’Iphigénie et de Clytemnestre à Aulis. Ulysse persuade Agamemnon de sacrifier sa fille pour éviter le courroux du peuple. Achille, quant à lui, est amoureux d’Iphigénie et se réjouit de son mariage avec elle. Les personnages ajoutés dans le premier acte d’Iphigénie de Racine sont Eurybate, Achille, Ulysse et Ménélas.
- Le second acte
- Le déroulement de l’histoire
Dans le second épisode d’Iphigénie à Aulis, Iphigénie et Clytemnestre sont déjà dans la baraque d’Agamemnon. Agamemnon réserve un accueil réservé et semble distant vis-à-vis de sa fille. Pour masquer la véritable nature de ses sentiments, il prétend être triste que sa fille demeurera loin de lui et de sa famille à cause de son mariage.
Peu après, sa femme veut dresser l’autel pour le sacrifice pour le mariage d’Iphigénie, le roi y consent mais se ravise et lui demande de rentrer à Argos auprès de ses autres filles car il donnera lui-même la main d’Iphigénie à Achille devant les grecs. Clytemnestre refuse de se soumettre à cet ordre qui est contraire à la tradition et veut assister aux noces de sa fille. Le chœur se livre ensuite au second stasimon qui raconte l’arrivée de Ménélas à Phrygie pour reprendre son épouse.
Le second acte d’Iphigénie à Aulis comporte huit scènes. La première montre Eriphile et Doris en pleine conversation. Eriphile est chagrinée, elle envie Iphigénie qui est aimée de ses deux parents, elle qui ne connaît pas les siens et vient consulter Calchas à ce sujet, car un oracle lui a dit qu’elle ne les connaitra jamais.
Elle place alors l’espoir sur Calchas, d’où sa venue à Aulis. Elle est également triste car elle est tombée amoureuse d’Achille qui l’a rendue captive après avoir conquis Lesbos. Il est ici question du tourment d’Eriphile à cause de son amour pour Achille, de sa jalousie envers Iphigénie et de ses attentes vis-à-vis de Calchas.
Dans la seconde scène, on retrouve quatre personnages : Agamemnon, Iphigénie, Eriphile et Doris. Iphigénie et Agamemnon discutent, la princesse étant au comble du bonheur de revoir son père qu’elle admire et vénère presque.
De son côté, le roi est triste et froid, il n’ose pas regarder sa fille en face, il est malheureux de devoir la trahir. Iphigénie, sachant que Calchas organise un grand sacrifice sans pourtant connaitre sa position d’offrande, demande à son père si elle va y prendre part, ce dernier répond par l’affirmative.
La troisième scène est jouée par Iphigénie, Eriphile et Doris. Iphigénie s’entretient avec Eriphile, elle est déçue de l’accueil glacial de son père et soupçonne un malheur en rapport avec son arrivée sans savoir exactement ce qui va se passer. Elle s’étonne du fait qu’Achille ne soit pas à Aulis pour la voir, elle a peur que le mariage ne renferme un quelconque évènement malheureux. Elle craint qu’Achille ne soit aussi froid que son père.
Dans la quatrième scène, Clytemnestre, Iphigénie, Eriphile et Doris sont présentes. Clytemnestre a reçu la lettre d’Agamemnon adressée à elle et sa fille de la part d’Arcas et découvre qu’Achille veut reporter le mariage. Elle veut emmener Iphigénie loin et repartir aussitôt, avec orgueil pour prouver à Achille que sa fille ne l’attend pas. Elle ne prie pas Eriphile de venir avec elles, elle sait qu’elle n’est pas venue uniquement pour voir Calchas mais qu’elle a des projets cachés.
La cinquième scène raconte l’affrontement entre Iphigénie et Eriphile en présence de Doris. Iphigénie comprend qu’Eriphile est venue avec elle à Aulis pour voir Achille et non Calchas, elle s’indigne d’avoir accueilli sa rivale à bras ouverts, de ne pas avoir compris ce qu’il en était. Elle se fâche mais pardonne, elle veut partir, elle accepte sa défaite. Eriphile tente vainement de se défendre et de lui expliquer qu’elle a peu de chance par rapport à Iphigénie de conquérir Achille vu qu’elle vient d’une classe noble et qu’elle ne connait même pas ses parents.
Dans la sixième scène, Achille se joint à Iphigénie, Eriphile et Doris. Il s’étonne de voir Iphigénie à Aulis et lui demande ce qui l’a fait venir, son père ayant assuré le contraire. Iphigénie lui dit qu’elle va rentrer et qu’il n’aura pas à la supporter, conformément à son changement d’avis.
Dans la septième scène, Achille est étonné de la réaction d’Iphigénie, il est conscient qu’elle le fuit mais n’en connaît pas la raison. Il se présente à Eriphile et Doris et leur demande ce qui se passe et la raison pour laquelle Iphigénie se trouve dans le royaume. Eriphile reste perplexe et se rend compte qu’Achille, lui-même, n’est au courant de rien propos de son propre mariage.
Dans la dernière scène du second acte d’Iphigénie, Eriphile s’étonne du fait qu’Agamemnon fasse autant de mystère et cache autant de choses à sa propre fille et à Achille.
Enfin, le second acte de The victim de Johnson relatant le même fond d’histoire que les deux autres récits avec lequel nous le comparons, est constitué d’une seule scène jouée par Eriphile, Doris, Agamemnon, Iphigénie, Clytemnestre et Achille. Il est similaire en tout point avec le second acte d’Iphigénie de Racine, sauf pour les détails ci-après :
- Ici, Eriphile veut empêcher le mariage d’Achille et d’Iphigénie et préfère mourir que de voir une telle union scellée.
- Elle se réjouit intérieurement du report du mariage des deux.
- Lorsque Clytemnestre s’en va, Eriphile, Iphigénie et Doris discutent seules, à l’allusion de Clytemnestre qu’Eriphile n’est pas venue pour voir Calchas mais pour autre chose, Iphigénie comprend qu’elle est amoureuse d’Achille et le lui dit, Eriphile avoue tout. Elle avoue sa passion pour Achille avec arrogance et fierté et se réjouit du report de son mariage avec Iphigénie.
- Lorsqu’elle s’aperçoit qu’Achille est offensé et dérouté par l’indifférence d’Iphigénie à son égard, Eriphile comprend qu’il en est toujours amoureux. Achille lui demande la raison de l’attitude d’Iphigénie. Eriphile lui répond alors que c’est sûrement à cause des préparatifs pour le mariage et qu’il n’a rien à craindre car ils sont tous les deux heureux.
- Conscient de certaines lacunes dans l’histoire, Achille part, déterminé à découvrir ce qu’Agamemnon et Ménélas cachent.
- Eriphile se demande alors si elle peut espérer qu’un jour, Achille lui voue autant d’amour.
- Les traits de caractères des personnages
Dans le second épisode d’Iphigénie à Aulis, seule la présence du coryphée n’est pas en commun avec les deux autres œuvres. Le second acte d’Iphigénie est marqué par l’apparition d’Eriphile, personnage non existant dans Iphigénie à Aulis. Eriphile est une captive d’Achille, elle vient de Lesbos, voue un amour secret pour Achille et veut retrouver ses parents qui, selon un oracle, sont de sang royal. Elle entretient des liens amicaux avec Iphigénie qu’elle considère plutôt comme une rivale et qu’elle envie secrètement.
Doris est également un personnage non existant chez Iphigénie à Aulis. Elle est fidèle à Eriphile et est une servante. Achille apparaît également dans ce second acte d’Iphigénie. Dans The victim, Eriphile, Doris et Achille sont les personnages ajoutés au second acte. Johnson dépeint Eriphile comme étant une femme plus sombre, presque machiavélique, animée par la jalousie envers la princesse Iphigénie, l’envie de détruire son mariage et d’être aimée par Achille à qui elle ne dit pas la vérité lorsqu’il l’interroge sur l’attitude de sa promise.
- Le troisième acte
- Le déroulement de l’histoire
Le troisième épisode d’Iphigénie à Aulis d’Euripide est très différent de celui d’Iphigénie de Racine et de The victim de Johnson.
Achille arrive devant la baraque d’Agamemnon et se plaint de l’immobilisation de la flotte dans le détroit, il pense qu’un dieu y est pour quelque chose et attend des réponses d’Agamemnon. En entendant ses propos, Clytemnestre sort à sa rencontre et se réjouit de voir son futur beau-fils. Ce dernier est étonné par l’annonce du mariage, n’ayant jamais demandé la main d’Iphigénie. Clytemnestre et lui sont donc confus. Il prend congé de la reine et pénètre dans la baraque pour trouver Agamemnon. Un vieux serviteur l’accueille.
Le vieillard, qui est un serviteur dévoué à Clytemnestre et à Agamemnon, avoue à la reine et à son présumé futur gendre, que le roi veut tuer Iphigénie. Il leur confie également qu’Agamemnon les a fait venir pour un faux mariage. Achille s’indigne et ne veut pas pardonner le roi pour ce qu’il a l’intention de faire ni pour avoir associé son nom à son terrible ministère et bafouillé son honneur.
Désemparée, Clytemnestre demande à Achille de sauver sa fille, il accepte, pas uniquement à cause du mariage ni par égard pour Iphigénie, mais parce qu’il se sent outragé et insulté par Agamemnon pour avoir mêlé son nom à ses combines. Le coryphée apparaît et compatit avec Clytemnestre.
Achille propose de raisonner Agamemnon en le prenant par les sentiments, mais Clytemnestre lui dit que ce n’est pas possible, étant donné qu’il est lâche et qu’il craint trop l’armée. Achille insiste quand même et demande à Clytemnestre lui rappelle qu’un père ne doit pas tuer ses enfants. Il veut agir sans recourir à la violence et sans intervenir directement, laissant à Clytemnestre le soin de raisonner son mari. En cas d’échec, il prévoit des manières plus radicales.
Le chœur entame le troisième stasimon qui décrit, fictivement, l’hymen d’Achille et d’Iphigénie.
Le troisième acte d’Iphigénie de Racine est composé de sept scènes. La première scène raconte l’affrontement entre Agamemnon et Clytemnestre. Lorsqu’Agamemnon rejoint Clytemnestre, celle-ci lui confie qu’elle allait rentrer à Argos avec Iphigénie quand Achille leur en a dissuadé, voulant l’épouser le plus vite possible.
De son côté, Achille est heureux et en colère, il cherche à comprendre car il veut épouser Iphigénie mais souhaite d’abord tout éclaircir avec Agamemnon.
Agamemnon fait semblant d’être heureux que le mariage se fasse, mais veut que Clytemnestre n’accompagne par Iphigénie à l’autel en prétextant comme excuse la guerre et la tension qui règnent à Aulis. Voyant le refus de sa femme, sa demande se change en ordre auquel elle ne peut se dérober.
La seconde scène relate la réflexion de Clytemnestre qui se demande pourquoi le roi l’éloigne des noces de sa fille mais se résout à l’obéir. Dans la troisième scène, elle est rejointe par Achille qui annonce qu’il a croisé Agamemnon qui ne lui a pas donné d’explication mais l’a embrassé et l’accepte comme gendre. Il est heureux du mariage qui devrait se faire dans une heure, après que Calchas ait réalisé le sacrifice s’y afférent, et expose son bonheur à sa future belle-mère.
La quatrième scène est une manifestation de la bonté d’Iphigénie qui, malgré les sentiments d’Eriphile, amène Eriphile devant Achille pour qu’il la libère de sa captivité depuis la guerre qu’il a menée et gagnée contre Lesbos. La cinquième scène détaille l’aveu d’Arcas qui, pris de compassion pour la reine et par dévotion envers elle, avoue l’intention d’Agamemnon de tuer sa fille. Clytemnestre confie Iphigénie à Achille et va voir Agamemnon pour lui exposer sa colère et demander à Calchas de trouver une autre victime, allant même jusqu’à vouloir remplacer sa fille si besoin est.
La sixième scène met en place une discussion entre Achille et Iphigénie. Achille s’indigne de la perfidie d’Agamemnon qui a préparé et répandu un faux mariage pour pouvoir amener sa fille à l’autel afin de la sacrifier. Il a honte de l’usage dont son nom a été fait, se sentant abusé et veut en demander la raison à Agamemnon. Face à la méprise et à la colère d’Achille envers le roi, Iphigénie lui rappelle que malgré tout cela, il est son père, Achille ne le voyant plus que comme son assassin.
Iphigénie comprend et défend son père, elle s’inquiète du sort qu’Achille pourrait lui affliger. De son côté, Achille s’indigne qu’elle ne lui en veuille pas mais qu’elle prenne plutôt sa défense.
Il considère l’amour d’Iphigénie comme incomplet, face à ses sentiments pour son père. Elle pense même à accepter le sacrifice.
Dans la septième scène, Clytemnestre revient, désespérée car Agamemnon lui refuse l’accès à l’autel en lui barrant la route à l’aide de ses gardes. Pour elle, seul Achille pourrait sauver sa fille. Ce dernier, fou de rage, veut rejoindre Agamemnon pour le dissuader de tuer sa fille. Face à sa colère, Iphigénie, inquiète pour son père, propose d’y aller à sa place. Achille raccompagne Clytemnestre à sa baraque et lui promet de sauver sa fille au péril de sa vie.
L’acte III dans The victim a énormément en commun avec celui d’Iphigénie de Racine. Agamemnon accepte le mariage, ordonne à Clytemnestre de rentrer à Argos. Ensuite, il est trahi par Arcas qui dévoile ses plans à Iphigénie. Il s’attire aussi les foudres de la reine et de son futur gendre qui sont prêts à tout pour sauver leur Iphigénie.
- Les traits de caractères des personnages
Le troisième épisode d’Iphigénie à Aulis ne comporte qu’un personnage qui n’apparaît pas dans le troisième acte d’Iphigénie et de The victim : le chœur. Il apparaît utile de préciser, cependant, qu’Achille, n’est pas amoureux d’Iphigénie dans ce troisième épisode et qu’il s’empresse de vouloir défendre son nom plus que la princesse.
Dans Iphigénie de Racine et dans The victim de Johnson, Agamemnon, Iphigénie, Eriphile, Aegine et Doris sont les personnages ajoutés. Agamemnon se distingue, ici, par sa soif de pouvoir qui l’aveugle et le conduit à préparer la mort de sa fille. Eriphile, Aegine et Doris sont des personnages muets faisant figure de « figurantes » et ne prenant pas part à la conversation.
Quant à Iphigénie, elle fait preuve de compassion, comme à son habitude. Elle est vertueuse, compréhensive, mais aussi naïve qu’innocente. Elle défend son père qui veut la livrer à la mort, au grand regret d’Achille qui ne saisit pas ses sentiments et la considère comme manquant d’amour envers lui.
- Le quatrième acte
- Le déroulement de l’histoire
Le quatrième épisode d’Iphigénie à Aulis annonce déjà la fin du récit. Clytemnestre attend Agamemnon tandis qu’Iphigénie pleure à cause de la mort qui l’attend, orchestrée par son père. Lorsque le roi daigne enfin se montrer, Clytemnestre demande à Iphigénie d’aller chercher son petit-frère Oreste.
Elle s’explique avec Agamemnon, en lui rappelant comment il l’a arrachée à son premier mari qu’il a tué, comment il a tué son premier-né et comment il a été sauvé par son père Tyndare de ses deux frères qui lui ont déclaré la guerre. Elle supplie Agamemnon de ne pas immoler Iphigénie, avec pour excuse sa fidélité et l’amour de ses autres enfants qui ne pourront plus le regarder en face. Iphigénie le supplie également de l’épargner avant son heure. Agamemnon est pourtant résigné à la tuer, par peur que l’armée grecque ne se venge sur lui et ses enfants dans le cas contraire.
Achille et ses hommes arrivent pendant qu’Iphigénie se plaint et veut se cacher car elle a trop honte de paraître devant Achille à cause du faux mariage. Achille annonce que les grecs réclament la mort d’Iphigénie et que lui-même a failli mourir pour avoir osé la défendre, même ses myrmidons se sont ligués contre lui. Les grecs, conduits par Ulysse, vont prendre Iphigénie pour l’amener à l’autel, mais Achille et une poignée d’hommes les en empêchent.
Iphigénie, illuminée par une brusque révélation, interrompt la discussion entre Clytemnestre et Achille et leur annonce sa résignation à mourir pour sauver la Grèce entière, mais en voulant une mort glorieuse, et avec force. Consciente de tout ce que sa mort apportera pour la Grèce, elle accepte son immolation pour devenir martyre pour son pays, sa gloire restera de sa mort qui libèrera les siens. Pour elle, puisqu’Artémis la veut, elle ne peut pas s’opposer à elle.
Achille loue son intention noble et déclare qu’il l’aurait aimée comme épouse de par son caractère, mais il désire quand même la sauver, donc il lui demande de bien choisir, il est déterminé à la sauver comme elle est déterminée à se sacrifier. Totalement résignée, Iphigénie demande à Clytemnestre de ne pas porter son deuil lorsqu’elle mourra et recommande la même chose pour ses sœurs. Sa dernière volonté est que Clytemnestre élève Oreste comme un homme, et qu’elle ne garde pas de haine contre Agamemnon.
Iphigénie est compréhensive, forte et brave ; elle comprend la position d’Agamemnon qui doit l’immoler malgré lui. Elle ne veut pas que sa mère l’amène à l’autel et demande à ce qu’un serviteur d’Agamemnon le fasse et que son père fasse le tour de l’autel en sa mémoire. Elle demande au chœur de chanter le péan pour Artémis, fille de Zeus, à laquelle elle s’offre pour sauver la vie de tous les grecs. Le chœur chante donc le quatrième stasimon par lequel il loue Iphigénie pour son acte et la déesse Artémis pour sa gloire.
Le quatrième acte d’Iphigénie de Racine diffère énormément du précédent acte. Il renferme onze scènes. Dans la première scène, Eriphile est toujours jalouse d’Iphigénie qui, malgré sa mort imminente, est le centre d’attention et a attendri le cœur d’Achille qui est connu comme étant impitoyable. Pour elle, Achille arrivera à empêcher la mort d’Iphigénie par n’importe quel moyen.
Eriphile est jalouse que le sort d’Iphigénie incite même Achille à se dresser contre la volonté des dieux, elle a envie de répandre la nouvelle, de trouver Agamemnon, de lui exposer les manigances d’Achille et des autres afin de leur barrer la route et de permettre au sacrifice d’avoir lieu. Elle veut troubler le mariage qu’elle qualifie d’odieux.
Dans la seconde scène, Clytemnestre s’indigne en voyant Agamemnon approcher, pour elle, il ne mérite pas l’indulgence et la compréhension d’Iphigénie qui cherche encore à le protéger, elle veut entendre ce qu’il a à dire.
Dans la troisième scène, Agamemnon reproche à sa femme de retarder sa fille parce qu’il ne veut pas qu’elle l’accompagne à l’autel. Il se fâche en ne voyant pas Iphigénie aux côtés de sa mère. Clytemnestre lui dit qu’Iphigénie est prête mais lui demande si lui, il l’est. Il répond que tout est paré, pourtant, elle lui demande pourquoi il ne lui parle pas de la victime, une question à laquelle il semble étonné.
Dans la cinquième scène, Clytemnestre est sarcastique, elle demande à sa fille de venir remercier son père qui, par sa bonté, veut lui-même la conduire à l’autel, Iphigénie vient en pleurant. En voyant également sa femme pleurer, Agamemnon comprend la trahison d’Arcas. Iphigénie ne veut pas être sacrifiée et ne comprend pas l’acte de son père, il n’avait pas à user d’une ruse de mariage pour la faire venir, elle se serait livrée sachant que sa vie et son sang, appartiennent à son père qui les lui a donné. Elle est dévouée et fidèle à Agamemnon.
Agamemnon demande à Iphigénie de se dresser fièrement, d’accepter l’immolation, de ne pas s’abaisser et de prouver aux Grecs qu’elle a son sang qui coule dans ses veines. Il avoue lui-même ne pas comprendre pourquoi Artémis veut le sang d’Iphigénie au lieu d’un autre. Clytemnestre s’indigne et considère que si les péchés d’Hélène valent la vie de sa fille, qu’on amène Hermione fille de Ménélas à sa place.
Elle demande aussi à Agamemnon de ne pas feindre de pleurer, lui qui a tout préparé derrière son dos. Pour elle, Agamemnon n’a d’estime que pour lui-même, préférant gloire et honneur à la vie de sa fille. Elle refuse le sacrifice, fait rentrer Iphigénie dans sa tente et défie Agamemnon de la lui prendre s’il l’ose.
Dans la cinquième scène, Agamemnon se demande que faire, ne s’étant pas attendu à une telle fureur de la part de sa femme. Dans la sixième scène, Achille arrive enfin auprès du roi et lui expose ce qu’il a entendu, sur le sacrifice, le mariage, sur le fait d’avoir souillé son nom et demande des explications à ce sujet.
Agamemnon s’indigne de l’attitude d’Achille qui veut sauver Iphigénie et qui refuse son immolation. Il lui rappelle qu’il n’a pas son mot à dire, qu’il est son père et que s’il veut se plaindre, c’est aux dieux, à Ulysse et à Ménélas qu’il devrait s’adresser. Il lui rappelle même que le sacrifice de sa fille ouvrira les portes de Troie à Achille qui les a toujours tant convoitées.
De plus en plus furieux, Achille lui rappelle alors qu’il ne veut Troie que pour servir Agamemnon, mais qu’il n’y voit aucun intérêt personnel. Il rappelle aussi qu’il ne doit rien à Ménélas et qu’il ne partira qu’avec Iphigénie. Agamemnon rompt alors les liens qui l’attachaient à Achille. Malgré sa profonde colère, Achille décide d’écouter et de respecter Iphigénie qui lui a demandé d’épargner son père.
Dans la septième scène, Agamemnon rumine sa colère ravivée par les propos indécents d’Achille et veut avancer l’immolation. Dans la huitième scène, Agamemnon s’indigne de l’attitude et de la grossièreté d’Achille. Il veut libérer sa fille mais ne veut pas en imputer le mérite à Achille qui s’en rendra glorieux. Finalement, il ne veut plus sacrifier sa fille mais veut lui réserver un autre avenir sans Achille, il demande alors à Eurybates d’aller chercher Clytemnestre et Iphigénie.
Dans la neuvième scène, Agamemnon se remet toujours en question vis-à-vis de sa décision. Puis, il accepte de faire partir Iphigénie dans la neuvième scène. Il charge Clytemnestre, dans la dixième scène, de l’emmener en douce, escortée par ses gardes et de faire en sorte à ce qu’Ulysse et Ménélas ne le sachent pas. Il se propose de retenir Calchas pour leur donner le temps de fuir loin. La dernière scène éclaire les intentions d’Eriphile qui, ayant assisté à tous ces évènements, se hâte d’emmener Doris avec elle et de tout dire à Calchas, animée par sa haine et sa jalousie.
Comme nous l’avons souligné plus haut, les œuvres de Johnson et de Racine sont les plus proches en termes de réécriture du mythe d’Iphigénie. Nous rencontrons donc plusieurs similitudes entre le contenu des actes de ces dernières. Le quatrième acte de The victim s’apparente donc au quatrième acte d’Iphigénie de Racine, quelques points de différenciation sont pourtant observés.
L’arrivée de Ménélas auprès d’Agamemnon dans cet acte en est un. Après qu’Iphigénie et son père se soient expliqués, Ménélas rejoint le roi et lui annonce que Calchas attend et qu’aucun autre sacrifice ne peut être proposé, les dieux réclamant Iphigénie. Agamemnon s’enquiert quand même d’une possibilité et demande si personne d’autre ne peut remplacer Iphigénie. Ménélas, lui réexposant les exigences et les caractéristiques imposées par Artémis, lui rappelle que personne ne le peut. Vaincu, Agamemnon se lamente alors sur son sort, pensant que ce sacrifice est une manière pour les dieux de le punir pour ses crimes passés.
Il se résout à l’immolation puisque ce sont les souhaits des dieux, Ménélas le remercie pour ce que le sang de sa fille accordera à sa personne et à la Grèce toute entière. Le reste de l’acte est identique à l’acte IV d’Iphigénie de Racine.
- Les traits de caractères des personnages
Trois personnages sont ajoutés au quatrième acte d’Iphigénie à Aulis : le coryphée, le chœur et le serviteur. Dans Iphigénie de Racine, Eriphile, Doris, Aegine, Eurybate et les gardes sont les personnages ajoutés, ils n’interfèrent pas directement dans le récit, exceptée Eriphile. Dans The victim, Eriphile, Doris, Ménélas et Eurybate sont les personnages ajoutés.
Ménélas est envoyé par Calchas pour presser Agamemnon pour le sacrifice. Il est obsédé par le fait de ramener sa femme et ne comprend pas réellement la position d’Agamemnon. Il se rend quand même compte de l’importance du sacrifice d’Iphigénie pour lui et pour la Grèce.
- Le cinquième acte
- Le déroulement de l’histoire
Iphigénie à Aulis ne contient pas de cinquième acte, mais plutôt un « exodos » dans lequel le serviteur de Clytemnestre entre et lui narre un étonnant et époustouflant revirement de situation : Artémis a remplacé Iphigénie par une biche, alors que le sacrifice a été entamé. Artémis ne voulait pas souiller son autel avec le sang généreux d’Iphigénie. La princesse a été élevée dans les cieux avec les dieux. Paraît Agamemnon qui confirme la bonne nouvelle à sa femme et la prépare à rentrer à Argos.
Le cinquième acte d’Iphigénie de Racine comporte six scènes. La première dépeint Iphigénie et sa mère ainsi qu’Aegine et les gardes qui se sont enfuis et ont été encerclés par le peuple. Clytemnestre s’est évanouie. Iphigénie comprend qu’Achille a intensifié la colère du roi qui, maintenant, veut sa mort.
Dans la seconde scène, Achille arrive et emmène Iphigénie qui pleure. Il la conduit dans sa tente et défie Agamemnon et les grecs de venir l’y chercher. Agamemnon commence à réaliser la situation et, au comble du désarroi, pense que seule la mort l’attend. Elle commence alors à se résigner au sacrifice et annonce à Achille qu’elle ne veut pas être un obstacle à son avenir mais que si elle meurt, il pourrait être glorieux.
Achille, aveuglé par l’amour, refuse de la laisser se rendre à son père qui l’a substituée à la gloire mais ne parvient pas à la faire changer d’avis sur sa résignation. Il se rend alors à l’autel avec l’intention de tuer Agamemnon et tous ceux qui préparent le sacrifice de sa future femme, sans tenir compte des supplications de cette dernière.
Malgré la résignation d’Iphigénie, Clytemnestre est résolue à protéger sa fille au péril de sa vie. Iphigénie la convainc pourtant, en pensant que peut-être la mort est-elle la seule issue possible à son histoire et en demandant à sa mère de ne pas en tenir rigueur à son père qui ne l’a pas sacrifiée par pur plaisir. Elle fait donc ses adieux à sa mère et demande à Eurybate de la conduire à l’autel.
Clytemnestre ne veut pas abandonner sa fille. Dans la quatrième scène, elle tient à l’accompagner jusqu’à l’autel. Aegine lui apprend, à cette occasion, que c’est Eriphile qui a dénoncé la fuite d’Iphigénie aux Grecs. Clytemnestre n’attend plus que l’intervention des dieux afin de sauver sa fille.
Dans le cinquième acte, Arcas arrive et annonce à Clytemnestre qu’en effet, un dieu combat pour elle et qu’Achille a répandu le sang autour de l’autel. Calchas est terrifié, le sacrifice est suspendu, Agamemnon s’est tu. Clytemnestre devrait rejoindre Achille pour l’appuyer. Cependant, Ulysse arrive, et lui rapporte un dénouement et une fin plus qu’heureuse au destin funèbre de sa fille dans la dernière scène.
Il lui annonce que sa fille est sauvée et qu’il vient réparer ses torts, lui qui a convainc Agamemnon de la sacrifier. Il explique que les dieux ont parlé à Calchas alors qu’il était saisi d’effroi près d’Achille qui était prêt à le tuer. Les dieux se sont manifestés à travers lui et ont montré une autre Iphigénie, une fille d’Hélène et de Thésée qui se sont secrètement unis. C’est elle que les dieux veulent pour sacrifice.
L’autre Iphigénie n’est autre qu’Eriphile qui, venue à l’autel pour prévenir Calchas de la fuite d’Iphigénie, est maintenant mise à mort par ce dernier. Elle s’empare alors du couteau et le plante dans sa poitrine elle-même. Suite à cet acte, les dieux abattent tonnerre et vent sur Aulis, la déesse Diane est descendue emportant le sacrifice et Agamemnon ramène sa fille à Clytemnestre en annonçant que les noces d’Achille et Iphigénie vont maintenant pouvoir débuter. Voyant la grande part de responsabilité d’Achille dans le sauvetage de sa fille, Clytemnestre lui voue une reconnaissance éternelle.
Le cinquième acte de The victim se décompose en deux scènes. La première scène est identique à tout l’acte cinq d’Iphigénie de Racine, sauf qu’il ne narre pas encore le sacrifice ni l’intervention d’Achille sur l’autel. La seconde scène donne plus de détail sur le sacrifice d’Iphigénie, notamment sur le lieu où il se déroule, les intendants, etc. Dans Iphigénie de Racine, Clytemnestre apprend la trahison d’Eriphile par le biais d’Aegine.
Dans la seconde scène du cinquième acte de The victim, Clytemnestre l’apprend par Ulysse qui, dès qu’elle aperçoit, lui ôte tout espoir que sa fille puisse encore vivre. Mais ici, c’est également Ulysse, en vue de se repentir de ses mauvais actes et surtout de se racheter après avoir fermement convaincu Agamemnon d’immoler sa fille malgré ses nombreuses supplications, qui raconte à Clytemnestre le sauvetage de sa fille.
Le temple où se tient le sacrifice est décrit en détail dans ce cinquième acte, contrairement aux deux autres réécritures qui n’y ont pas consacré ne serait-ce qu’une ligne :
The inside of a temple : at the upper end a altar, the holy Fire burning, &c. Iphigenia at the lower End of the Stage in white, the sacred fillet round her Head, adorn’d with Flowers, her Hands bound: Agamemnon next his Daughter: Menelaus, Nestor, and Ulysses, on the same side. On the other side, Eriphile, Doris, Arcas, and Euribates, Priests, a chorus on each side the Altar, and Calchas behind it” (The victim, Johnson, act V)
Lors du sacrifice, un dieu s’empare de Calchas afin de lui révéler et de révéler aux autres que le sacrifice dont il est question ici est celui d’Eriphile et non d’iphigénie. Ce n’est après qu’Eriphile soit morte qu’Achille arrive. Il n’a donc pas combattu Ulysse et les autres comme c’est le cas dans Iphigénie de Racine
- Les traits de caractères des personnages
Le cinquième acte de ces trois œuvres ne connaît qu’un seul personnage en commun : Clytemnestre. Cette dernière est ici impuissante, ne pouvant pas assister à l’immolation de sa fille et ne sachant pas si celle-ci est toujours en vie ou non.
Les trois réécritures du mythe d’Iphigénie peuvent avoir des personnages en commun. Le tableau ci-dessous identifie les différents personnages qui peuvent constituer autant des variants que des invariants au mythe. Les noms en rouge sont les personnages en commun dans chaque acte, ceux en noir sont les variants.
Iphigénie à Aulis | Iphigénie de Racine | The victim Johnnson |
1er acte | 1er acte | 1er acte |
Agamemnon Le vieux serviteur Ménélas, Le Coryphée (Serviteur de Clytemnestre) | Agamemnon,ArcasAchille, Ulysse Eurybate | Arcas EurybatesAgamemnonAchilleUlysseMénélas |
2nd acte | 2nd acte | 2nd acte |
Le coryphéeClytemnestreAgamemnonIphigénie | Eriphile DorisIphigénie, Clytemnestre,AchilleAgamemnon | Eriphile DorisAgamemnonIphigénieClytAchille Clytemnestre |
3ème acte | 3ème acte | 3ème acte |
AchilleClytemnestreArcasLe chœur | Agamemnon, ClytemnestreAchilleIphigénie, Eriphile, Aegine, DorisArcas | Agamemnon Clytemnestre, Achille, Iphigénie, Eriphile, Aegine, Doris, Arcas |
4ème acte | 4ème acte | 4ème acte |
ClytemnestreAgamemnonLe coryphéeAchilleLe chœur Le serviteurIphigénie | Eriphile,DorisClytemnestre,AegineAgamemnon,AchilleEurybate,GardesIphigénie | Eriphile Doris, Clytemnestre, Agamemnon, Iphigénie, MénélasEurybateAchille |
EXODOS | 5ème acte | 5ème acte |
ClytemnestreLe serviteur Le coryphéeAgamemnon | Iphigénie, AegineAchilleClytemnestre,EurybateGardesArcasUlysse | Iphigénie, Aegine, UlysseClytemnestreAchilleAgamemnonMénélasEurybateNestorEriphileDoris ArcasLe chœurLes prêtres |
- Résumé
Pour résumer cette section consacrée aux variants du mythe d’Iphigénie, nous pouvons dire que les variants ou éléments distinctifs de chaque réécriture, ne sont pas visibles dans la globalité mais plutôt dans les détails. En effet, si l’on se réfère au fond des trois récits, on remarque qu’il est identique et qu’Iphigénie, offerte en sacrifice par son père, finit par accepter son sort et se livre à Artémis sur l’autel mais finit par être sauvée de son immolation et ne saignera pas.
Le déroulement du récit est donc le même pour les trois auteurs, cependant, les petits détails façonnant chaque acte différencient énormément ou peu les trois récits. On peut citer, à titre d’exemple, le nombre des actes ou des scènes, l’apparition de nouveaux personnages tels qu’Eriphile, la fin, le commencement ou le milieu du récit dans chaque acte qui présente des différences au niveau de chaque livre, etc.
Une autre remarque pertinente est celle de la forme du récit. Les trois œuvres étant des pièces de théâtre, nous relevons qu’Iphigénie de Racine a été écrite sous la forme d’une poésie, avec des rimes. Du début jusqu’à la fin du livre, l’histoire d’Iphigénie est racontée sous forme de plusieurs rimes :
Agamemnon
Oui, c’est Agamemnon, c’est ton roi qui t’éveille :
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.
Arcas
C’est vous−même, Seigneur ! Quel important besoin
Vous a fait devancer l’aurore de si loin ?
A peine un faible jour vous éclaire et me guide.
Vos yeux seuls et les miens sont ouverts dans l’Aulide.
Avez−vous dans les airs entendu quelque bruit ?
Les vents nous auraient−ils exaucés cette nuit ?
Mais tout dort, et l’armée, et les vents, et Neptune. (Racine, Iphigénie, Acte I)
Après avoir présenté les invariants et les variants du mythe d’Iphigénie dans ces trois réécritures, nous pouvons dresser un portrait des relations que les personnages entretiennent. Nous allons commencer par Iphigénie et Agamemnon dont le lien du sang semble très dominant et qui se vouent un amour sans pareil, cela est visible dans les trois œuvres analysées ici. Cependant, cet amour réciproque sera bafoué par Agamemnon qui l’oubliera au profit de son honneur et de sa gloire.
Quand à Clytemnestre et Iphigénie, elles sont complices et se protègent mutuellement. La relation entre Clytemnestre et Agamemnon est plus tendue et tient plus du respect et de l’obéissance que de l’affection. Achille, lui, est aussi proche d’Iphigénie que d’Agamemnon qu’il vénère et aux côtés duquel il souhaite combattre. Arcas, fidèle serviteur depuis des années, est fidèle tant à la reine qu’au roi, mais est surtout le confident d’Agamemnon qui repose sur ses soins.
Quand à la relation entre Iphigénie et Achille, elle n’est palpable que dans Iphigénie de Racine et The victim de Johnson. Dans ces deux œuvres, Achille est amoureux d’Iphigénie qui ressent les mêmes sentiments à son égard. Dans Iphigénie à Aulis, Achille ne ressent aucun sentiment pour Iphigénie à part du respect.
Outre l’apparition d’invariants et de variants au mythe d’Iphigénie, il est également utile de noter la présence d’intertextualité dans les trois réécritures, nous amenant à exposer la transposition du mythe d’Iphigénie à partir de l’œuvre d’Euripide, Iphigénie à Aulis: l’exemple de Racine et Johnson.
- La transposition du mythe d’Iphigénie à partir de l’œuvre d’Euripide, Iphigénie à Aulis: l’exemple de Racine et Johnson
Selon Gérard Génette, la transposition est un acte de transformation sérieuse d’un texte afin d’en obtenir un autre17. Pour lui, il ya transposition lorsqu’une œuvre est reprise avec plus de modification, tout en gardant fond. Il s’agit, en quelque sorte, d’une réécriture, puisque l’œuvre originale appelée « hypotexte » est transformée en une œuvre dérivée de celle-ci ou « hypertexte ».18
A partir du texte antérieur, une autre version est créée, présentant des invariants et des variants, comme c’est le cas pour Iphigénie et The victim qui sont les hypertextes d’Iphigénie à Aulis. Nous pouvons affirmer que ces deux œuvres sont des parodies d’Iphigénie à Aulis du fait que l’œuvre d’Euripide est parue bien longtemps avant elles et qu’elle a donc servi de base aux nouvelles versions.
Entre outre, les similitudes et les différences entre les trois livres le confirment : chacune d’entre elle est une réécriture détenant ses propres caractéristiques et dont les récits ont été déformés à un degré différent chez chaque œuvre.
La transposition peut donc conduire à une modification majeure ou mineure d’un texte de départ, en gardant le fond et la trame. Pour illustrer notre propos, nous pouvons considérer l’exemple d’Iphigénie à Aulis dont le fond de l’histoire ressemble à celui d’Iphigénie de Racine et de The victim, mais dont le déroulement suit une logique et une trame écrite par chaque auteur.
Génette inscrit la transposition dans l’intertextualité, c’est-à-dire dans un embranchement de plusieurs facteurs témoignant de la relation existant entre deux œuvres ou deux textes. Génette identifie deux catégories de transposition : transformation simple (transposer l’action du texte A dans une autre époque : Ulysse de Joyce) ou transformation indirecte (ou imitation : engendrement d’un nouveau texte à partir de la constitution préalable d’un modèle générique; ex. : L’Énéide)19.
La transposition transforme donc significativement ou de manière moins évidente un texte. Lors de la lecture du texte dérivé, le lecteur devrait recenser une ou plusieurs relations entre lesdits textes, permettant d’identifier leurs points communs et de faire le rapprochement entre eux deux.
Génétte détecte deux types de transposition :
La transposition formelle s’effectue le plus souvent au moyen des pratiques suivantes : traduction, versification, prosification, transstylisation, translongation, diminution, condensation, résumé et transmodalisation20. Mais la mesure de ce type de transposition est par définition subordonnée à celle de la transposition thématique, puisque toute transposition se reconnait au degré de modification du contenu, qu’il soit très élevé ou nul21
Comme son nom l’indique, cette transposition ne concerne que la forme du texte d’origine et du texte dérivé qui peut devenir plus long, plus court, plus dense, plus léger, plus complexe, poétique, etc.
La transposition thématique se divise en types, selon qu’elle s’exerce sur la signification de l’hypotexte (transposition sémantique), sur son univers spatio-temporel (transposition diégétique) ou sur les évènements et les conduites constitutives de l’action (transposition pragmatique). La transposition sémantique, précise Génette, se présente rarement à l’état pur, et « le plus souvent, elle utilise comme moyen et/ou entraîne comme conséquence (la relation de causalité n’est pas ici des plus univoques) [les] deux autres pratiques transformationnelles22 »
La transposition thématique développe les transformations subies par le texte original qui n’est pas uniquement changé du point de vue de la forme, mais surtout du thème, c’est-à-dire du déroulement de l’histoire narrée. Ces deux types de transposition sont inclus dans Iphigénie de Racine et The victim de Johnson, comme l’analyse ci-dessous le précise.
2.1. Iphigénie de Racine
L’analyse ci-après nous permettra de recenser la pratique de la transposition de la part de Racine lorsqu’il crée une nouvelle version d’Iphigénie à Aulis. Pour ce faire, nous allons, dans un premier temps, nous focaliser sur la transposition formelle identifiée dans Iphigénie de Racine. Nous notons donc une transstylisation ainsi qu’une versification.
En effet, le style de dialogue entre deux personnes, la pièce de théâtre, est ici modifié par Racine du point de vue de la forme, grâce aux vers composés de rimes bien définies. Pour illustrer notre hypothèse, nous allons comparer ici deux extraits issus des dits ouvrages :
Agamemnon
Allons, vieil homme, avance. Viens devant mon logis.
Le Vieillard
Je viens, mais quel est ton nouveau dessein, seigneur Agamemnon ?
Agamemnon
Tu vas l’entendre.
Le Viellard
Je me hâte. Mon âge ignore le sommeil, et me laisse attentif à tes ordres.
Agamemnon
Quelle est cette étoile là-haut dans le ciel ?
Le Vieillard
C’est Sirius près des sept Pléiades, encore au milieu de sa course.
Agamemnon
On n’entend rien, ni les oiseaux, ni le bruit de la mer. Les vents se taisent là-bas sur l’Euripe
(Euripide, Iphigénie à Aulis, premier acte)
Agamemnon
Oui, c’est Agamemnon, c’est ton roi qui t’éveille :
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.
Arcas
C’est vous−même, Seigneur ! Quel important besoin
Vous a fait devancer l’aurore de si loin ?
A peine un faible jour vous éclaire et me guide.
Vos yeux seuls et les miens sont ouverts dans l’Aulide.
Avez−vous dans les airs entendu quelque bruit ?
Les vents nous auraient−ils exaucés cette nuit ?
Mais tout dort, et l’armée, et les vents, et Neptune.
Agamemnon
Heureux qui, satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l’état obscur où les dieux l’ont caché !
Arcas
Et depuis quand, Seigneur, tenez−vous ce langage ?
Comblé de tant d’honneurs, par quel secret outrage
Les dieux, à vos désirs toujours si complaisants,
Vous font−ils méconnaître et haïr leurs présents ?
Roi, père, époux heureux, fils du puissant Atrée, Vous possédez des Grecs
la plus riche contrée.
Du sang de Jupiter issu de tous côtés, (Racine, Iphigénie, Acte I, Scène I)
A travers ces deux exemples, nous pouvons voir que Racine est resté Fidèle au récit d’Euripide. Cependant, au lieu de reprendre le même dialogue, il l’améliore en usant d’autres mots, mais surtout d’un style poétique rimé et versifié qui change la forme du texte. On note également une augmentation du volume du texte originale, c’est-à-dire qu’Iphigénie de Racine est un ouvrage contenant plus d’actes, et donc plus de pages et de longueur qu’Iphigénie d’Euripide.
Du point de vue de la transposition thématique, nous avons comparé la narration dans Iphigénie à Aulis et dans Iphigénieet remarqué quelques changements dans le thème, notamment dans le sauvetage de la princesse sur l’autel qui a été exécuté par Achille au lieu d’Artémis comme c’est le cas dans Iphigénie à Aulis.
La fin du récit est aussi un exemple utilisable. En effet, Euripide élève Iphigénie au ciel auprès d’Artémis dans son histoire, alors que Racine conte le mariage futur d’Achille et de la princesse et parle du changement d’offrande, Eriphile étant la véritable offrande attendue par les dieux :
Tous, comme les Atrides, gardaient les yeux fixés à terre. Le prêtre prend l’épée, prononce la prière, et cherche l’endroit de la gorge où il devra frapper. Mon chœur était saisi d’une si grande angoisse que je restais tête baissée. O miracle soudain ! Chacun avait bien entendu frapper un choc, mais personne ne vit disparaître la jeune fille. Le prêtre jette un cri, l’armée entière lui répond, à la vue du prodige œuvre de quelque dieu qui était devant nous, sans qu’on pût bien y croire. Allongée sur le sol palpitait une biche, très grande et d’une admirable beauté, arrosant de son sang l’autel de la déesse. Quelle est alors la joie de Calchas, qui s’écrie : « Chefs de l’armée des Grecs, confédérés, voyez cette victime que la déesse a mise sur l’autel. C’est une biche des montagnes, qu’elle veut recevoir de préférence à la jeune fille, pour ne pas souiller son autel de ce sang généreux. Elle l’accepte avec faveur et nous accorde un vent propice et l’assaut d’Ilion. Que tous maintenant reprennent courage. Matelots, aux navires. Aujourd’hui même nous devons quitter Aulis et ses passes étroites pour traverser la mer Egée. » Puis, quand le feu eut dévoré l’holocauste, le devin prononça, pour un heureux retour, la dernière prière. Voilà ce qu’Agamemnon m’envoie te dire, les hauts destins auxquels les dieux élèvent Iphigénie et la gloire immortelle qu’elle aura dans la Grèce. J’étais là, et j’ai vu tout ce que je raconte. Ta fille, c’est bien clair, s’est envolée parmi les dieux. Calme donc ta douleur, pardonne à ton époux. C’est quand l’homme y pense le moins que les dieux interviennent pour sauver ceux qu’ils aiment. La présente journée aura vu mourir et revivre ta fille. (Extrait d’Iphigénie à Aulis, Exodos)
Un autre sang d’Hélène, une autre Iphigénie
Sur ce bord immolée y doit laisser sa vie.
Thésée avec Hélène uni secrètement
Fit succéder l’hymen à son enlèvement.
Une fille en sortit, que sa mère a celée ;
Du nom d’Iphigénie elle fut appelée.
Je vis moi−même alors ce fruit de leurs amours ;
D’un sinistre avenir je menaçai ses jours.
Sous un nom emprunté sa noire destinée
Et ses propres fureurs ici l’ont amenée.
Elle me voit, m’entend, elle est devant vos yeux, Et c’est elle, en un mot,
que demandent les dieux.” (Extrait d’Iphigénie de Racine, acte V)
2.2. La transposition du mythe d’Iphigénie dans The victim de Johnson
Johnson reprend également le mythe d’Iphigénie dans The victim. Fidèle au récit initial tiré du livre Iphigénie à Aulisd’Euripide, il a pourtant opéré quelques transformations faisant office de transposition.
La transposition formelle se lit à travers l’allongement du texte et du récit qui devient plus volumineux dans cette nouvelle version. La transposition thématique est la même que celle observée dans Iphigénie de Racine. Cependant, on note une ressemblance plus frappante entre Iphigénie de Racine et l’œuvre de Johnson qu’entre celle-ci et Iphigénie à Aulis.
De ce fait, nous concluons qu’Iphigénie de Racine a servi d’hypotexte à The victim, Johnson ayant surtout respecté le déroulement de l’histoire dans ce dernier. The victim peut alors être vu comme une traduction d’Iphigénie de Racine comme nous le démontrent les extraits ci-dessous :
Arcas
Madame, tout est prêt pour la cérémonie.
Le roi près de l’autel attend Iphigénie ;
Je viens la demander. Ou plutôt contre lui,
Seigneur, je viens pour elle implorer votre appui.
Achille
Arcas, que dites−vous ?
Clytemnestre
Dieux ! que vient−il m’apprendre ?
Arcas, à Achille.
Je ne vois plus que vous qui la puisse défendre. (Extrait d’Iphigénie de Racine, acte III)
Arc. All things are ready for the pious Pomp:
He King assuits his daughter to the Altar
In his Name- demand her, rather Madam [to Clyt.]
Et me implore your royal fight against him
Clyt. What hasn’t thou, Arcas? wherefore dos’t thou kneel?
Arc. You only cand defend her (Extrait de the victim, act III)
A travers cette comparaison, nous observons que Johnson ne s’est pas uniquement servi de l’histoire d’Euripide pour créer son propre mythe d’Iphigénie, mais s’est surtout appuyé de l’œuvre de Racine pour le faire. Cependant, il faut noter que l’œuvre toute entière n’a pas été traduite, Johnson ayant ajouté d’autres éléments et d’autres scènes à sa narration.
A la fin, nous pouvons conclure que les réécritures du mythe d’Iphigénie que nous avons précédemment étudiés ont leurs traits communs comme leurs points de différenciation. Les auteurs de ces œuvres se sont focalisés sur le mythe d’Iphigénie dans la mythologie grecque pour illustrer leur vision de celui-ci et l’exposer à travers leurs œuvres.
Nous comprenons alors qu’une réécriture exige la fidélité à la trame de base et à l’histoire originale, bien que des modifications majeures puissent être effectuées sur celles-ci. En effet, dans chacune de ces œuvres, nous relisons la même histoire agrémentée de quelques transpositions, d’améliorations, de traduction, etc.
Après avoir analysé les différents variants et invariants dans les trois réécritures qui nous servent de référence, nous allons étudier le mythe d’Iphigénie proprement dit afin de voir si’il s’agit d’un mythe purement littéraire ou non.
Troisième partie: Le mythe d’Iphigénie: un mythe purement littéraire?
Avant d’entamer cette dernière partie de notre étude, nous allons établir une comparaison entre le mythe et le mythe littéraire. En effet, une distinction entre ces deux termes doit être faite puisque le mythe et le mythe littéraire sont différents23. Le mythe relève particulièrement d’une croyance religieuse et sociale, tandis que le mythe littéraire est un mythe repris plusieurs fois par la littérature.
La troisième partie de notre étude, sera donc basée sur le mythe d’Iphigénie en tant que mythe littéraire et non simple mythe.
- La place du mythe dans la littérature : exemple illustré d’Iphigénie
Le mythe et la littérature sont deux genres différents. Si le mythe n’a pas de source précise et revêt souvent un caractère fortement historique, la littérature est plutôt un fait réel. La littérature fait exister le mythe en le réutilisant au moyen de la réécriture. De la même manière, le mythe existe pour être réécrit par la littérature. Une interdépendance entre ces deux genres est donc visible.
D’après le dictionnaire, le mythe est défini comme étant « un récit imaginaire, d’origine populaire ou littéraire, qui met en scène des personnages extraordinaires, surhumains ou divins, dont les événements fabuleux ou légendaires tantôt retracent l’histoire d’une communauté, tantôt symbolisent des aspects de la condition humaine, tantôt traduisent les croyances, les aspirations ou les angoisses de la collectivité pour laquelle ce mythe a un sens24“.
Le mythe littéraire est un mythe qui se construit suite à la popularité et à l‘influence d’un personnage dans la littérature. A titre indicatif, Iphigénie peut être compris comme un mythe littéraire car la littérature a contribué à son expansion, c’est-à-dire que le personnage d’Iphigénie s’est fait connaître massivement grâce à la littérature.
Pour comprendre la portée du mythe sur la littérature, savoir faire la différence entre le mythe et la littérature est essentiel. Le mythe et la littérature ont existé avant Jésus-Christ, on note cependant une réutilisation massive du mythe par la littérature qui s’accentue au fil des siècles.
Pour bien distinguer ces deux notions, Max Bilen a établi une comparaison entre le mythe et la littérature dans un article intitulé « Comportement mythico-poétique » paru dans le Dictionnaire des Mythes Littéraires de Pierre Brunel. Le tableau ci-dessous retrace cette comparaison.
Littérature | Mythe | Soutenu par |
le récit romanesque est plus ou moinsfictif | le récit mythique s’impose commevrai | Lévy-Brühl,Maurice Leenhart,Mauss, Eliade,Sellier |
le poème est intraduisible | le récit mythique peut l’être danstoutes les langues | Lévi-Strauss |
le texte littéraire est structuré en sesparties | le récit mythique est unassemblage de symboles et mêmepeut se réduire à une structurepermanente | Gusdorf, LéviStrauss |
le récit littéraire a pour référence unmoment historique | le récit mythique suppose untemps réversible, qui caractérise letemps sacré | Eliade |
le récit littéraire contientl’individualité et la rationalité | le récit mythique contient lecaractère collectif et lasurnaturalité | Sellier,Lévi-Strauss |
le récit littéraire conduit logiquementà une solution dialectique des conflits | le récit mythique initie à unemétamorphose radicale de statut ou constitue un équilibremédiateur entre deux affirmationsincompatibles | Eliade Lévi-Strauss |
7 le récit littéraire est intimement vécu | le récit mythique l’est socialement | Sellier |
le récit littéraire remplit une fonctionsocio-historique profane | le récit mythique une fonctionsocio-religieuse sacrée | M. M. Münch |
le récit littéraire a une vérité relative | le récit mythique a une véritéabsolue et éternelle : c’est un récitfondateur | Eliade |
le récit littéraire donne une analysepsychologique partielle du héros | le récit mythique investit l’hommedans sa totalité | M. M. Münch |
le récit littéraire raconte ledéroulement d’une action | le récit mythique révèle quelquechose de mystérieux et d’ineffable | – |
le sens, dans le récit littéraire, est plusou moins évident | celui du récit mythique est caché,appelle une exégèse | – |
– | le récit mythique a, le plussouvent, un caractère initiatique ettranscendant | – |
Tableau 2. Comparaison entre littérature et mythe. Source : Ghiasizarch A. C. (2011) : Gènes et mythes littéraires: pour un modèle biologique du dynamisme mythique, Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Grenoble.
Le mythe a donc un fondement plus religieux et concerne une époque sacrée, comme l’âge d’or d’avant Jésus-Christ durant lequel Sophocle, Euripide et Eschyle ont écrit les mythes pour exposer la vie et la croyance qui existaient à cette époque.
En avançant au fur et à mesure de notre travail, nous avons vu que le mythe occupe une place non négligeable dans la littérature. En effet, le mythe est la source d’inspiration principale de nombreux auteurs à travers des siècles et des siècles. Les personnages mythiques d’Oreste, d’Antigone, d’Iphigénie, d’Agamemnon, d’Electre, de Clytemnestre, etc. sont devenus des personnages littéraires au fil du temps du fait des nombreuses réécritures basées sur eux.
L’auteure et professeur de lettres Elisabeth Kennel-Renaud prend l’exemple de Tristan et Yseut qui, ayant été des personnages mythiques, sont devenus des personnages littéraires à travers les multiples réécritures qui ont été inspirées de leur mythe.
Le mythe dans la réécriture basé sur l’exemple de Tristan et Yseut | ||
Au moyen-âge :Les version antérieures à celle de Béroul puisqu’il précise qu’il s’est inspiré d’autres récits : “… comme l’histoire le dit, là où Béroul le vit écrit…” (60)La version de Thomas vers 1175 : l’histoire commence avec la scène du verger, comme chez Béroul, mais elle se continue au-delà de la mort de Godoïne, avec le mariage de Tristan avec Yseut aux blanches mains.Chrétien de Troyes vers 1176 prétend être l’auteur d’un Tristan et Yseut, mais le texte est toujours demeuré introuvable.Béroul vers 1180Marie de France écrit en 1180 Le lai du chèvrefeuille | Au XIXème siècle :Walter Scott publie Sir Tristem en 1833Arnold écrit en 1852 un poème intitulé : Tristam and IseutSwinburne compose un poème de 9 chants : Tristam of LyonesseWagner écrit un opéra en 1865 : Tristan und IsoldeLa littérature française, par le jeu de l’intertextualité fait souvent référence aux amants mythiques: Rousseau dans La nouvelle Héloïse ; Balzac,dansLe Lys dans la vallée …. | Au XXème siècle :Joseph Bédier publie en 1900 une oeuvre qui reconstruit toute l’histoire de Tristan et d’Yseut : de l’enfance de Tristan à la mort des amants.Paul Claudel en 1906, transpose le mythe au théâtre dans Le Partage de MidiJean Cocteau, en 1942, fait entrer le mythe au cinéma avec L’eternel retour. |
Tableau 3. Source : http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/un_mythe.htm
Au final, nous pouvons conclure en disant que le mythe et la littérature sont en corrélation et que, de ce fait, ils renvoient les mêmes sensations au lecteur, comme l’atteste Philippe Sellier : «Le mythe et le mythe littéraire reposent sur des organisations symboliques, qui font vibrer des cordes sensibles chez tous les êtres humains, ou chez beaucoup d’entre eux. Comme ‘Œdipe’ le complexe nucléaire de la personnalité.25 »
Si une interdépendance entre le mythe et la littérature est alors palpable, on peut dire que la littérature existe grâce au mythe, surtout lorsqu’il s’agit de la réécriture. En effet, en prenant le modèle du mythe d’Iphigénie, nous pouvons affirmer que le mythe est la source des nombreuses réécritures telles que celle de Johnson et de Racine. Iphigénie à Aulis d’Euripide est le texte initial et donc de la base de la littérature sur Iphigénie, si l’on s’en tient au seul contexte de la réécriture.
Le mythe crée alors la littérature, cependant, la littérature façonne et réinvente aussi le mythe. Elle l’actualise et la fait connaître dans la mesure où le mythe n’a pas connu un grand succès à son origine. Toutefois, la littérature peut exister sans le mythe, et vice et versa. En effet, nombreux sont les ouvrages tels que les livres autobiographiques ou les contes modernes qui ont été créés et écrits sans faire référence au mythe. Ces écrits naissent alors du vécu et sont des chefs d’œuvres écrits par expérience.
Puisqu’Iphigénie est devenue un personnage littéraire célèbre grâce à la réécriture du mythe d’Euripide, on peut avancer qu’il constitue un mythe littéraire et un simple mythe en même temps.
- Le mythe à travers le théâtre
- Qu’est-ce qu’un mythe ? Impact du mythe sur la société
La vision de Lévi-Strauss concernant le mythe reste d’actualité et sert souvent de référence pour le définir : « Les mythes sont des palais idéologiques construits avec les gravats d’un discours social ancien ». Par cette définition, nous inscrivons le mythe dans un contexte historique et social.
Friedrich Nietzsche a conduit des travaux en vue de déterminer la place du mythe dans la société dans son ouvrage La Naissance de la tragédie écrit en 1872. Sa théorie souligne l’importance des mythes dans l’existence d’une société:
« Faute de mythe, pourtant, toute société perd la saine vigueur créatrice qui est sa force naturelle : car seul un horizon circonscrit par le mythe peut assurer la clôture et l’unité d’une civilisation en mouvement.26 » (La Naissance de la tragédie)
Nietzsche attribue une importance fondamentale au mythe dans la société et lui confère un rôle primordial d’éducateur et de précurseur. Il introduit également une inscription et une appartenance du mythe dans une société en perpétuel mouvement.
Pour illustrer sa théorie, nous allons prendre l’exemple des réécritures d’Iphigénie par Euripide et par Racine. Euripide construit sa pièce après la guerre du Péloponnèse qui opposa les athéniens aux spartiates. La pièce d’Iphigénie révèle cette tension et le personnage éponyme incarne le devoir le dilemme entre devoir et sentiments amoureux, entre intérêt personnel et intérêt collectif et entre volonté divine et volonté humaine. Elle incarne le modèle héroïque par excellence, innocente d’une décision arbitraire qui la condamne à mourir.
Racine, lui, écrit sa pièce dans un but bien précis : célébrer les victoires militaires du roi Louis XIV. Le 6 avril 1672, Louis XIV déclare la guerre à la Hollande. Mais les Hollandais ont inondé volontairement leur pays afin que l’armée française ne s’aventure pas dans le pays. Cet épisode n’est pas sans rappeler la flotte d’Agamemnon qui resta immobilisée à Aulis.
L’impact du mythe dans la société a évolué au fil des siècles. Auparavant, le mythe était un matériel de prédilection grâce auquel on pouvait tenir une société en joug. Se référer au mythe était une coutume, surtout dans la mythologie grecque où les dieux grecs régissaient la vie des hommes et où les mythes servaient d’avertissement et véhiculaient les comportements à adopter par chaque individu.
Actuellement, les mythes relèvent plus de l’imaginaire et permettent à l’homme de comprendre le monde et ses forces. Il convient ici de préciser qu’il s’agit du mythe dans le cadre de la littérature, et non du simple mythe qui consiste en une représentation négative d’un concept, comme le cas des mythes sur la nouvelle technologie qui restent des idées infondées et préconçues afin d’inciter la société à avoir une mauvaise vision de cette dernière.
Jacob François compare le mythe à la science et délimite sa place dans la société : « mythes et sciences remplissent une même fonction. Ils fournissent tous deux à l’esprit humain une certaine représentation du monde et des forces qui l’animent. Ils délimitent tous deux le champ possible. » 27 Selon cet auteur, le mythe accorde à l’homme une certaine vision du monde et permet d’expliquer cette vision. Il peut être considéré comme un facteur explicatif de la vérité puisque l’homme se réfère à lui pour la connaître.
Une autre définition du mythe appuie cette première définition et la place du mythe dans la société : « Le mythe ordonne le monde, règle les rapports sociaux, justifie les conduites, répond aux interrogations fondamentales, informe le réel28 ». Le mythe est ici un instrument social permettant de régir le comportement des hommes. Il apporte les réponses aux questions fondamentales de l’homme, surtout en ce qui concerne son existence et son rôle dans la société. Il dicte les bonnes valeurs et inculque le savoir.
Pour le philosophe Alain Lagarde, le mythe est « Une représentation imaginaire du réel qui a pour but d’en expliquer l’origine ou le devenir mais aussi les tensions et les discordances29 ». Cette définition de Lagarde complète les deux définitions que nous avons vues précédemment mais apporte une précision en plus : le mythe façonne la réalité et la réécrit. De cette manière, il a le pouvoir d’embellir comme de falsifier la réalité.
Face à toutes ces définitions, trois dimensions du mythe et de son impact sur la société sont détectées. Le mythe est intemporel, c’est-à-dire qu’il traverse les temps et participe à toutes les mutations temporelles qui existent. Il est également à la solde des émotions des hommes, en sachant qu’il conduit à la compréhension du monde et de l’existence humaine. Enfin, le mythe est un instrument pédagogique car il instruit l’homme sur ce qu’il doit savoir sur le monde, sur le comportement qu’il doit adopter en société, etc.30
Puisque nous avons avancé que le mythe évolue suivant le temps, nous allons alors emprunter un passage du livre de Joseph Campbell intitulé La puissance du mythe dans lequel il décrit la mutation du mythe en se basant sur l’exemple des hommes primitifs : « Au fur et à mesure que ces peuples primitifs abandonnèrent la chasse pour l’agriculture, les histoires par lesquelles ils interprétaient les mystères de la vie évoluèrent elles aussi31». Campbell rappelle ici l’importance du mythe et sa faculté à changer, à évoluer et à s’adapter d’époque en époque.
Dans cet extrait, Campbell raconte comment les être primitifs vénéraient les animaux qu’ils chassaient et les considéraient comme des bêtes venues d’ailleurs. Ils organisaient un acte de réparation après avoir tué ces animaux pour se repentir de leur acte. Les animaux étaient sacrés, jusqu’à ce que l’agriculture soit découverte. Laissant la chasse de côté, les primitifs ont modifié le mythe des animaux sacrés venus d’ailleurs et ont commencé à considérer la graine des plantes comme étant une source de vie. Telle est la naissance d’un nouveau mythe pour eux.
Quant à l’évolution du mythe à notre époque, nous pouvons prendre comme exemple la réexploitation du mythe au XXème siècle, c’est-à-dire l’importance que les auteurs lui accordent, à travers leurs innombrables réécritures. Ces réécritures procurent une certaine actualisation du mythe et confirment son pouvoir de se mouvoir et de muer à travers le temps, d’appartenir à une civilisation en mouvement.
Après avoir défini la place du mythe dans la société, nous allons parler de la réception du mythe littéraire d’Iphigénie.
- La réception du mythe littéraire d’Iphigénie
Daniel Mortier, dans son article « Mythe littéraire et esthétique de la réception », indique que le mythe littéraire, principalement intertextuel, est considéré comme étant au service de la « coopération du lecteur », idée promulguée par Umberto Eco dans son Lector in fabula.
Il sous-entend une interdépendance entre le lecteur et l’œuvre. L’auteur écrit en ayant conscience de l’impact que son récit aura sur le lecteur. Il doit mesurer cet impact et le répartir de sorte que tous types de lecteurs puissent être touchés par son œuvre, la comprendre et l’apprécier. L’écrivain doit avoir connaissance de son lecteur et de son goût. Il doit savoir faire la distinction entre le lecteur fidèle et le lecteur de passage.
Jauss, grand théoricien de la réception, propose une vision sociologique de l’horizon d’attente. Jauss, grand théoricien de la réception, propose une vision sociologique de l’horizon d’attente. Pour lui, toute œuvre littéraire ne survit que pour un public. La théorie de Jauss repose principalement sur trois facteurs :
- D’ordre générique : facteur qui relève de l’expérience que le public a du genre dont relève l’œuvre en question.
- D’ordre intertextuel qui renvoie à un jeu de citations, à l’expérience du public face à la forme, à la thématique d’autres œuvres dont l’œuvre nouvelle présuppose la connaissance.
- D’ordre sémiotique et linguistique qui repose sur le langage poétique entre mon imaginaire et ma réalité quotidienne.
Dans un deuxième ouvrage intitulé Pour une herméneutique littéraire, Jauss s’interroge sur le mythe comme étant un « jeu de questions-réponses » afin de faciliter l’interprétation du mythe dans l’œuvre et de comprendre les mécanismes de ce « modèle :
« L’emploi du modèle question-réponse dans sa fonction esthétique sert à faciliter, voire, sous l’empire du dogme théologique ou idéologique, à rendre possible le passage de ce seuil par lequel on sort de l’état angoissant de cura pour accéder à l’air libre de la curiositas. Cachée dans la fiction esthétique, la question téméraire peut à sa manière dissoudre l’épouvante causée par les premiers âges et transgresser impunément le premier commandement de l’autorité mythique : « Jamais tu ne m’interrogeras. »
Le procédé mythique qui rend ininterrogeable est renversé par l’emploi poétique du modèle question-réponse quand le discours du mythe, d’origine monologique, se trouve impliqué dans le dialogue interminable des poètes. Dans le travail poétique auquel se soumet le mythe, celui-ci ne peut plus (…) se maintenir sous forme monologique ni se faire comprendre, comme l’avait voulu herméneutique théologisante, entant que révélation progressive d’une signification préalable, offerte dans sa pureté et sa plénitude originaires. Etant compris dans la structure dialogique de la parole poétique, le mythe est dorénavant contraint de se laisser interroger et de rendre compréhensible son histoire en tant qu’appropriation progressive_ avançant d’œuvre en œuvre _ de la réponse à une grande question globale qui embrasse l’homme et le monde, procédé au cours duquel la réponse peut, à chaque nouvelle formulation de la question, atteindre une signification encore différente. » (Jauss, Pour une herméneutique littéraire, p.43)
La théorie de Jauss renvoie à un questionnement du lecteur et à une réponse du mythe ou du récit. Le mythe contient les réponses aux questions du lecteur concernant le monde et l’existence. Le mythe répond alors des besoins de connaissances et de soif de savoir. Dans cette optique, le lecteur reçoit à travers sa lecture des réponses qui devraient le satisfaire, qu’elles coïncident avec ce qu’il pense ou non.
L’obtention de ces réponses permet au lecteur de se situer par rapport à une œuvre et de l’interpréter. Cela l’amène également à apprécier l’œuvre ou non. Le genre littéraire d’un auteur contribue à l’identification du lecteur. Pour un écrivain philosophe, le public à atteindre en priorité doit être réceptif à la philosophie et s’y intéresser. Son ouvrage est alors écrit pour ce type de public avant tout.
Néanmoins, il est important pour un auteur de toucher un maximum de lecteurs, l’essentiel n’étant pas d’accroître ses ventes, mais de propager ses idéaux et sa vision du monde et de les partager avec le plus de monde possible.
D’autres études traitent également de la réception du mythe. Celle menée par Caroline Raulet suppose une meilleure communication entre l’auteur et le lecteur afin que la réception du livre par ce dernier soit optimisée. Selon Raulet, l’alphabétisation est devenue un phénomène courant et s’est vite propagée depuis le XVIIème siècle. Les lecteurs sont donc de plus en plus nombreux et se divisent en plusieurs catégories. Certains apprécient l’écriture hédoniste tandis que d’autres préfèrent la littérature humoristique, etc. Grâce à cette présence de nombreux lecteurs, les auteurs ont commencé à s’intéresser à leur public avant de se focaliser sur leurs œuvres32.
Cela les conduit à instaurer une relation auteur-lecteur basée sur la compréhension. Une fois que le lecteur ressent cette compréhension, sa réception de l’œuvre est plus positive.
Dans le cadre de l’étude sur le mythe d’Iphigénie, les trois réécritures que nous avons analysées dans la seconde partie de ce mémoire peuvent faire l’objet d’une réception positive ou négative de la part des lecteurs. La différence entre les trois réécritures peut en effet modifier la perception de ces dernières par les lecteurs.
Le personnage d’Iphigénie et son mythe sont pourtant similaires dans les trois réécritures. Dans ces trois réécritures, Iphigénie est une héroïne dont l’amour et le dévouement pour son père la conduiront vers le sacrifice ultime. Son personnage mythique est dépeint de la même manière dans les trois écrits. Victime d’une soif de pouvoir et d’un abus de confiance de la part de son père, Iphigénie n’a pas peur de mourir pour lui et pour sa patrie.
Le courage dont Iphigénie fait preuve pour surmonter cette épreuve, pardonner à son père et se livrer avec grâce à l’autel donnent une image de plus en plus héroïque au personnage. Mais loin de vouloir se soumettre entièrement aux dieux, elle se soumet en premier lieu à son père et à sa volonté, exprimant une compréhension sans limite envers lui.
- La place du lecteur vis-à-vis du mythe : interaction et interdépendance entre mythe littéraire et présence du lecteur
La place du lecteur est primordiale dans la réception d’une œuvre. Iser et Eco l’ont parfaitement compris et invitent tout lecteur actif à s’interroger sur cette place qu’il occupe.
Dans L’acte de lecture, théorie de l’esthétique, Iser s’attache à parler du lecteur individuel idéal et de l’effet du texte sur ce dernier. Sa théorie repose autour de trois concepts. Tout d’abord, le théoricien parle d’un lecteur implicite. C’est l’image du lecteur que l’écrivain construit à travers son œuvre, son texte. Iser cherche le lecteur dans une série d’orientations. On assiste donc à une préstructuration du texte. Le terrain du texte est de donner un certain nombre d’outils pour son lecteur.
Le deuxième concept repose sur le répertoire de l’œuvre. C’est la partie du travail, les conventions communes établies, entre le lecteur et l’auteur dont le contenu est stratégique. L’auteur connaît potentiellement les connaissances du lecteur.
Enfin, le troisième concept renvoie à la négativité, autrement dit au travail sémantique qui incombe au lecteur. Le répertoire de l’œuvre est très rarement convoqué implicitement. Le lecteur va construire son système de codes et son message. Cette théorie de la réception par le lecteur est à la base même de l’ouvrage de Wolfgang Iser dont voici un extrait :
« C’est au cours de la lecture que se produit l’interaction, fondamentale pour toute œuvre littéraire, entre sa structure et son destinataire. C’est pourquoi la phénoménologie de l’art a attiré l’attention sur le fait que l’étude de l’œuvre littéraire doit viser la compréhension du texte au-delà de sa forme. (…) Par conséquent, on peut dire que l’œuvre littéraire a deux pôles : le pôle artistique et le pôle esthétique. Le pôle artistique se réfère au texte produit par l’auteur tandis que le pôle esthétique se rapporte à la concrétisation réalisée par le lecteur. Cette polarité explique que l’œuvre littéraire ne se réduise ni au texte ni à sa concrétisation qui, à son tour, dépend des conditions, dans lesquelles le lecteur l’actualise, quand bien même elles seraient partie intégrante du texte. Le lieu de l’œuvre littéraire est donc celui où se rencontrent le texte et le lecteur. » (Wolfgang Iser, L’acte de lecture, théorie de l’effet esthétique )
Un second théoricien parle également de cette relation entre le texte et le lecteur : Umberto Eco. Pour lui, l’activité du lecteur suppose une coopération. Cette coopération contient des garde-fous qui peuvent se faire qu’en fonction des codes émis par le texte. Son objectif est d’examiner comment le texte programme sa réception et ce que doit faire le lecteur, un lecteur modèle pour répondre de façon optimale à la citation du texte. La lecture n’est pas un acte linéaire mais une activité rétroactive.
Eco parle de la construction par le texte d’une série de tropics (blocs de texte) qui seront formulés par des hypothèses, qui seront infirmés, validés par le texte, par le tropic suivant. C’est ce jeu entre le texte et le lecteur qui se joue de la littérarité. Le lecteur permet donc à un texte de devenir une œuvre. Sans lecteur, un texte n’est pas littéraire puisque le lecteur est une étape essentielle dans la conclusion de la littérature.
Dans l’extrait ci-dessous, Eco compare la narration à une partie de jeu d’échecs et invite le lecteur à faire comme tel :
« Admettons qu’une narration soit équivalente à un manuel d’échecs destiné aux joueurs qui veulent se perfectionner. (…) Que fait le lecteur ? Il a à sa disposition la forme de l’échiquier, les règles des échecs et toute une série de coups classiques enregistrés par l’encyclopédie du joueur d’échecs, de véritables scénarios interparties, considérés traditionnellement comme les plus fructueux, les plus élégants et les plus économiques. Cet ensemble (forme de l’échiquier, règles du jeu, scénario du jeu) (…) représente un ensemble de possibilités permises par l’encyclopédie des échecs. C’est sur cette base que le lecteur s’apprête à proposer sa solution. » (Umberto Eco, Lector in fabula)
L’analyse de cette citation nous permet d’identifier l’interdépendance entre le lecteur et le mythe ou l’œuvre. Une œuvre ou un mythe est faite et créée pour être lue ou entendue. Cependant, la lecture ou l’écoute de cette dernière ne s’inscrit pas uniquement dans le champ du plaisir ou de l’envie, elle doit procurer du savoir au lecteur et l’instruire. Cela rejoint la théorie de Jauss selon laquelle l’œuvre répond aux questions du lecteur.
Cela implique l’existence d’une relation entre l’auteur, le livre et le lecteur. Dans un article sur L’auteur, le livre et le lecteur dans les travaux de Pierre Bourdieu, Odile Riondet reprend et analyse la théorie de Pierre Bourdieu concernant l’interaction entre le lecteur et le mythe, plus précisément entre le lecteur et l’œuvre. Riondet rappelle l’importance de l’œuvre pour le lecteur et son apport.
Elle se base sur la théorie de Bourdieu selon laquelle : « Lire une œuvre littéraire, c’est accepter de confronter sa manière de voir le monde avec celle d’un autre. Se rendre disponible pour une nouvelle perception des choses. Commencer à se projeter dans une expérience que l’on n’a pas encore soi-même vécue. Ce mouvement du lecteur, qui le rend capable d’une certaine innovation, n’est accessible que dans le détail de sa réception. Et il est prêt à se projeter dans ces expériences nouvelles dans la mesure où, plus ou moins confusément, il les attend. La littérature a ainsi une force d’invention, de mise en mots, d’attentes qui cherchent à s’exprimer : « La fonction sociale de la littérature ne se manifeste dans toute l’ampleur de ses possibilités authentiques que là où l’expérience littéraire du lecteur intervient dans l’horizon d’attente de sa vie quotidienne. »33
Pierre Bourdieu atteste d’une certaine puissance de la lecture d’une œuvre sur le lecteur. L’œuvre lui apporte de nouvelles connaissances et lui permet de vivre des expériences inédites à travers sa lecture. Le lecteur est transporté par l’œuvre, il se sent proche de celle-ci et reçoit le message transmis par l’auteur. La relation œuvre-lecteur n’est pas nouvelle puisqu’à la base, un livre est écrit pour être lu.
C’est dans l’écriture du livre qu’on peut ensuite distinguer le type de lecteur auquel il s’adresse : jeune, expérimenté, passager, aficionado, etc. En outre, un livre sans lecteur n’est pas un livre et est semblable à la parole sans le son. Dans cette optique, Bourdieu s’attache aux vertus et à l’impact du critique sociologique vis-à-vis de l’œuvre. Pour lui, le livre est adressé à la société, au lecteur, citoyen et individu dans une masse compacte d’individus.
Le critique d’une œuvre constitue la voix du lecteur, il permet à l’auteur d’entendre les avis de son public en lui adressant son opinion et e incitant l’auteur à lui répondre. Il évalue et note l’œuvre. Le critique est un expert qui fait de l’évaluation d’une œuvre son métier. Il expose son point de vue et incite l’auteur à se remettre en question par rapport à l’œuvre. L’auteur peut récolter diverses données sur lesquelles il basera son ou ses prochains chefs-d’œuvre grâce à son intervention.
Pour en revenir à l’interdépendance entre le lecteur et le mythe, nous pouvons prendre la théorie de Bourdieu selon laquelle le lecteur est le maître réel de l’œuvre. Un mythe s’adresse à tous les lecteurs. Il est fait pour être lu, écouté, respecté et transmis. D’où l’actualisation du mythe à travers les réécritures, afin que celui-ci soit perceptible par une société et un lecteur de plus en plus évolués.
Dans le cas des trois réécritures que nous avons étudiées ici, la réécriture permet au lecteur de se rapprocher du mythe, de le connaître un peu plus et de le découvrir. Elle lui permet de se situer par rapport à la narration. Le mythe revisité doit correspondre aux attentes et aux idéaux des lecteurs, bien que ce ne soit pas une obligation. En effet, chaque lecteur a sa propre perception et peut interpréter un mythe de la manière qu’il le veut.
En somme, le mythe ne peut pas exister sans le lecteur auquel il doit s’adresser. Il a été créé dans un but précis : divertir, enseigner, conduire, motiver, sensibiliser, régir, etc. la société. Et la société représente le lecteur, celui qui, selon Riondet, est maître de sa perception et de sa réception. Cela signifie que chaque lecteur reçoit un mythe en fonction de sa personnalité et de ses attentes. La réception n’est donc jamais unanime ni parfaite, et encore moins toujours positive.
Les personnages des mythes littéraires peuvent devenir des modèles pour les lecteurs. Ces derniers peuvent représenter leur vision du monde. Les lecteurs peuvent être influencés par leur comportement. Le mythe littéraire apporte toujours une morale et une solution positive. Parce que le mythe littéraire a une vertu éducative, elle doit donc s’adresser à la société qui est son lecteur. D’où l’interdépendance entre mythe et lecteur : le mythe littéraire sert d’enseignement et éduque le lecteur qui existe pour le lire, le respecter et l’appliquer.
1 Cocteau Jean cité par Giraudoux J. (1922) : Siegfried et le Limousin.
2 Hubert M-C. (2006) : Les formes de la réécriture au théâtre, France, Publications de l’Université de Provence, 316 pages
3 De Romilly J. (2006) : La tragédie grecque, Presses Universitaires de France – PUF, 192 pages.
4 Eschyle : L’Orestie : Agamemnon – Les Choéphores – Les Euménides, traduit par Loayza D. (2001), Flammarion, 409 pages.
5 Sabiani M.-A. (2001) : Electre-Sophocle, Bréal, 126 pages.
6 Eschyle, Euripide et Sophocle (traduction) (2005) : Electre, Le Livre de Poche, 384 pages.
7 Euripide, Méridier L. et Chapoutier F. (2003) : Tragédies, tome 6, 1 : Oreste, Les Belles Lettres, 101 pages.
8 De Romilly J. (2006) : L’Orestie d’Eschyle, Bayard, 117 pages.
9 Gournay A. (2013) : Do Juan en France au XXème siècle : réécritures d’un mythe, Thèse de doctorat en littérature générale et comparée, UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3.
10 Issu du site http://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_739318/reflexion-sur-la-reappropriation-des-mythes-au-xxe-siecle-terminale-bac-pro
11 Hubert M-C. (2006) : Les formes de la réécriture au théâtre, publications de l’Université de Provence, 316 pages.
12 Durand G. (1961) : Le décor mythique de la chartreuse de Parme. Paris, Corti, page 12.
13 Extrait du site http://semen.revues.org/5383
14 Lajarrige J. et Moncelet C. (2002) : L’allusion en poésie, Presses Universitaires Blaise Pascal, page 429.
15 Ouvrage collectif (1987) : Semen 3. La réécriture du texte littéraire, Annales de l’Université de Besançon, Les belles lettres, Presse Universitaire Franche-Comté, page 228.
16 Bourgeois S. (2007) : Marguerite Duras, une écriture de la réparation, Editions L’Harmattan, 286 pages.
17 Lamontagne A. (1992): Les mots des autres : la poétique intertextuelle des œuvres romanesques d’Hubert Aquin, Presses Université Laval, p. 87-88
18 Génette G. (1982) : Pamplisestes, Le Seuil.
19 Ibid.
20 G. Génette, Pamplisestes, p. 238-335
21 Lamontagne A. (1992): Les mots des autres : la poétique intertextuelle des œuvres romanesques d’Hubert Aquin, Presses Université Laval, p. 87-88
22 Ibid. p. 341
23 Brunel P. (1994), Dictionnaire des Mythes Littéraires, Rocher.
24 Oudet S. F. (2007) : Organisation du travail et développement des compétences: Construire la professionnalisation, Editions L’Harmattan, page 223.
25 Sellier P. (1984), « Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? », Littérature, n°55, Paris, pp. 112-126.
26 Nietzsche F. (1989) : La Naissance de la tragédie, Gallimard, 374 pages.
27 Jacob F. (1981), Le jeu des possibles, Fayard, page 25.
28 Perrot M. D. et Alii (1992) : La mythologie programmée, PUF, p39
29 LAGARDE Alain in « Le mythe, la science et la philosophie », Editions Ellipses 2001, p6
30 Extrait du site http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2004.fernagu_s&part=186874
31 Campbell J., Puissance du mythe, Editions Oxus, 2009, page 15.
32 Raulet C. -2001) : « Le commerce du livre et la relation auteur-lecteur dans la première moitié du xixe siècle en France », Labyrinthe, Actualité de la recherche (n° 10), 97-100.
33 Riondet O. (2003) : L’auteur, le livre et le lecteur dans les travaux de Pierre Bourdieu. Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 2.